Hermione
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Chère Mlle. Granger,
Je confirme ma présence le 14 février au Trois Balais, bien que je suppose ne pas avoir vraiment le choix.
Je ne sais pas quel petit jeu tu trames, mais je te conseille d'être prudente, je pourrais t'écraser toi et ta réputation comme un vulgaire moustique sous mon talon. À force d'user de stratagèmes pareils, tu risques de te brûler les ailes. Mais je dois avouer que je suis curieuse de savoir ce que tu comptes me proposer, et j'admets que tu as un certain culot. J'ai des doutes concernant le choix du Choixpeau, la noble maison des Serpentards te correspond bien mieux.
À bientôt, malheureusement.
Rita Skeeter, Journaliste de la Gazette des Sorciers, Rédactrice-En-Chef de Sorcière-Hebdo, Autrice, Reporter d'Astrologie, et tant d'autres titres.
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Il fallut une semaine supplémentaire pour que Théo et Hermione parviennent à réussir à décomposer la formule donnée par Vector. C'était un jeudi soir, et la lueur de la chandelle de la table de la Bibliothèque vacillait, les flocons tombaient derrière les grandes fenêtres, et, mis à part Théo et elle, il n'y avait pas d'autres élèves dans la salle. Quelques livres volaient au-dessus d'eux pour aller se ranger eux-mêmes, Madame Pince n'était plus derrière son bureau, et il régnait une ambiance étrange et hivernale qui donnait à Hermione une profonde envie de s'assoupir.
"Donc, si je comprends bien…" dit Théo, la tête penchée sur le parchemin que leur avait donné Vector la semaine précédente, qui était maintenant indéchiffrables à cause de leurs deux écritures combinées, des runes et des schémas arithmantiques tout autour. "Pour lier un rythme cardiaque à une baguette, nous avons eu besoin de Sortilèges, de Métamorphose, d'Etudes de Runes et d'Arithmancie."
Il poussa un profond soupir. Quand il releva la tête, ses boucles étaient toutes décoiffées. Il regarda Hermione d'un oeil morne.
"On y est presque." dit Hermione, bien que c'était la dixième fois qu'elle disait ça ce soir. "Et si tu en as marre, tu peux rentrer, je ne t'en voudrais pas…"
"Hors de question." coupa Théo, l'air offensé. "Je ne partirai pas de cette Bibliothèque tant que ta baguette ne sera pas reliée au coeur de Potter. Réessaye sur moi encore une fois."
Hermione prit sa baguette et lança Pulsatio Reprehendo en direction de Théo. Elle ne pouvait même plus compter le nombre de fois où elle l'avait fait ces derniers jours, pourtant, la sensation de sentir son coeur battre contre sa baguette était toujours aussi exaltante. Elle attendit quelques secondes, puis fit lentement tourner sa baguette sur elle-même en récitant :
"Laguz, Wunjo, Gebo, Tiwaz…"
"Attends, pourquoi tu utilises Tiwaz ?" interrompit Théo.
Hermione cligna des yeux et se concentra sur le garçon en face de lui :
"Pour la longévité du sort." expliqua-t-elle.
Théo fronça les sourcils sous ses cheveux épais et reprit le manuel de l'alphabet des runes, qui était posé sous une pile de manuels ouverts. Hermione pouvait sentir le sort s'estomper contre ses doigts. Elle attendit que Théo trouve ce qu'il cherchait en silence. Quand il arriva à la bonne page, il fit défiler son doigt sur les différentes runes et s'arrêta sur celle de Tiwaz.
"Tiwaz, c'est la rune de la perséverance, pas de la longévité." contredit Théo. "Tu as confondu, pour la longévité, c'est Jera."
Hermione sentit son propre coeur tressauter.
"Tu es sûr ?" demanda-t-elle tout bas.
"Sûr." dit Théo. Ses yeux pétillaient. "Vas-y, recommence."
"Laguz, Wunjo, Gebo, Jera, Ansuz, Eiwaz, Uruz."
Quelque chose se passa alors, mais Hermione était incapable de déterminer ce qui avait changé. Elle pouvait toujours sentir le coeur de Théo contre sa baguette, plus rapide qu'avant, et elle avait l'impression que sa main était plus chaude, comme si son sang avait chauffé d'un coup.
Ils attendirent en silence pendant de longues secondes, aux aguets. Hermione attendait que le sort se dissipe, comme il l'avait fait depuis des jours, mais les pulsations ne diminuèrent pas, au contraire, elles accélèrent au fil des secondes qui s'étiraient.
Quand elle réalisa qu'ils avaient réussi, elle leva la tête et croisa le regard de Théo.
"Oh mon Dieu." murmura-t-elle.
Théo eut une réaction bien plus sonore : il se leva d'un bond en hurlant :
"PUTAIN ! HERMIONE, TU AS RÉUSSI !"
Hermione le suivit, et ils se prirent dans les bras impulsivement, en sautillant à moitié. Elle tenait toujours sa baguette et les battements de son coeur étaient forts contre sa paume. Ils tournèrent en rond comme des enfants qui font la ronde, en s'agrippant à l'autre à bout de bras :
"Tu es une génie ! Une génie !" hurlait Théo à tue-tête.
"Tu es un génie !" corrigea Hermione, surexcitée. "C'est toi qui a tout fait, tu as réussi à découper le sort, et tu as trouvé les bonnes runes…"
"Et toi alors !" coupa Théo. "Tu as intégré les formules de Métamorphose, tu as traduit les runes, tu as déchiffré chaque tableau arithmantique… Merlin, Hermione, on a réussi !"
Ils se mirent à danser d'un même élan d'euphorie, mais la voix stridente de Madame Pince dans le dos de Théo les arrêtèrent net :
"Non mais, qu'est-ce-que c'est que ce comportement ?!" brailla-t-elle, les poings sur les hanches et ses lunettes dangereusement posées au bout de son long nez. "Cinq points en moins, chacun ! Et baissez d'un ton sur le champ, ou je vous punis de Bibliothèque pour le reste de la semaine !"
"Désolés, Madame Pince !" s'excusa aussitôt Hermione, qui prenait la menace d'exclusion très au sérieux. "On ne recommencera plus."
La bibliothécaire les jaugea une seconde, puis retourna dans ses rayons poussiéreux. Théo et Hermione se rassirent calmement, leur excitation pourtant loin d'être assouvie. Dans un bref élan de nostalgie, Hermione se demanda si ce n'était pas ça dont Lupin avait voulu lui parler au Square Grimmaurd, quand il lui avait raconté la joie des Maraudeurs d'avoir réussi à créer la Carte. Elle avait l'impression d'avoir résolu une énigme très compliquée, et d'avoir regagné une dose d'énergie dont elle manquait cruellement il y a quelques minutes à peine.
"Mlle. Hermione Granger, félicitations." dit Théo, un grand sourire aux lèvres. Il tendit la main et elle la serra gaiement. "Vous venez officiellement de créer un sort."
"Vous de même, Mr. Théo." répondit-elle avec un petit rire. "Je vous félicite pour votre ingéniosité et votre savoir sans faille."
Théo fit semblant de faire une révérence et Hermione éclata de rire, en veillant à ne pas le faire trop fort pour ne pas attirer Madame Pince. Sa baguette continuait de pulser à un rythme effréné, sûrement parce que Théo s'était agité d'un coup, mais si son modelage runique était correct, lorsque son coeur retrouverait une fréquence normale, les pulsations s'estomperaient.
"Maintenant, tu n'as plus qu'à remplacer le sort et désigner Potter." proposa Théo.
Il rangea ses manuels, et Hermione le contempla, effrayée de voir à quel point il lui ressemblait à cet instant. Drago le disait tout le temps, mais elle avait rarement perçu autant de similiarités avec quelqu'un qu'à cet instant-même, parce qu'elle était persuadée que personne d'autre qu'elle ne puisse ressentir autant de joie à l'idée d'avoir performé un acte de magie aussi complexe. N'importe qui aurait abandonné en voyant la quantité de travail à faire. Harry aurait lâché l'affaire en voyant les runes, Ginny se serait lassée, Ron n'aurait même pas daigné ouvrir un livre. Théo et elle partageaient le même attrait pour ce genre de recherches, c'était presque encore plus plaisant de le voir aussi heureux qu'elle que d'avoir réussi le sort.
"Merci beaucoup, Théo." dit Hermione, en espérant transmettre sa gratitude à travers sa voix.
Il leva la tête vers elle, ses cheveux décoiffés et la fatigue marquée sur ses traits.
"Oh, Hermione. Merci à toi de m'avoir fait confiance." répondit-il avec un petit sourire timide. "Tu sais, ce n'est sûrement pas grand chose par rapport à tout ce que vous avez fait, tous les trois, mais… je suis content d'avoir pu vous aider, même si c'était minime."
Hermione était tellement touchée par ces mots qu'elle eut presque envie de pleurer.
"Ce n'est pas minime." promit-elle. "Tu m'as beaucoup aidée, et tu as aidé Harry."
Drago aurait grimacé en entendant une telle remarque, mais Théo sourit comme si c'était la meilleure nouvelle de sa journée. Quand il était comme ça, innocent, admiratif, émerveillé, Hermione se demandait comment il avait pu atterrir dans cette Maison sournoise, où la popularité primait sur les qualités humaines.
"Ça me fait chaud au coeur de savoir que j'ai participé à sa réussite, alors." dit Théo.
Soudain, l'estomac d'Hermione se contracta d'angoisse. La lettre de Rita Skeeter sembla peser trente kilos dans sa poche tout à coup. Ses joues commencèrent à brûler, et elle était à peu près sûre que si elle se mettait à parler, elle ne serait pas capable d'articuler deux mots de suite, mais c'était le bon moment, non ? Elle devait lui en parler. Elle ne pouvait pas aller à cette entrevue sans en parler à Théo d'abord.
Mais comment le faire ? Comment lancer le sujet ?
Hermione s'arma de courage et prit une grande inspiration. Elle posa sa baguette sur la table et réfléchit à une manière d'amorcer le sujet sans paraître insensible. Théo continuait de ranger méthodiquement les manuels qu'ils avaient posé sur la table.
"Théo ?" appela Hermione d'une voix faible.
"Hmm ?"
Il n'avait pas remarqué son inconfort, il était concentré sur sa tâche, et Hermione ne pouvait pas le blâmer, parce qu'elle était à peu près certaine de placer la même importance au rangement des livres que lui.
"Tu sais qu'il y a cette… sortie à Pré-Au-Lard, le 14 février, ce… ce dimanche…" comença-t-elle d'un ton hésitant.
"Oui…"
"Et je voulais savoir… enfin, je voulais te dire, mais j'avais besoin de te prévenir, enfin bien sûr, si tu ne veux pas, je ne le ferai pas, mais…"
Théo releva ses yeux bleus vers elle avec un air taquin.
"Est-ce que tu es sérieusement en train de m'inviter à un date ? Parce que je pense qu'un certain blondinet ne serait pas très content à cette perspective, et je tiens à mon joli nez."
"Non !" cria Hermione, probablement cramoisie. "Non, mon Dieu, non, rien à voir…"
"Aoutch !" renchérit Théo, toujours amusé. "Je suis si horrible que ça ?"
Hermione ferma la bouche et considéra le garçon en face d'elle. Il ne lui ressemblait plus du tout, maintenant, c'était le portrait craché de Drago, avec son sourire moqueur en coin et son regard espiègle.
Peut-être qu'il avait bien sa place chez les Serpentards, tout compte fait.
"Tu es charmant, mais je ne compte pas d'inviter en date ce week-end." reprit Hermione sobrement. Théo fit une petite moue qui aurait pu la faire rire si elle n'était pas aussi stressée. "En fait, je voulais te demander quelque chose… pour aider Harry."
Ses mains étaient moites contre le bois de la table : l'ascenseur émotionnel entre la joie d'avoir réussi à enfin créer le sort et l'appréhension de lui parler d'un tel sujet avait été vertigineux. Théo retrouva aussitôt son sérieux en voyant sa détresse.
"Bien sûr, Hermione, demande-moi."
Il avait l'air si honnête comme ça. Hermione était presque gênée de lui demander un tel service après qu'il vienne de l'aider pendant des semaines.
"Euh, alors…" commença-t-elle timidement. "Tu vois… Rita Skeeter ?"
Elle vit la confusion s'étaler sur le visage du pauvre Théo.
"La journaliste ?" demanda-t-il sans comprendre. "Oui, Pansy l'adore. Qu'est-ce qu'elle à voir avec Potter ?"
"C'est un peu compliqué." dit Hermione.
"On vient de créer un sortilège de toutes pièces en traduisant des runes et des incantations latines avec des tableaux arithmétiques et des formules de Métamorphose." résuma Théo, cynique. "Je pense que je peux suivre."
"Très bien, alors… Rita Skeeter… me doit une faveur." expliqua maladroitement Hermione.
Théo fronça les sourcils :
"Elle te doit une faveur ?" répéta-t-il. "Rita Skeeter, la journaliste, te doit une faveur ?"
"Oui." dit Hermione. "C'est en quelque sorte à cause de moi qu'elle n'écrit plus."
Théo écarquilla les yeux soudainement, passant de la confusion à la surprise en une seconde.
"Quoi ?"
"Je l'ai menacée de la dénoncer au Ministère de la Magie si elle continuait d'écrire ces maudits articles sur Harry." dit Hermione, qui avait l'impression que la conversation principale lui glissait entre les doigts.
"Ce n'est pas une faveur, c'est du chantage." pointa Théo, bouche-bée. "Comment Merlin aurais-tu pu dénoncer une femme pareille ?"
"Parkinson ne t'a pas dit son secret ?"
Théo secoua la tête.
"C'est une Animagus non répertoriée." dit Hermione, sans détour.
Cette fois-ci, Théo s'allongea pratiquement sur la table de choc.
"QUOI ? Une Animagus ? Et tu lui a fait du chantage pour l'empêcher d'écrire en la menaçant de dévoiler ça au Ministère ?!"
En voyant sa réaction, Hermione décida de taire la partie où elle l'avait enfermée dans un bocal et ramenée à Londres de force. Elle acquiesça et Théo l'observa comme si elle venait de lui parler en Fourchelangue.
"Drago est au courant ?" demanda-t-il dans un murmure quelque peu effrayé.
"Oui, bien sûr. Harry et Ron aussi, c'est justement pour ça que j'avais besoin de ton aide."
Hermione pouvait voir qu'il était chamboulé, mais Théo hocha tout de même la tête.
"Je pense que tu as remarqué que peu de personnes croient Harry sur le retour de Tu-Sais-Qui." dit Hermione avec une certaine amertume.
En entendant ça, le visage de Théo s'assombrit.
"Je te l'ai dit, les gens qui ne le croient pas sont des imbéciles." trancha-t-il férocement. "Ils préfèrent vivre dans le déni plutôt que d'agir, et ils suivent les autres pour se conforter dans leur monde parfait où la guerre n'existe pas."
"Exactement." approuva Hermione. "Je suis d'accord avec toi, et si ça ne tenait qu'à moi, je n'essayerais pas de les convaincre non plus. Mais… Harry en souffre. Beaucoup." ajouta-t-elle d'un ton désemparé. "Il place énormément d'importance dans l'opinion que les gens ont de lui, et je le comprends totalement, après tout ce qu'il a enduré. Il aimerait être soutenu comme il le mérite."
"Oui, bien sûr." dit Théo. "Je serais dans le même état d'esprit à sa place."
Hermione était toujours aussi étonnée d'entendre autant de soutien pour Harry Potter de la bouche d'un Serpentard. Si seulement Harry pouvait voir par-dessus les préjugés, il trouverait un grand allié.
"Donc, j'ai demandé à Skeeter de venir à Pré-Au-Lard ce week-end pour qu'Harry puisse lui raconter ce qu'il s'est passé, vraiment, ce soir-là." continua-t-elle. "Elle va relater les faits avec précision sans rien modifier, et publier l'article, pour que le monde entier puisse connaître la vérité."
"C'est une excellente idée." approuva Théo. "Potter est sacrément courageux de faire ça." Ses sourcils s'affaissèrent doucement. "Mais… je ne comprends pas très bien, comment je peux t'aider là-dedans ?"
"Et bien…"
Hermione frotta ses paumes contre sa cape, les joues brûlantes. Elle n'osait pas croiser le regard si pur du garçon en face d'elle, qui avait passé des soirées entières dans l'unique but de l'aider sans rien avoir en retour. Elle n'osait pas évoquer le terrible souvenir de son père et voir son expression se fissurer de douleur.
Mais elle n'eut pas besoin de le faire, parce que Théo comprit, et ferma les yeux avec difficulté.
"Oh." souffla-t-il. "S'il raconte tous les évènements de ce soir-là… il va parler de mon père, c'est ça ?"
À cet instant, Hermione aurait plus-que-jamais aimé détenir son permis de transplanage et se volatiser le plus vite possible. L'ambiance devint brutalement pesante. Contre la table, la baguette d'Hermione vibra légèrement lorsqu'elle capta le rythme endiablé du coeur de Théo.
"Oui." murmura Hermione après une minute de silence. "J'aimerais qu'il cite le nom de tous les Mangemorts qui étaient présents ce soir-là."
Théo rouvrit les yeux, et Hermione eut l'impression qu'ils étaient plus brillants qu'avant, comme s'il se retenait de pleurer.
"Mais, si tu veux, je peux lui demander de ne pas parler du tien." s'empressa-t-elle de dire. "Il pourra taire ce nom, il comprendra…"
"Non." coupa Théo. "Non, tu as raison. Il doit dire la vérité, et la vérité, c'est que mon père était là ce soir-là. Potter doit le citer. Après tout, il mérite d'être à Azkaban, la pensée qu'il puisse être encore libre me rend malade."
"Je suis désolée de devoir te demander une chose pareille." admit Hermione dans un murmure.
"Moi aussi." dit Théo. "Mais c'est pour la bonne cause. Quel égoïste je ferais si je voulais préserver ma dignité, alors que Potter a vécu des horreurs inimaginables et qu'il peut enfin défendre sa parole ?"
Hermione posa sa main contre le poing serré de Théo sur la table en guise de gratitude. Il posa son autre paume dessus, elle était chaude et étrangement familière.
"Merci de m'avoir prévenu, tu n'étais pas obligée de le faire." dit-il avec un pâle sourire.
"C'est normal." répondit Hermione.
Quand elle refit glisser sa main le long de la table, Théo avait retrouvé son inquiétude.
"Hermione, je sais que tu es brillante, et que Potter est putain de courageux, mais je dois te prévenir… vous entrez dans un monde qui vous dépasse largement. Ces gens ne sont pas seulement dangereux, ils sont putain de tarés. Ils n'ont aucune pitié, ils sont endoctrinés par un type qu'ils considèrent comme leur sauveur, ils feront tout pour le satisfaire. Si Potter veut les dénoncer, il a raison, mais…" Le visage de Théo se tordit dans une grimace, comme s'il était hanté par des souvenirs désagréables. "Ça me fait peur, pour vous, pour toi. Tu risques beaucoup en faisant ça, et je ne veux pas qu'il t'arrive le genre de choses qui m'empêchent de dormir la nuit encore aujourd'hui."
Il se passa une main dans ses boucles, l'air implorant.
"Je risque beaucoup depuis le jour où je suis devenue amie avec Harry." dit Hermione résolument. "J'ai dit que je ferais tout pour le protéger, et je tiendrai parole. Ron aussi. On protégera Harry coûte que coûte, même si ça nous compromet au passage."
Théo ne partageait visiblement pas cette opinion.
"Qu'est-ce qu'en pense Drago ?" demanda-t-il.
Hermione prit un certain temps à réfléchir à sa réponse.
"Il n'aime pas l'idée." dit-elle. "Il pense qu'Harry n'en vaut pas la peine. Il veut me protéger."
"Je suis désolé, Hermione, mais je suis un peu de son côté." dit Théo d'un ton penaud. "Tu es la personne la plus courageuse que je connaisse, de loin, mais j'ai peur que vous ne réalisiez pas le genre d'horreurs qui vous attendent, là-bas."
Il fut parcouru d'un frisson et Hermione eut envie de lui enlever tous ses traumatismes pour ne garder que le précieux Théo qu'elle connaissait.
"Qu'est-ce que tu ferais si tu étais à ma place, et que c'était l'un de tes amis à la place d'Harry ?"
Dès qu'elle posa cette question, l'expression de Théo changea complètement. C'était étrange de reconnaître Drago dans chacune de ses mimiques, probablement imitées parce qu'ils passaient tout leur temps ensemble, mais de voir leurs réactions différer autant. Là où Drago aurait tout de suite clamé que ce n'était pas pareil, que leurs amitiés ne se ressemblaient pas, Théo réfléchit réellement à cette alternative.
"Je ferais tout pour les protéger aussi." confia-t-il. "Je ferais tout pour eux. Mais j'ai du mal à les imaginer réagir comme Potter le fait, en s'exposant encore plus, en fonçant tête baissée. Ils s'effaçeraient. Je suppose que c'est pour cette raison que nous sommes séparés dans des Maisons, nous n'avons pas la même nature."
Hermione cogita longuement sur ses paroles, qui étaient extrêmement justes.
"Hermione… tu es mon amie." poursuivit Théo. "L'une des plus chères, en fait, parce que je n'en ai pas beaucoup, et que chacune de mes amitiés est très précieuse à mes yeux. En plus de ça, mon meilleur ami t'aime, une vérité que j'ai toujours du mal à digérer, d'ailleurs…" Hermione sentit les rougeurs monter, comme à chaque fois que quelqu'un mentionnait Drago dans ce contexte. "... et je ne supporterais pas de le voir se détruire s'il t'arrivait quelque chose. Donc, je suis inquiet pour toi."
"Mon nom ne sera pas dans l'article." dit-elle pour le rassurer. "J'organise simplement le rendez-vous pour qu'Harry puisse parler, parce que je sais qu'il en a déséspérément besoin."
Tho hocha la tête, cette réponse manifestement rassurante.
"C'est plutôt moi qui suis inquiète pour toi." renchérit-elle. "Harry va parler de ton père, si les élèves tombent sur l'article, ils vont te tomber dessus…"
Théo agita sa main pour l'interrompre, comme si cette éventualité ne lui faisait pas peur du tout :
"Je te rappelle que mon meilleur ami est Blaise Zabini." dit Théo, qui avait retrouvé son sourire. "Si quelqu'un ose faire le moindre commentaire à mon égard, il en subira les représailles. Aucun problème pour ça."
Hermione acquiesça avec un sourire. Elle adorait entendre ce genre de commentaire sur leur groupe d'amis soudé.
"Par contre, si je peux te demander quelque chose, à mon tour…" demanda Théo.
"Tout ce que tu veux." dit aussitôt Hermione. Elle se sentait toujours aussi mal de lui avoir parlé de sa famille et voulait à tout prix l'aider en retour.
Il plongea ses yeux dans les siens pour formuler sa requête :
"Que Skeeter réecrive." réclama Théo sans hésiter. "Pansy l'adore, elle regarde tous les jours la Gazette en espérant revoir son nom, et je vois sa déception quand elle comprend qu'elle n'est toujours pas revenue. Je sais que ce sont des articles de merde, mais elle y tient beaucoup."
Hermione n'aimait pas beaucoup Parkinson, et elle n'avait aucune envie de voir le nom de Skeeter réapparaître sous des paragraphes de journal douteux, mais elle acquiesça tout de même, parce que c'était Théo.
"D'accord, je vais voir ce que je peux faire."
"Merci ! Tu me diras comment c'est passé le rendez-vous."
Il fourra son dernier manuel dans son sac. Hermione se leva pour ranger les livres sur les Runes qu'ils avaient pris des rayons. Au retour, elle passa par l'aile des Potions et emprunta plusieurs inventaires. Quand elle revint à la table, Théo l'attendait avec son sac sur l'épaule.
"Pourquoi tu as besoin de tous ces livres de Potions ?" demanda-t-il en voyant la pile dans ses bras.
"C'est à cause de Drago." expliqua-t-elle.
C'était toujours aussi étrange de parler de lui de la sorte, aussi ouvertement. Pour Théo aussi visiblement, parce qu'il eut presque un petit sursaut :
"Merlin, je ne m'habituerai jamais à son prénom de ta bouche." murmura-t-il.
"Il m'a parlé d'une potion que je ne connais pas, et je n'arrive pas à trouver quelque chose dessus…"
"L'Amortentia ?" demanda Théo avec un sourire.
Hermione leva brusquement la tête vers lui, surprise :
"Oui ! Comment tu le sais ?"
Pour toute réponse, Théo remua ses sourcils, comme s'il détenait un secret et qu'il prenait un plaisir fou à le garder pour lui.
"Oh, arrête ! Dis moi ce que c'est !"
"Désolé, Hermione, mais je ne peux pas t'aider là-dessus." dit Théo d'un ton connaisseur. "Tu dois le découvrir toute seule." Hermione poussa un petit soupir irrité. "Et d'ailleurs, en parlant de Potions…" Il plongea sa main dans la poche de sa cape et en sortit une petite fiole d'un contenu boueux. "Il ne faut pas qu'on soit en retard pour la réunion. Tu as un cheveu ?"
Il y a quelques mois, Hermione n'aurait jamais cru entendre cette question de la part de Théodore Nott, mais ce soir-là, elle hocha la tête naturellement :
"Oui, d'Alicia Spinnet. Je l'ai pris sur l'uniforme de Quidditch de Ginny après qu'elle se soit entraînée avec elle l'autre soir. Elle m'a prévenue qu'elle ne pourrait pas venir parce qu'elle avait son club d'Astronomie avancé, mais Harry et Ron ne sont pas au courant."
Théo et elle se rendirent donc dans les toilettes du septième étage pour que Théo puisse prendre sa dose de potion. Il fit tomber le long cheveu brun dans la fiole, puis bloqua sa respiration et avala tout d'une traite.
"Beurk !" cracha-t-il quand il eut terminé sa gorgée. "Ce truc est vraiment immonde."
À mesure qu'il parlait, son visage se modifia de plus en plus. Ses sourcils s'épaissirent, ses cheveux raidirent et s'allongèrent, son nez grossit. Plus il changeait, plus Hermione était dubitative. Elle ne reconnaissait pas du tout Alicia Spinnet. Alicia avait de longs cheveux bruns, des traits fins, elle était grande et élancée. Ce ne fut que quand la transformation de Théo s'acheva qu'Hermione comprit enfin son erreur et lâcha un petit cri de stupeur.
"Quoi, quoi, quoi ?" hurla Théo de panique en la voyant réagir de la sorte.
"Mon Dieu, Théo, ce n'était pas un cheveu d'Alicia !" s'écria Hermione. "Tu es Michael Corner !"
Le concerné se retourna pour s'apercevoir dans le reflet du miroir cassé au-dessus de l'évier.
"Oh." dit-il simplement.
"Quel désastre !" dit Hermione en se prenant les cheveux dans ses poings. Une quantité impressionnante de scénarios catastrophiques défila dans sa tête et la panique monta rapidement en elle.
"J'imagine qu'il est prévu ce soir ?" demanda Michael avec la voix de Théo, ce qui était toujours aussi perturbant.
"Oui, mais c'est surtout le petit ami de Ginny !" dit Hermione, affolée.
"Hm, je vois…" dit Théo, qui regardait toujours son reflet avec un air pensif. Il était tellement serein comparé à Hermione que c'en était presque comique. "Tu penses que ça serait bizarre ? Je veux dire, ce n'est pas comme si ils s'embrassaient langoureusement à chaque session… Je n'avais même pas réalisé qu'ils étaient en couple avant que tu me le dises."
"Non, je suppose que non…" dit Hermione en se mordant compulsivement la lèvre d'angoisse. "Et je n'aimerais pas gâcher une dose de Polynectar, Dieu sait que ça met du temps à se préparer… Je peux peut-être demander à Ginny de s'entraîner avec moi aujourd'hui, comme ça, tu peux être avec un autre Serdaigle et ne pas faire beaucoup la conversation ?"
Elle essaya désespérement de taire les pensées désastreuses qui fusaient en proposant une telle mise en scène.
"Bonne idée, mais comment on va faire pour empêcher le vrai Michael de venir ?" demanda Théo en se tournant enfin vers elle.
Hermione plissa les lèvres et consulta sa montre : il ne restait que cinq minutes avant le début de la réunion.
"Attends-moi ici, je vais voir ce que je peux faire."
Elle sortit précipitamment et arpenta le couloir à l'envers. Le septième étage était pratiquement vide. Hermione s'approcha de la tapisserie de Barnabas le Follet et attendit le vrai Michael. Elle croisa plusieurs membres de l'A.D qui arrivèrent séparément pour ne pas se faire repérer par Ombrage, dont Ginny et Luna.
Michael rappliqua quelques secondes après, un peu essoufflé par les escaliers. La ressemblance avec le Michael que Théo incarnait était parfaite, tellement que ça en devenait effrayant. Elle venait de le quitter, et il réapparaissait sans savoir que son double attendait qu'elle revienne dans la salle de bain.
"Hey Michael." salua Hermione avec un sourire poli, ignorant son coeur qui tambourinait contre sa poitrine d'appréhension. "Où tu vas ?"
"Salut Hermione." répondit Michael. "Je vais à la réunion de l'A.D, pas toi ?"
Hermione fit semblant de ne pas comprendre en espérant que sa surprise soit convaincante.
"Quelle réunion ?"
"Celle qui est prévue ce soir." répondit-il, perplexe. Il sortit la pièce de monnaie qu'Hermione lui avait confectionné et lui montra : "Tu vois ? Jeudi 11 février à 20h30."
Hermione prit la pièce et lut l'inscription, les sourcils froncés de fausse incompréhension.
"Ça n'a pas de sens, la prochaine réunion est prévue pour la semaine prochaine, mardi 16 février à 20h30 ! Je l'ai notée moi-même !"
"Ça veut dire qu'il n'y a pas de réunion ce soir ?" demanda Michael, qui paraissait enchanté par cette perspective.
"Non, pas que je sache." dit Hermione en haussant les épaules. "Je vais te réparer ta pièce, elle doit avoir un défaut."
"Je t'avoue que ce n'est pas plus mal, j'ai plein de choses à faire ce soir." admit Michael. "Merci de m'avoir prévenu, Hermione !"
Et il fila dans le sens inverse. Elle n'aurait jamais pensé que ça puisse être aussi simple. Elle rangea la pièce parfaitement fonctionnelle dans sa poche et alla retrouver Théo dans les toilettes. Il attendait anxieusement près d'une cabine.
"Alors ?" demanda-t-il quand il la vit entrer.
"C'est bon, la voie est libre." dit Hermione, elle-même étonnée de la facilité de son plan. Il restait deux minutes avant le début de la réunion.
"Ne me dis pas que ce pauvre Michael Corner est baillonné quelque part dans ce Château ?" supplia Théo, mi-sérieux, mi-rieur.
"Non, je l'ai gentiment renvoyé dans sa Salle Commune en disant qu'il s'était trompé de date." dit Hermione. Puis, elle ajouta : "Mais si ça peut te faire plaisir, sache que j'ai bel et bien baillonné quelqu'un dans un placard à balai en deuxième année."
Théo s'étouffa à moitié sur sa propre salive et la contempla avec des yeux ronds :
"Pourquoi ça me ferait plaisir ?!"
"Parce que c'était Crabbe et Goyle." avoua Hermione avec un air malicieux.
Un grand sourire sadique étira le visage de Théo :
"Oh, tu sais comment me rendre heureux." murmura-t-il. "Allons-y, et après, tu as obligation de me raconter cette histoire en détail."
Hermione lui lança le sort de modification de voix, puis, Théo, Michael, et elle se rendirent ensemble devant la Salle sur Demande. Elle regarda Michael faire les cent pas devant la porte, un air de nervosité probablement imprimé sur son visage.
"Théo…" chuchota Hermione. "Je ne suis pas autant rassurée que les dernière fois. Quelque chose va mal tourner, je le sens."
Michael leva à peine la tête, envoyant une frange de cheveux devant son visage qui en fit grimacer le véritable propriétaire.
"C'est parce que ce n'était pas ce que tu avais prévu et que tout est allé trop vite, mais je t'assure que personne ne va se rendre compte. Je ne parlerai pas une seule fois de toute la soirée et je tâcherai de me faire remarquer par le moins de personnes possibles. Et si Michael apprend qu'il y avait bien un rendez-vous ce soir, tu n'auras qu'à lui dire que sa pièce marchait bel et bien et que c'était la tienne qui était cassée."
Hermione hocha la tête, convaincue par ses mots, et la porte s'ouvrit à son troisième aller-retour.
Quelques élèves étaient déjà éparpillés autour d'Harry et discutaient joyeusement entre eux. En plus d'être un lieu d'apprentissage de défenses, la Salle sur Demande était petit à petit devenue un endroit de rassemblement. Avec Ombrage qui rôdait, les décrets qui se multipliaient, et l'ambiance pesante qui régnait sur le Château depuis quelques temps, Hermione avait remarqué que certains élèves avaient besoin de ces moments de réunion, comme s'ils étaient enfin libres de dire ce qu'ils voulaient ici.
Le feu grésillait agréablement dans la cheminée. Michael s'éloigna d'Hermione et s'approcha du feu. Ginny ne le vit même pas entrer, elle parlait avec Luna.
"Tout le monde est là ?" demanda Harry en se tournant vers la petite foule attroupée devant lui. "Très bien, on peut commencer… Aujourd'hui, nous allons voir le sortilège de Stupéfixion. C'est un sortilège qui peut s'avérer très utile pendant un combat, mais qui est très difficile à placer. Il n'y a rien de pire qu'un Stupefix mal envoyé. Mettez-vous par deux, et je ferai une démonstration avec Ron."
"Ah bon ?" demanda Ron d'une voix couinante.
"Allez Ron, ça va te remettre les idées en place." railla George.
Ron le foudroya du regard et vint se mettre à la gauche d'Harry, avec la mine de quelqu'un qui a envie d'être partout sauf là. Harry remontra le geste à faire, puis se plaça à quelques pas de Ron et les deux brandirent leur baguette en même temps :
"Prêt ? 1, 2…"
Les deux sortilèges partirent en même temps, ricochèrent entre eux et propulsèrent les deux garçons à quelques mètres en arrière. L'intensité des sorts étant nettement affaiblie par l'impact, aucun des deux ne fut assomé. Ron se massa la tête avec un grognement.
"Magnifique !" cria Fred en applaudissant. "Encore, encore !"
"À vous." dit Harry, qui peinait à se rassoir.
Hermione chercha Ginny du regard, mais elle s'était mise avec Luna. Dean et Ron firent équipe, et Hermione proposa à Neville qui accepta volontiers. Théo s'était mis avec Terry Boot, un bon choix stratégique puisque Terry ne parlait que très rarement.
Hermione essaya tant bien que mal de ne pas assommer trop fort le pauvre Neville, mais elle avait du mal à contenir sa magie et l'envoyait toujours valser dans les airs. Il essaya à son tour sur elle, trop timidement au début, puis avec un peu plus de force. À la fin de la séance, il réussit même à l'étourdir un peu, ce qui était un début très prometteur.
"Merci à tous, c'est fini pour aujourd'hui !" lança Harry au bout d'une heure. "N'oubliez pas de regagner vos Salles Communes deux par deux, et on se voit la semaine prochaine !"
Hermione sortit de la Salle juste après Michael et le suivit discrètement jusqu'aux toilettes du septième étage. Elle vérifia que personne d'autre n'était dans le couloir pour entrer juste après lui.
"Je n'arrive pas à réaliser qu'on a réussi à faire ça." admit-elle quand il se tourna vers elle, tout sourire. "C'était tellement risqué !"
"Mais ça s'est bien passé." dit Théo. "Je t'avais dit que personne ne…"
Soudain, la porte des toilettes s'ouvrit à la volée, faisant sursauter Hermione et Michael.
Ginny se tenait dans l'embrasure, et fixait successivement les deux personnes en face d'elle d'un air méfiant.
"Ginny !" s'écria Hermione. "Ce n'est…"
Mais avant qu'Hermione puisse lui expliquer la situation, Ginny traversa la petite pièce en trois enjambées, se jeta sur Michael, et l'embrassa de toutes ses forces. Le choc de son corps contre le sien le fit trébucher en arrière et il se rattrapa de justesse à l'évier derrière lui, complètement sous le choc. Ginny l'embrassait à pleine bouche, les deux mains contre son cou. Hermione voulut hurler mais se rendit compte qu'elle n'avait plus de voix : sa bouche s'ouvrit sans produire le moindre son.
Elle eut l'impression que le baiser dura vingt minutes. Quand Ginny éloigna son visage de Michael, Théo, il était tout rouge, et ses lèvres avaient pris la couleur du rouge à lèvres rose de Ginny. Il la regardait comme si c'était un fantôme, sans même se rendre compte que ses cheveux retrouvaient déjà leur forme bouclée.
Hermione était adossée contre le mur d'une des cabines, une main sur son coeur, l'autre tirant sur ses cheveux. De tous les scénarios catastrophiques qu'elle avait pu imaginer avant de sortir de cette pièce, celui-ci n'avait même pas été envisagé. Le visage de Théo se transformait et elle n'avait aucune idée de comment expliquer à Ginny ce qu'ils avaient fait. Elle essaya de trouver quelque chose à dire, n'importe quoi, mais sa tête était vide.
Le battement de coeur de Théo tressautait dans sa baguette dans sa poche. Pendant une seconde, les toilettes furent plongées dans un silence de mort. Théo retrouvait petit à petit son apparence et contemplait toujours Ginny, la bouche à demi ouverte, les yeux écarquillés d'horreur.
Ginny fit alors quelque chose qu'Hermione n'avait pas du tout anticipé : elle dégagea ses longs cheveux roux de son visage, et fit un grand sourire à Théo :
"J'en étais sûre." chuchota-t-elle. "Tu embrasses bien mieux que Michael, Théodore Nott."
Elle fit volte-face et sortit de la pièce, sans même jeter un regard à Hermione, aussi vite qu'elle était entrée. Quand la porte se referma derrière elle, Théo prit une grande inspiration paniquée et se retourna pour tousser dans l'évier. Hermione était toujours tétanisée contre la cabine, incapable d'assimiler ce qu'il venait de se passer. Elle avait l'impression que son coeur allait exploser dans sa poitrine.
"Merlin, j'ai embrassé Ginny Weasley !" dit Théo d'une voix tremblante. "J'ai embrassé Ginny Weasley ! J'ai embrassé une fille ! Putain !"
Il se mit de l'eau sur le visage et Hermione ne retrouva la parole qu'après qu'il se soit aspergé cinq fois la figure :
"Qu'est-ce qu'il vient de se passer ?" demanda-t-elle d'une toute petite voix.
"Ginny Weasley vient de m'embrasser." répéta Théo, qui avait plus l'air de se parler à lui-même pour digérer l'information. "J'en reviens pas, je viens d'avoir mon premier baiser avec Ginny Weasley ?!"
"Elle a deviné." dit Hermione en réalisant. "Elle a su qu'on utilisait du Polynectar pour te mettre dans l'A.D."
"Mais comment ?!" s'égosilla-t-il. "On a été tellement discrets !"
"Ginny est la personne la plus observatrice que je connaisse. Elle a du voir quelque chose, elle a dû te reconnaitre…"
"Mais je n'ai jamais parlé à cette fille de ma vie !" protesta Théo, complètement paniqué. "Elle ne sait même pas qui je suis ! Si elle avait des doutes, pourquoi est-ce qu'elle ne m'a pas confronté devant tout le monde ? Pourquoi est-ce qu'elle ne m'a pas hurlé dessus pour avoir pris la forme de son mec ? Pourquoi Merlin m'a t-elle embrassé ? Et surtout, pourquoi avait-elle des lèvres si douces ?"
Théo glissa contre l'évier et se retrouva par terre, les yeux dans le vide. Ses joues étaient cramoisies. Un sourire rêveur prit soudain place sur son visage :
"C'était le meilleur baiser de ma vie." conclut-il.
"Tu viens de dire que c'était ton premier." pointa Hermione.
"Justement. Personne n'arrivera à faire mieux. Tu sais combien de mecs rêverait de se faire embrasser par Ginny Weasley ?" demanda Théo. On aurait dit qu'il venait de prendre une dose de philtre d'amour, il souriait bêtement en regardant le carrelage des toilettes. Il ajouta avec un sourire : "Putain, Pansy va être furieuse."
"Tu ne diras rien à Pansy !" s'écria Hermione en s'approchant de lui. "Personne ne doit être au courant ! Tu sais que si Ginny en parle à quelqu'un, on peut aller à Azkaban !"
Sa respiration devint soudain hâchée et elle posa une main sur sa gorge par réflexe. Théo se releva et abandonna ses rêveries pour se précipiter sur elle :
"Hé, Hermione, doucement ! Personne ne va aller à Azkaban ! On va en discuter avec Ginny, et je suis sûr qu'on peut régler ça amicalement, d'accord ?"
"Comment est-ce qu'on a pu penser que ça allait marcher ?" demanda Hermione, sa phrase entrecoupée par des hoquets presque sanglotants. Elle posa ses paumes fraîches contre ses paupières. "Ginny va en parler à Harry et Ron, et tu vas en parler à Drago, Pansy et Blaise, et tout le monde va le savoir, et…"
"Hermione. Prends une grande respiration avec moi." ordonna Théo.
Il prit ses poignets pour les écarter de son visage et la força à le regarder dans ses yeux redevenus bleus. Il l'aida à se calmer, accordant ses respirations aux siennes. Ça lui fit penser à Drago, quand il l'avait aidée pendant sa crise de panique, et se demanda qui avait appris à l'autre.
Quand elle retrouva un souffle normal, Hermione le remercia d'un hochement de tête silencieux. Ils se retrouvèrent tous les deux plongés dans leurs réflexions, face à face, sans parler. Le seul bruit de la pièce était celui des goutelettes des robinets qui fuyaient et qui s'écrasaient sur la faïence.
"Ce n'était peut-être pas une bonne idée de me transformer en Michael Corner, tout compte fait." murmura Théo.
"Non." dit Hermione à voix basse. "Non, effectivement."
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Ginny les attendait sur les marches du grand escalier. Quand elle les vit arriver, elle se mit debout, droite, et Hermione marcha aux côtés de Théo avec l'impression d'aller vers sa propre exécution.
"Et bien, si ce n'est pas le couple de malfaiteurs en personne !" lança Ginny, le poing sur la hanche et un petit sourire aux lèvres.
Ils se mirent face à elle et Hermione essaya de détailler son expression pour y trouver l'émotion qui primait : la colère ? la rancoeur ? la trahison ? Mais le visage de Ginny ne révélait rien, mis à part peut-être une joie qu'Hermione ne comprenait pas. Théo, lui, la contemplait comme si c'était une Vélane.
Hermione voulut s'excuser, mais les mots qui sortirent de sa bouche furent :
"Comment tu as su ?"
Ginny roula des yeux sans quitter son sourire.
"Je te l'ai déjà dit, Mione, je suis une très bonne observatrice. J'ai remarqué que quelque chose clochait quand je t'ai vu parler autant à Lavande Brown. Ensuite, tu ne lui as plus du tout reparlé devant moi, et ce comportement ne te ressemblait tellement pas que j'ai commencé à avoir des soupçons. Après ça, j'ai remarqué que tu regardais toujours quelqu'un pendant les réunions, mais jamais la même personne."
Ginny se tut quelques secondes pour scruter les réactions d'Hermione et Théo, tous les deux abasourdis.
"Je me doutais que tu tramais quelque chose de louche. Et ce soir, Luna m'a dit que Michael avait "la tête plus infestée de Joncheruines que d'habitude", et j'ai compris que tu avais utilisé du Polynectar pour transformer Nott."
Théo grimaça :
"Théo, s'il te plaît."
Ginny lui tendit subitement la main avec un grand sourire :
"Ginny Weasley, enchantée."
Théo lui serra la main.
"Théo. Désolé d'avoir incarné ton copain."
"Et désolée pour le baiser, je voulais être sûre." renchérit Ginny.
"Pas de soucis. Hé, c'est quoi des Joncheruines ?"
"Aucune idée." répondit Ginny en haussant les épaules. "Luna m'a dit que c'était des créatures attirées par les cerveaux trop pleins et qui rentraient dans les oreilles pour les grignoter."
Théo ouvrit grand les yeux et commença à se gratter l'oreille comme s'il pouvait soudain sentir la bête contre son tympan.
"Tu es fâchée ?" demanda Hermione à Ginny d'une petite voix.
Ginny haussa de nouveau les épaules :
"Non. Je suis contente d'avoir enfin compris. Tu aurais pu me le dire, je ne vous aurais jamais dénoncés."
Hermione relâcha le soupir de soulagement coincé dans sa gorge et Ginny fronça les sourcils :
"Comment peux-tu penser que je ferai une chose pareille ?"
"Comment j'aurais pu te dire ça ?" demanda Hermione. "Tu m'aurais prise pour une folle."
"Je te prends déjà pour une folle, Hermione Granger." fit remarquer Ginny. "Elle t'a dit qu'elle avait donné un somnifère à Crabbe et Goyle et demandé à Harry et Ron de les bâillonner dans un placard à balai pour qu'elle puisse prendre leur apparence avec du Polynectar ?" demanda Ginny à l'adresse de Théo.
Les yeux de Théo étaient ronds comme des soucoupes.
"Vaguement." répondit-il, subjugué. "Mais j'aurais besoin que tu me l'écrives sur un parchemin, afin que je puisse m'endormir avec jusqu'à la fin de mes jours."
Ginny éclata de rire et Hermione aurait pu la suivre si son estomac n'était pas aussi contracté de nervosité.
"Attends, pour prendre l'apparence de Crabbe et Goyle ?" répéta Théo en se tournant vers Hermione. "Pourquoi Merlin aurais-tu besoin de te transformer en l'un de ces deux abrutis ?"
"Pour interroger Male…" commença Ginny, mais Hermione la coupa d'une voix forte :
"D'ACCORD, merci Ginny, on rentre."
Elle empoigna le bras de sa meilleure amie hilare, probablement écarlate, et monta quelques marches. Elle entendit Ginny crier :
"Ravie d'avoir fait ta connaissance, Théo !"
Elle redoubla sa cadence pour séparer ce duo infernal.
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Discuter avec Luna fut la partie la plus difficile de son plan-Skeeter. Pas parce qu'elle était opposée à l'idée, mais pour la simple raison qu'elle fut introuvable. Hermione eut beau la chercher toute la journée du lendemain, Luna ne se montra pas. Pourtant, Ginny lui avait dit qu'elle n'était pas malade et qu'elle allait bien en classe, mais à chaque fois qu'Hermione voyait les filles de Serdaigle de son année, Luna ne faisait pas partie du groupe.
Elle ne la trouva que le samedi après-midi. Pendant sa collecte hebdomadaire de fleurs avec Neville, ils la trouvèrent en train de marcher le long de la lisière de la Forêt Interdite.
"Elle est vraiment timbrée." commenta Neville en l'observant de loin. "Elle va se faire tuer."
"Il n'y a pas de créature dangereuse aussi proche du Château." dit Hermione. "Elle se balade simplement."
"Pieds nus ?" demanda Neville avec une touche de cynisme.
Hermione ne commenta pas et ils continuèrent de piocher des fleurs à mettre dans l'herbier. Un peu plus tard, elle retourna à l'endroit où elle avait aperçu Luna et la trouva derrière la hutte d'Hagrid, les pieds enfoncés dans la boue et vêtue seulement d'un gilet à fleurs orange fluo.
"Hey Luna." salua gentiment Hermione.
"Oh, Hermione." dit Luna en la regardant arriver de ses yeux exhorbités. "Tu viens nourrir les Sombrals aussi ?"
Hermione fronça les sourcils en regardant l'espace vide devant elle.
"Ils sont là ?" chuchota-t-elle.
"Oui. Il y a un bébé juste là. J'avais oublié que tu ne pouvais pas les voir. Tu peux toujours leur donner à manger, si tu veux."
Hermione baissa les yeux sur les énormes steaks pleins d'herbe et de boue et plissa le nez de dégoût.
"Euh… Ça ira, merci. Dis, je voulais te demander quelque chose."
"Hmm ?"
Luna se pencha, prit un gros morceau de viande et le jeta dans la neige fondue. Aussitôt, un morceau se déchira et Hermione dût réunir toute sa force pour ne pas reculer de terreur.
"Tu m'as dit la dernière fois que ton père et toi croyez ce que dit Harry."
"Bien sûr." répondit la blonde de sa voix flottante.
"J'ai demandé à Rita Skeeter de venir à Pré-Au-Lard parce que j'aimerais qu'elle interview Harry pour qu'il puisse raconter son récit, le vrai." expliqua Hermione. "Et je voulais savoir si ton père accepterait de publier l'article dans le Chicaneur, une fois qu'il sera prêt."
Luna dodelina de la tête en fixant l'une des créatures invisibles aux yeux d'Hermione.
"Mon père serait ravi de publier Harry dans le Chicaneur." dit-elle après plusieurs secondes de silence. "Après son article sur les Ronflaks Cornus, bien entendu."
Hermione acquiesça, et dût se mordre la lèvre pour s'empêcher de dire que ces créatures n'existaient pas.
"Merci beaucoup Luna, tu m'aides énormément." dit-elle plutôt.
Elle fut sur le point de faire demi-tour quand la voix de Luna interrompit son geste :
"J'aide Harry. Mais qu'est-ce que tu as à faire là-dedans ?"
Pour n'importe qui, cette question aurait pu paraître blessante, mais Hermione savait que Luna ne la posait pas méchamment, mais plutôt par simple curiosité.
"C'est mon ami." expliqua Hermione patiemment. "Je l'aide, donc si tu l'aides, tu m'aides aussi."
"Hmm. Ça doit être agréable, d'avoir des gens sur qui compter et qui sont prêts à nous aider. J'aimerais avoir ça." dit Luna.
Sans aucune trace de tristesse dans sa voix ou son expression, elle continua de nourrir les Sombrals un par un avec délicatesse. Hermione observa cette fille singulière et ressentit une peine fulgurante pour elle.
"Tu es mon amie, Luna." dit Hermione avec sincérité. "Tu peux compter sur moi."
"Vraiment ?" demanda Luna en haussant délicatement les sourcils, comme si cette possibilité venait seulement de lui traverser l'esprit. "Je croyais que tu ne m'aimais pas beaucoup."
Hermione grimaça un peu et tourna la tête vers les traces de pas que les Sombrals laissaient dans la boue. Elle n'était pas habituée à la franchise de Luna, c'était déroutant. Elle comprenait mieux pourquoi Harry trouvait un certain réconfort dans leurs discussions, parce que Luna ne recouvrait pas tout de douceur et de détour pour le réconforter : elle allait droit au but, sans essayer de ménager ses émotions au passage.
"C'est vrai, au début, je ne t'aimais pas trop." confessa Hermione. "Mais je crois que nous pensons juste différemment, et que ça m'a fait peur. Mais maintenant, je t'apprécie beaucoup."
"Je t'apprécie beaucoup aussi, Hermione." dit Luna avec un petit sourire qui retroussait sa lèvre que d'un côté, ce qui lui donnait une tête enfantine très mignonne. "Je peux venir à Pré-Au-Lard ?"
"Bien sûr." dit Hermione, qui n'avait pas pensé à l'inviter. "On peut y aller ensemble, Harry sera avec Cho, mais il nous rejoindra vers midi."
"D'accord." Luna balança un énorme steak dans la neige et sourit en voyant le Sombral le dévorer. "Ne t'oblige pas à rester ici avec moi, je sais que tu as plein de choses à faire. À dimanche, Hermione."
"À dimanche, Luna." Puis, incapable de se retenir, elle lui demanda : "Tu n'as pas froid aux pieds ?"
"Si, mais quelqu'un m'a volé mes chaussures." répondit-elle, indifférente.
Hermione sortit sa baguette et lança un sortilège de Chaleur sur la boue.
"Tiens."
"Oh, merci Hermione !" chantonna Luna, avant de retourner à ses Sombrals.
Hermione rebroussa chemin, en s'arrêtant chez Hagrid pour une tasse de thé. Ils discutèrent de son programme pour le cours de Défense et Soins aux Créatures Magiques, et ils modifièrent quelques cours qu'Ombrage n'apprécierait pas. Après l'avoir convaincu que faire étudier les Eruptifs à des deuxièmes années n'était pas la meilleure idée du siècle, Hagrid lui donna une boîte de biscuits à la cannelle et Hermione retourna au Château en les grignotant sur le chemin.
Ce soir-là, elle se rendit à la Bibliothèque avec Harry. Ce dernier était tellement en retard dans ses devoirs qu'il n'osait plus ouvrir le planning qu'Hermione lui avait offert pour Noël, soit-disant parce qu'il l'avait insulté la dernière fois. Ils s'installèrent sur la grande table ronde qu'il aimait bien et se plongèrent chacun dans leur travail respectif : Harry en Métamorphose, et Hermione en Astronomie.
Harry était très différent des deux compagnons d'étude habituels d'Hermione. La plupart du temps avec Théo, ils étaient silencieux. Les seules paroles qu'ils échangeaient étaient des questions du genre "je peux t'emprunter ton encrier ?" ou "c'est quoi déjà le troisième ingrédient pour l'antidote de la Potion de Ratatinage ?" Drago et elle parlaient plus souvent, bien plus qu'ils ne devraient. Drago passait le plus clair de son temps à lire ce qu'elle était en train de faire plutôt que de se concentrer sur ses propres devoirs, et s'amusait parfois à la questionner sur les derniers cours, prétendant être outré lorsqu'elle se trompait sur une réponse.
Harry, lui, était un mélange des deux. Il ne lui posait pas une centaine de questions comme Ron faisait, il se concentrait tout seul, et lui demandait quelques clarifications ici et là. En réalité, Hermione adorait travailler avec Harry. Ça lui rappelait leurs longues sessions en première et deuxième année, lorsque leurs seuls gros devoirs étaient de savoir qui était Nicolas Flamel et comment préparer le Polynectar.
Le chapitre qu'il étudiait était compliqué, elle-même avait eu du mal lorsqu'elle l'avait étudié avec Drago trois semaines plus tôt. Harry resta bloqué sur la même page pendant une dizaine de minutes, et émit plusieurs longs soupirs fatigués. Son menton était pratiquement posé sur les pages du manuel, les yeux fixés sur les graphiques mouvants d'oiseaux se métamorphosant en brosse à cheveux.
À peu près une heure avant que la Bibliothèque ne ferme, Drago entra. Hermione leva la tête par réflexe, comme si elle pouvait sentir sa présence près d'elle, comme si elle avait développé un sens qui le détectait par magnétisme. Il la regardait déjà, ses yeux bleus ardents, même de l'autre côté de la pièce. D'habitude, quand il la voyait étudier avec Harry, il tournait sur ses talons et retournait dans sa Salle Commune. Mais ce soir-là, il s'assit sur l'une des tables un peu plus loin et ouvrit son livre de Potions.
Hermione, qui ne s'attendait pas du tout à ça, essaya de capter son attention plusieurs fois, mais Drago lisait résolument son livre et ne releva pas la tête une seule fois. Elle finit par capituler et tenta d'étudier, malgré la distraction à quelques mètres d'elle.
Elle était en plein milieu d'un paragraphe sur les satellites naturels de Pluton quand elle sentit quelque chose lui piquer le coude. Elle vit alors, stupéfaite, un avion en papier bleu qui tapait son bras. Hermione lança un regard horrifié à Drago, mais il faisait toujours semblant de lire.
Elle vérifia qu'Harry ne la regardait pas et posa le papier sur ses notes, caché par son manuel d'Astronomie :
Je t'ai vue parler à Lovegood tout à l'heure.
Hermione était tout bonnement choquée par l'audacité de ce garçon. Elle prit sa plume et écrivit à la va-vite :
Au cas où tu ne l'aurais pas remarqué, je suis avec Harry !
Le papier se reconstitua tout seul et virevolta jusqu'à Drago sans bruit. Hermione retourna à son manuel et faillit soupirer de protestation quand l'avion tapota timidement son coude. Elle le déplia en veillant à ce qu'Harry ne puisse pas le voir :
J'ai remarqué, oui. Relax, je suis Neville Londubat. Et je te ferai remarquer que ton pote est à deux doigts de s'endormir sur la table, tu pourrais t'en aller qu'il ne le verrait sans doute pas. Pourquoi tu as parlé avec Lovegood ?
La brune releva la tête vers son meilleur ami qui était, effectivement, à moitié assoupi contre son manuel. Ses lunettes glissaient de son nez et sa tête piquait dangereusement vers l'avant.
Ce n'est pas toi qui disait que parler en public était risqué ?
Elle renvoya le papier et n'osa pas tourner la tête vers lui. Il revint quelques secondes plus tard :
Si, c'est pour ça que je t'écris. Réponds à ma question.
Hermione ne put se retenir de lever les yeux au ciel en lisant son message. Elle pouvait imaginer sa voix lui donner cet ordre.
Je lui ai demandé pour l'interview dans le Chicaneur.
Drago n'écrivit qu'un mot en guise de réponse :
Et ?
Elle retourna l'avion pour avoir la place d'écrire :
Et elle a dit oui.
Hermione s'attendait tellement à ce qu'il lui écrive un long discours sur ce qu'elle encourait en faisant une chose pareille, parler de ses mains bandées de l'année précédente à cause du courrier de haine qu'elle avait reçu, ou même la supplier carrément d'annuler l'entrevue, qu'elle fut très étonnée de recevoir :
Tu vas ruiner le date du pauvre Potter.
Elle dût se cacher la bouche pour ne pas éclater de rire toute seule.
J'imagine, oui. Mais c'est pour la bonne cause.
Le papier vola jusqu'à Drago et se posa sur la table entre lui et son manuel. Ils échangèrent un regard, il souriait de la voir rire silencieusement.
Tu n'utilises pas ta plume de paon ?
Drago et ses changements de sujets brutaux. Hermione répondit en vitesse :
Non, je ne l'utilise qu'avec toi.
Quand elle se retourna, il était déjà parti.
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La grande rue de Pré-Au-Lard était remplie de couples qui se pavanaient devant les vitrines ou s'embrassaient dans les coins. Hermione était mal à l'aise, mais Luna, à côté d'elle, n'en avait rien à faire. Elle observait chaque personne de ses yeux pâles et globuleux comme si c'étaient des créatures magiques particulièrement rares.
Elles entrèrent dans le pub à 11h. Elles trouvèrent une table de quatre au fond de la pièce et attendirent que Madame Rosmerta arrive pour qu'elles puissent commander. Hermione était concentrée sur le menu devant elle quand Luna lui demanda :
"Pourquoi est-ce qu'il n'y a que des couples autour de nous ?"
Hermione scanna le pub par-dessus son menu et vit que les tables autour d'elles étaient effectivement occupées que par des couples, qui se tenaient la main ou buvaient dans le même verre avec deux pailles.
"Parce que c'est la St Valentin aujourd'hui." expliqua Hermione. "Tu n'en as pas entendu parler ?"
Elle se demandait comment c'était possible, tout le monde ne parlait que de ça depuis une semaine à Poudlard. Hermione avait assisté à quatre déclarations d'amour clamées par des chérubins ensorcélés, dont un qui avait été envoyé par Fred et George pour séduire Ombrage, et son dortoir était envahi par une dizaine de boîtes de chocolats à l'attention de Lavande.
"Oh, oui." répondit vaguement Luna en regardant partout autour d'elle avec intérêt. "C'est la fête de l'amour. C'est pour ça que Ginny passe la journée avec Michael ?"
"Oui, c'est pour ça." répondit Hermione en retournant à son menu.
"Et Harry avec Cho Chang ?" demanda Luna.
"Euh… oui. Il l'a invitée à Pré-Au-Lard pour leur premier date."
Elle observa la réaction de la fille en face d'elle mais Luna n'afficha aucune expression faciale. Elle opta finalement pour un sirop de cerise et referma le menu.
"Je n'ai jamais été amoureuse." confia Luna de but en blanc. "Ça doit être bien. Tu es amoureuse, toi ?"
Hermione rougit instantanément.
"Moi ? Non." mentit-elle.
"Vraiment ?" demanda Luna avec un léger sourire. "Mon père dit que quand on est amoureux, on conteste, on rougit, et on perd ses mots."
"Pas du tout, je…" Réalisant qu'elle était en train de contester, Hermione s'arrêta brutalement de parler, rougit encore plus, et continua dans un balbutiement incompréhensible : "Ce n'est.. pas vrai du tout, je ne, je veux dire, je ne suis pas du tout amoureuse de qui que ce soit, absolument pas…"
Elle s'interrompit une seconde fois. Cette conversation lui rappelait celle qu'elle avait eu avec la Grosse Dame, elle avait l'impression d'être épiée par Luna de la même manière que la femme peinte et ne sut quoi répondre à cet interrogatoire impromptu. Heureusement, elle n'eut pas besoin de le faire, parce que Rita Skeeter fit son entrée dans les Trois Balais à cet instant.
Hermione eut presque du mal à la reconnaître. Cette femme qui, l'année précédente, prenait une attention particulière à son apparence jusqu'à la moindre mèche de cheveux, était méconnaissable. Elle portait un long impérméable noir, ses longs cheveux pendaient misérablement autour de son visage et n'affichait plus la blondeur éclatante qu'Hermione connaissait, mais plutôt un délavage terne qui accentuait ses rides et ses cernes. Elle entra dans le pub en se cachant le visage avec son sac à main pour ne pas se faire reconnaître, et s'assit en face d'Hermione, à côté de Luna, dos aux autres tables.
Hermione se demanda ce que penserait Pansy Parkinson en voyant son idole dans cet état.
Elle ne s'attendait certainement pas à ce que Skeeter la salue chaleureusement, mais elle ne s'attendit pas non plus au regard plein de haine qu'elle reçut, ni aux premiers mots qui sortirent de sa bouche :
"C'est toi qui paye."
"Bonjour à vous également." railla Hermione.
Elle se rappela des mots de prévention de Drago et Théo et eut du mal à les aligner avec la femme en face d'elle. Elle n'avait plus rien de cet air autoritaire et puissant qu'elle avait lors du Tournoi, elle n'était plus que la coquille d'elle-même, complètement inoffensive. En fait, elle était même à la merci d'Hermione, ce qui lui donnait un élan de confiance en elle.
"Je ne sais pas comment tu oses t'adresser à moi, et encore moins à m'ordonner de venir ici." cracha Skeeter.
Elle ne tourna même pas la tête vers Luna, prétextant que le siège à côté d'elle était vide. Ça n'avait pas l'air de gêner la concernée qui continuait de fixer chaque personne dans le pub sans rien dire.
"Et pourtant, vous êtes là." dit Hermione avec un petit sourire.
Rita grommela quelque chose et posa violemment son sac sur les genoux. Quand Madame Rosmerta arriva pour prendre leur commande, elle ne cacha pas sa surprise de voir une table si étrangement composée : une journaliste de renom dans un état déplorable, Luna et ses grands yeux bleus scrutateurs, et la meilleure amie d'Harry Potter.
"Qu'est-ce que je vous sers ?" demanda Rosmerta en les regardant successivement.
"Je vais prendre un sirop à la cerise." dit Hermione.
"Un whisky Pur-Feu." exigea Rita en se cachant inutilement les yeux, comme si on ne pouvait pas la reconnaître sans.
"Un soda de Branchiflore, s'il vous plaît." demanda Luna, d'un ton bien plus poli que Skeeter à côté d'elle.
"Tu sais ce que je risque en venant ici ?" demanda Rita à Hermione dans un murmure précipité. "À la vue de tous ? Je te ferais dire que c'est toi qui m'a ordonnée de ne pas me montrer pendant un an. Tout le monde croit que je suis aux Bahamas en train d'écrire un nouveau livre !"
"Justement, c'est pour ça que je voulais vous voir. J'aimerais faire un nouveau deal."
Elle fut un instant frappée par les mots de Drago qui résonnèrent dans son esprit lorsqu'elle termina sa phrase : "Pendant un an. Je ne pourrais plus jamais les insulter pendant un an. Deal ? Attention, Granger. Les promesses, chez les Malefoy, c'est sacré. Je veux ta parole.", et réalisa à quel point elle lui ressemblait de plus en plus.
L'expression haineuse s'évanouit soudain du visage de Skeeter et fut remplacée par un air d'espoir.
"Ah bon ? Quoi ?" demanda-t-elle dans un souffle.
Rosmerta arriva alors avec leurs boissons, et Rita reprit son sac pour se cacher la figure.
"Je veux vous faire une proposition." expliqua Hermione. "En échange, vous pourrez réécrire, à condition que vos articles ne parlent pas d'Harry, ou de n'importe lequel de ses proches, et que… et que vous continuez votre rubrique sur les horoscopes."
Rita arqua un sourcil maquillé et Hermione sentit les rougeurs monter.
"Mes horoscopes ? Tu es une férue d'Astrologie, toi ?"
"Ce n'est pas pour moi, c'est pour un ami." grinça-t-elle entre ses dents. "Alors, c'est d'accord ?"
"Je n'accepte pas les marchés avant de connaître toutes les conditions, Miss Parfaite." répliqua Skeeter d'un ton amer. "Je veux savoir ce que je dois faire en retour."
"Je dois attendre Harry pour vous expliquer."
Les yeux fendus de méfiance de Rita s'illuminèrent en entendant son nom.
"Harry ? Il est ici ?"
"Oui, il va venir, mais vous avez intérêt à tenir votre Plume à Papote à carreaux si vous voulez qu'il reste !" avertit Hermione d'un ton dur.
Skeeter passa ses doigts manucurés sur son sac à main en écailles de crocodile avec un air songeur.
"Tu as vraiment la fibre de la Serpentarde." murmura-t-elle. Si Hermione ne connaissait pas l'aversion de Rita pour sa personne, elle aurait presque pu penser que c'était un compliment.
Hermione baissa les yeux sur son sirop pour ne pas rougir de plus belle. Heureusement, Luna n'écoutait pas la conversation à côté d'elle. Soudain, vers le bar, Hermione aperçut un éclat de cheveux noir jais, et elle leva le bras en appelant :
"Harry ! Harry, par ici !"
Harry la repéra et s'approcha. Quand il ne fut qu'à quelques tables, elle le vit froncer les sourcils d'incompréhension. Il se mit sur la banquette à côté d'elle et Hermione se poussa pour lui faire de la place :
"Tu es en avance !" s'écria-t-elle. "Je pensais que tu étais avec Cho, je ne t'attendais pas avant encore une heure !"
Harry secoua la tête, les yeux rivés sur les deux filles en face de lui comme s'il était en train de déterminer s'il n'était pas au beau milieu d'un cauchemar.
"Cho ?" répéta aussitôt Rita en pivotant sur son siège pour dévisager Harry d'un regard avide. "Une fille ?"
Elle attrapa son sac et fouilla à l'intérieur.
"Même si Harry sortait avec une centaine de filles, cela ne vous regarderait pas." lâcha Hermione d'un ton glaçial.
Skeeter remit sa plume en la fusillant du regard.
"Qu'est-ce que vous fabriquez là ?" demanda Harry.
"C'est ce que la petite Miss Parfaite s'apprêtait à me dire quand tu es arrivé." répondit Rita en buvant bruyamment une longue gorgée de son verre. "J'espère quand même que j'ai le droit de lui parler ?" lança-t-elle à Hermione.
"En effet, vous avez le droit." répondit Hermione avec froideur.
Rita but une nouvelle gorgée de son whisky et demanda du coin des lèvres :
"Elle est jolie, Harry ?"
"Un mot de plus sur la vie sentimentale de Harry et le marché ne tient plus, je vous le garantis." dit Hermione d'un ton irrité.
"Quel marché ?" interrogea Rita en s'essuyant la bouche d'un revers de main. "Tu ne m'as pas encore parlé de ton marché. Oh, toi, un de ces jours…"
La journaliste prit une grande inspiration pour contenir sa colère et Hermione leva les yeux au ciel :
"C'est ça, un de ces jours, vous écrirez d'autres articles horribles sur Harry et sur moi…" dit-elle avec indifférence. "Allez-y, trouvez donc quelqu'un que ça intéresse."
"Cette année, ils n'ont pas eu besoin de moi pour écrire des articles horribles sur Harry." répondit Rita en jetant un regard en biais vers le concerné. Elle avait l'air de prendre un certain plaisir à le titiller, peut-être dans l'espoir qu'il explose de colère et se mette à déblatérer de la matière pour un prochain article. "Comment as-tu réagi en lisant ça, Harry ? Tu t'es senti trahi ? Désemparé ? Incompris ?" chuchota-t-elle avec envie.
"Il est en colère, bien sûr." répondit Hermione à la place d'Harry. "Parce qu'il a dit la vérité au ministre de la Magie et que le ministre est trop bête pour le croire."
Rita ne tourna même pas la tête vers elle, trop occupée à fixer Harry, de plus en plus penchée sur la table :
"Alors, tu t'en tiens à ton histoire selon laquelle Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom est de retour ? Tu maintiens toutes ces salades que Dumbledore a racontées à tout le monde au sujet du retour de Tu-Sais-Qui dont tu serais le seul témoin ?"
Ses doigts s'aventuraient avec convoitise vers son sac à main.
"Je n'étais pas du tout le seul témoin." gronda Harry. "Il y avait une douzaine de Mangemorts également présents. Vous voulez leurs noms ?"
"J'aimerais beaucoup." confia Rita dans un souffle. "J'imagine le titre en grand : « Potter accuse…» avec en sous-titre : « Harry Potter révèle les noms de Mangemorts qui se cachent parmi nous ». Et puis, en légende d'une belle grande photo de toi : « Harry Potter, quinze ans, l'adolescent perturbé qui a survécu à l'attaque de Vous-Savez-Qui, a provoqué un scandale hier en accusant d'éminents et respectables membres de la communauté magique d'être des Mangemorts…»
Elle avait pris sa Plume à Papote et fut sur le point de l'activer quand ses traits s'affaissèrent soudain. Elle se redressa contre le dossier de sa chaise.
"Mais bien sûr… dit-elle en baissant la voix. "La petite Miss Parfaite ne veut surtout pas que je raconte cette histoire, n'est-ce pas ?"
"Eh bien, en réalité, c'est au contraire ce que veut la petite Miss Parfaite." répondit Hermione calmement.
Skeeter et Harry se tournèrent vers elle, les yeux écarquillés de surprise. Luna, elle, chantonnait distraitement Weasley est notre roi et remuait le contenu de son verre avec son bâtonnet d'oignon mariné.
"Tu veux que je rapporte dans un article ce qu'il a dit au sujet de Celui-Dont-On-Ne-Doit-PasPrononcer-Le-Nom ?" demanda Skeeter d'une voix étouffée.
"Oui, c'est ça." répondit Hermione. "La véritable histoire. Tous les faits. Exactement comme les raconte Harry. Il vous donnera tous les détails, il vous révélera les noms des Mangemorts clandestins qu'il a vus là-bas, il vous dira à quoi ressemble Voldemort maintenant…"
Rita sursauta tellement fort qu'elle renversa la moitié de son whisky sur son impérméable.
"Oh, je vous en prie, ressaisissez-vous." dit Hermione avec mépris. Elle lui jeta une serviette et Rita s'essuya sans la quitter des yeux.
"La Gazette n'imprimera jamais ça." lâcha-t-elle. "Au cas où tu ne l'aurais pas remarqué, personne ne croit ces histoires à dormir debout. Tout le monde pense qu'il a des hallucinations. Maintenant, si tu veux bien me laisser écrire quelque chose sous cet angle…"
"Nous n'avons pas besoin d'un nouvel article pour dire que Harry a perdu la boule !" coupa Hermione avec colère. "Nous avons déjà ce qu'il nous faut, merci ! Je veux qu'il ait la possibilité de dire la vérité !"
"Il n'y a pas de public pour une histoire comme ça." dit Rita.
"Vous voulez plutôt dire que La Gazette ne la publierait pas parce que Fudge s'y opposerait." rectifia Hermione, agacée.
Rita la fixa longuement d'un regard dur. Puis elle se pencha en avant par-dessus la table et dit, d'un ton de femme d'affaires :
"D'accord, Fudge fait pression sur La Gazette, mais ça revient au même. Ils ne publieront jamais un article qui montre Harry sous un jour favorable. Personne n'a envie de lire ça. C'est contraire à l'état d'esprit de l'opinion. La dernière évasion d'Azkaban a suffisamment inquiété les gens, ils ne veulent tout simplement pas croire que Tu-Sais-Qui est de retour."
"Alors, La Gazette du sorcier a pour ambition de ne dire aux gens que ce qu'ils ont envie d'entendre, c'est ça ?" répliqua Hermione d'une voix cinglante.
Rita se redressa, les sourcils levés, et vida son verre de whisky Pur Feu.
"La Gazette a pour ambition de se vendre, espèce de petite sotte."
"Mon père trouve que c'est un horrible journal." dit Luna en se mêlant soudain à la conversation. Elle fixa Rita de ses immenses yeux protubérants au regard un peu fou. "Lui, il publie des articles importants parce qu'il pense que le public a besoin de savoir. Il s'en fiche de gagner de l'argent."
Rita se tourna vers Luna d'un air hautain.
"J'imagine que ton père dirige une quelconque feuille de chou locale ?" dit-elle. "Le genre Vingt-cinq façons de passer inaperçu chez les Moldus avec la date des prochaines braderies de chaudrons ?"
"Non." répondit Luna en trempant son oignon dans son soda de Branchiflore. "Il est directeur du Chicaneur."
Rita poussa un grognement de dédain si bruyant que les clients de la table voisine se retournèrent d'un air inquiet.
"Des articles importants parce qu'il pense que le public a besoin de savoir, hein ?" répéta-t-elle avec le plus profond mépris. "Je pourrais me servir de ce torchon comme fumier pour mon jardin."
"Eh bien, voilà une chance de relever un peu le niveau." répliqua Hermione d'un ton aimable. "Luna dit que son père est d'accord pour prendre l'interview de Harry. C'est lui qui la publiera."
Rita les regarda toutes les deux pendant un moment puis elle laissa échapper un hurlement de rire :
"Le Chicaneur !" s'exclama-t-elle en gloussant comme une poule. "Et tu penses que les gens vont le prendre au sérieux si on publie ça dans Le Chicaneur ?"
"Certaines personnes ne le croiront pas." admit Hermione d'une voix égale. "Mais la version que La Gazette du sorcier a présentée de l'évasion d'Azkaban comporte des lacunes béantes. Je crois que beaucoup de gens vont se demander s'il n'existe pas une meilleure explication de ce qui s'est passé et s'ils voient un autre article disponible, même publié dans un…" Elle jeta à Luna un regard en coin. "Dans un magazine inhabituel, je pense qu'ils auront très envie de le lire."
Rita resta silencieuse un long moment mais elle observait Hermione d'un œil rusé, la tête légèrement penchée de côté.
"Bon, admettons que je le fasse." dit-elle soudain en se penchant sur la table une seconde fois pour chuchoter : "Je serais payée combien pour ça ?"
"Je ne crois pas que mon père paye vraiment les gens pour écrire dans son magazine." répondit Luna d'une voix rêveuse. "Ils le font parce que c'est un honneur et puis aussi pour voir leur nom imprimé."
Rita Skeeter eut un air écoeuré :
"Je suis censée faire ça gratuitement ?" demanda-t-elle en ignorant Luna.
"Eh bien oui." assura Hermione d'un ton très calme en buvant une gorgée de son sirop. "Sinon, comme vous le savez déjà, j'informerai les autorités que vous êtes un Animagus non déclaré. À ce moment-là, peut-être que La Gazette vous paiera un bon prix pour un reportage en direct sur la vie des prisonniers d'Azkaban."
Rita laissa échapper quelques respirations colériques de son nez comme un taureau.
"J'imagine que je n'ai pas le choix ?" demanda-t-elle d'une voix légèrement tremblante.
Elle ouvrit à nouveau son sac en crocodile, en sortit un morceau de parchemin et prit sa Plume à Papote.
"Papa sera très content." déclara Luna d'un ton enjoué.
"C'est d'accord, Harry ?" demanda Hermione en se tournant vers lui. "Prêt à dire la vérité au public ?"
Elle connaissait suffisamment Harry pour voir un éclair de reconnaissance dans ses yeux.
"Oui, je pense." répondit-il.
Il regarda Rita dont la Plume à Papote frémissait déjà au-dessus du morceau de parchemin.
"Alors, allez-y, Rita." dit Hermione d'un ton serein en repêchant une cerise confite au fond de son verre.
Harry mit du temps à faire abstraction de la plume à Papote et des réactions sonores de Rita tout au long de son récit. Il expliqua tout dans les moindres détails sur son arrivée, le Portoloin, le cimetière, Queudver. Hermione avait déjà entendu son histoire, mais ça ne l'empêcha pas de frissonner plusieurs fois tout du long. Même Luna, qui partait souvent dans ses rêveries, l'écoutait avec attention.
Rita s'avéra être une très bonne auditrice. Elle ne posa aucune question déplacée, et fit fi de l'émotion flagrante d'Harry. Quand il arriva à Cedric, il dut s'arrêter de parler et Rita elle-même lui commanda une Bièraubeurre pour marquer une petite pause. Il ne s'attarda pas longtemps sur l'acte en lui-même, probablement encore traumatisé par sa mort soudaine. Rita lui demanda ce qu'il avait ressenti, et Harry s'appliqua à décrire le torrent d'émotions qui l'avait traversé à cet instant, la terreur étant la pire de toutes à ses yeux.
"Qui d'autre était là, Harry ?" demanda Rita, les yeux rivés dans les siens. Sa plume dansait sur le parchemin à côté d'elle. "Tu as parlé de Peter Pettigrow et du Seigneur des Ténèbres, mais il y avait d'autres Mangemorts ce soir là, n'est-ce-pas ?"
Harry prit une gorgée de sa Bièraubeurre, essuya la mousse au-dessus sur sa lèvre, prit une grande inspiration, et cita d'un ton léthargique :
"Lucius Malefoy, Walden Macnair, Crabbe, Goyle, Avery, et…"
Harry tourna subtilement la tête vers Hermione pour lui demander l'autorisation, elle cligna des yeux en signe d'aprobation, et Harry regarda de nouveau Rita, le tout en moins d'une seconde. Personne d'autre qu'eux ne comprit cet échange silencieux.
"... Nott Sr." termina-t-il.
La Plume à Papote nota chaque nom scrupuleusement.
"Personne d'autre ?" s'enquit Skeeter.
"Il y en avait d'autres dans le cimetière, mais je ne les ai pas reconnus. Il a dit… que les Lestrange devaient être là, mais qu'ils à Azkaban. Il a dit qu'ils seraient récompensés pour leur loyauté lorsque la prison serait ouverte."
Hermione eut l'image des dix évadés d'Azkaban, affichée tous les jours dans le journal depuis qu'ils s'étaient échappés.
"Il a dit qu'il en manquait six, entre autres." conta Harry, le visage contracté pour essayer de se souvenir à la perfection de ce dont il avait été témoin. "Trois sont morts, un autre aurait été trop lâche pour revenir, et Voldemort a dit qu'il le paierait."
Rita eut un soubresaut en entendant son nom, bien que c'était la dixième fois qu'Harry le prononçait depuis le début de son récit.
"Un autre l'aurait quitté définitivement. Igor Karkaroff." marmonna Harry avec répugnance. "Et le dernier était supposément son plus fidèle serviteur. Il travaillait à Poudlard pour son Maître, pour me capturer. Barty Croupton Jr, déguisé en Maugrey Fol'Oeil toute l'année scolaire."
Harry s'arrêta de parler pour que la Plume ait le temps de bien noter cette dernière information.
"Et qu'ont-ils fait, ces Mangemorts, Harry ?" demanda Rita dans un souffle, captivée par ses mots.
"Ils lui ont juré fidélité devant moi." répondit-il. "Ils se sont mis à plat ventre pour se faire pardonner. Voldemort a dit qu'il ne pourrait pas les pardonner, pas avant treize années de loyaux services. Ils se sont tous excusés, l'ont supplié d'être clément. Lucius Malefoy a dit que s'il avait eu le moindre signe pendant tout ce temps, il se serait précipité à son secours."
"Tu es sûr de toi, Harry ?" demanda Rita, sa plume plus frémissante que jamais sur le papier. "Lucius Malefoy a dit ça ?"
"Oui." asséna Harry. "Lucius Malefoy en personne."
Hermione eut un frisson le long de sa colonne vertébrale, et termina son sirop de cerise sans un mot.
.
L'interview d'Harry prit une heure et demi. À la fin, le parchemin de Rita était rempli, les quatre verres étaient vides, et Harry avait le teint nettement plus pâle, mais une flamme de fierté dans ses prunelles qui n'était pas là avant. Rita serra la main d'Harry et lui promit de lui envoyer l'article terminé avant de le publier autre part.
À sa grande surprise, Rita serra la main d'Hermione également :
"J'accepte le marché. J'envoie cet article d'Harry tel qu'il me l'a dit, et en échange, je reviens à la Gazette. Tu es de quel signe, Miss Parfaite ?"
Hermione cligna des yeux, pas certaine d'avoir bien entendu.
"Euh… Vierge ?"
"Alors je mettrai un petit commentaire rien que pour toi dans mon prochain horoscope, puisque tu le veux tellement." dit Rita avec un clin d'oeil.
Harry lui lança un regard interloqué et Hermione bégaya en répétant inutilement que ce n'était pas pour elle mais pour un ami.
Skeeter ne dit pas au revoir à Luna et s'enfuit du pub en essayant de paraître la plus incognito possible. Luna s'en alla aussi, parce qu'elle devait absolument passer à l'animalerie acheter des graines de luciole pour son père.
Harry se tourna alors vers Hermione avec un petit soupir de satisfaction.
"Tu as été très courageux, Harry." dit-elle affectueusement.
Pour toute réponse, il la prit dans ses bras. Ce n'était pas un geste anodin de la part d'Harry, parce qu'il avait toujours été très pudique sur ses démonstrations d'affection. Il ne dit rien, mais elle pouvait presque l'entendre la remercier d'avoir organisé ça juste par la manière dont ses bras la serrait contre lui. Hermione pressa ses doigts contre son avant-bras, et sans un mot, ils échangèrent l'une des plus belles preuves d'amitié qu'Hermione ait vécu.
"Je dois rentrer, j'ai promis à Ron que je serai là pour son entraînement." dit Harry en rompant le câlin, la voix vibrante d'émotion. "Tu viens ?"
"Je dois passer au magasin de thés." dit Hermione. "On se voit au dîner ?"
Harry hocha la tête et partit sous la pluie à son tour. Hermione paya pour la table et sortit. Dehors, il y avait une averse torrentielle. Elle courut donc jusqu'à sa boutique préférée en se couvrant de sa cape et acheta trois nouvelles boîtes de thé à la cannelle, et une à la châtaigne, pour changer un peu. Tout le magasin était décoré pour la St Valentin et une odeur écrasante de rose embaumait la petite pièce, ce qui lui donnait la nausée.
Quand elle ouvrit la porte pour sortir, une pluie de confettis roses tombèrent dans ses cheveux et elle grogna entre ses dents.
Elle se retrouva dans la rue principale, déserte à cause de la pluie. De grosses gouttes glacées tombaient dans sa nuque et sur ses nouvelles boîtes de thé. En face d'elle, il y avait trois cafés où elle pouvait apercevoir des silhouettes de couples en train de s'embrasser.
Elle rangea les boîtes dans sa poche et fut sur le point de prendre la rue en sens inverse pour trouver une calèche qui accepterait de la ramener au Château quand une main saisit son poignet et la tira en arrière. Hermione lâcha un petit cri de panique.
"Chut, Hermione, c'est moi !"
En à peine une seconde, elle fut propulsée en arrière, entre le magasin de thés et la poste, plaquée contre le torse de Drago. Elle se décolla de lui précipitamment et se retourna pour lui faire face, outrée par ce qu'il venait de faire.
"Drago !" hurla-t-elle, avant de se souvenir à la dernière seconde que crier le nom de son supposé ennemi au beau milieu de la rue n'était pas une très bonne idée. Elle se plaqua une main sur la bouche. "Qu'est-ce que tu fais là ?!" demanda-t-elle, sa question camouflée par sa paume.
"Je suis venu te voir." dit-il, comme si c'était évident.
Ses cheveux étaient mouillés par la pluie. Il n'était pas vêtu de son uniforme, et Hermione adorait quand c'était le cas, parce qu'il était encore plus beau quand il portait ses vêtements de tous les jours. En l'occurence, un col roulé noir, un pantalon de la même couleur, et une longue veste qui, Hermione en était sûre, devait coûter trois fois le salaire mensuel de ses deux parents.
"Tu ne peux pas venir me voir ici, n'importe qui pourrait nous voir !" piailla-t-elle en regardant à sa droite et sa gauche en priant pour qu'aucun piéton ne se soit arrêté à leur niveau.
"Relax, Granger." dit Drago d'un ton tranquille. "Il n'y a plus personne dans le village, tout le monde est soit à l'intérieur, soit rentré au Château. Il n'y a que toi pour courir dans la rue avec ta cape sur la tête."
"C'est toi qui me dit de me relaxer ? Alors que tu m'as répété un nombre incalculable de fois qu'on ne devait pas être exposés ?"
Drago haussa les épaules, cette perspective vraisemblablement oubliée.
"Tu es belle." dit-il subitement.
Hermione ouvrit et referma la bouche plusieurs fois, incapable de trouver quelque chose à dire à ça. Il était vraiment un expert pour les changements de sujet brutaux.
"Euh… merci." bafouilla-t-elle maladroitement. "Tu es très beau aussi."
Drago fit son insupportable sourire en coin. Elle fut sur le point de le gronder de nouveau pour son comportement spontané quand il lui reprit soudain le poignet :
"Viens, je t'emmène quelque part."
"M'emmener quelque…"
"Chut, on ne doit pas se faire repérer." rappela-t-il, en se moquant clairement d'elle.
Ils allèrent au fond de la ruelle, qui ouvrait sur un petit passage sur leur droite. Drago s'y engouffra sans lui lâcher la main et Hermione le suivit, paniquée à l'idée d'être découverts, mais aussi trop contente de le voir, la tête embrouillée, et le coeur martelant dans sa poitrine.
Ils arrivèrent au bout du passage et Drago se tourna vers elle, avec son indémodable sourire qui n'augurait rien de bon. Il recouvrit ses cheveux avec la capuche noire de sa veste et sortit sa baguette de sa main gauche, la droite tenant toujours celle d'Hermione derrière lui.
"Prête ?" demanda-t-il, et Hermione acquiesça, malgré le fait qu'elle n'avait aucune idée de ce qu'il allait faire.
Il se mit alors à courir, emportant Hermione avec lui. Ils traversèrent les quelques mètres qui restaient de la grande rue de Pré-Au-Lard à toute vitesse. Leurs pieds plongeaient dans les grandes flaques sur les pavés, éclaboussant les alentours dans un grand bruit de clapotis, et, contre toute attente, Hermione se mit à éclater de rire. Après les dernières heures qu'elle avait passé à ressasser les horreurs qu'Harry avait vécu, ça faisait du bien de pouvoir décharger toute la pression. Elle rit à gorge déployée, imitée par Drago qui s'esclaffait avec elle, le son de leurs rires se mêlant au éclaboussures des flaques. Les cheveux d'Hermione étaient gonflés à cause de l'humidité, lourds contre ses épaules, elle avait chaud à cause de la course, mais elle s'en fichait éperdument. Pour la première fois depuis longtemps, elle se sentait libre.
Ils arrivèrent au bout de la grande rue en riant comme des enfants, puis, Drago bifurqua sur le chemin à gauche et ralentit la cadence.
"Où est-ce que tu m'emmènes ?" demanda-t-elle, essoufflée.
"Tu verras." répondit mystérieusement Drago.
Ils remontèrent le long de la petite colline, juste à l'extérieur du village. Le chemin était boueux, ils durent sauter pour éviter les grosses flaques par terre. Quand ils arrivèrent tout en haut, ils étaient tous les deux à bout de souffle. Drago trouva un carré d'herbe fraîche et dénué de boue et l'y emmena. D'ici, ils avaient une vue magnifique sur Pré-Au-Lard, et ils étaient protégés de la pluie par l'énorme chêne derrière eux.
La grande rue qu'ils venaient de quitter était inondée par l'averse, et les magasins formaient des petits points de couleur un peu partout. Hermione trouva les Trois Balais, où des volutes de fumées sortaient par trois cheminées biscornues.
"C'est très joli." commenta Hermione en contemplant le village sous ses yeux. "Je n'avais jamais réalisé à quel point c'était petit."
Quand elle se tourna vers Drago, il avait les joues rouges d'avoir tant couru et les cheveux encore plus trempés. Il lui fit un sourire et Hermione sentit son coeur tressauter dans sa poitrine.
"Pourquoi tu m'as emmenée ici ?" demanda-t-elle pour la troisième fois.
Drago baissa la tête vers l'herbe :
"Et bien, tu as dit que tu étais jalouse de Weaslette et de Potter parce qu'ils avaient droit à un date pour la St Valentin." expliqua-t-il sans préambule. "Alors… je t'ai emmenée ici pour t'en offrir un."
Il plongea alors sa main dans la poche de sa veste et en sortit deux grosses pommes d'amour rouges vif emballées dans des sachets transparents.
Il lui en tendit une et ajouta :
"Joyeuse St Valentin, Hermione."
