Note : Hello !

Mon inspiration était pas mal du côté de mon autre projet en cours, donc j'ai foncé et un peu mis de côté les autres, mais l'aventure continue ici aussi.

Ce chapitre a été un bonheur à écrire, j'espère qu'il le saura autant à lire.

TW habituels pour mention d'agression, de maltraitances enfantiles.

Bonne lecture :D !


Une vieille chanson parlait de coquillages et crustacés sur une plage abandonnée, Kanda y pensait car Tyki ne faisait que la fredonner — c'était du français, si Kanda ne se trompait pas. Tyki était plein de surprise, le mec connaissait beaucoup de langues latines, à se demander combien il avait eu de vies. En plus de s'agacer à cause du sifflement répétitif, Kanda songea que c'était la place qui était réellement déserte pour un matin d'automne. Quasiment pas un chat. Tiedoll ne fut donc pas difficile à trouver. Assis avec son chevalet en plein milieu du carrefour giratoire, il peignait un immeuble éventré avec la concentration religieuse d'un moine en pleine prière. Kanda se crispa, pour finir par faire franchement la gueule alors qu'ils l'approchèrent à pas décidés. Tyki plus que lui.

Tiedoll avait été le maître d'armes de Kanda et l'assistant de Bookman, l'ancien médecin qui avait formé Lavi au métier de chirurgien, alors qu'il l'avait reccueili dans la rue. Si Bookman avait fini par les quitter de manière mystérieuse, laissant son apprenti Lavi derrière lui, Tiedoll se retira de tout usage de la médecine une fois que le rouquin fut formé. Lenalee finit par prendre la place de maître d'armes, ou plutôt maîtresse. Tiedoll faisait à présent partie des conseillers de Kanda, mais à part gagatiser sur lui comme s'il était son propre fils, disparaître pour peindre, il ne servait techniquement plus à grand chose au quotidien à part pour participer aux Raids. Il était un excellent Exorciste.

Il n'était pas méchant, et Kanda ne le tenait pas en mépris. C'était toutefois plus fort que lui : il n'avait jamais aimé qu'on lui démontre une telle affection, ça avait tendance à le dégoûter de façon viscérale. Peut-être était-ce à cause du manque d'affection dans son enfance. Même l'amour d'Alma avait été lourd et étouffant pour lui, lorsqu'ils n'étaient que des enfants incapables de verbaliser un besoin de distance pour lui et de comprendre une telle demande pour Alma. Étant donné qu'ils avaient fini par s'aimer, ça avait fini par devenir moins pesant pour Kanda, surtout qu'à l'adolescence, ils avaient progressé en communication.

Kanda mourrait toujours de honte et de rage des "oh, mon petit Yû" de Tiedoll. Il avait beau lui dire d'arrêter ça, le papy gâteux n'en avait rien à foutre. Un moment désagréable à passer s'annonçait. Surtout que Kanda n'avait pas la patience aujourd'hui. Il maîtrisait ses émotions. Il avait appris à le faire, il n'explosait pas comme un nourrisson au moindre pet de travers. Seulement, entre Mori, l'attaque des Akumas, Tyki qui l'avait humilié, Moyashi qui attendait tout seul et risquait peut-être quelque chose — Kanda pensait toujours que non, il lui avait laissé un Golem de toute façon, mais il n'était toujours pas à 100% serein —, ça faisait beaucoup. Kanda n'avait qu'une envie, prendre un bon café, méditer, et respirer l'odeur de l'oméga avec la certitude qu'ils seraient en sécurité.

Il avait de moins en moins envie de se séparer d'Allen. C'était bon signe. Et c'était pour ça, pour qu'Allen soit sauf, qu'il venait jusqu'ici. Il continuerait de prendre sur lui...

« Oh, Yû ! Mon garçon ! » Les yeux larmoyant, le vieillard lui souriait de toute ses dents. « Et Tyki, mon grand ! Oh, vous me comblez de joie de venir me voir mes petits ! »

... avec peine.

On aurait dit une vieille qui n'avait pas vu ses petits enfants depuis dix ans. Alors qu'il s'agissait d'un vieux qui ne les avait pas vu depuis 2 jours pour Kanda, et deux heures pour Tyki. Le bouclé se marra gentiment, pas agacé pour deux sous. Kanda se crispa.

« Cessez vos simagrées, vieillard, on vient vous parler d'un sujet important— Aïe, vieux con ! »

Tiedoll venait de le taper avec un pinceau sur le nez. Il n'y avait que lui qui se permettait ce genre de trucs sans finir décapité. Kana n'était pas un chef tyrannique et le regrettait peut-être un peu en cet instant. Râler mais se montrer complaisant, ça incitait les gens à... ça. Le vieillard l'avait vu grandir et l'avait connu quand il chiait encore dans ses couches, ça participait inévitablement à son incapacité à le prendre au sérieux.

« Il me semble t'avoir enseigné la politesse, mon petit Yûyû ! »

Il n'était pas le seul. Son enfoiré de père, Bookman, Lavi, Lenalee, et Alma s'y étaient mis aussi... Ça avait fini par marcher. Depuis ses 16 ans, Kanda n'était plus aussi sauvage et furibond que ce que son caractère de ses 10 à 15 ans laissait entrevoir. L'assagissement avec le temps, peut-être. La vie et les responsabilités qui l'avaient façonné, aussi. Kanda grogna entre ses dents.

« Et il me semble vous avoir demander de ne pas m'appeler par mon prénom. C'est important, maître. »

Kanda n'aimait pas l'appeler par ce titre. Il le faisait enfant par respect des convenances, et surtout parce qu'il s'était fait retourné une toise de son paternel quand il avait refusé de le faire au début. Tiedoll le défendait, à l'époque, déclarant apprécier l'esprit de contradiction du jeune garçon pour tempérer la colère de son chef de clan. Kanda n'oubliait pas qu'il lui devait beaucoup, il lui avait éviter quelques raclées injustes. Même quelques unes qu'il aurait méritées — si tant est qu'on puisse réellement mériter de la violence, Kanda n'était pas partisan de cette idée, celui qui l'avait élevé oui.

En plus de ça, Kanda estimait sincèrement Tiedoll quand il était sérieux. Le vieillard parut comprendre qu'il fallait justement l'être. Il posa son pinceau, et se tourna vers eux en pivotant sur son tabouret.

« Qu'est-ce qui vous amène ?

—Il serait préférable de ne pas en parler ici. Retournons au clan. »

Tiedoll opina. Il réclama un temps pour ranger ses affaires, et les suivit jusqu'au bateau. Le temps se dégageait, le soleil brillait. Rien de tel pour une petite balade à pied, jusqu'au long des berges, déclara le grand-père en souriant à Tyki et Kanda.


« Tu es sûr et certain de ce dont tu me parles, Yû ? »

Kanda ne s'embarrassa pas à corriger Tiedoll. Tant pis, à ce stade. C'était pour Allen, et l'heure tournait, il lui avait promis d'être de retour à treize heures. Kanda n'aimait pas ne pas tenir parole. L'heure était pourtant grave dans la salle du conseil, là où ils avaient accueillis Mori.

Tiedoll avait un bras sous sa poitrine, le coude de l'autre appuyé dans sa main alors qu'il caressait sa barbe. Ses sourcils étaient froncés par l'inquiétude. il était appuyé contre le hublot, bouchant une partie de la lumière naturelle, réfléchissant ardemment.

« Oui, dès que son Innocence s'est activée, les Akumas ont débarqué. Je n'ai jamais vu ça. Vous auriez vu son bras... On dirait que l'Innocence lui a bouffé la peau. C'est plutôt méchant.

—La seule personne qui m'a parlé d'un cas de symbiose pareille était Marian, mais tu ne dois pas te souvenir de lui. »

Tiedoll se mit à faire les cents pas. Kanda ne dit rien. Il se rappelait bel et bien d'un grand rouquin toujours bourré plutôt dégingandé, qui emmenait son père faire la tourner des bars et baiser des putes. Il ne l'avait jamais aimé, celui-là. Kanda avait été content qu'il dégage du paysage.

« Il avait recueilli un garçon avec un bras dans un sale état, juste avant qu'il nous quitte. Il a disparu, et je ne sais pas ce qu'est devenu le petit. Pauvre gamin, à mon avis, Marian était vraiment pas fait pour s'occuper d'un enfant. Le bras était infirme. Il pouvait pas le bouger d'un pouce, il aurait même fallu l'amputer. Marian était pas sûr que ce soit une Innocence au début. Les symbiotiques comme ça sont rares. L'Innocence trouve une manière harmonieuse de s'associer à son hôte, d'habitude. »

Ce n'était pas le cas d'Allen, le sien était en capacité de bouger et de s'activer. Kanda l'avait entendu dire que ça n'arrivait jamais. Les nerfs étaient peut-être endommagés.

« Mais ça existe, trancha Kanda. Je comprends pas comment ça se fait que son bras les appelle. »

Tiedoll s'arrêta de marcher. Heureusement, la vue de le voir tourner augmentait un sentiment de stress en Kanda.

« L'Innocence est une énergie, ça, on le sait, expliqua Tiedoll. Il se peut que les Akumas soient capables de percevoir cette énergie.

—Nous nous entraînons tout les jours, intervint Tyki, avachi dans son siège face à Kanda. Si une seule activation cause l'arrivée de niveaux 5, ça veut dire que ce garçon est puissant. »

Le vieillard posa ses mains sur la table.

« Pas nécessairement. Il se peut que l'énergie contenue dans son bras enfermée depuis longtemps soit décuplée. Mais effectivement, ce n'est pas une hypothèse à ignorer.

—Moi, intervint Lavi, je me demande si la morsure ne peut pas avoir débloqué ce qui l'empêchait de l'activer. Si c'est le cas, ça peut se reproduire.

—L'activation n'était pas complète, Allen n'a pas réussi à la transformer en arme. C'était douloureux, il hurlait comme un cochon qu'on égorge. »

Kanda ne se moquait même pas en disant ça. Allen avait été jusqu'à l'insulter, lui qui avait la trouille de hausser le ton devant lui. Non, le chef de clan se doutait bien que son niveau de douleur devait être élevé pour qu'il en arrive à s'oublier de toute façon.

« C'est peut-être ce qui a attiré les Akumas. » Tiedoll caressa à nouveau sa barbe. « Ils sont attirés par un grand désespoir, et l'énergie dont je vous parlais. Tu as dit qu'il était maudit ? Dans ce cas, ça veut dire une chose. Tant que l'Innocence de cet oméga ne s'activera pas correctement, il faut à tout prix éviter de toucher à son bras. Je dois me renseigner encore. Il se peut que je m'absente quelques jours.

—Tu ne peux pas l'amener ici, que Tiedoll et moi l'examinions ? »

Kanda grinça des dents à la demande Lavi. Il savait déjà qu'Allen refusait d'être mêlé à ça. Même si c'était pour sa sureté, il n'était pas certain que ça puisse le convaincre. Il revoyait l'oméga lui hurler dessus qu'il n'était pas un bien. Kanda ne pouvait que comprendre sa rage, bien qu'il la juge toujours partiellement immature. Il s'efforçait cependant de se mettre à sa place, de penser à sa peur, à son envie d'être traité correctement on ne peut plus naturelle que l'alpha ne comptait pas ignorer. Kanda avait envie qu'il lui fasse confiance. Il ne l'obtiendrait pas en lui forçant la main, peu importe que ce soit avec une idée bien-fondée et un motif valable. Ça aurait aussi été plus facile. Son "lui" plus jeune aurait attrapé Allen par les hanches comme un sac à patate et l'aurait ramené ici, quitte à se faire pardonner après, ou au contraire à se disputer.

Il avait, encore une fois, grandi et possédait assez de tact, ajouté à du bon sens, pour savoir que ça ne pouvait pas fonctionner comme ça. Surtout avec la fragilité du lien qu'Allen et lui créaient.

« Il a la trouille. C'est un orphelin de la ville basse, il survit en servant de précepteur pour une famille un peu plus riche, vous connaissez ces milieux. Le type a été forcé de se prostituer, si j'étais pas tombé sur lui, il se serait fait violé depuis longtemps. Je crois que ses employeurs abusent de lui. Il voudra jamais me suivre comme ça. Il se méfie. »

Les trois autres prirent conscience du caractère délicat de la situation. Tiedoll se mit à sourire, malgré tout.

« Tu peux pas t'empêcher d'aider les autres, mon petit Yû. C'est ce que j'aime chez toi.

—Fermez-la, ça n'a rien à voir. »

Tiedoll émit un rire.

« Si, ça a tout à voir. Fais tout de même attention à ne pas projeter sur lui tes propres expériences, et ton désir de réparer celles des autres. Parfois, tu dois prendre des décisions difficiles pour le bien d'autrui, et pour le tien.

—Ah, tu vois, je te l'ai dit, Yû ! s'exclama Lavi. Là, va falloir que tu le convainques. Il a pas de raison de refuser, on va pas le disséquer ! Et je veux le voir. »

Exaspéré, Kanda laissa tomber sa tête entre ses bras, ses mains serrées l'une dans l'autre sur la table. Ils avaient vraiment décidé de lui faire la morale et de le faire chier, ce matin ? C'était vraiment comme ça qu'ils accueillaient sa préoccupation et ses inquiétudes pour Allen ? Putain. En redressant la tête, ses cheveux éparpillés dans son champ de vision, Kanda se dit qu'il devrait d'une part les attacher, et d'une autre part leur dire d'aller se faire foutre. Il opta pour la deuxième option.

« Vous me gonflez, à dévier du propos. Quant à toi, Lavi, avec ta curiosité à la con...

—Je te dis ce que je pense pour que ta relation soit saine, mon petit Yû. Tu fais ce que tu veux. »

Tiedoll, que Kanda n'avait jamais vu serré qui que ce soit de sa vie, aurait pu la fermer avec des conseils en termes de relation.

« Peut-être que Kanda a raison, » finit par parler Tyki.

Kanda haussa les sourcils, aussi, le Portugais lui fit un clin d'oeil. Oh, il avait visiblement décidé de le soutenir pour réparer sa connerie de toute à l'heure. Du Tyki tout craché.

« Il faut qu'il nous l'amène, je suis d'accord, mais ça me semble assez tôt.

—Ouais, fin, s'il cause une attaque d'Akumas en ville, faut y penser aussi. Tyki, sans déconner, soutiens-nous un peu quand on a raison... »

Lavi décocha une oeillade vexée à son compagnon, la tête appuyée dans sa main faisant remonter son bandeau et ébouriffant ses cheveux. Il était dépité. Tyki semblait toujours animé par son propre agenda, de toute façon, et il ne taisait jamais sa pensée. Bien pour ça que Kanda lui confiance, et doutait aussi tout autant de lui. L'épéiste leva les yeux au ciel.

« Je vais essayer de lui en parler. En attendant, je lui dirai de faire attention à son bras. Tiedoll, dès que vous avez des informations, vous me tenez au courant.

—Bien sûr, mon petit Yû. »

Kanda opina sans se vexer. Il se releva, ravançant la chaise qui glissa sur le parquet. Son regard engloba tout le monde, son oeil s'arrêta sur le tableau accroché au mur sur cette pièce plutôt vide, hormis le poêle à bois qu'ils devraient bientôt rallumer d'ici un ou deux mois, et la grande table dédiée aux réunions. Un tableau de son père, de ce visage qui lui ressemblait tant alors que Kanda désirait tout sauf être comme lui. Il n'y avait aucune chaleur qui se dégageait de son visage, aucune bienveillance, trait que Kanda tendait à partager de prime abord — il n'était pas toujours très doué pour la communication non verbale et il était d'un tempérament froid car réservé, en plus d'être facilement agacé par autrui. Il espérait que son coeur ne renfermerait jamais la même noirceur.

Pourquoi avoir gardé ce portrait, s'il le détestait tant ?

Pour se rappeler de ce qu'il devait éviter de devenir à tout prix. Les gènes ne le définissaient pas. Ses propres traits non plus. Il deviendrait ce qu'il voulait devenir. Ni un monstre, ni un homme de pierre qu'il semblait parfois être. Il voulait se rappeler de ce que c'était que de n'être rien qu'un pantin, que de n'avoir rien, lui qui maintenant avait tout.

Ce qu'il voulait aussi, c'était faire changer les choses maintenant qu'il en avait le pouvoir.

En attendant, il souriait de façon entendue à ses conseillers.

« Je vous remercie pour vos suggestions. Je repars là-bas, je reviens dès demain matin. »

Les trois hommes face à lui hochèrent la tête. Lavi vint à sa hauteur, posant une main sur son bras.

« Fais attention. Sache aussi que ce n'est pas que pour satisfaire ma curiosité que je veux le voir. J'ai un pressentiment.

—On verra ça, lâche moi un peu en attendant. Tu finiras par le voir si tout va bien. »

Le rouquin rit, pas vexé pour un sou. Il tapota gentiment l'épaule de Kanda.

« Profite bien de ton chéri, mon cher Yû !

—C'est pas mon chéri. »

Ils essayaient une relation, mais Lavi n'était pas obligé de tout savoir non plus. Qu'il soit son meilleur ami ou pas. Il en parlerait quand il serait prêt.

« Va pas me dire que tu l'as pas au moins embrassé. »

Ne s'étant pas attendu à la question, Kanda prit quelques couleurs. Lavi éclata de rire dans son poing. Si Kanda s'attendit à des railleries, car Lavi était doté d'un humour chiant quand il relâchait la bride de son sérieux, il eut droit à un sourire bienveillant.

« Je suis content. T'as l'air heureux. Ça fait du bien, de te voir comme ça. »

Kanda avait une fierté qui l'empêchait de se sentir touché pour des conneries comme ça. Ou du moins, de le montrer. Que ce soit bien ou mal n'était pas la question, il était parfois pudique avec ses émotions et c'était comme ça. Intérieurement, bien sûr que les paroles de son ami se fichèrent dans son coeur.

« Merci, Lavi, » dit-il sobrement.

Et il partit. Lavi lui gueula un autre au revoir de loin, Kanda s'éloignant le coeur plus léger.

Lavi était un bon pote, attachiant sur les bornes des limites, mais vraiment capable de dédramatiser efficacement toute situation.

L'odeur de son Moyashi lui manquait après toutes ces émotions. Tiedoll et Lavi avaient quand même raison. Il fallait qu'il garde de la réserve, et qu'il évite d'agir comme l'ado niaiseux qu'il n'était plus. Il restait un jeune adulte avec des choses à apprendre, il avait peut-être le droit de se montrer à peine écervelé. Alma qu'il critiquait à ce propos, plutôt sèchement, lui répondait avec provocation qu'il ne voulait pas grandir.

Une chance que tout le monde ne possédait pas.

Si Kanda devait être honnête avec quelque chose, c'est qu'en tout temps, en tout lieu, sa plus grande qualité et sa plus grande faiblesse étaient la même : sa capacité à aimer.

Il avait bien vu ce que ça donnait avec Alma. Il avait cru apprendre la leçon et s'en tenir à du sexe, des relations platoniques... Il était bien parti pour recommencer. Pour qu'une pousse de soja soit la nouvelle raison de sa force, ainsi que de son possible déclin.

Kanda prit tout de même le temps d'aller voir Lenalee, demandant à son chauffeur de l'attendre et de se préparer à rouler vite. Il voulait s'assurer que celle qu'il aimait comme une soeur s'en soit sortie indemne de sa confrontation avec ces connards de mafieux.


Allen attendait Kanda en cuisinant.

Il s'était levé tard, oubliant carrément où il se trouvait ! Il s'était étonné de ne pas se faire réveiller par Timcanpy qui lui fonçait à la figure chaque matin au bateau de Luberrier. Puis, il s'était situé dans un environnement avec un soulagement palpable. En attendant, il avait le ventre vide, et s'était dit qu'il pouvait bien faire un bon repas à l'alpha pour le remercier. Kanda avait dit qu'il cuisinerait pour eux quand il reviendrait, mais l'oméga ne se voyait pas se tourner les pouces alors qu'il était l'invité. Il le faisait pour s'excuser de son comportement de la veille, aussi. Il ne tenait pas à perdre leur rapprochement, ni pour la mission, ni d'un point de vue personnel. Il trouvait ça curieux, mais il n'avait aucun papillon dans le ventre quand il regardait Kanda. Uniquement quand ils échangeaient leurs odeurs au début, à cause du stress.

Les livres qui parlaient de ça comme d'une condition sine qua non à la romance avaient-ils donc menti ? Cet attrait physique était là. Ça ne s'exprimait juste pas de cette façon chez lui, et ça lui semblait être une bonne chose.

Le maudit finissait par être de plus en plus à l'aise à l'idée d'entrer en relation avec l'alpha. Il avait même hâte d'échanger ses odeurs avec lui. Kanda n'avait pas eu tort en pointant, à sa grande honte, qu'il n'avait pas été assez désensibilisé aux phéromones. Allen ressentait l'effet d'une exposition répétée à celles de Kanda. Quand sa crainte s'évanouissait, il était... content. Relaxé. L'effet paralysant n'était plus aussi fort, il devenait même capable de s'en défaire. Il l'avait testé cette nuit en faisant exprès de se coller contre le torse de Kanda, le nez dans sa clavicule. Il avait réussi à se détacher.

Comme hypnotisé par sa capacité à perdre et reprendre le contrôle à sa guise, Allen avait répété l'action plusieurs fois, jusqu'à entendre Kanda grogner dans son sommeil. Comprenant qu'il le dérangeait, il s'était arrêté.

Ça le rassurait que ce soit possible.

Il espérait que bientôt, cette phobie de l'agression qu'il ressentait en sentant la forte odeur d'alpha partirait complètement. Il prenait le temps de trier ses pensées et ses émotions. Le soulagement douloureux d'entendre d'une bouche en qui il commençait à avoir confiance que les alphas étaient libres de leur choix en profitant d'un oméga perdurait. Ça ne rendait rien moins dur, mais il n'aurait plus à baisser les yeux devant Link, il n'aurait plus à haïr Chao Ji tout en entendant une petite voix dans sa tête lui dire "c'est de ta faute, tu n'as pas réagi".

Allen était libéré d'un poids. Ce n'était pas une libération sans peine ni sans blessure. Quant à ce qu'il s'était passé avec son Innocence, il y pensait comme un événement secondaire tant ses préoccupations étaient tournées vers son agression depuis deux ans — peut-être aussi parce qu'il était trop sonné et qu'au fond de lui, il était habitué à l'idée de son bras mort qui ne pouvait pas fonctionner comme par magie. Allen se rendait compte qu'il était devenu un fantôme, il avait perdu cette insouciance propre à lui-même. On appelait ça grandir, sauf que ça ne se passait généralement pas avec autant de douleur. Il ne désirait qu'une chose, retrouver cette capacité à être autre chose que l'ombre de ses traumatismes. Son agression avait été le coup de grâce. Il voulait se relever.

Peut-être qu'il commençait. Il avait l'impression de pouvoir recommencer à vivre et à avancer, malgré la difficulté d'une telle entreprise surtout maintenant.

On voulait qu'il tue Kanda en jouant les amoureux pour l'atteindre. Allen le faisait tomber, mais il était en train de chuter beaucoup plus fort. Il n'y avait rien d'autre à faire que de prendre ce qu'il pouvait prendre, de chercher une solution qui finirait par lui apparaître. Tout était compliqué. Fuir lui avait apparu comme la seule option. Mais comment ne pas s'attacher quand Kanda correspondait autant à ce qu'il voulait ?

Les petites victoires, comme cette confirmation qu'il n'était pas responsable de ce qui lui était arrivé, son aisance progressive avec les phéromones, méritaient d'être célébrées. Il n'avait envie de voir que ça et que le reste disparaisse.

Il se passait en réalité trop de choses à la fois. Allen ne savait même pas ce qu'il devait penser de son bras. C'était aussi pour ça qu'il ne paniquait pas. Il attendait les réponses de Kanda, en espérant qu'elles l'avanceraient un petit peu plus. Ne pas y réfléchir était aussi un moyen de l'occulter tant qu'il le pouvait encore. Il ne voulait pas en parler plus en profondeur, il n'avait aucune information. Être Exorciste ne l'intéressait pas surtout qu'il ne le pouvait pas.

Il ne ressentait plus rien de nouveau dans son membre, de toute manière. Et la croix enfoncé dans le dos de sa main — il avait enlevé ses bandages ici pour en être sûr — ne luisait plus, elle se confondait avec sa peau rougie. La blessure semblait aller bien, il n'avait pas vérifié depuis ce matin, mais à part un léger poids dans son membre, ça allait.

Tout était normal. Ça ne l'empêchait pas d'être mal à l'aise quand il pensait vaguement à ce qui s'était produit hier. Il aurait bien aimé avoir Timcanpy pour se rassurer. Il ne pouvait pas le prendre car personne n'utilisait de Golem chez les habitants des quartiers, il se serait fait grillé. Le Golem de Kanda était posé sur la table et ne se fatiguait même pas à battre des ailes dans sa direction. Au moins, Tim avait de la personnalité. Il était même son meilleur ami, le seul sur qui il pouvait compter à 100% alors qu'on lui avait dit maintes et maintes fois que c'était une machine.

Un bruit de serrure provenant de l'entrer. Allen comprit que Kanda était de retour. Il regarda l'heure sur une vieille horloge qui tournait encore, il était bel et bien treize heures. Il esquissa un sourire, une tension insoupçonnée s'envolant de son estomac de même que son humeur virait plus légère.

La serrure s'enclencha de nouveau, signe que l'alpha verrouillait derrière lui. Allen avait préparé du riz et réchauffait une conserve de légumes en parallèle sur le second feu, qu'il essayait d'assaisonner convenablement. Kanda arriva bien vite derrière lui, un paquet de victuailles entre les mains. Il lui sourit et déposa les vivres sur la table. Alors qu'Allen hésita bêtement sur son attitude, Kanda arriva à sa hauteur pour l'embrasser du bout des lèvres sans sourciller.

Celles du maudit s'étirèrent.

« Je vois que tu pouvais pas m'attendre pour ça, dit l'épéiste en désignant la cuisine. Moi qui voulais te mettre bien.

—Je suis un grand garçon, je peux le faire seul. Et il fallait bien que je m'occupe. »

Kanda caressa sa tête. Allen apprécia l'attention. C'était si agréable, même ces moments de discussions débiles lui donnaient une sensation légère à l'estomac.

« Je nous ai ramené de la viande, on va pouvoir la faire réchauffer avec les légumes. »

Le ventre du maudit gronda à ce moment-là. Il observa Kanda déballer la nourriture, deux beaux morceaux de poisson bien frais, et s'avança timidement pendant que le plus vieux vint les ajouter dans la poêle.

« Hm... Alors ? Pour l'Innocence, tu as des infos ? »

Comme quoi, il finissait tout de même par s'inquiéter. Au fond, bien sûr qu'Allen était plus angoissé par tout ça qu'il n'aimait l'admettre. C'était juste qu'il maîtrisait encore moins le sujet que ses peurs et sa mission, une angoisse qui devenait au fond familière. Son bras ne lui importait pas jusqu'à présent. Il l'avait vu comme une gêne, au pire un léger complexe physique. Se dire que ça le mettait en danger... Une part de lui n'était pas apte à intégrer la difficulté de la situation. L'autre, qui venait de faire trembler sa voix, le savait très bien.

Au milieu, Allen était perdu. Il offrit un sourire timide à Kanda pour s'extirper de la sensation de lenteur dans son propre esprit.

« On pense qu'il vaudrait mieux que tu n'essaies pas d'utiliser ton Innocence. »

Allen fronça les sourcils malgré lui. Il ne comptait pas le faire, vu qu'il n'en avait pas la capacité.

« Ça risque pas, rétorqua-t-il justement. Et... ?

—Pour le reste, mes conseilleurs vont faire des recherches. Tu sens quelque chose dans ton bras, ou c'est redevenu comme avant ? »

Allen secoua la tête. La morsure du serpent le lançait comme ça l'aurait lancé si un chat l'avait griffé, rien de plus.

« Pas plus que ça. Mais c'est tout ce que vous en pensez ?

—On a peu d'éléments. Tu vas pas aimer, mais les deux médecins de mon clan aimeraient t'examiner. »

Oh, la sensation de douche froide.

Allen se raidit en réflexe.

Kanda vint mettre ses deux mains sur ses épaules, se penchant pour embrasser son front à la vue de sa tête de six pieds de longs alors qu'il hésitait sur la manière d'esquiver.

« T'es obligé de rien. Panique pas. »

Un peu vexé, même si une part de lui fut rassurée par les paroles, Allen se mordit l'intérieur de la joue.

« Me prends pas pour un espèce d'idiot fragile qui panique pour rien, s'il te plaît. »

C'était peut-être un peu mal dit, et Allen vit que Kanda recula car il ne s'y était pas attendu. L'essentiel de ce qu'il verbalisait était simple : il ne voulait pas que Kanda se fourvoie sur sa personne et ne l'imagine plus sensible qu'il l'était vraiment. Ni qu'il prenne des précautions qui n'étaient pas nécessaires. Allen poursuivit, s'adoucissant. Il refusait de laisser parler l'amertume et la colère à sa place. Même si la frustration était à son comble pour lui.

« Je veux dire, hier, tu m'as pas vu au mieux de ma forme, et avant-hier aussi... mais je suis pas que ça. Ça me surprend seulement, que vous vouliez me voir. Mais Kanda, j'espère que tu sais bien que j'étais sérieux quand je te disais que je ne voulais pas rejoindre ton clan. C'est toujours non. »

Il était aussi question de ça. Allen mettait une limite claire qu'il ne voulait pas voir remise en question. Kanda secoua la tête.

« Je sais bien ça. Il est question d'un examen, pas d'une affiliation. Et je ne te prends ni pour un faiblard, ni pour un idiot. Sauf en ce moment, ajouta-t-il en ourlant le regard. Tu me l'as dit toi-même, si ton bras s'active, il se peut que les Akumas reviennent. Tu veux mettre la ville basse à feu et à sang ? Il faut qu'on en ait le coeur net. Allen, réfléchis. »

Il l'appelait par son prénom au lieu de Moyashi. Ça devait vouloir dire qu'il était sérieux.

Allen se mordit la lèvre. Il se sentait acculé beaucoup plus tôt que prévu. Link et Luberrier voulaient qu'il s'infiltre dans la vie de Kanda, dans ses draps, peu importe ce que ça voulait dire. Personne n'avait parlé de le présenter à son clan. Il y avait des chances qu'il soit félicité, si tel était le cas. Mais ça deviendrait plus dur encore et Allen avait peur d'être grillé. Gérer Kanda seul et le duper était une chose.

Duper il ne savait combien d'autres individus qui l'avaient peut-être déjà croisés en compagnie du clan de Luberrier — si quelqu'un l'avait vu, même il y a quelques années lors des Raids auxquels il participait, avec sa cicatrice, on ne l'aurait pas oublié — était différent.

Il fallait esquiver.

Le pire, c'est que Kanda n'avait pas tort. Allen le captait seulement maintenant avec un train de retard. S'il mettait les rares personnes qu'il aimait bien au clan de Luberrier en danger, tel que Timothy, Thomas, Johnny et Tyki... Il ne pourrait pas se le pardonner.

Il devait être sûr que son bras ne s'active jamais. Luberrier et Link ne devaient jamais savoir que ça s'était produit.

Tant qu'il était en possession de ses moyens et pas submergé par ses émotions, Allen devait fournir une réponse intelligente.

« J'en suis bien conscient. Je peine à y croire, pour être franc... Kanda, laisse-moi réfléchir.

—C'est ce que je te demande, répliqua Kanda du tac au tac. Tu n'as pas de couteau sous la gorge. Du moins, pas de ma part. N'oublie pas ce que je t'ai dit hier. »

Une Innocence ne dort jamais vraiment. Elle s'est réveillée une fois, elle le fera de nouveau. Faire l'autruche ne sert à rien.

Ces paroles lui avaient été glissés à l'oreille alors que Kanda avait bien vu qu'Allen fixait son bras gauche et l'endroit où sa blessure était recouverte avant de dormir. Il aurait été bête d'imaginer que Kanda laisse passer un truc pareil et n'essaie pas de l'influencer à creuser le sujet. Ce n'était en rien anormal. Il faisait de son mieux pour être serein, mais le maudit savait qu'il s'était foutu dans une merde noire en lui montrant son bras.

Et cette activation... Bordel, il ne savait pas quoi faire.

Il ne voulait pas mettre les autres en danger. Se mettre en danger. Si Kanda n'avait pas été là... Allen serait mort. Kanda ne serait pas toujours avec lui.

Sa façon de parler était peut-être devenue trop dure au goût d'Allen. C'était toutefois ce qu'il lui implicitement demandé, et ce que Kanda avait bien compris : il ne voulait pas être ménagé. Alors Kanda respectait son souhait, il prenait moins de gants. Il ignorait en partie la complexité du sujet pour lui parce que sans être à sa place, comment se le figurer ? Impossible. Allen aurait vraiment été un orphelin de la ville-basse maltraité par des employeurs peu scrupuleux, il aurait sauté sur l'occasion de fuir et aurait tout fait pour comprendre ce bras étrange qu'il possédait. Même avec de la fierté, ce qui s'était passé hier aurait dû finir par le faire céder au moins aujourd'hui. Jouer le mec fier jusqu'à l'aveuglement finirait par sonner incohérent.

Il déglutit.

« Je risque pas d'oublier, tu sais. J'ai besoin de temps, respecte-le. »

De nouveau, Kanda l'embrassa. Il s'occupa de retourner la viande qui cuisait gentiment.

« Je le respecte. Je te tiens au courant de ce que mes subordonnés trouveront, dans tout les cas.

—Merci. »

Toujours au ralenti, Allen avait la bouche sèche.

Accepter lui semblait de moins en moins comme une mauvaise option en dépit de sa peur légitime de griller sa couverture. Il devait d'abord avoir l'aval de Link, il avait besoin qu'on le briefe sur la conduite à tenir. Il faudrait trouver une excuse. Inventer que Kanda voulait le présenter à son clan comme sa nouvelle conquête, sans s'étendre sur leur rapprochement. On le presserait à passer à l'étape supérieure.

Allen devait trouver une solution. Il avait chaud, et ce n'était pas qu'à cause de la petite cuisine en ébullition.

« Tu as de la fièvre ? » demanda Kanda, posant sa main sur son front. « T'es brûlant. Assieds-toi. »

Allen n'aimait toujours pas recevoir des ordres, mais il finit par le faire. Ce n'était pas de la fièvre. C'était réellement un coup de chaud. Ou alors, peut-être que la morsure du serpent s'infectait ?

Était-ce pour ça qu'il avait été ralenti un long moment, la tête fiévreuse ?

Kanda enleva complètement le bandage de son bras. Allen écarquilla les yeux en regardant sa peau rougie violacée au niveau de la blessure. S'il avait regardé tout à l'heure, c'était au niveau de sa croix. Il avait été moins curieux quant à sa blessure qu'il ne sentait pas vraiment.

« Bordel, ça s'infecte.

—Mais tu avais dit que c'était une couleuvre, Kanda ! Qu'il n'y avait pas de venin ! »

Allen regarda le plus vieux froncer les sourcils, un rictus agacé de côté.

« Hé, doucement, j'ai rien promis, je suis pas expert en serpent, moi. C'est tout aussi bien ta peau qui est sensible et n'a pas aimé être agressée, surtout si elle est toujours couverte d'habitude. Il suffit d'une bactérie que le désinfectant n'a pas eu. »

Kanda ricana. Ne cherchant pas à comprendre, Allen le fusilla du regard cette fois. Il se foutait de sa gueule, en fait ? Comment pouvait-il ? Il ne comprit vraiment pas sa réaction.

« Me fais pas ces yeux-là. Je me marre pas de ton infection, au contraire. C'est juste que le destin a tranché à ta place. J'ai rien pour traiter ça. Il va te falloir un médecin. »

En avisant les deux petits trous dans sa peau qui ne se refermaient pas et la couleur autour de la plaie, Allen ne pouvait qu'être d'accord. À contre-coeur.

Et merde...

À suivre...


Note : Comme vous voyez, j'ai donné pas mal de substance aussi au background familial de Kanda, il y a encore des détails qui seront introduits au fur à mesure, ça me semble cohérent avec le canon de pas lui faire une vie type long-fleuve tranquille même si on voit bien que contrairement à Allen il a un entourage en qui il peut avoir solidement confiance et ça change tout.

Allen est forcément plus sombre, plus méfiant, plus hésitant et plus perdu mais la force des choses fait qu'il va bien être obligé de prendre quelques décisions... comme ici.

Un avis ?

N'hésitez pas à me dire ce que vous pensez de l'histoire jusque là ! Ça me donnera peut-être le coup de pied au cul nécessaire pour la suite :p.

Merci d'avoir lu, à la prochaine !