Je profite d'un moment de calme à la bibliothèque de l'école. Elle n'est pas très grande, mais elle regorge d'ouvrages en tout genre. Bien sûr, ceux que je préfère sont ceux qui traitent des légendes Quileutes, mon peuple. C'est là que j'ai trouvé l'inspiration pour mon livre.

Les légendes racontent comment les soldats de ma tribu, les Guerriers-Esprit, naviguaient entre deux mondes hors de leurs corps pour protéger notre peuple en manipulant les éléments et la nature. Ces guerriers disparurent pour laisser place aux Guerriers-Loups. L'une des histoires les plus marquantes est celle de Taha Aki, chef de tribu et premier Guerrier-Loup.

Selon cette légende, l'esprit de Taha Aki cohabitait avec celui d'un loup après avoir été trahi par Utlapa, qui avait volé son corps pour devenir chef à sa place. Sous forme de loup, Taha Aki tenta de prévenir les siens, mais seul Yut, un sage du village, comprit la vérité en contournant l'interdiction d'Utlapa et en se rendant dans l'entre-deux mondes. Yut fut tué pour sa découverte, et cet événement marqua un tournant pour les Quileutes.

Dans sa rage, Taha Aki reprit forme humaine. Ce n'était plus son corps habituel, mais un corps reflétant son esprit : beau et puissant. Reconnu par ses hommes, il tua Utlapa et interdit définitivement les voyages spirituels, mettant fin à l'existence des Guerriers-Esprits. Les Guerriers-Loups, tous descendants de Taha Aki, devinrent les protecteurs de la tribu, héritant de ses dons et ayant une connexion entre eux sous forme lupine.

Mais ce n'est pas tout. Des années plus tard, la tribu dut affronter des créatures terrifiantes appelées Sang-Froids, capables de décimer les Guerriers-Loups. Une tragédie frappa la tribu lorsqu'un Sang-Froid attaqua le village. La troisième épouse de Taha Aki se sacrifia pour détourner l'attention de la créature, permettant à Taha Aki et à leurs fils de la vaincre. Taha Aki, consumé par le chagrin, quitta le village pour mourir seul dans la forêt.

Cette partie de l'histoire, le sacrifice de la troisième épouse, est celle qui m'intéresse le plus car elle me touche profondément d'une manière inexplicable. Elle était l'âme sœur de Taha Aki, celle pour qui il avait renoncé à son immortalité. Moi qui suis fleur bleue, j'adore cette histoire.

Même si, dans ma saga littéraire, je défends l'idée qu'une âme sœur peut choisir d'accepter ou non son destin.

Avant de devenir une saga à succès, mon histoire était publiée sur un blog, inspirée des légendes Quileutes, un peu comme une fanfiction. J'avais quelques lecteurs, mais tout a changé quand une célèbre maison d'édition m'a proposé de retravailler mon récit pour le publier à l'international. J'ai hésité, mais mon éditrice m'a garanti un respect total de mon identité. Désormais, j'écris anonymement, et cet anonymat a décuplé les ventes. Les théories sur l'identité de "H. Wolf" fusent sur internet.

Je referme l'ouvrage et je le remets à sa place sur l'étagère. Une idée pour mon prochain roman germe dans mon esprit. Je quitte la bibliothèque pour mon cours d'anglais. J'adore ma professeure, Madame Dyers. C'est grâce à elle que j'ai osé publier. Elle trouve toujours des sujets qui nous parlent, ce qui motive tout le monde.

— Haven ? Tu viendras me voir après le cours ?

J'acquiesce et retourne à ma dissertation, concentrée.

Après le cours, je rejoins son bureau et attends que les autres élèves partent. Nous discutons de mon nouveau roman et de sa sortie prochaine. Elle est ma correctrice depuis le début. Je lui ai demandé de m'épauler dès l'instant où j'ai été contacté par ma maison d'édition. Je lui explique brièvement qu'il reste un mois aux éditeurs pour tout finaliser. Je lui confie aussi mes idées pour de futurs projets, toujours inspirés des légendes Quileutes.

— En parlant de ça, tu as des nouvelles des garçons ? me demande-t-elle.

— Euh, non… Pourquoi ?, demandé-je, un peu perturbée par l'association des deux idées.

— Comme ça, vu que tu es proche d'eux, peut-être que tu savais quelque chose…

— Eh non, ils ne me disent rien.

Je profite de ce moment pour lui confier mon mal-être. Ces derniers temps, les garçons disparaissent sans prévenir, parfois pendant plusieurs jours. Ça m'angoisse. Ils reviennent épuisés, dormant souvent en classe. Madame Dyers promet d'en parler à qui de droit. Qu'est-ce que ça veut dire? Au directeur? À leurs parents?

— Je ne veux pas qu'ils aient des ennuis à cause de moi. Oubliez ce que j'ai dit.

— Très bien, répond-elle.

Je quitte la classe et file au self. Jill m'y attend et me harcèle aussitôt de questions indiscrètes : lequel des garçons j'aime en secret ? Qui ai-je choisi parmi tous mes prétendants ? Je ris et me prête au jeu.

— C'est évidemment Embry que j'aime en secret, mais chut ! dis-je en plaisantant, sachant qu'il n'est pas loin.

— Je le savais ! répond-il derrière moi en riant. Moi aussi je t'aime en secret, mais chut.

— Motus et bouche cousue ! Allez, viens t'asseoir.

Nous sommes rejoints par une partie de la bande, dont Paul. Jill reste silencieuse. Je tente de la mettre à l'aise, mais elle finit par partir. Je décide de la suivre et la retrouve assise dans le couloir, au pied de son casier.

— Qu'est-ce qui ne va pas ?

Elle reste silencieuse. Je n'insiste pas, je la connais. Je m'installe à côté et attend qu'elle me parle.

— Je ne comprends pas ce que tu fais avec eux, lâche-t-elle soudain. Paul ! Haven, il était à table avec nous.

— Tu sais, il ne reste pas souvent, répondis-je en haussant les épaules.

— T'en serais pas amoureuse par hasard ?

— Tu te fiches de moi ?

On rit ensemble. Je lui confie que Paul sort avec la sœur de Jacob, ce qui ne plaît pas à ce dernier. La cloche sonne, et nous retournons en classe.

Je me retrouve à côté d'Embry. Je ne peux m'empêcher de lui demander où ils étaient ces derniers jours. Il élude, mais j'insiste, avouant que je me fais du souci pour eux.

— Seth voulait te prévenir, mais on n'a pas voulu, dit-il.

— À croire que c'est le seul qui pense à moi.

Au loin, Jacob fronce les sourcils. Je soupire, décidée à arrêter de me faire des idées. Je continue d'interroger Embry, oubliant le cours. Nous finissons par nous faire disputer et récoltons une colle : nettoyage des salles de classe.

Je m'en veux terriblement et propose à Embry de tout prendre sur moi. Il refuse avec le sourire. Je ne sais plus quoi penser. Un coup il est sec, et la seconde d'après adorable. Bon, c'est vrai, j'ai été lourde avec mes questions…

Après les cours, nous nous rendons à la salle de dessin. C'est la pire sanction possible : enlever les traces de peinture incrustées. Malgré la punition, je passe un bon moment avec Embry. C'est presque amusant, bien plus que si ça avait été avec Paul !

De retour chez moi, je monte me coucher, épuisée. Ma mère me réveille pour le dîner, mais je ne traîne pas. De retour sur mon lit, je vois Mike, mon neveu, à l'embrasure de la porte.

— Tata ?

— Oui, mon coeur ?

— C'est toujours moi ton amoureux ?

— Bien sûr, mon chat. Tu veux dormir avec moi ce soir ?

— Je vais chercher mes doudous !

Il revient avec ses peluches et grimpe dans mon lit. Je préviens ma sœur qu'il est avec moi.

— Qu'il en profite, le déménagement est pour bientôt !

— Tu as trouvé une maison ?

Je la prends dans mes bras, vraiment ravie pour elle.

— C'est grâce à toi ! Si tu ne m'avais pas prêté cet argent…

— C'est normal, tu es ma sœur, la réprimandé-je gentiment.

Elle me remercie encore. Je retourne auprès de Mike, le borde et lui raconte une histoire avant d'éteindre la lumière. Je finis par m'endormir, apaisée par sa petite main dans la mienne.

/

— Ça te dit de venir au ciné avec nous ce soir ? me propose soudain Quil.

Je hoche la tête en guise d'accord, mais je m'assure que le film ne fasse pas peur. Je connais les garçons et leur amour pour les films d'horreur. Finalement, on opte pour le nouveau film de super-héros à la mode. Seth nous rejoint rapidement, lui aussi cible des taquineries des plus grands.

Je les observe se chamailler. Jamais je n'aurais imaginé être aussi proche d'eux un jour. Ils sont devenus mes meilleurs amis, les meilleurs que j'aie jamais eus. Jill reste ma meilleure amie, bien sûr, mais avec les garçons, c'est différent : je suis une sœur pour eux, plus qu'une simple amie.

On se donne rendez-vous à dix-neuf heures quarante-cinq pour la séance de vingt heures. Mon père me dépose à l'entrée du cinéma, et je m'installe sur une banquette en attendant les garçons.

Je jette un coup d'œil à ma montre et remarque qu'il est moins cinq. Le film va bientôt commencer. Mais où sont-ils ? Je me lève pour vérifier dehors, pensant qu'ils sont peut-être en train de se garer.

Alors que je pousse doucement la porte, quelqu'un la tire avec force de l'autre côté. Je me retrouve face à Paul.

— Paul ? Qu'est-ce que tu fiches ici ? je demande, cherchant mes amis du regard.

— Tu peux toujours chercher, ils ne sont pas avec moi. Ils ne peuvent pas venir, alors je suis envoyé à leur place.

— Pardon ? je m'étrangle. Je vais les tuer ! Si j'avais su que…

— T'aurais rien su du tout, m'interrompt-il. Ils devaient venir, ils ne peuvent pas, alors je suis là. La film de super-héros, c'est ça ? Allez, microbe, on y va.

Je reste sans voix. Ils m'ont posé un lapin ? Et envoyé Paul Lahote en guise de remplaçant ? Ils sont morts ! Je vais les étriper. Paul attrape mon poignet et m'entraîne à sa suite. Furieuse, je le suis en silence, rouge de colère.

Au guichet, le vendeur prépare deux tickets d'entrée. Je cherche mon porte-monnaie dans mon sac, mais Paul pose déjà un billet sur le comptoir. Le vendeur prend l'argent et rend la monnaie. Alors que je compte encore mes pièces, Paul m'interrompt.

— On y va.

Je lève les yeux et vois qu'il tient les deux tickets.

— Ce n'était pas à toi de payer mon entrée ! je proteste.

— Écoute, microbe, si t'es pas contente, je te laisse profiter de ta séance toute seule. Je me fais rembourser et je me casse, compris ?

Je rougis et acquiesce. Je sais qu'il est sérieux, et j'ai besoin de lui pour rentrer. Je referme mon porte-monnaie et je le suis dans la salle obscure.

À la fin du film, on sort pour rejoindre l'entrée du bâtiment. Paul s'excuse et va aux toilettes. Je patiente sur la banquette où j'attendais plus tôt.

— Bah alors, Feuille-Verte, t'es encore là ? se moque un garçon plus loin.

Je ne réponds rien. J'ai l'habitude de ce genre de remarques. Être native, c'est tomber sur des gens sympas et bienveillants, mais aussi sur des ignorants et des enfoirés. J'ignore le groupe qui rit.

— Nuage-Dansant t'a posé un lapin ? lance un autre en ricanant de plus belle.

Je me tasse sur mon siège. Paul revient, un essuie-tout à la main. Il jette le papier à la poubelle et s'approche de moi.

— Allez, Feuille-Verte, on rentre à la maison, me dit-il en me tendant la main, son regard défiant quiconque de se moquer encore.

Je saisis sa main et me lève. On quitte le cinéma main dans la main, sous les regards hébétés des garçons.

Dehors, je remercie Paul qui reste silencieux. Nous marchons jusqu'au parking, nos doigts toujours entrelacés. Enfin, on se sépare pour monter dans la voiture. Une fois attachée, Paul démarre et roule vers La Push.

Quand il me dépose devant chez moi, je le remercie encore. Il grogne quelques mots gentils tandis que je referme la portière.

— Je rêve ou c'était Paul avec toi dans la voiture ? demande Daphnée en me voyant entrer.

— Non, tu ne rêves pas. On m'a posé un lapin, il a été envoyé à leur place et on a passé une bonne soirée. Bonne nuit !

Je file dans ma chambre pour éviter l'interrogatoire. Après tout, c'est vrai : j'ai passé une bonne soirée. Paul peut être gentil et prévenant quand il veut. Sur cette pensée, je m'endors.

Point de vue Paul

Je roule jusqu'à la maison des Black, pressé d'y retrouver Rachel, l'amour de ma vie. En entrant, je prends l'escalier étroit qui mène aux combles. Elle est là, assise devant sa coiffeuse, à se démêler les cheveux avec un air un peu perdu.

Quand elle m'entend arriver, elle se tourne vers moi et, en quelques pas, je franchis les derniers mètres qui nous séparent. Je dépose un baiser tendre sur son front avant d'aller m'installer sur le lit, me laissant tomber d'un air lassé et fatigué.

— Alors, ta soirée ciné ? demande-t-elle avec douceur.

— Je vais tuer ton frère et ses abrutis de potes pour ça, grogné-je. Mais c'était sympa, j'aime bien les films de superhéros, ajouté-je en soupirant.

— Et ? insiste-t-elle en souriant.

— Oh non, non, non ! Tu ne me feras pas dire ça, je la préviens avec un air faussement sévère.

— Et tu l'aimes bien ! dit-elle à ma place, visiblement amusée par ma réaction.. Allez, Paul, vous n'êtes plus des gamins, mais tu te comportes tout comme ! Raconte-moi comment ça s'est passé, veux-tu ?

Je souffle bruyamment, mais Rachel se glisse près de moi, s'installant confortablement sur le lit. Ses yeux cherchent les miens et je me perds un instant dans son regard. Elle attend. Nous savons tous les deux que je ne peux pas lui résister alors je cède.

— J'étais énervé que ton frère, Quil et Embry soient appelés en renfort par Jared et je te déteste m'avoir envoyé là-bas à leur place, ok ? grogné-je en me redressant légèrement, encore agacé rien qu'à l'idée. Bref, je suis arrivée là-bas, elle était aussi ravie de me voir que moi de la voir.

Je lâche un petit rire amer avant de poursuivre :

— J'ai payé sa place parce qu'elle est empotée.

Je roule les yeux en repensant à ce moment. Je croise les bras sur ma poitrine et laisse ma tête retomber contre la tête de lit.

— On a vu le film, c'était plutôt cool, précisé-je, tout de même. Après je suis allé pisser, et quand je suis revenu, elle se faisait ridiculiser par des petits cons de Forks !

Je lâche un grognement agacé et je me passe une main sur la nuque avant de poursuivre :

— Bref, j'ai sauvé la demoiselle en détresse et je l'ai ramenée chez elle. Fin de l'histoire. Maintenant, je vais dormir. Bonne nuit, conclus-je d'une voix sèche, espérant clore cette discussion.

Je me glisse sous les couvertures et je tourne le dos à Rachel. Elle sourit, derrière moi. Je le sais. Je sens son regard sur moi comme deux rayons lasers cherchant à me sonder. Puis, elle finit par se glisser sous les draps, remonte la couverture sur nos épaules et éteint la lumière, probablement convaincue que je dors.

Mais je ne dors pas. J'en suis incapable.

Je ne fais que fixer ma main. Cette même main qui, plus tôt dans la soirée, tenait celle de Haven. Mes doigts étaient entremêlés aux siens et mon cœur battait bien trop vite.

C'est complètement idiot. Ridicule, même.

Pourtant, je ne peux m'empêcher d'être troublé.