Chapitre 1 : Je crois que j'aurai toujours peur.
ND'A : Et je rajoute comme pairing le Lancel/Amerei Frey (parce que tout comme Marina, je veux que Lancel soit heureux, et avec quelqu'un de moins de toxique que Cersei), personnage n'apparaissant que dans les romans, je me baserai donc sur ce que j'ai lu d'elle chez Marina et sur le wiki, vu que je n'ai pas encore lu les livres. La manière dont elle va apparaître ne sera sûrement pas comme dans le livre, mais à nouveau, je n'ai pas lu les livres.
Winterfell.
Quelques semaines avant la mort de Jon Arryn.
La première pensée qui surgit dans l'esprit de Théon Greyjoy quand il reprit conscience, dans la cour du château de Winterfell, fut qu'il ne ressentait absolument aucune douleur, et que c'était extrêmement inhabituel.
La deuxième lui fit se demander où diable avaient bien pu passer les Marcheurs Blancs.
Quant à la troisième, c'était tout simplement : qu'est-ce que je fais avec un arc dans les mains ?
Les flèches n'étaient pas très utiles pour lutter contre les Marcheurs Blancs, puisqu'il n'existait pas de flèches fabriquées en verredragon ou en acier valyrien, et puis, avec les bouts de doigts qui lui manquaient, il n'était plus aussi performant qu'avant dans le maniement de cette arme.
Cela n'avait donc absolument aucun sens qu'il ait entre ses mains un arc, et des flèches...
A moins que...
Regardant autour de lui, il comprit enfin où il se trouvait.
Non pas proche du Mur qui avait chuté peu de temps auparavant, ni même en train de combattre contre les Marcheurs Blancs, non.
Il était à Winterfell.
Le Winterfell d'avant, celui d'avant sa trahison, resplendissant comme autrefois, comme si rien ne s'y était passé de mal, il était de nouveau celui qu'il était avant d'être brûlé, avant que les Bolton n'en prennent possession et ne mettent leur bannière partout aux alentours.
Comment ?
Comment pouvait-il être là ?
Était-il mort ?
Ça en avait tout l'air, en tout cas.
Laissant son regard tomber sur ses mains, ses yeux s'écarquillèrent alors de surprise, et ce fut presque comme si ses yeux voyaient ses doigts pour la première fois. Et pour cause, ceux-ci étaient de nouveau intacts, en fait il semblait à première vue que tout était redevenu comme avant en lui.
Il était mort alors, de toute évidence.
En un sens, cela valait mieux (et apparemment, son corps avait été brûlé après sa mort. Tant mieux, ça lui aurait déplu de devoir revenir à la vie en tant que Marcheur Blanc), c'était tout ce qu'il méritait, après tout.
Après tout ce qu'il avait fait à Robb, après sa trahison envers les Stark, après leur avoir tourné le dos, à tous, après les avoir abandonnés, eux qui étaient sa seule famille, avec Yara, bien sûr.
(Il se demanda où elle pouvait bien être désormais, si elle était toujours en vie ou non, et il lui demanda pardon d'avoir été aussi lâche, il lui demanda de lui pardonner de ne pas avoir pu la sauver des griffes de leur oncle.
Quel pitoyable frère il faisait.)
Son cœur se serra, tandis que la culpabilité l'envahissait à nouveau, plus forte que jamais.
Oh oui, il méritait bien son sort, se dit-il, toujours autant persuadé qu'il ne pouvait qu'être que mort (il se rappela brièvement des paroles qu'il avait entendues avant de finalement disparaître, avant de secouer la tête. Non, cela ne pouvait pas être possible.), mais la raison pour laquelle les dieux avaient choisi de l'envoyer à Winterfell plutôt qu'ailleurs après sa mort lui échappait encore.
Pour le torturer encore plus et le faire payer pour ses crimes ?
Ou bien au contraire, était-ce en signe de miséricorde ?
Malgré la douleur qu'il ressentait en se souvenant de ce qu'il avait commis d'affreux dans sa vie passée, il se permit néanmoins d'avoir une pensée qui lui réchauffa le cœur.
Je suis rentré à la maison.
§§§§
Toujours perdu dans ses pensées, Théon ne fit pas attention au fait que cela devait sûrement faire au moins cinq minutes qu'il était planté là où il était avec son arc sans rien faire, ce qui n'était en aucun cas un comportement normal.
Mais à vrai dire, il s'en fichait.
Perdu entre la peur, la culpabilité et l'émerveillement d'être revenu chez lui, figé par la stupeur, l'arc encore entre les mains, alors qu'il aurait dû, selon toute vraisemblance, partir s'entraîner avec les fils Stark (et Arya, qui était l'exception de la famille, puisqu'elle ne faisait en aucun cas ce à quoi on l'avait destinée), il n'entendit pas deux personnes non loin de lui parler ensemble et rire également.
Enfin, jusqu'à ce qu'une voix forte ne finisse par s'exclamer :
« Hé bien, Théon, tu rêves ? »
Le Fer-né tourna la tête, et blêmit instantanément, comme s'il venait de voir un fantôme, ce qui, de son point de vue, était entièrement le cas.
Parce que devant lui se trouvait Robb Stark.
En vie.
Lui souriant, semblant amusé.
Et c'est à cet instant précis, le voyant si joyeux et jovial à son égard (et en voyant que Jon était à côté de lui, alors que celui-ci était censé être encore vivant, enfin, aux dernières nouvelles du moins) que Théon comprit véritablement qu'il ne pouvait pas être mort.
Parce que, si cela avait été le cas, Robb ne l'aurait pas regardé ainsi, et il ne lui aurait pas parlé de cette manière.
Même en admettant qu'il lui ait pardonné après sa mort, il y aurait eu dans son regard tout au moins un reste de rancœur, de haine, de colère, chose bien compréhensible pour Théon.
Sauf qu'il n'en était rien.
Robb lui souriait, aussi improbable que cela puisse sembler, et Théon sentit son cœur battre fort dans sa poitrine en comprenant peu à peu qu'il avait eu tort.
Il était encore en vie, et à Winterfell, et Robb était là, vivant, et Théon ne s'était pas senti aussi heureux depuis bien des années.
Et soudain, les paroles de Mélisandre (la prêtresse du Maître de la Lumière, qu'on appelait la femme rouge, s'il se souvenait bien de ce que Jon lui avait dit, quand ils en avaient parlé, avant le début de la bataille contre les Marcheurs Blancs) lui revinrent en mémoire, en partie du moins.
Je vais vous renvoyer dans le passé.
Vous n'avez pas à avoir peur.
Vous allez rentrer chez vous, et vous allez être sains et sauf.
Il se figea de plus belle sur place, interdit et stupéfait, ne se rendant pas compte que son silence commençait à inquiéter Robb, qui posait à cet instant même un regard soucieux sur lui.
Les pièces du puzzle s'assemblèrent alors rapidement dans sa tête, et il comprit.
Il avait remonté le temps !
Et apparemment il n'était pas le seul, d'après ce qu'il avait entendu avant de revenir ici, il pensa brièvement à Bran, à Tyrion Lannister, à Brienne de Tarth (celle qui avait ramené Sansa en lieu sûr, s'il se souvenait bien), et un profond soulagement s'empara de lui, alors qu'il réalisait que Yara elle aussi était revenue.
Elle était sur les îles de Fer, et elle allait bien.
Et elle se souvenait de lui, ce qui signifiait qu'il n'était pas seul.
Laissant échapper un soupir de soulagement, il réalisa alors qu'il avait sans même s'en rendre compte retenu sa respiration, tellement il était envahi par la peur et l'incompréhension.
Mais maintenant, il commençait à réaliser qu'il avait la possibilité de changer les choses.
« Théon... Est-ce que tout va bien ? Finit par lui demander Robb avec une véritable inquiétude dans la voix. »
Reprenant finalement ses esprits, Théon cligna des yeux à plusieurs reprises, avant d'essayer de sourire sans grand succès, puisque ce sourire ressemblait plus à une grimace qu'autre chose.
Cela bien longtemps qu'il n'avait pas eu une occasion de sourire avec sincérité, pour dire la vérité, cela faisait également très longtemps qu'il ne savait plus feindre aisément un sourire naturel.
Tu es vivant.
Et tu vas bien, je ne t'ai pas encore trahi, et je ne le ferai jamais, je te le jure, je ne suis pas encore devenu un monstre, et Robb, je suis tellement désolé pour ce que je t'ai fait, même si je ne l'ai pas encore fait, je t'en pris, pardonne-moi.
Bien sûr que je vais bien, parce que tu vas bien.
Mais d'un autre côté...
Non Robb, je ne vais pas bien, je t'ai trahi, je t'ai vendu, j'ai détruit ta maison, ton foyer, mon foyer, j'ai laissé tombé ma vraie famille, je ne suis plus rien, Ramsay Bolton m'a détruit, brisé, m'a violé, m'a mutilé, a tué le Théon Greyjoy que j'étais autrefois, sauve-moi, je t'en supplie.
Il força une nouvelle fois ses lèvres à se tordre en un autre sourire, et cette fois-ci, d'une manière qui était, par chance, un peu plus convaincante.
« Oui Robb, bien sûr (et prononcer son nom faisait beaucoup moins mal qu'avant, réalisa-t-il alors), je vais bien, pourquoi ?
- Hé bien, tu ne répondais pas, et... Et on s'inquiétait pour toi. »
Tu devrais plutôt dire « je » dans ce cas-là, parce que je doute que le bâtard en ait quoi que ce soit à foutre de moi, et d'ailleurs, le sentiment est réciproque, pensa-t-il, faillit-il dire, retrouvant pendant quelques secondes ses anciens réflexes d'autrefois, avant de se mordre la langue jusqu'au sang afin de s'empêcher de prononcer quelque chose d'à la fois aussi méchant et stupide.
Espèce de crétin. Non mais pour qui tu te prends ? Pensa-t-il, écœuré en se retrouvant face à son ancien comportement déplorable.
Pas étonnant que Jon ne l'ai jamais apprécié, avec une attitude pareille...
Il força un autre sourire, qui était moins douloureux et moins faux cette fois-ci.
Et Théon réalisa alors très rapidement qu'il ne pouvait juste pas en parler, ou évoquer ce qu'il avait vécu/allait vivre s'il ne faisait rien, sinon on le prendrait pour un fou, et surtout, il ne devait pas y penser.
Pas maintenant.
Pas tout de suite.
Sinon il allait s'effondrer.
Il se sentait terriblement fatigué.
Pas physiquement, non, puisque son corps de jeune homme d'à peine vingt ans était parfaitement reposé et éveillé, c'était plutôt une fatigue morale, et une fatigue résiduelle, qui venait de celle qu'il éprouvait encore dans son corps quand il se trouvait... hé bien, dans le futur, tout simplement.
Il avait besoin de se reposer, tout de suite.
Voyant Ser Rodrick Cassel passer près d'eux trois, les saluant rapidement avec respect, Théon ne put s'empêcher, non seulement de se sentir encore plus mal, mais également de sentir un terrible poids le quitter, alors qu'il voyait le maître d'arme en vie, et en bonne santé.
Il savait qu'il n'oublierait jamais la vision d'horreur de la tête détachée de son corps du chevalier, pas plus qu'il n'oublierait non plus les hurlements de désespoir et les suppliques de Bran et de Rickon.
Oh, dieux, est-ce que Bran accepterait un jour de le pardonner ?
Au moins, se consola-t-il, cette vision allait être remplacée par celle, beaucoup plus réjouissante, du chevalier bien vivant et bien portant, même si Théon sentait encore la poigne de la culpabilité qui l'enserrait entre ses griffes.
Méritait-il réellement une secondes chance ?
Il en doutait.
Le jeune homme regarda de nouveau son ami, et sourit une troisième fois, et il lui offrit cette fois-ci un réel sourire, avant de déclarer :
« Je vais bien Robb, vraiment.
Il avait envie de le serrer dans ses bras, pour s'assurer qu'il était bien réel, bien vivant (ne pas penser au sourire de Ramsay quand celui-ci lui avait annoncé la mort du roi du Nord, ne pas penser à la tête de Robb détachée elle aussi de son corps, ne pas penser à la tête du loup Vent Gris accrochée au corps mort de son ami, non, il ne fallait pas qu'il y pense), mais il se retint.
- Je suis juste, un peu malade, c'est tout. Je pense que... je ne me sens pas très bien, et je vais... aller me recoucher. »
Effectivement, remarqua Robb très rapidement, tout comme Jon le fit également, Théon était pâle comme la mort, et semblait être plongé dans un état quasi-catatonique. Le noble se sentit incroyablement rassuré quand il comprit que ce n'était que cela.
S'il se reposait assez longtemps, une journée ou deux, il irait mieux, évidemment.
« Veux-tu que je fasse chercher Mestre Luwin ?
Il en avait quelque chose à faire de lui, comprit Théon, un peu comme si il le réalisait pour la première fois, il tenait à lui.
Oh, par le Dieu Noyé, par les Dieux anciens et les nouveaux, et par les sept enfers, comment avait-il pu être aussi bête pour oser trahir Robb ?
- Ça ira Robb, merci. »
Se dirigeant vers sa chambre, Théon se fit la réflexion qu'il allait devoir faire des excuses à Jon, pour se faire pardonner de tout ce qu'il avait pu lui faire/dire ces dernières années.
S'effondrant sur son lit, épuisé, il se mit à pleurer de soulagement.
Il n'avait pas encore tout perdu.
§§§§
Bran se trouvait encore dans son lit quand il se réveilla à Winterfell.
Il était environ dix heures du matin, heure à laquelle Théon lui aussi était revenu à Winterfell, et le jeune garçon comprit immédiatement ce qu'il s'était passé, et la première chose qu'il remarqua fut que, contrairement à son habitude, il n'était toujours pas levé malgré l'heure relativement tardive.
Pendant une brève et terrifiante minute, il crut que la raison en était qu'il n'était pas remonté assez loin dans le passé, et que donc, il était déjà tombé, et qu'il ne pouvait de ce fait plus du tout bouger.
Ne plus marcher.
Mais cette inquiétude fut rapidement contrebalancée par autre chose quelques secondes plus tard, quand il finit par constater que ses jambes bougeaient à nouveau, et que donc il n'était pas encore tombé, en fait, dans cette version-là de l'histoire, ses jambes n'avaient en réalité jamais été blessées.
Il réalisa alors avec émerveillement qu'il pourrait marcher, pour de vrai, de nouveau et pas seulement dans ses visions.
Bran se mit à sourire.
Il penserait au monde qu'il avait à sauver plus tard.
Pour l'instant, il savourait juste le fait qu'il pouvait redevenir un petit garçon normal pendant quelques heures, et n'être rien de plus que cela.
Il n'était plus la corneille à trois yeux, puisque celui qu'il avait remplacé était encore vivant dans ce temps-là, même si cela ne l'empêchait pas de se souvenir de ce qu'il avait vu.
Il y penserait plus tard.
Il avait droit à un peu de temps pour lui-même, non ?
Le jeune garçon finit par sursauter, en sentant la porte s'ouvrir en grand, et ses yeux s'ouvrirent grands eux aussi, alors qu'il voyait devant lui Vieille Nan, souriante, mais surtout vivante.
Il se fit rapidement la réflexion que, si c'était sa mère qui était entrée, il aurait sûrement fondu en larmes, écrasé par le soulagement.
Malgré tout, il lui fallut tout son self-control pour ne pas se mettre à pleurer en voyant que la vieille femme allait bien (comme Hodor d'ailleurs. Et tout les autres, ceux qu'il avait perdu, et qu'il se refusait de perdre une nouvelle fois), et il se sentit soudainement terriblement léger.
« Bonjour petit seigneur. »
Petit seigneur.
C'était comme cela qu'Osha l'appelait, autrefois, avant de se faire trancher la gorge par Ramsay Bolton.
(Ça aussi il l'avait vu.
Ça aussi il s'en souvenait.
Et il se dit cyniquement qu'il risquait lui aussi d'avoir à commencer une liste comme celle d'Arya, et que ce type risquait d'y figurer en première page, comme Joffrey Baratheon et Walder Frey.
Ceux qui s'en étaient pris ou s'en prendraient à sa famille allaient payer.
Il se jura également de tout faire pour que sa grande sœur n'ait jamais à avoir une liste de ce genre une nouvelle fois, parce qu'Arya méritait de rester une petite fille encore pendant un moment.
Lui, cela faisait bien longtemps qu'il n'était plus un petit garçon, de toute façon.
Pas après tout ce qu'il avait vécu et vu.)
Mais elle n'était pas Osha, et celle-ci était loin, et ne savait pas qui il était, et elle ne se souvenait même pas de lui.
Bran se demanda si il aurait la chance de la revoir, un jour, avant de se dire qu'il valait peut-être mieux pour elle que cela n'arrive jamais.
« Il est temps de se lever, continua-t-elle gaiement, votre mère vous a laissé dormir le plus longtemps possible, parce que vous avez veillé tard hier soir, mais maintenant, il est l'heure de sortir du lit. »
Sa mère.
Oui, sa mère était vivante, tout comme son père, tout comme Robb, et Rickon.
(Il voit encore la flèche qui le transperce de part en part, alors qu'il court pour sa vie, vers Jon, avec le maigre espoir de réussir à survivre, et puis Ramsay qui sourit, et le petit garçon se jura qu'il aurait sa tête, un jour. Que ce soit lui ou Théon qui le fasse, peu importe, mais Ramsay Bolton payerait un jour pour ses crimes.)
Et Arya était toujours une enfant, et Sansa était toujours naïve et innocente, comme avant, peut-être trop, mais au moins, elle n'était pas brisée.
Sa famille était saine et sauve, et entière, et malgré sa joie et son soulagement, Bran ne pouvait s'empêcher de ressentir de la peur, celle d'échouer à les sauver.
Celle de les perdre encore.
Seules les couvertures qui se trouvaient encore sur le petit garçon empêchèrent Vieille Nan de se rendre compte d'à quel point ses mains tremblaient.
§§§§
En passant non loin d'un des murs du château, après avoir petit-déjeuné seul, Bran frissonna sans même pouvoir s'en empêcher.
Il se rappelait être tombé, il se souvenait de ce que Jaime Lannister lui avait fait, pourquoi il l'avait fait, et il se sentit trembler une nouvelle fois, avant de se décider à prendre le taureau par les cornes, et il commença une nouvelle fois l'ascension de ces murs qu'il connaissait par cœur, tant chaque creux, chaque prise, chaque aspérité qui s'y trouvaient lui étaient familiers.
Prenant une profonde inspiration, il prit son courage à deux mains, et continua de grimper de plus belle, de plus en plus haut.
Et pourtant, rien n'y faisait.
Non pas qu'il ait peur du vide, il n'avait jamais eu ce problème, et sa chute n'y avait absolument rien changé, mais il sentait que ce n'était pas comme d'habitude, il ne ressentait pas comme autrefois cette grande joie au cœur, cette force, cette ivresse qui le prenait toujours avant quand il montait aux arbres, ou sur les toits, ou qu'il grimpait le long des murs.
C'était justement ça le problème : tout cela s'était passé avant la chute, avant la destruction ou la séparation de sa famille entière, avant qu'il ne devienne la corneille à trois yeux et devienne quelque chose d'autre que Bran Stark.
Il devait se rendre à l'évidence, même s'il avait remonté le temps, et qu'il était redevenu un petit garçon de dix ans insouciant en apparence, le fait est qu'il avait changé.
Plus rien ne serait jamais comme avant.
« Bran ? S'exclama une voix inquiète, une voix qu'il n'avait pas entendu depuis au moins cinq ou six ans. Une voix qui lui manquait tant. Oh, par les sept enfers, je t'ai déjà dit cent fois de ne pas grimper aussi haut. »
Bran se figea.
Cette voix...
Maman ?
Ses mains se remirent à trembler, encore, et c'était véritablement une chance qu'il soit si habitué à grimper, sinon, le choc aurait pu le faire tomber.
Une chance aussi qu'il ait déjà commencé à descendre d'où il était grimpé, sinon sa précipitation aurait également pu le faire chuter, tant il voulait avoir les pieds sur terre.
Et voir sa mère, surtout.
La revoir, enfin.
Cela faisait longtemps, si longtemps qu'il ne l'avait pas vue, depuis son départ de Winterfell pour Port-Réal.
La dernière vision qu'il avait de sa mère (si l'on exceptait bien sûr les évènements d'avant son accident), « grâce » à son don de zooman, datait des Noces Pourpres, et l'image la plus récente qu'il avait d'elle la montrait en sang, la gorge tranchée, mourante, non loin de cette pourriture de Walder Frey, et désespérée.
Voyant son fils aîné mourir sous ses yeux, sans pouvoir le sauver, mourant peu à peu elle aussi, en sachant qu'elle ne pourrait jamais rentrer à la maison ou revoir ses autres enfants.
Une boule d'angoisse prit place dans sa gorge face à ces souvenirs qui n'étaient pas les siens, et il se força à inspirer et expirer de façon régulière, afin de ne pas perdre le contrôle, et de ne pas paniquer inutilement.
Posant les pieds sur la terre ferme, savourant le fait de pouvoir avoir le contrôle de son corps, à nouveau, il prit une profonde inspiration.
Il se retourna, et son souffle s'accéléra, tandis que son cœur ratait un battement.
Elle était là.
Ce n'était pas un rêve, un mensonge ou une illusion.
Catelyn Stark, née Tully, sa mère, se trouvait là, devant ses yeux, et elle était en vie.
Sa mère était là, et elle souriait, bien que ce soit avec une légère désapprobation.
Elle se rapprocha de lui lentement, avant de soupirer avec découragement.
« Quand te décideras-tu donc à obéir ? »
Jamais Bran n'avait été si heureux de l'entendre le gronder, avec un mélange de fermeté et d'amusement malgré tout.
Oui, c'était bien elle.
Il y avait une différence notable entre le fait de le savoir théoriquement, et le voir pour de vrai.
Il sentit ses yeux s'embuer de larmes, et comprit très vite qu'il n'allait sans doute pas tarder à pleurer.
Oh, maman, tu m'as tellement manqué.
Mais il ne dit rien, parce qu'elle n'aurait pas compris.
C'est à cet instant précis qu'il réalisa réellement qu'il n'était définitivement plus la corneille à trois yeux.
Être la corneille, en plus de permettre de voir ce que les autres ne voyaient pas, lui avait permis de garder une distance émotionnelle vis-à-vis de ce qu'il voyait, de ce fait, que cela le concerne ou non, ce qu'il voyait le touchait moins.
Certes, il risquait d'y perdre une part de son humanité dans le processus, et c'est bien ce que Meera lui avait reproché, à raison, avant de partir de Winterfell.
Tu es mort dans cette caverne.
Et elle avait eu raison, le Bran Stark de Winterfell était mort ce jour-là, pour toujours, du moins le croyait-il, pour se protéger lui-même de ce qu'il voyait, pour se protéger de la souffrance occasionnée par tout cela.
Mais, au moins, cette distance lui permettait de ne pas devenir fou de douleur, et sans cela, il n'aurait pas pu réussir à supporter les visions, il n'aurait pas pu résister à tout cela.
Maintenant, il n'était plus la corneille, et il ressentait absolument tout de manière beaucoup plus forte qu'auparavant.
La tristesse, certes oui.
Mais aussi, et surtout dans ce cas présent, la joie.
Et désormais, son cœur se gonflait de bonheur, alors qu'il voyait sa mère devant lui, bien vivante.
Il n'était plus la corneille à trois yeux, non.
Il n'était plus qu'un petit garçon de dix ans, qui ne voulait qu'une chose : serrer sa mère dans ses bras, et l'empêcher à jamais de partir loin de lui.
Valar Morghulis.
Tout les hommes doivent mourir.
Certes, oui, il le savait, le comprenait, l'acceptait.
(« Petite ? Que répond-on à la déesse de la Mort ?
- Pas aujourd'hui. »)
Mais pas tout de suite.
Tout ce qu'il voulait, c'est qu'on lui laisse encore un peu de temps.
Il ne voulait pas perdre sa mère tout de suite, pas encore.
Bran regarda longuement sa mère, essayant de graver dans sa mémoire cette image si apaisée, et surtout si vivante de sa mère chérie.
Puis, à la grande surprise de Catelyn, il se rapprocha d'elle, et la serra dans ses bras, fort, pendant de longues minutes.
Il n'avait pas hésité une seule seconde.
Il était un Stark, certes, il devait être fort, c'est vrai, mais surtout, il était un petit garçon perdu qui venait tout juste de retrouver sa mère après l'avoir perdue pendant de longues années.
Sans bruit, il se mit à sangloter de joie, tandis que sa mère, ne comprenant pas tout, surprise de cette marque d'affection débordante, se contenta de le serrer dans ses bras, fort, elle aussi.
Puis, après quelques minutes de silence, durant lesquelles Bran se permit enfin de pleurer la perte de sa mère, et de se réjouir de l'avoir retrouvée, il se détacha d'elle, et il la regarda dans les yeux, les yeux rougis, le sourire aux lèvres, désormais apaisé.
« Je te le promets maman, je ne grimperai plus jamais. »
Ce n'était même pas un mensonge, et, le comprenant, sa mère lui sourit alors avec fierté.
La regardant encore, voulant garder en mémoire ce moment pour toujours, Bran se surprit à espérer que cet instant de grâce puisse remplacer celui d'horreur des Noces Propres, il se mit à souhaiter et espérer que, peut-être, cette image terrible pourrait un jour s'évanouir de son esprit et de sa mémoire, comme tout les autres moments affreux qu'il avait pu surprendre malgré lui.
Il espéra qu'il pourrait un jour oublier tout ce qui avait été et ne serait plus jamais.
A suivre...
