Scorpius Malefoy adorait sa famille. Vraiment. Il aurait tout fait pour elle, pour rendre fier chacun de ses membres. Il serait capable de tuer pour la protéger, de filer des pots de vin à des politiciens véreux, à empoisonner un Auror, à séduire une courtisane de l'Allée des Embrumes (il préférait ne jamais avoir à le faire, mais connaissant certains membres de sa famille, il se tenait prêt), et de faire quantité d'autres choses horribles. Mais il ne pouvait pas laisser sa famille le ridiculiser sur le quai de la voie 9 ¾ alors qu'il se rendait à Poudlard pour la première fois et si sa mère ne le lâchait pas, il… bon, il ne lui ferait rien d'affreux, peut-être qu'il se contenterait d'empoisonner son thé à l'aide de l'une des potions laxatives que gardaient sa tante dans l'un de ses tiroirs et qu'elle refilait aux gens qu'elle n'appréciait pas ; d'ailleurs, si celle-ci continuait de le fixer avec son grand sourire moqueur qui lui faisait clairement savoir qu'elle se foutait de sa gueule, il n'hésiterait pas à lui faire subir le même sort, sauf qu'il devrait pour cela s'emparer d'une bouteille de Whiskey Pur-Feu, parce que jamais sa tante ne s'approcherait de son plein gré d'une tasse de thé.

— Tu vas énormément nous manquer, mon Scorpius, disait sa mère tandis qu'il prévoyait son futur empoisonnement. J'espère que tu vas apprécier Poudlard, c'est vraiment…

Bla et bla et bla… il n'en pouvait plus des recommandations, des remarques sur combien Poudlard est un endroit extraordinaire. Presque deux mois qu'il endurait ça. Sa mère, Astoria Malefoy, semblait vouloir le noyer sous son flot de paroles, elle qui habituellement n'était pas une personne particulièrement expressive. En fait, il se serait plutôt attendu à ce que ce soit sa tante, qui n'avait visiblement rien de mieux à faire en ce premier septembre que de les accompagner à la gare, qui lui sorte une telle liste de conseils ; quoique, pas exactement. Si elle avait été dans son état normal, elle lui aurait sans doute demandé s'il n'avait pas oublié ses capotes (il avait onze ans ! onze ans ! Onze ans, bordel de merde de Merlin en porte-jarretelles !), lui aurait recommandé de choisir le compartiment dans lequel il y aurait le plus de jolies filles (selon elle, les filles plus âgées seraient fortement attendries par sa bouille de gamin un peu perdu) ou même lui aurait tendu une bouteille (pas de jus de citrouille) Bref, sa tante était complètement tarée, en était pleinement consciente et assumait totalement. Heureusement, il était le fils de deux adultes sensés et responsables et partageaient seulement un manoir et un peu de sang avec l'autre folle dingue.

Le jeune garçon jeta un coup d'œil de son côté. Son père et elle se regardait maintenant, mais l'expression présente sur leurs deux visages lui rappelait celle de sa grand-mère quand elle lui parlait de son époux. Leurs regards se détachèrent pour se poser, tous deux, sur la locomotive rutilante. Un instant, ils arborèrent le même sourire, à peine perceptible, empli d'une certaine tendresse, obscurcie cependant par les ombres qui hantaient leurs yeux.

Sa mère finit par se rendre compte qu'il ne l'écoutait pas le moins du monde et se tourna vers ce qui intéressait tant son fils. Elle aussi ressentait une certaine mélancolie à l'idée de revoir le Poudlard Express, le train qui l'avait conduite à l'école pendant sept ans. Mais eux le revoyaient pour la première fois depuis dix-neuf ans. Eux n'étaient pas remonté dedans, comme elle, plus jeune, avait dû le faire. Ils étaient plus marqués qu'elle par cette rencontre.

— Bon, au lieu de se fixer dans le blanc des yeux, va peut-être falloir qu'on enclenche la vitesse supérieure, surtout si on veut que Scorpius trouve le compartiment avec le plus de jolies filles.

Sa tante. Bien sûr, elle se devait de briser ce moment. Elle détestait tout ce qui prenait des allures solennelles. Ses parents levèrent les yeux au ciel, parfaitement synchrones. Tout comme Scorpius, ils s'y attendaient sûrement depuis quelques temps. Son sourire moqueur, celui qu'il avait envie de lui arracher, reparut sur son visage. Sa mère lui donna un dernier baiser. Son père l'attira dans une accolade. Sa tante s'approcha, c'était son tour de lui faire ses adieux. Cependant, alors qu'il était persuadé qu'elle allait faire une plaisanterie graveleuse, quelque chose derrière son épaule attira son attention. Elle sourit.

— Je vous rejoins dans deux minutes, s'excusa-t-elle en partant.

Elle les quitta sans un mot de plus et rejoignit la personne qui avait attiré son attention. De loin, il ne put dire avec exactitude de qui il s'agissait ; c'était un homme, cela ne faisait aucun doute, mais de là où il se trouvait, impossible de distinguer aucun trait particulier qui lui aurait peut-être permis de reconnaître l'individu.

— Ta cousine est encore en contact avec Potter ? s'étonna Astoria auprès de son époux.

Potter ? Encore en contact ? Sans s'émouvoir de l'incompréhension de son fils qui était bien incapable de faire le lien entre Ella Lestrange et Harry Potter, Drago répondit :

— Ils n'ont jamais cessé leur correspondance. Ça fait sept ans, je crois.

Scorpius ne se remettait pas de son étonnement. C'est pourquoi il ne put s'empêcher de demander :

— Pourquoi s'écrivent-ils ?

Son père lui répondit par un sourire énigmatique.

— Je ne sais pas. Ella garde ça pour elle. Tant que ça lui fait du bien, je ne vois pas pourquoi je me préoccuperais du contenu de ses lettres. Mais tu la connais, je suis sûr que tu peux te faire une petite idée de ce qu'elle peut écrire.

Oui, eh bien finalement Scorpius ne voulait plus savoir, plus non plus en entendre parler, non merci, il tenait à sa santé mentale et si ce n'était pas le cas de Harry Potter tant pis pour lui.

— Bon Scorpius, il serait peut-être temps que tu montes dans ce train, tu ne penses pas ?

Ella avait visiblement choisi d'écourter sa discussion avec le Sauveur ; elle n'avait sans doute que prit le temps de le saluer.

— Après tout, faut bien que ce petit trouve les filles les plus sexy de l'école, ajouta-t-elle. Il a besoin de commencer les cours avec de bonnes bases !

— Tu te répètes, très chère.

Comme d'habitude, les deux cousins se lancèrent dans une querelle dont les seules armes étaient les mots, tantôt tranchants, tantôt mielleux, et sur chacun de ces deux visages un sourire carnassier apparut, exactement le même, témoins de l'excitation que leur apportait ce genre de duel rhétorique.

— Bon, soupira le jeune garçon en se tournant vers sa mère, je ne crois pas qu'ils auront fini avant que le train parte.

— Embrasse-moi mon chéri, et ne t'inquiètes pas pour eux, ils ne te laisseraient pas partir sans un au revoir.

Et de fait, Ella le serra dans ses bras, lui murmurant à l'oreille qu'il avait intérêt à être envoyé à Serpentard ; son père, pourtant peu porté vers les démonstrations d'affection en public, fit de même mais le message qu'il lui destinait était bien différent : « Je serai toujours fier de toi, fils, quoi que tu fasses. Sauf si la directrice m'envoie un hibou pour me faire part de la moindre sanction prise à ton encontre, bien sûr »

Les adieux avaient été faits. Scorpius était monté dans le train, et comme tout enfant de onze ans se retrouvant soudainement séparé de sa famille jusqu'à Noël, une boule d'anxiété écrasait sa cage thoracique. Il quittait ce à quoi il avait toujours été habitué pour se rendre dans une école à l'autre bout du monde (non, il n'était pas le moins du monde de mauvaise foi : l'Ecosse c'est le bout du monde) et il n'y connaissait personne.

Tout à ses pensées, il ne vit pas l'autre jeune garçon qui arrivait dans l'autre sens, sortant visiblement d'un compartiment à sa droite et lui aussi plongé dans ses songes ; deux enfants de onze ans se rentrèrent donc dedans. Aïe.

A cet instant, aucun d'eux ne savaient qu'il venait de faire la rencontre de leur vie, qu'ils venaient l'un comme l'autre, en rentrant dans un gosse inconnu et un peu paumé dans un train flamboyant, d'entamer leur nouvelle vie. Ils ne ressentirent pas ce changement, non, les coups de foudre n'existent pas.

Scorpius n'esquissa pas le moindre geste d'excuse envers le petit brun en face de lui. Il était horrifié ; un garçon aussi bien élevé que lui, rentrer dans quelqu'un ! il ne pouvait plus bouger. Ce n'était pas une réaction disproportionné : il était EMBARRASSE ; or, un Malefoy n'est jamais embarrassé : il est toujours maître de la situation, il contrôle ce qui l'entoure et ceux qui l'entourent, et Malefoy est synonyme de maître du monde ; il ne devrait pas se sentir embarrassé et ne devrait jamais, jamais, JAMAIS, se retrouver dans une situation qui lui permettrait de ressentir de l'embarras. C'était catastrophique. A peine quittait-il les robes de son père qu'il réussissait à bousculer quelqu'un et à se départir de son aura de roi du monde.

La petite chose en face de lui (est-il possible d'être aussi petit à onze ans ? ce garçon profiterait sans aucun doute d'un bon bol de soupe — encore faut-il, néanmoins, que la soupe de Poudlard soit aussi bonne que celle que l'on mangeait au manoir Malefoy) ouvre la bouche prêt à parler. Scorpius ne pouvait pas laisser faire ça ; il ne supporterait pas que cet avorton se permette de le réprimander ou de lui demander des excuses – des excuses ! lui, présenter des excuses !

— Ecoute, ô petit machin, n'ouvre pas cette bouche. Je ne te présenterai aucune excuse, tu ne m'en présenteras pas, nous allons même oublier cette horrible rencontre. Tu vas retourner dans ton compartiment, et dès que tes petits pieds de nain auront franchis la porte coulissante menant audit compartiment, aucun souvenir de ma personne ne subsistera dans ton minuscule cerveau d'arriéré microcéphale.

S'il s'attendait à la réaction qu'eût le garçon ! Ce dernier se perdait dans les affres d'un fou rire si puissant que le corps du petit bonhomme ployait, vaincu par les armées sans merci d'hilarité. Scorpius porta la main à sa baguette ; il ne sera pas dit qu'un Malefoy s'était laissé insulter sans répliquer.

— Merde ! c'est que t'étais sérieux ?

Et le manant de petite taille, qui avait réussi malgré l'ardeur de son rire débile à prononcer ces quelques mots, se noya une fois encore dans les puissantes vagues du fou rire. Toute la morgue qui restait à l'aristocrate d'une blondeur angélique qui ne pouvait que prouver son ascendance divine s'évapora – bon, ça veut dire que ce cher Scorpius lança un sort au petit con qui ne voulait pas arrêter de se foutre de sa gueule ; mais pourquoi le dire ainsi alors qu'il est possible de rappeler à quel point l'humanité est chanceuse : les hommes foulent le même sol que les incroyables Malefoy !

L'abruti qui avait osé le défier se mit à repeindre l'allée centrale du train ; Scorpius laissa même un rictus satisfait se dessiner sur ses lèvres quand il se rendit compte que les effets de son sortilège s'étaient fait sentir au moment précis du départ de la locomotive purpurine : c'est ce qui s'appelle avoir un bon sens du rythme. On ne peut qu'exceller en tout quand on est un Malefoy.

Il partit avec sa valise, abandonnant l'avorton court sur pattes qui dégueulait toujours des limaces pour aller se trouver une place dans un compartiment. Peut-être que sa tante avait raison et que les filles de septième année accepteraient de le recueillir ; les Malefoy excellent en tout, et Scorpius maîtrisent particulièrement bien les yeux de chiot perdu.