Chapitre 6 : Amères retrouvailles.
Il était environ midi lorsque Tyrion Lannister descendit pour déjeuner.
La chaleur étouffante de Port-Réal contrastait fortement avec le froid glacial de Winterfell ou celui dans le camp installé devant les restes du Mur.
Et passé le choc de départ, ce contraste fut le bienvenue pour le nain, qui savoura la chaleur des rayons du soleil sur sa peau, après tout ces longs mois passés dans l'obscurité de la Longue Nuit.
Là-bas, dans le Nord, le froid, c'était les marcheurs blancs qui fonçaient droit sur eux, le froid, c'était la mort.
Et Tyrion ne voulait plus jamais avoir aussi froid.
Il n'avait pas remis les pieds à Port-Réal depuis ses retrouvailles avec Jaime, juste avant la réunion extraordinaire organisée à Peyredragon pour évoquer la menace des marcheurs blancs.
(Et Cersei leur avait menti, les y avait trahis, bien sûr.
Pour dire la vérité, ça ne l'avait même pas surpris.)
Mais ça n'avait été que bref et temporaire.
Avant cela, la dernière fois qu'il avait séjourné à la capitale, c'était lors de son procès, et juste avant d'assassiner son père honni et la femme qu'il aimait.
Il secoua la tête, tentant de se débarrasser momentanément de ces douloureux souvenirs.
Ce n'était pas encore arrivé, après tout, et avec un peu de chance, cela n'aurait jamais à se produire tout court.
Et le fait est que c'était étrange, terriblement étrange de revenir ici, à Port-Réal, comme si rien ne s'était passé, ou peut-être cette étrangeté était justement due au fait qu'il ne s'était encore rien passé.
Pour son plus grand soulagement.
Ici, Jaime ne lui voulait pas pour avoir tué leur père, Myrcella et Tommen étaient en vie...
Bon Joffrey et Tywin étaient encore là (ce dernier étant à Castral Rock, son fils n'aurait au moins pas l'obligation de supporter sa vue), mais il imaginait qu'il devait faire avec.
Se regardant dans le miroir de sa chambre, alors qu'il s'habillait et se préparait à descendre, il fut lui-même surpris par sa propre apparence.
La cicatrice au visage qu'il avait reçue suite à sa blessure lors de la bataille de la Néra avait complètement disparue, il n'avait plus de barbe, et il était également plus jeune.
Ce qui était somme toute parfaitement logique.
Son visage était également moins sérieux, plus rieur, et les rides d'anxiété qu'il avait fini par gagner au fil du temps avaient toutes disparu.
Oh bien sûr, même à cette époque-là il était terriblement cynique et sarcastique, il savait déjà que sa sœur et son père le haïssaient, et il avait déjà conscience de la saloperie que Joffrey risquait de devenir un jour si personne ne prenait le temps de le corriger.
À moins qu'il ne soit déjà trop tard, bien sûr...
Mais Tyrion n'était pas persuadé d'être le mieux placé pour juger.
Une fois sa surprise passée, il finit enfin par descendre, et en entrant dans la salle à manger, il tomba sur un spectacle à la fois terriblement familier, mais aussi auquel il n'avait pas pu assister depuis... des années.
En réalité, il avait l'impression d'être de retour à Winterfell, le lendemain de la chute de Bran Stark.
Ce jour-là, ils avaient tous déjeuné ensemble (sans Joffrey, heureusement) et il avait fait rire son neveu et sa nièce en racontant des stupidités qui avaient choqué Cersei (et peut-être que c'était justement la raison pour laquelle il les avait dites), sans même se douter que...
Que ce serait la dernière fois. Par la suite, après son périple à Winterfell, au Mur et aux Eyrié, à son retour à Port-Réal en tant que main du roi, il avait eu droit à quelques moments avec les deux enfants, mais c'était différent.
Parce que désormais, ils étaient en guerre.
Ce moment de paix, d'innocence, presque de grâce qu'ils avaient partagé ensemble (même si Cersei étant Cersei, quelques remarques acerbes n'avaient pas manqué d'être prononcées, mais qu'importe) ne reviendrait plus jamais.
Parce que Joffrey était devenu le roi, et que les jours « heureux » (ou calmes du moins, à défaut d'un meilleur terme) d'autrefois sous le règne de Robert n'étaient plus d'actualité.
Il avait lu la peur dans leurs yeux un nombre incalculable de fois, trop de fois, et, jeunes comme ils l'étaient à l'époque, ils ne comprenaient rien encore de ce qu'il se passait.
Ce n'était pas pour rien s'il avait tout fait pour éloigner Myrcella de Port-Réal et du danger que représentait la guerre à venir.
Jamais il n'aurait pu imaginer qu'il l'envoyait en réalité vers sa mort...
Au moins pouvait-il se consoler en se disant qu'elle avait été heureuse durant son séjour là-bas.
Il n'avait jamais plus revu la jeune fille après cela, et en apprenant qu'elle était morte sur le chemin du retour, de la main d'Ellaria Sand et dans les bras de son père, son cœur s'était déchiré en deux.
Lui et Jaime n'en avaient pas parlé quand celui-ci était arrivé à Winterfell, puis qu'ils étaient tous partis en direction du Mur (et très certainement vers leur mort), mais le nain savait à quel point son frère en avait souffert, et en souffrait encore.
Puis, Joffrey avait été assassiné, son procès (ou plutôt la farce organisée par son père et sa sœur pour le condamner pour ce qu'il était) avait eu lieu, et il s'était enfuit de Port-Réal sans avoir la moindre idée qu'à son retour...
Hé bien, que le petit Tommen (plus si petit que cela) s'était jeté par la fenêtre à cause de ce que Cersei avait fait.
C'était la première fois qu'il les revoyait tous ici, vivants, et une nouvelle fois, Joffrey n'était par chance pas ici, il n'y avait que Jaime, Cersei, ainsi que Tommen et Myrcella.
Robert, comme à son habitude, devait être ailleurs, et vu l'heure, il était probablement à la chasse, et non aux putes (non, ça c'était plutôt pour le soir.)
Et, comment dire...
Si l'on exceptait Cersei (et Joffrey bien évidemment), contre laquelle il était terriblement en colère depuis qu'il savait qu'elle était prête à condamner l'humanité pour pouvoir conserver sa couronne, il était heureux de tous les revoir.
Enfin, c'était surtout le cas pour Tommen et Myrcella, et, les voir ainsi, ici, vivants (comme son esprit ne cessait de le lui répéter depuis qu'il était revenu, comme si il n'y croyait toujours pas), c'était...
C'était presque trop en fait, et il sentit ses yeux s'embuer de larmes, alors qu'il voyait les deux enfants sourire, rire et parler avec animation, les yeux brillants d'excitation.
Ils étaient heureux, ils n'avaient aucune idée du sombre futur qui s'annonçait face à eux si Tyrion ne faisait rien pour le changer.
Ils étaient toujours des enfants.
Et Tyrion, face à ce constat, sentit son cœur se remplir de joie.
Il serra les poings, prit une profonde inspiration pour se calmer, et entra réellement dans la pièce.
Son arrivée causa plusieurs réactions toutes aussi diverses les unes que les autres.
Le sourire de Cersei s'effaça instantanément, celui de Jaime se fit encore plus brillant, et les deux enfants encore assis à table se levèrent brusquement, avant de courir à sa rencontre.
« Oncle Tyrion ! S'exclamèrent-t-ils au même moment en lui fonçant dessus.
Il faillit s'écrouler à la reverse sous leur poids, et, loin de s'en plaindre, il les enserra tout deux dans ses maigres bras, dans une étreinte protectrice, avec la ferme intention de les protéger de tout les dangers du monde s'il le fallait.
Par les dieux, il aurait pu en pleurer tellement il était heureux.
« Oncle Tyrion, lui demanda Myrcella avec un ton inquiet. Est-ce que tout va bien ? Oncle Jaime nous a dit que tu étais malade.
Vous m'avez tellement manqués tout les deux, s'autorisa-t-il à penser, le sourire aux lèvres.
Oh, si seulement vous saviez...
Enfin non...
Mieux vaut que vous ne sachiez rien mes enfants...
- Ce n'est rien, prétendit-il, mentant aussi bien qu'autrefois. J'ai seulement... terriblement mal dormi cette nuit. Rien qu'un peu de repos ne saura régler rapidement, fit-il avec un sourire rassurant, omettant bien évidemment toute mention de l'alcool consommé la veille, ou de la partie de jambes en l'air avec la prostituée, ou même encore de son voyage dans le temps. »
Désormais rassurés, son neveu et sa nièce se détachèrent de lui et retournèrent à la table, où Tyrion s'installa également quelques instants après, à la même place qu'à Winterfell, entre son frère et Tommen.
Il regarda Cersei droit dans les yeux.
Le visage de sa sœur était de glace, et son sourire était beaucoup trop forcé pour être honnête.
Il voyait la haine dans son regard, une haine qu'il savait ne pas mériter.
C'était une autre Cersei, qui n'avait pas encore fait assassiner son époux, qui n'avait pas encore complètement changé Joffrey en monstre (même si le processus était déjà bien entamé), qui n'avait pas encore fait de Sansa Stark sa souffre-douleur.
Qui n'avait pas encore déclenché une guerre pour garder le trône (même si Joffrey y avait beaucoup contribué), qui n'avait pas encore tenté par tout les moyens de le faire condamner à mort, lui, son frère, qui n'avait pas encore donné le pouvoir aux Moineaux fanatiques.
Qui n'avait pas encore fait exploser le Septuaire et ainsi tué son propre fils en tuant la femme de celui-ci, qui n'avait pas encore fait assassiner Lancel, leur propre cousin, sans oublier leur oncle Kevan, qui n'avait pas encore tué Tyerne Sand sous les yeux de sa propre mère, et qui n'avait pas encore engagé la compagnie dorée pour les décimer une fois les marcheurs blancs détruits (si du moins ils y arrivaient un jour).
Et, alors qu'il regardait cette autre Cersei, celle qui n'avait encore rien fait de mal, il réalisa soudainement qu'il avait définitivement fait le deuil de l'amour de sa sœur.
Ça aurait probablement dû faire mal, mais après toutes ces années à subir sa haine infondée, il n'éprouvait désormais plus que de l'indifférence à son égard.
Et il ne savait pas quoi faire la concernant.
Il savait qui elle était, ce qu'elle était, ce qu'elle allait bientôt devenir, quel monstre elle serait un jour si on ne l'arrêtait pas.
En était-elle déjà un par ailleurs ?
Complotait-elle déjà dans l'ombre à cette époque, alors même que la main du roi était encore en vie, tentait-elle déjà de s'accaparer le pouvoir pour elle seule et son fils ?
Sans compter qu'elle n'était pas le seul monstre de Westeros, que dire de Joffrey lui-même, ou de Balon Greyjoy, avec son projet d'indépendance des Îles de Fer (Tyrion espérait que Yara aurait la force de le stopper dans son projet insensé)...
Sans oublier bien évidemment le pire d'entre eux, celui qui avait tout déclenché : Petyr Baelish, alias Littlefinger, qui contrairement aux autres, préparait son projet machiavélique depuis très longtemps.
Un projet extrêmement bien peaufiné par ailleurs, s'il en croyait ce que Sansa Stark lui avait dit après leurs retrouvailles à Winterfell, avant qu'ils ne partent en direction du Mur.
Ce qu'il ignorait, en revanche, c'est qu'un nain déterminé et au courant de ses manigances se dresserait bientôt sur son chemin.
« Tu te lèves bien tard, mon frère, lui lança Cersei, aussi venimeuse qu'à l'accoutumée.
Tyrion ne se laissa pas le moins du monde démonter.
- Cela a dû te ravir, très chère sœur, lança-t-il avec ironie. Tu n'auras pas à supporter ma présence pendant un temps trop long durant ce repas puisque tu as presque fini... Maintenant, si tu veux bien m'excuser, j'ai faim. »
Sur ces paroles dénuées d'une quelconque amabilité, il commença à se restaurer, savourant silencieusement ses retrouvailles avec sa famille.
Regardant Jaime avec attention, il vit alors que le regard de son grand frère était posé en permanence sur Cersei, et il réalisa alors qu'il regardait sa sœur de la même manière que celle dont il regarderait Brienne de Torth dans ce futur qui n'existerait jamais.
Oui, encore une autre chose dont il faudrait qu'il s'occupe, en espérant que la vierge de Torth aurait la bonne idée (et surtout le bon sens, vu que Torth se trouvait non loin de Port-Réal) de venir à la capitale le plus rapidement possible.
Tout en mangeant, il s'autorisa à sourire.
Il ferait tout pour que cette seconde chance ne lui ait pas été accordée en vain.
Il se le jurait.
§§§§
Une fois son repas terminé, il quitta très rapidement la pièce, et se dirigea vers la bibliothèque de Port-Réal, afin d'y être au calme, et de pouvoir y faire le point.
Il fit tout ce qu'il pouvait pour éviter de croiser Joffrey, avec succès.
Il savait parfaitement que si il croisait son connard de neveu, il risquait de ne pas réussir à se contrôler.
Joffrey avait mis le pays à feu et à sang, il avait fait exécuter Ned Stark, il avait torturé ou fait torturer Sansa Stark, c'était un petit con arrogant et insupportable, il avait tué Ros, il était cruel et sadique, il aurait pu faire encore pire si il avait vécu plus longtemps, et Tyrion était sûr qu'il en oubliait la moitié.
En somme, il était un monstre en devenir, et à cet instant précis, si il avait eu le malheur de croiser son chemin, Tyrion n'aurait désiré faire qu'une seule chose, à savoir, l'étrangler.
Il n'avait pas menti lors de son procès, il aurait sincèrement voulu tuer ce nouveau roi fou de ses propres mains.
Par chance, dans la bibliothèque, il n'y avait personne à cette heure, et quand Tyrion y hurla pendant de longues minutes pour déverser sa colère, personne ne l'entendit.
Cela valait mieux, de toute évidence.
Une fois cela fait, il tenta de se calmer et de se recentrer sur la situation.
Mais, repenser à Joffrey et à sa mort avait fait remonter d'autres souvenirs désagréables.
Dont celui de son procès.
Son père qui avait voulu le condamner à mort sans tenir compte de son innocence, simplement parce qu'il le haïssait, son père qu'il avait tué et qu'il voulait voir mort encore une fois, mais pourrait-il réellement le tuer dans cette version-là de l'histoire sans déclencher une catastrophe ?
Il en doutait.
Sans oublier...
Shae.
Oh, Shae.
La traîtresse.
Il l'avait aimée, tellement aimée, et il l'aimait encore, très probablement.
Mais elle...
Elle l'avait trahi, et ça faisait toujours aussi mal.
L'avait-elle aimé ?
Ou avait-elle fait semblant ?
Était-ce parce qu'il s'était séparé d'elle qu'elle avait décidé d'exercer sa vengeance de cette manière odieuse ?
Mais si c'était le cas, comment expliquer qu'elle se soit si rapidement consolée dans les bras de Tywin Lannister lui-même ?
C'était à n'y rien comprendre...
Le plus dur désormais, c'était de savoir comment réagir à son égard, si jamais ils se revoyaient un jour.
Il la détestait pour sa trahison, il était toujours en colère, tellement en colère, mais d'un autre côté, il l'aimait encore, et de plus, ce n'était jamais arrivé.
Peut-être que...
Peut-être valait-il mieux pour elle comme pour lui qu'ils ne se revoient jamais.
Et avec un peu de chance, ses sentiments finiraient par mourir d'eux-même, tel un feu non entretenu qui finit par s'éteindre tout seul.
Perdu dans ses réflexions, commençant à s'interroger sur les différents événements à venir et sur ce qu'il devrait également faire en conséquence (comment empêcher que les sept couronnes ne soient mises à feu et à sang ? Comment faire pour amener les membres du conseil restreint à s'entendre ? Comment empêcher Petyr Baelish et Lysa Arryn d'agir ? Comment convaincre les différents dirigeants de Westeros que la menace des marcheurs blancs était réelle ? Que faire de la « menace » Daenerys ?), il n'entendit que tardivement le discret raclement de gorge qu'émit le jeune écuyer blond en face de lui.
Son attention finalement captée par le visiteur, Tyrion sursauta, avant de croiser le regard de son interlocuteur.
Il blêmit instantanément, se sachant face à un fantôme.
Enfin, tout comme.
Il s'agissait de Lancel Lannister.
Mort à son époque, vivant dans celle-ci, et le nain sentit un terrible et surprenant soulagement l'envahir.
S'il devait être honnête, le sort de Lancel ne l'avait pas vraiment touché quand il vivait encore à Port-Réal, que ce soit avant ou pendant qu'il exerçait sa fonction de main du roi.
C'était son cousin, certes, mais il était seulement un petit écuyer au service d'un roi qui le maltraitait.
Une histoire d'une banalité à faire pleurer.
Ce n'était qu'un gosse en somme, absolument pas formé pour affronter la capitale et tout ses dangers.
Un gosse qu'il avait utilisé, manipulé pour s'en servir contre Cersei, un gosse que tout le monde à Port-Réal méprisait ou ignorait, et qui, lorsque Cersei lui avait ouvert ses bras et son lit pour qu'il remplace Jaime (rien que la démarche en elle-même lui donnait envie de vomir) s'y était jeté à corps perdu parce qu'il avait besoin d'affection, qu'on lui montre qu'il comptait au moins pour quelqu'un dans cette ville immense où personne ne le voyait jamais.
Un gosse qui avait dû grandir trop vite, qui avait eu le bras cassé durant la bataille de la Néra par Cersei, et qui ne s'en était plaint à personne (c'était presque un hasard que Tyrion ait finit par l'apprendre), qui était tombé malade et avait faillit mourir, qui avait perdu ses deux petits frères assassinés par les Karstark, qui avait dû faire son deuil seul loin de ses parents, et ça, personne n'en avait eu rien à foutre, Tyrion y comprit, il devait le reconnaître.
Tyrion ne l'avait jamais vu en tant que Moineau, mais Jaime lui avait parlé avec amertume et tristesse de ce que leur cousin était devenu, un jeune homme froid au visage fermé qui s'était complètement réfugié dans la religion, au point d'en devenir un fou fanatique.
L'ancienne main n'approuvait pas le chemin qu'avait pris le jeune homme, mais il ne pouvait s'empêcher de compatir désormais, et de comprendre pourquoi, poussé par le désespoir, il avait pu en arriver là.
Et maintenant ?
Maintenant qu'il le voyait tel qu'il était autrefois, encore innocent et naïf, subissant déjà les brimades de Robert sans pouvoir ni rien faire, ni rien dire, il se sentait honteux de son ancienne attitude.
Lancel n'était ni Joffrey ni Cersei, ni Tywin, en fait, il était probablement le moins Lannister d'entre eux, si l'on prenait uniquement en compte la face sombre de la pièce, il ne méritait pas ce qu'il avait enduré.
Il n'avait pas mérité de mourir ce jour-là, dans l'explosion du septuaire, et son père non plus.
Tyrion ne pouvait absolument pas changer sa situation, pas à lui tout seul, mais peut-être pouvait-il tenter de l'améliorer, en parlant à Robert (sans grand espoir qu'il l'écoute bien sûr), ou en faisant comprendre au jeune écuyer, hé bien...
Tout simplement, qu'il n'était pas seul.
Et de ce fait, si jamais les choses tournaient mal de nouveau, peut-être que Lancel ne se réfugierait pas dans les bras de Cersei ce jour-là.
Peut-être Tyrion pourrait-il lui prouver que Port-Réal n'était pas peuplé que de lâches, de traîtres et d'hypocrites.
« Oh, bonjour cousin, je suis ravi de te voir... Comment vas-tu en cette belle journée ?
Lancel le salua, un peu gauchement.
Il semblait... surpris de la question, et Tyrion se sentit d'autant plus triste en réalisant qu'il n'était sûrement pas habitué à ce que l'on lui demande si il allait bien.
- ... Bien cousin, fit-il, et Tyrion fut tout sauf convaincu par sa réponse. Bonjour à vous également. Votre frère vous fait mander. Il vous attend dans la salle à manger. »
Le nain fronça les sourcils.
Que pouvait bien lui vouloir son frère ?
« Merci de m'avoir transmis l'information Lancel, je t'en sais grée. Je te souhaite une bonne journée, fit-il, le saluant une dernière fois avant de partir. »
Lancel se figea, interloqué.
Depuis quand Tyrion était-il aussi aimable avec lui ?
§§§§
« Puis-je savoir pourquoi tu souhaites me voir mon frère ?
- Hé bien, au cours du repas tu paraissais plutôt... éteint. Es-tu sûr et certain que tout va bien ?
- Mieux que jamais ! Mais je te remercie de t'inquiéter pour moi... »
Jaime lui avait terriblement manqué lui aussi, et il aurait voulu pouvoir lui parler de ce qu'il savait (en dehors de l'histoire de voyage dans le temps qui n'aurait eu aucun sens pour une personne sensée), à savoir le fait qu'il couchait avec Cersei et qu'il était le vrai père des trois enfants royaux.
Mais il n'était pas encore temps.
Il se contenta de discuter de tout et de rien avec son frère, tentant d'évoquer le moins possible le roi Robert et la manière dont il traitait ceux qui le servaient.
Il glissa cependant un mot sur Lancel, et Jaime lui promit de voir ce qu'il pourrait faire.
§§§§
Port-Réal, deux jours plus tard.
Brienne n'aimait pas vraiment la capitale.
À chaque fois qu'elle s'y était rendue, de près ou de loin, que ce soit dans la ville elle-même après avoir ramené Jaime Lannister, ou à Peyredragon, lors de la grande réunion, elle n'aimait pas y être.
Et c'était encore vrai aujourd'hui.
Mais elle n'avait pas le choix, si elle voulait pouvoir décider d'un plan d'attaque, elle devait aller voir un de ceux qui se souvenait du futur, et le plus proche géographiquement parlant était Tyrion Lannister.
Après un voyage de deux jours en mer et quelques heures de chevauchée à cheval, elle était enfin arrivée à destination.
Avant même d'entrer dans la ville, elle avait déjà conscience qu'elle allait détonner.
Une femme au physique atypique que l'on risquait de confondre avec un homme, qui était habillée en homme, de surcroît habillée en armure, elle savait qu'elle ferait impression, et pas forcément une bonne.
Mais elle était habituée à force, et elle n'entendait même plus les commentaires désobligeants que l'on murmurait sur son passage.
Dans cette réalité-là, elle n'avait pas encore été adoubée par Renly Baratheon, elle n'était pas un chevalier au sens stricte, même si même après cet adoubement elle n'avait pas non plus été considérée comme un chevalier véritable.
Alors qu'elle confiait son cheval à un palefrenier d'une des nombreuses écuries de Port-Réal, elle ne fit pas le moins du monde attention au fait, perdue dans ses pensées, que Jaime Lannister en personne se trouvait à proximité d'elle.
Tout comme elle, il avait fini par complètement ignorer les racontars ou les médisances que l'on racontait sur son compte.
Et, quand il vit cette étrange créature être présentée à son regard, il se figea, interloqué.
Il ne s'agissait pas d'un homme, de toute évidence, mais était-ce vraiment une femme ?
Malgré sa tenue, il dut rapidement se rendre à l'évidence, c'était le cas.
Il croisa les bras, l'observant discrètement avec curiosité.
Que faisait donc une femme habillée en chevalier à Port-Réal ?
Elle parlait d'un ton ferme au palefrenier en face d'elle, car, chevalier ou pas, elle était toujours officiellement Lady Brienne de Torth, alliée de la maison Baratheon, de ce fait, elle avait un certain statut.
Alors qu'elle finissait par entrer dans la capitale même, à pied, il la suivit du regard pendant quelques secondes, jusqu'à ce qu'elle disparaisse de sa vue.
Puis, il haussa les épaules, avant de retourner à ses occupations, persuadé qu'il oublierait bien assez vite cette étrange femme.
Et c'est ainsi que Brienne de Torth capta l'attention et l'intérêt de Jaime Lannister sans le savoir ni même le vouloir.
§§§§
La jeune femme n'avait aucune idée de comment réussir à trouver Tyrion Lannister dans tout cet imbroglio que se révéla être le Donjon Rouge.
Par chance, ce fut Renly Baratheon qui lui permit de retrouver le nain.
Elle tomba sur lui presque par hasard.
Ça ne faisait pas aussi mal qu'autrefois que de le revoir, se dit-elle.
Bien évidemment, le voir en vie, comme ça, sans avoir pu réellement s'y préparer, était un véritable choc pour la jeune femme, au point qu'elle avait eu les larmes aux yeux en le revoyant de nouveau.
Une chance qu'il ait été en train de parler avec Loras à ce moment-là et qu'il n'ait pas encore remarqué sa présence.
Elle revoyait encore ce jour-là, ce jour terrible, où l'homme qu'elle avait autrefois aimé était mort.
Elle n'avait pas pu le sauver.
Elle n'avait pas été assez forte pour ça.
Cependant, en l'observant rire avec Loras, en le voyant ainsi, si heureux, si vivant, ignorant tout du danger et du spectre qui dans une autre vie l'avait tué, elle s'autorisa à sourire.
Ça non plus, ça ne faisait plus aussi mal qu'auparavant, de le regarder en ayant conscience qu'il était amoureux de Loras Tyrell, et qu'il ne pourrait jamais tomber amoureux de quelqu'un comme elle.
Même si cela la faisait souffrir d'une autre manière.
Car, alors qu'elle pensait à ce qu'elle ressentait pour lui autrefois, elle se remémora ce qu'elle éprouvait désormais, elle revit dans son esprit une chevelure dorée et deux yeux verts, et elle se mordit les lèvres de dépit.
Ses sentiments pour Renly Baratheon, amoureux du moins, s'étaient totalement évanouis, mais avaient été remplacés par d'autres.
En effet, peu importe qu'elle puisse tenter de toutes ses forces de le nier, elle était amoureuse de Jaime Lannister, non pas qu'elle vienne tout juste de le découvrir, mais c'était d'autant plus douloureux qu'elle savait qu'il était non loin d'elle.
Il ne se souvenait pas d'elle, et elle devrait sûrement le côtoyer de loin, sans qu'il ait conscience de ce lien existant autrefois entre eux, sans qu'il ait aucune raison de l'apprécier ou même de la respecter.
C'était atroce.
Elle avait beau avoir décidé de mettre ses sentiments pour lui au placard, c'était plus facile à dire qu'à faire, et elle savait qu'en le revoyant, tout reviendrait d'un seul coup, comme autrefois.
Ses sentiments n'étaient pas morts en deux jours, malheureusement, et elle tenta également d'oublier qu'il était mort dans ce futur révolu.
Elle se promit de tout faire pour empêcher cette tragédie.
Elle avait peut-être renoncé à lui, et à ce qui aurait pu être entre eux, mais cela ne signifiait pas qu'elle n'allait pas se battre pour lui.
Se dirigeant vers son ancien béguin, elle le salua respectueusement, et salua également Loras, s'attirant un regard surpris de la part des deux hommes.
« Ser Loras, Ser Renly... Je vous souhaite le bonjour. Ser Renly, auriez-vous un peu de temps à m'accorder je vous prie ? Je souhaiterais m'entretenir avec vous.
Loras chuchota un « je te verrai plus tard » à son amant, et, en voyant le sourire éblouissant que lui renvoya le jeune Baratheon, Brienne se dit à quel point il était évident que ces deux-là s'aimaient.
C'était injuste qu'ils ne puissent pas le clamer à la face du monde, comme tout le monde.
Le sourire que Renly lui envoya, bien que sincère et poli, était bien moins éclatant.
- Je vous en prie, parlez donc. Qui êtes-vous ? Lui demanda-t-il. J'ignore si nous nous sommes déjà rencontrés, mais votre visage m'est familier.
- Je suis Lady Brienne de Torth, Ser... Effectivement, nous nous sommes déjà vus, il y a quelques années.
Puis, à ces mots, le visage du jeune homme s'illumina d'une lueur de compréhension.
- Je me rappelle oui, nous avons dansé ensemble la dernière fois que je me suis rendu à Torth, s'exclama-t-il, ayant la délicatesse de ne pas évoquer les circonstances malheureuses de cette rencontre. Pourquoi êtes-vous donc ici dame Brienne ?
Je ne suis pas une dame. Et je suis là pour sauver le monde.
- Je... je suis là pour tenter de devenir chevalier.
Ce n'était pas un mensonge, pas vraiment, après tout, c'était son rêve depuis toujours, et, quitte à vivre à fond sa deuxième chance, cette seconde vie qu'on lui offrait, autant tenter de l'atteindre.
Le sourire que lui adressa le noble était profondément sincère, et ses yeux pétillaient d'intérêt et de curiosité.
- Que voilà un projet noble et ambitieux ! Je vous souhaite de tout cœur de réussir. Pourquoi donc vouliez-vous me voir au juste ?
- Je voudrais m'entretenir avec Ser Tyrion. Savez-vous où il se trouve en ce moment ? »
Renly fronça les sourcils.
« Je crois qu'il est à la bibliothèque, comme à son habitude... Si vous ne le trouvez pas là-bas, il s'entretient probablement avec son frère, ou bien il se trouve dans sa chambre, ou dans un des bordels de la capitale. »
Brienne ne s'en trouva pas choquée, elle connaissait bien la réputation du frère de la reine, même si elle devait reconnaître ne pas vraiment avoir envie de devoir faire le tour de tout les bordels de Littlefinger pour réussir à le trouver.
Elle lui sourit, et le salua une dernière fois.
« Je vous remercie de votre aide, Ser, et je vous souhaite une bonne journée. Et, alors qu'elle se préparait à partir, elle se retourna une dernière fois vers lui, mue par une étrange impulsion. Ser ? Fit-elle à Renly. Je vous souhaite d'être heureux, à vous et à Ser Loras. »
Renly se figea immédiatement.
Savait-elle ?
Très certainement oui, sa phrase ne prêtait aucunement à confusion.
Devait-il s'inquiéter qu'elle sache après seulement quelques minutes en sa présence ?
Lui et Loras étaient-ils si transparents que cela?
Était-elle un danger, était-ce une menace contre lui et Loras, et leur amour interdit et caché ?
Une menace à leur bonheur encore fragile ?
Mais, alors qu'il la regardait attentivement, il ne vit que sincérité sur son visage, ce n'était pas une dissimulatrice comme on en voyait tant à la cour, que ce soit Littlefinger, Varys ou même Tyrion, qui savait bien cacher son jeu.
Il sourit faiblement, touché d'une telle sollicitude, qui, surtout, ne semblait aucunement feinte.
C'était la première fois qu'on lui disait une telle chose, que quelqu'un d'autre que Loras semblait se soucier de lui autrement qu'en tant que frère cadet du roi.
« Je vous remercie Lady Brienne. Et j'espère que vous réussirez dans votre quête, malgré les nombreuses embûches qui vous attendent. Et je suis certain que vous en triompherez.
Brienne sourit à son tour, les yeux brillants.
C'était la deuxième fois que Renly plaçait sa confiance en elle.
La première fois, elle avait faillit à le protéger et le sauver.
Ce ne serait pas le cas cette fois-ci.
- Merci Ser. J'ai bien peur qu'en dehors de vous, de mon père et de moi-même, peu de personnes croiront cela possible.
- Ce sont des idiots dans ce cas... Ignorez les, c'est le mieux que vous ayez à faire. »
Brienne pouffa, rassérénée, et elle lui dit une nouvelle fois au revoir.
Et, alors qu'elle s'éloignait de lui, le cœur délivré d'un grand poids en ayant pu constaté qu'il était bel et bien vivant, elle s'autorisa à brièvement pleurer de joie.
Entrant dans la bibliothèque de Port-Réal, elle y trouva comme prévu Tyrion Lannister, lisant un livre, probablement sur les marcheurs blancs, supposa-t-elle.
En la voyant arriver, il se mit à sourire.
« Lady Brienne ! Je vous attendais plus tôt. »
La jeune femme leva les yeux au ciel, mais sourit néanmoins.
« Ser Tyrion... Nous avons à discuter de choses importantes. »
La bibliothèque était de nouveau déserte, par chance.
Il referma son livre, et, hochant la tête, reprit tout son sérieux.
« Vous avez raison... Cette conversation risque d'être très longue, vous devriez vous asseoir. »
A suivre...
