Bonjour !
Ravie de vous retrouver après cette pause de plusieurs semaines :) J'espère que vous allez bien !
Outre les bugs exaspérants du site, ça m'a fait du bien de m'éloigner un peu de cette fiction pendant quelque temps. C'est quand même un rythme intense de publier un chapitre par semaine. J'essaierai de publier aussi régulièrement que possible. Mais peut-être plus chaque semaine.
Sur ce, je ne vous fais pas plus attendre et je vous laisse avec ce nouveau chapitre, qui est un tournant de l'histoire. Bonne lecture !
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Chapitre 11
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-Potter.
Harry prit une profonde inspiration et s'étira paresseusement. Il n'avait pas eu conscience de se rendormir. Il grogna un peu et roula sur le côté en emportant la couette avec lui pour être sûr de rester bien au chaud. La lumière entrait à flots par la fenêtre sans volets, l'éblouissant. Il renonça à ouvrir les yeux.
-Comptes-tu rester au lit toute la journée ? demanda Draco.
Harry ne le voyait pas, mais il devinait son air sévère posé sur lui. Cela le fit sourire.
-Peut-être, répondit-il paresseusement.
Une rafale de vent vint écraser des gouttes de pluie contre la fenêtre.
-Probablement, corrigea-t-il en s'installant plus confortablement.
Le silence lui répondit. Il attendit, les sens aux aguets, mais aucun son ne lui parvint. Se demandant si Draco était parti, il ouvrit un œil. Le vampire se tenait debout près du lit, entièrement habillé et soigné à la perfection, comme à son habitude. Pas un seul cheveu ne dépassait. Il baissait un regard aussi gris que le ciel extérieur sur lui et l'évaluait d'un œil critique. Malgré son regard froid, c'était toujours rassurant de poser le regard sur son vampire et de le savoir près de lui.
-Ça pose un problème ? demanda Harry.
Draco haussa un sourcil. Il l'observa sans un mot pendant quelques secondes et Harry retint un sourire en essayant d'imaginer les pensées qui devaient lui traverser l'esprit.
-Je vais chez Blaise, dit-il simplement en se détournant.
Il enfila une veste en un geste aérien qu'Harry suivit avec passion. Pendant un court instant, il eut envie de lui demander de rester. L'idée de paresser au lit, dans les bras de son vampire, toute la journée, pendant que la pluie tombait au dehors, était tentante. Mais il retint sa langue et le regarda sortir sans un mot de plus. Harry soupira, un sourire aux lèvres, et se cala plus confortablement dans le lit.
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Harry fut réveillé en sursaut par des coups frappés à la porte. Un peu hagard, il se redressa en position assise dans le lit et resta immobile, reprenant pied avec la réalité. Un rapide coup d'œil à l'horloge lui apprit qu'il était presque 16heures. Draco n'était pas là et il n'en fut pas surpris. De toute évidence, le vampire ne se montrerait pas avant le lendemain, comme souvent lorsqu'il allait chez Blaise. L'air sombre, il l'imagina chez Blaise, entouré d'humains avides de son attention, dans la musique, la fumée des cigarettes, l'alcool, la luxure.
De nouveaux coups retentirent contre la porte, le sortant de sa torpeur. Harry se leva prestement et enfila un pantalon. Il attrapa ensuite sa baguette, posée négligemment sur la table de chevet et traversa l'appartement.
Il ouvrit la porte à la volée.
Ron et Hermione se tenaient là, l'air échevelé. Eux aussi tenaient leur baguette fermement en main. Tous trois se dévisagèrent, un peu surpris. Les regards de ses amis s'échouèrent sur son torse nu, ses muscles finement sculptés, le pantalon qui tombait lâchement sur ses hanches, ses cheveux en bataille, ses yeux verts.
-Qu'est-ce que vous fichez là ? s'exclama Harry au bout de quelques secondes d'un examen silencieux.
Il s'effaça obligeamment pour les laisser entrer et rangea sa baguette dans la poche arrière de son pantalon. Ron et Hermione firent de même et s'avancèrent prudemment dans l'appartement faiblement éclairé. Harry alluma la lumière et fouilla dans l'armoire à la recherche d'un pull.
-Est-ce que tu dormais ? demanda Hermione en observant la pièce d'un air circonspect.
Sans répondre, Harry enfila son pull, puis se passa la main dans les cheveux pour tenter de les discipliner. Il était étrange de voir Ron et Hermione surgir à l'improviste dans son univers. Et il n'était pas sûr que cela lui plaise. Cet appartement était son cocon, sa safe place. C'était un endroit qui n'appartenait qu'à Draco et lui, un lieu où ils pouvaient se livrer à leurs activités sans être observés ou jugés en permanence. Ron et Hermione n'y semblaient pas à leur place. Ils n'appartenaient pas à ce monde-là. Et Harry n'avait aucune envie de les y introduire.
-Qu'est-ce que tu es venu t'enterrer dans un trou pareil, Harry ? demanda Ron en observant le petit appartement.
Harry regarda autour de lui. Tout était propre et rangé, hormis le lit dont les draps étaient en désordre. L'endroit était confortable, chaleureux même, l'effet accentué par le temps pluvieux à l'extérieur. Des affaires lui appartenant trainaient sur la commode de l'entrée et sur la table de chevet. La cuisine était propre, car l'elfe de maison ne laissait jamais rien trainer, et elle sentait bon le gâteau fraichement sorti du four. Il aimait cet appartement, il s'y sentait bien et en sécurité.
-Je suis tranquille, ici, rétorqua-t-il, un peu sur la défensive. Personne ne vient m'importuner.
Il se sentait jugé. Mais quand n'était-ce pas le cas ? Ron et Hermione, bien qu'ils fassent des efforts, avaient toujours montré peu de tolérance quand il en allait de ses choix, depuis que Draco était entré dans sa vie.
-Mais l'Allées des Embrumes, dit Ron, l'air écœuré.
Harry haussa les épaules. Draco passait inaperçu dans l'Allées des Embrumes, bien plus que dans un petit pavillon de banlieue. L'endroit n'avait certes rien de charmant, bien au contraire, mais l'intimité et les secrets de chacun y étaient respectés. Et c'est tout ce qu'Harry demandait.
-Tu oublies que je vis avec un vampire, Ron, dit-il, un peu provocateur. Tu préfères peut-être qu'on aménage près de chez toi ?
Il lui décocha un sourire mordant, et Ron se rembrunit. C'était toujours plaisant de les mettre face à la réalité, qu'ils s'efforçaient bien trop souvent d'oublier. Considérant l'affaire réglée, Harry leur désigna les chaises de la table à manger et tous deux s'installèrent, bien qu'un peu raides. D'un coup de baguette magique, Harry mit de l'eau à chauffer. Il ouvrit le four et constata que Koory y avait laissé un délicieux gratin. Il était encore chaud.
-Vous avez faim ? demanda-t-il en sortant le plat du four.
Ron et Hermione secouèrent la tête d'un air un peu gêné. Harry se rappela qu'il était 16heures. Il attrapa une assiette et se servit une part généreuse.
-On ne dérange pas, j'espère ? demanda Hermione d'une petite voix.
-Bien sûr que non, répondit Harry.
Il attrapa une fourchette et s'appuya contre le plan de travail pour déguster son plat.
-Je suis juste un peu décalé en ce moment.
Après plusieurs années de lutte, il avait arrêté d'essayer d'adopter un rythme normal. Il dormait jusqu'à 17heures d'affilée après une morsure et quoi qu'il fasse pour y remédier, cela le décalait en permanence. À présent, il vivait en fonction de ses besoins et de ses envies, peu importe l'heure de la journée ou de la nuit qu'il était. Il avait fini par trouver cela normal, mais face aux visages de Ron et Hermione, il se rendait compte à quel point ça ne l'était pas. Dans leur vie bien rangée, se lever à 16heures était probablement prescrit.
-Tu es tout seul ? demanda Ron d'un air emprunté.
Harry sourit en avalant une part de gratin.
-Draco n'est pas là.
Il n'y avait pas trace du vampire dans l'appartement. Pas de vêtements ou d'objets à lui, rien qui puisse révéler qu'Harry ne vivait pas seul ici. En réalité, Harry vivait seul car il était le seul à vivre, tout simplement. Draco n'était qu'un fantôme, sans envies, sans besoins, sans possessions, rien. Il ne laissait ni traces ni empreintes de sa présence. Simplement un goût de luxure dans le lit, des gouttes d'eau dans la douche et des conversations éparses dans la cuisine.
-Vous avez pris le risque de braver l'Allée des Embrumes simplement pour me faire une visite de courtoisie ? demanda Harry alors que le silence s'éternisait.
Il voyait à leurs mines sombres et à l'air coléreux de Ron que quelque chose n'allait pas et il était étonné qu'ils soient venus le trouver, lui. Ils ne s'étaient pas beaucoup vus ces derniers jours, ou alors toujours brièvement. Les journées s'étiraient sans fin pour Harry, mais pour Ron et Hermione, si occupés, elles filaient en un claquement de doigts. Submergés par leur travail, leur famille et leurs tâches du quotidien, ils peinaient à trouver du temps pour eux. Harry trouvait cela triste. Il aurait aimé que ses amis relèvent la tête et s'aperçoivent que la vie passait, très vite. Et que, pendant qu'ils fonçaient tête baissée dans leur quotidien à mille à l'heure, le temps défilait et ne reviendrait pas.
Mais avait-il seulement le droit de leur faire remarquer cela ? N'était-ce pas facile pour lui de critiquer leur mode de vie quand il n'avait aucune obligation et que le temps n'avait pas d'emprise sur lui ? Ils se demandaient si Ron et Hermione étaient heureux dans la vie qu'ils s'étaient construite.
Il observa ces deux amis échanger un regard et se détourna pour préparer le thé. Il servit trois tasses et en déposa deux devant Ron et Hermione. Puis il retourna s'appuyer contre le plan de travail de la cuisine, attendant patiemment qu'ils se décident à lui parler en soufflant sur sa tasse.
-Montre-lui, Hermione, insista Ron face à l'immobilité de sa femme.
Hermione soupira. Elle semblait fébrile, indécise, à bout de nerf. Harry n'avait pas l'habitude de la voir ainsi. Elle semblait particulièrement épuisée. Après un nouveau moment d'indécision, elle fouilla dans son sac à main et en sortit une enveloppe déjà ouverte. Le visage fermé et les sourcils froncés, elle la tendit à Harry sans le regarder. Harry posa sa tasse et se saisit de l'enveloppe. Il en sortit une lettre soigneusement pliée.
-Qu'est-ce que c'est ? demanda-t-il machinalement en jetant un regard méfiant à ses deux amis.
D'un geste assuré, il déplia la lettre. Un sceau à l'aspect officiel, qu'il ne connaissait pas, trônait en haut du document. La missive était brève.
« Chère Mlle Weasley,
L'académie de Droit Magique a le regret de vous informer que votre candidature pour intégrer notre École à la rentrée prochaine n'a pas été retenue.
Nous vous souhaitons bonne continuation »
Harry releva la tête.
-Rose n'a pas été acceptée, affirma-t-il, surpris.
Hermione fondit en larmes. Ron se leva précipitamment mais, pas plus que quand il était jeune, il semblait incapable de savoir quoi faire pour la consoler. Il s'approcha d'elle et lui tapota le dos, en un geste plus maladroit que réconfortant. Les deux hommes échangèrent un regard. Harry secoua légèrement la tête. Il déposa la lettre et récupéra sa tasse.
Il ne savait pas quoi dire. Tout ce qui lui passait par la tête lui semblait inapproprié. Ron aussi semblait à court de mots. Il lançait à Harry un regard implorant, comme pour le supplier de lui venir en aide.
-Son avenir est fichu, sanglota Hermione.
-Son avenir n'est pas fichu, Hermione, répondit posément Harry pour tenter de la raisonner. Elle a 17ans, elle va rebondir.
Les pleurs d'Hermione redoublèrent d'intensité. Ron sortit un mouchoir en tissu de sa poche. Il le secoua maladroitement et le tendit à Hermione qui se moucha bruyamment. Harry sirota une gorgée de son thé. Le liquide lui brûla la langue. Il le déposa et se resservit une part de gratin.
-Rebondir comment ? Où ? questionna Hermione d'une voix rauque. Elle voulait devenir Médicomage, elle a été refusée. Et maintenant, elle ne pourra pas non plus faire du droit.
Harry soupira. Face à la peine et la détresse d'Hermione, il se sentait impuissant, peut-être autant que Ron. Il était étrange d'avoir quitté une jeune fille de 17ans sûre d'elle et indépendante et de retrouver une mère de famille pour qui le bonheur de ses enfants passait avant tout. Il avait l'impression d'avoir sauté des étapes et se retrouvait directement confronté à la femme que sa meilleure amie était devenue sans avoir pu être témoin de toute son évolution.
-Elle pourra peut-être se représenter l'année prochaine, dit-il.
-Oh Harry ! Tu ne comprends donc pas ? Rose est l'une des meilleures élèves de son année. Elle a passé ses ASPICS avec les meilleures notes, notamment dans les matières requises pour continuer en droit. On pensait vraiment qu'elle serait prise.
Ron, qui tapotait toujours le dos d'Hermione, fixait Harry d'un air sombre.
-Bien sûr que je comprends, rétorqua Harry, piqué au vif.
Il planta rageusement sa fourchette dans le gratin.
-Tu avais raison, reprit Hermione, plus calmement. Nos enfants n'ont aucun avenir dans un monde comme celui-ci. Ils ne sont pas assez purs.
-Hermione, ce n'est pas...
-Ouvre les yeux, Ron, le coupa sèchement Hermione.
La colère semblait progressivement l'emporter sur la tristesse. Elle s'essuya les yeux avec le mouchoir de Ron. Celui-ci arrêta de lui tapoter le dos et retourna s'assoir.
-Je ne pensais pas dire ça un jour, je ne voulais pas y croire, pas après tout ce que nous avons fait pour empêcher de telles injustices. Mais les signaux sont là. Harry les a vus de suite, alors que nous étions trop obnubilés par notre petite vie pour nous en apercevoir. Et maintenant, Rose...
Sa voix s'étrangla. Elle fit une pause, puis ajouta :
-Tout ça, tous ces sacrifices, toutes ces souffrances, tous ces morts pour que, vingt-six ans plus tard, notre propre fille soit victime de la même discrimination qui a entraîné la mort de centaines de né-moldus ! C'est quoi la suite ? Les rafles, comme la dernière fois ?
Elle se moucha à nouveau. Harry et Ron échangèrent un regard sombre.
-Hermione, ressaisis-toi ! On n'en est pas encore là.
-Mais on y va tout droit, Ron ! Comment avons-nous pu ne pas nous en apercevoir, toutes ces années ? Alors que ça nous pendait au nez tout ce temps. Même lorsque Yaxley est devenu Ministre de la Magie, on a trouvé des excuses pour se dire que ce n'était pas si grave. Que les choses avaient changé.
Elle laissa échapper un rire incrédule qui ne lui ressemblait pas.
-Harry s'en est aperçu immédiatement !
Harry, tenant son assiette dans une main et sa fourchette dans l'autre, mangeait posément son gratin. Il écoutait le discours d'Hermione d'une oreille distraite tout en se demandant ce que pouvait bien faire Draco, chez Blaise. Il n'avait aucune envie de mettre les pieds chez Blaise, mais l'envie d'être près de Draco était suffocante. L'idée de savoir le vampire occupé avec d'autres humains lui remuait les entrailles. Lorsqu'Hermione prononça son prénom, il revint à la conversation. Il avala sa bouchée et répondit :
-Je n'étais pas là pour voir la situation évoluer insidieusement. C'est normal que j'aie immédiatement remarqué les changements.
-Ne nous trouve pas des excuses, rétorqua Hermione avec agacement.
Incapable de rester en place, elle se leva et se mit à arpenter la pièce.
-On n'a rien fait quand, après la guerre, je n'ai pas pu entrer au Ministère de la Magie ou quand on m'a refusé un poste d'enseignant à Poudlard pour m'offrir d'être simplement infirmière. Ron ne s'est jamais vu offrir la moindre promotion au Ministère. Pas en vingtans ! On a détourné les yeux lorsque d'anciens Mangemorts ou partisans de Tu-Sais-Qui ont commencé à gagner en influence au Ministère. On n'a rien dit quand Yaxley lui-même a été élu Ministre de la Magie ! Alors qu'on savait pertinemment ce qu'il a fait.
Harry dégustait son gratin en écoutant son discours. Il savait tout cela. Il l'avait deviné. Et au fond, il était content qu'Hermione s'en rende enfin compte par elle-même. Si c'était lui qui avait assené ces vérités, elle se serait braquée et aurait refusé de l'écouter.
-Mais là ! s'exclama-t-elle rageusement. Là, ça touche à mes enfants. Et je refuse que Rose soit victime de toutes ces machinations et corruptions.
Harry eut l'image vive et fugace d'un immense Magyar à pointes protégeant rageusement ses œufs. Le souvenir lui arracha une grimace.
-Qu'aurais-tu voulu qu'on fasse ? demanda Ron qui semblait impuissant.
Il suivait Hermione du regard, serrant entre ses doigts sa tasse de thé qu'il ne buvait pas.
-Je ne sais pas, n'importe quoi ! rétorqua Hermione en faisant volte-face. À la sortie de la guerre, on avait de l'influence. On était considérés comme des héros. Les gens parlaient de moi comme de la future Ministre de la Magie ! On aurait pu faire entendre notre voix, montrer nos désaccords. Les gens nous auraient écoutés et soutenus.
-À la sortie de la guerre, on était détruits, rétorqua Ron avec véhémence. Harry était parti. L'Ordre n'était plus. Fred et beaucoup d'autres étaient morts. Poudlard était détruit. Tout le monde était épuisé. On voulait juste se reconstruire et aller de l'avant.
Harry se redressa au moment où Hermione s'apprêtait à répliquer. Les voir se disputer ne faisait pas partie du programme de sa journée. De sa soirée. Il leva une main pour les inciter au calme et tous deux se turent brusquement en posant sur lui leurs regards sombres. Il déposa son assiette vide sur le plan de travail et s'avança dans la pièce.
-Ressasser le passé ne sert à rien, dit-il sèchement.
Tous deux parurent surpris par son ton catégorique.
-Il y a toujours des gens plus malins que les autres pour se faufiler entre les mailles du filet. Ce n'est la faute de personne. Ce qui est fait est fait. Et rien ne peut garantir que les choses auraient été différentes si j'étais resté.
Cela était un détail important. Il tentait aussi bien d'en persuader Ron et Hermione que de se persuader lui-même. Personne ne saurait jamais ce qu'il se serait passé s'il n'avait pas fui avec Draco le jour-même de la mort de Voldemort. C'était inutile d'essayer d'imaginer ce qui aurait pu être.
-Bien sûr qu'elles auraient été différentes, rétorqua Ron d'un ton tranchant en faisant vivement volte-face. Évidemment ! Tu es parti alors que rien n'était fini. Bien au contraire, tout restait encore à faire. C'était le début d'un nouveau combat, d'une reconstruction qu'on a tous prise pour acquis mais qui a fini par nous échapper. Ta disparition nous a affaiblis plus qu'autre chose, personne ne peut le nier.
Harry, figé au milieu de la pièce, serra la mâchoire. Ron avait raison, probablement, même s'il était dur de savoir avec certitude comment les choses auraient pu se passer s'il était resté. Son départ avait été précipité. Avec la mort de Voldemort, il avait pris pour acquis la fin de la guerre. Il avait pensé que tout irait bien, à présent. Pas une seule seconde, ces dernières années, il n'avait envisagé que la reconstruction du pays ne se fasse pas comme il l'avait imaginée.
Aurait-il eu suffisamment d'influence pour faire en sorte que les choses tournent bien ? Aurait-il pu changer les choses, grâce à sa notoriété, grâce au pouvoir que lui avait conféré sa victoire sur Voldemort ? Aurait-il pu faire en sorte qu'elles prennent une direction autre que celle qu'elles avaient prises ? Il était aisé de se poser ces questions, mais impossible d'y obtenir des réponses. Il n'était pas fier de sa fuite, mais à ce moment-là, face aux corps sans vie de Remus Lupin, de Fred et de tous les autres, face à son chagrin incommensurable, cela lui avait semblé être la chose la plus saine à faire.
Il refusait de laisser la culpabilité s'installer en lui.
-Certes, dit-il, les dents serrées. Mais il faut se concentrer sur ce qui peut être encore changé. On a peut-être fait des erreurs, mais il ne faut pas que vos enfants en payent les conséquences.
Dans le silence qui suivit son affirmation, sa phrase flotta longtemps dans l'air. Elle sembla tournoyer infiniment autour d'eux, lourde de sens, apportant avec elle un sens qu'ils ne voulaient pas réellement saisir. Hermione se rassit, l'air soudain épuisé. Harry soupira. Il s'approcha d'elle et s'assit sur la chaise près de la sienne.
-Hermione, dit-il doucement. Je sais que tu as peur pour ta famille. Mais quoiqu'il arrive, ce ne sera pas comme la dernière fois. Nous ne parlons pas d'une guerre. Juste de remettre les choses à leur place, là où elles auraient dû être depuis le début.
La perspective de remettre Yaxley à sa place faisait monter en lui un frisson d'excitation inédit. Il n'avait jamais ressentir d'enthousiasme. Il avait toujours tout subi dans la douleur. Le meurtre de ses parents, Voldemort, la Prophétie, les Horcruxes. Et, dans un autre registre, Draco. À présent, et pour la première fois, il avait la sensation de faire un choix. De réellement prendre la décision d'aller au devant des ennuis. De choisir d'agir et d'être prêt à affronter les conséquences de ses actions. C'était dangereux, mais excitant.
Hermione se prit la tête entre les mains.
-Et comment tu comptes t'y prendre, exactement, pour « remettre les choses à leur place » ? demanda Ron, soudain hargneux. Il y aura forcément de la violence. Yaxley et sa clique n'ont certes pas le même pouvoir que vingt-six ans plus tôt, mais crois-moi, ils sont prêts à tout pour rester là où ils sont aujourd'hui. Ils ne sont pas tombés à l'époque, ce n'est certainement pas maintenant qu'ils tomberont.
Harry tapa du poing sur la table, faisant sursauter Hermione. Elle releva la tête et Harry fut soulagé de voir qu'elle ne pleurait pas.
-Ils doivent tomber. La place de ces Mangemorts est à Azkaban, pas à se pavaner dans les couloirs du Ministère.
-Eh bien allons-y. Allons frapper à la porte du bureau de Yaxley et lui demander gentiment de céder sa place à des gens plus compétents. Je t'assure, il va le prendre parfaitement bien.
Harry se leva brusquement. Sa mâchoire crispée trahissait son humeur sombre. Parfois, il trouvait Ron étrangement collecté, maître de lui et rationnel. Mais à certains moments, comme à présent, il avait l'impression d'être face au jeune homme qu'il avait connu. Fougueux, cinglant, agaçant. Cela lui rappela, une fois de plus, combien il était à présent en décalage avec ses amis devenus adultes. Malgré tout, Ron n'était plus le garçon qu'il avait connu. Il avait grandi, mûri et était devenu un père de famille responsable et inquiet pour le bien-être et l'avenir de ses enfants.
-Ce n'est pas ce que je dis, Ron, dit Harry. Je sais que Yaxley n'est pas prêt à se laisser faire, mais...
-Tu n'as pas conscience, le coupa Ron. Nous risquons de déclencher quelque chose dont tu n'as pas idée ! Tu es... complètement déconnecté de la réalité. Les conséquences de tes actes, c'est nous qui allons les prendre de plein fouet pendant que tu...
À court de mots, Ron fit un geste large pour englober tout l'appartement. Ce geste un peu méprisant semblait englober toute la vie d'Harry. Son lit défait qu'il venait de quitter, à 16heures. Le gratin dans le four qu'il dévorait en pleine après-midi. Le désordre qui régnait dans le studio, qui semblait refléter le désordre de sa vie. Le manque d'objets personnels, de souvenirs, qui reflétait le vide de sa vie. Sa solitude. Son manque de repères. Son manque de responsabilités. Son manque d'obligations.
Harry fronça les sourcils, à la fois énervé et touché par l'attitude de Ron. Il se posta à nouveau contre le plan de travail de la cuisine et croisa les bras sur son torse, comme pour se protéger. Il s'exhorta à rester calme. Il n'était plus l'adolescent emporté que Ron et Hermione avait connu et, malgré son apparence inchangée, il voulait le leur prouver. Il décroisa les bras et s'empara de sa tasse de thé.
-J'essaie simplement de vous aider, dit-il posément. Mais si tu as trop peur, tu peux refuser mon aide.
Ils se défièrent du regard.
-Tu n'oublieras pas, cependant, que je t'aurais prévenu, ajouta-t-il sèchement. On est passés par là, on sait comment ça va se terminer. Aujourd'hui, on refuse à Rose l'accès à une école de prestige parce que son sang n'est pas assez pur ou que ses parents sont des figures emblématiques. Demain on lui demande de s'enregistrer auprès d'un bureau quelconque. Après-demain on refuse à ses enfants l'achat d'une baguette magique !
Hermione eut un hoquet et, pendant un instant, Harry crut qu'elle allait à nouveau fondre en larmes. Mais il n'en fut rien.
-Est-ce que c'est cet avenir-là que vous voulez offrir à vos enfants ? insista-t-il.
Ron et Hermione l'observaient sans un mot, rendus muets par le calme et l'assurance qu'il dégageait.
-Il y a vingt-six ans, nous n'aurions pas tergiversé. On aurait agi.
-Parce qu'on n'avait rien à perdre et qu'on y était obligés à cause d'une stupide Prophétie dont je n'ai pas besoin de te rappeler la teneur ! s'exclama Ron. Tu n'as peut-être pas évolué pendant tout ce temps mais Hermione et moi, on a des enfants ! Et il est hors de question qu'on les mette en danger.
C'était comme un coup de poing en plein visage. Pour masquer son trouble, Harry but une gorgée de son thé. Il était tiède.
-Ce n'est pas parce que je n'ai pas d'enfants que je n'ai pas évolué, dit-il doucement, son calme contrastant avec l'énervement de Ron.
-Ah bon ? Ça n'en a pas l'air pourtant. Ta vie ne se résume qu'à un vampire qui n'en a rien à faire qu'on vive ou non. Qu'as-tu à perdre, toi, dans cette histoire ?
Harry serra les dents. Pendant un instant, il leur tourna le dos, tentant de reprendre contenance. Les attaques de Ron étaient sans pitié et aussi acérées que la pointe d'un couteau. Elles semblaient le transpercer là où ça faisait le plus mal. Draco était tout pour lui, et il avait du mal à encaisser le fait que Ron pense si peu de lui. Penché en avant sur le plan de travail, il respira profondément pendant quelques secondes, tentant de rester calme et de masquer son trouble.
-Harry, dit doucement Hermione. Je...
Harry fit vivement volte-face.
-Tu devrais plutôt te demander ce que j'ai à y gagner, dit-il froidement à Ron. Comme tu le dis si injustement, Draco est tout pour moi. C'est vrai. Alors, qu'est-ce que ça change pour moi, de savoir qui est au pouvoir, qui commande, qui tire les ficelles, alors que j'ai quitté l'Angleterre depuis si longtemps ? Je suis revenu pour vous voir. Et maintenant que je me rends compte que les choses ne vont pas aussi bien pour vous que ce que je pensais, j'essaie de vous aider !
Il se passa la main dans les cheveux.
-Parce que ça me tient à cœur. Parce que c'est important pour moi de vous savoir en sécurité, heureux, libres. Et parce que vos enfants comptent aussi pour moi et que moi aussi, je veux le meilleur pour eux !
Hermione pleurait à nouveau.
-À quel moment vous ai-je donné l'impression que l'avenir de vos enfants me laissait indifférent ? Ou que je ne prenais pas leur sécurité au sérieux ?
Elle se leva subitement et, les larmes aux yeux, le prit dans ses bras. Harry en perdit tous ses mots. Maladroitement, il lui tapota le dos. Son étreinte chaude, son corps mou contre lui, ses cheveux ébouriffés sur son visage, ses larmes dans son cou, ses mains moites dans son dos. Il détesta immédiatement tout cela, mais il ne parvint pas à la repousser sans paraître impoli.
-Hermione, intervint Ron en venant à sa rescousse. Laisse-le respirer.
Elle se recula en reniflant. Ron et Harry échangèrent un regard gêné. Ils restèrent silencieux pendant quelques minutes, pendant qu'Hermione essayait tant bien que mal de reprendre contenance. Harry, appuyé contre le plan de travail de la cuisine, fixait le ciel par-delà la fenêtre. Le soir tombait sur les toits de Londres et la luminosité diminuait doucement. Il pleuvait toujours.
-Je sais que tu tiens à nos enfants, Harry, dit-elle finalement en reniflant. J'ai tellement peur qu'il leur arrive quelque chose.
La tension semblait retomber. Hermione se rassit et se mit à boire son thé. Ron, debout au milieu de la pièce, croisait les bras et fixait le sol d'un air sombre. Harry finit son thé et se resservit une part de gratin.
-On ne parle pas de déclencher une guerre, dit-il doucement en raclant les bords du plat. Il faut juste faire bouger les choses, réveiller les sorciers, leur rappeler qu'ils ne se sont pas battus pour ça. Je déteste cela, mais je suis Harry Potter. Même après toutes ces années, je peux encore avoir de l'influence, j'en suis sûr. Suffisamment en tout cas pour sortir les gens de leur torpeur et faire peur à Yaxley.
-Tout le monde te vénère, Harry, sourit Hermione d'un air triste. Tu es une légende vivante.
-Vivante, ça reste à voir, rétorqua Ron. Tout le monde le pense mort.
Harry sentait une sensation étrange monter en lui. C'était un mélange d'excitation et d'appréhension qu'il n'avait pas connu depuis longtemps. Il se sentait à la fois fébrile et calme, comme lorsqu'on venait de prendre une décision qu'on savait primordiale, mais qu'on en ignorait encore les conséquences. Il avait l'impression qu'une décision venait d'être prise, à l'instant, par tous les trois, mais qu'ils en ignoraient encore la teneur exacte.
Il échangea un regard avec Ron. Son regard bleu était sombre et inquiet, mais Harry perçut une étincelle derrière, quelque chose qu'il eut du mal à reconnaître mais qui ressemblait à de la détermination. Ils échangèrent un léger sourire. C'était un sourire du passé, celui qu'ils avaient lorsqu'ils s'apprêtaient à faire quelque chose d'interdit ou de dangereux. Un sourire qui les réunissait et qui n'annonçait pas forcément quelque chose de bon.
-Eh bien il est plus que temps de montrer au monde des sorciers, mais surtout à Yaxley et ses acolytes, qu'Harry Potter est encore là.
Cela n'allait pas plaire à Draco. Pas du tout. Mais Harry, à cet instant, s'en fichait. Tout ce qui comptait, c'était de faire tomber Yaxley de son piédestal. Et il espérait une chute rapide mais douloureuse. Mais, surtout, outre son désir de vengeance, il voulait aussi protéger Ron et Hermione. S'il devait quitter à nouveau l'Angleterre dans les mois ou les années à venir, il voulait être sûr de le faire l'esprit tranquille.
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Est-ce que ce chapitre vous a plu ? Que pensez-vous qu'Harry va faire dans les prochains jours ? Et comment pensez-vous que Draco va réagir à cette décision ?
Je ne pense pas qu'il y aura nécessairement beaucoup d'action dans les chapitres à venir. Je me dirige plus vers des jeux de pouvoir et d'influence. Harry a gagné en assurance ces dernières années, et il a appris, au contact de Draco, à "jouer". Et je pense qu'il a très envie de jouer avec Yaxley ;)
À bientôt pour le prochain chapitre !
Natom, 04/04/25
