Chapitre 7 : La fin de la haine (tu n'es pas un monstre).

Winterfell, deux jours plus tôt.

Les ténèbres.

Voilà tout ce que voyait Théon actuellement.

La Longue Nuit.

Les marcheurs blancs fonçant sur eux.

Et le froid glacial, mortel, qui finirait par tous les emporter sans qu'ils puissent rien y faire.

Et l'odeur de la mort, partout, l'empêchant de respirer correctement, le faisant suffoquer de plus en plus.

Il voyait le Mur, enfin, ce qu'il en restait, il voyait le dragon de glace, il voyait les morts avancer petit à petit, gagnant de plus en plus de terrain malgré tout leurs efforts, il voyait leurs yeux vides, leurs yeux morts, et la peur le glaçait de plus en plus.

Ils allaient perdre, c'était certain.

Puis, quelques secondes plus tard, la vision changea, et la grande étendue de neige fut alors remplacée par le château de Winterfell.

Et lui, Théon, était là, dans la grande salle, chargé de chaînes, incapable de bouger, et faisant face à tout ceux qu'il avait autrefois trahis ou blessés, venus pour le condamner sans aucune merci, comme il pensait le mériter.

Il voyait sa sœur, le visage en sang, les vêtements déchirés, lui demander pourquoi il n'était pas encore venu la sauver des mains d'Euron.

Ned Stark le toisait, accusateur, le regard froid et dur, comme Lady Catelyn, et tandis que l'ancien seigneur de Winterfell avait la tête séparée du corps, la gorge de sa femme, béante, laissait s'écouler librement des litres de sang, et si tout deux ne disaient rien, Théon se sentait terriblement blessé par la désapprobation et la déception qu'il lisait dans leur regard.

Sansa était là elle aussi, sa robe de mariée étant également déchirée et couverte de sang, tandis que les sévices que Ramsay Bolton avait infligés à son corps étaient clairement visibles, et elle lui demandait pourquoi il ne l'avait pas sauvée de ce dernier lors de sa nuit de noce.

Il y avait aussi Rodrick Cassel, décapité également, incapable de dire un mot dans son état, mais le regardant au moins aussi sévèrement que Ned et Catelyn, tandis qu'à ses côtés, Bran lui aussi lui demandait pourquoi, alors que Rickon, petit Rickon, la poitrine transpercée par la flèche de Ramsay, pleurait dans les bras de son grand frère, et cette vision seule déchira le cœur du jeune Greyjoy.

Arya, quant à elle, le fusillait du regard, Aiguille à la main, semblant déjà prête à le poignarder avec, et Théon n'aurait pas le moins du monde résisté si elle avait essayé de l'attaquer, tandis que Jon le regardait avec mépris et dégoût.

Il était seul, terriblement seul.

Il avait toujours été seul, de toute façon.

Et c'était presque pire que face aux marcheurs blancs, car il était face à des ennemis qui n'avaient rien contre lui.

Mais là, c'était différent.

Il y avait tant de colère face à lui...

Et il y avait Robb...

Robb, habillé en roi du nord, couvert de sang, comme presque tout les autres, le corps transpercé par les multiples carreaux d'arbalète qu'il avait reçus le jour de sa mort, et la blessure au niveau du cœur, venant de Roose Bolton, était particulièrement visible au milieu de toutes ses cicatrices pas encore refermées.

Lui aussi était décapité, mais d'une manière encore plus atroce que les deux autres, puisqu'il portait sa propre tête dans ses mains, la tête de Vent Gris se trouvant là, attachée à son corps, là où aurait dû être sa tête. Même mort, il saignait encore, comme les autres membres de sa famille décédés au cours de la guerre de Cinq Rois, ou avant, et cette simple vision donna à Théon envie de vomir.

Et, alors qu'il s'attendait à l'entendre lui parler, et l'accuser de l'avoir abandonné, trahi, tout ce qu'il entendit, ce fut un hurlement de loup, qui lui glaça le sang.

Il voulut s'excuser, lui demander pardon, lui dire que ce n'était pas ce qu'il voulait, qu'il ne voulait pas que cela se termine comme ça, mais qu'est-ce que ça aurait changé au juste ?

Il était un traître, pas vrai ?

Il méritait la mort.

Le décor changea une nouvelle fois, et il se retrouva alors à Fort-Terreur, avec nul autre que Ramsay Bolton en face de lui, un sourire sadique sur les lèvres et un couteau à la main.

Se regardant, il réalisa avec horreur qu'il était vêtu des mêmes frusques que lorsqu'il se prénommait encore Reek, que ses doigts étaient de nouveau mutilés, ses dents étaient à nouveau cassés, comme si rien ne s'était passé après sa mutilation, il était également castré, et cette fois-ci, c'était lui qui saignait.

Il avait envie de hurler, tellement besoin de crier, d'horreur, de terreur, de tristesse, ou même pour simplement appeler à l'aide quelqu'un, n'importe qui qui pourrait le sortir de cet enfer.

Il n'arriva pas à émettre le moindre son.

Relevant la tête, il croisa le regard de Ramsay, et une terrible panique s'empara de lui.

Sauf que Ramsay n'était plus là, Ramsay était mort, mangé par ses propres chiens, Sansa le lui avait confirmé, une lueur de cruauté sauvage dans le regard, il était libre désormais, maintenant que son maître... que le monstre n'était plus là.

Pas dans cette réalité en tout cas.

Il était encore vivant, à son grand désarroi.

Se rapprochant de lui, celui qui avait été le seigneur de Winterfell dans une autre vie lui murmura alors :

« Dis-moi... comment est-ce que tu t'appelles ?

Je m'appelle Théon, pas Reek, se força-t-il à penser, tentant de laisser de côté la peur qui commençait à l'envahir, essayant de rester debout, de ne pas broncher et de soutenir le regard du monstre de ses cauchemars sans faiblir.

Un sourire cruel se forma sur les lèvres de son tortionnaire.

- Mauvaise réponse, fit Ramsay, avant de lever le bras, et d'utiliser son couteau pour trancher la gorge de sa créature. »

Théon se réveilla à cet instant précis, en hurlant.

§§§§

Bran sursauta en l'entendant crier, et se figea, interdit, se demandant ce qui avait bien pu faire réagir le jeune Fer-né de cette façon.

Par chance, il était désormais environ quatorze heures, ce qui signifiait que tout le monde dans le château se trouvait occupé ailleurs, et excepté Bran, personne ne l'avait entendu hurler, probablement.

Ce qui arrangeait Bran, puisqu'il avait besoin de parler avec l'archer seul à seul, ce qui risquait d'être compromis si jamais quelqu'un (tout à fait au hasard, Robb, par exemple) entrait pour s'assurer que l'otage allait bien.

Ce que personne d'autre ne ferait, de toute évidence, ce n'est pas comme si qui que ce soit en dehors de Robb (et peut-être Ned, un peu) se souciait réellement de Théon.

Bran commençait de plus en plus à comprendre pourquoi il les avait trahis, même s'il ne l'excusait toujours pas, bien sûr.

Le jeune homme se redressa soudainement sur son lit, alors que ses hurlements cessaient peu à peu, sa respiration était erratique, et il tremblait comme une feuille, la vue encore brouillée par les larmes.

Au bout de quelques secondes, sa vue lui revint complètement, son souffle reprit un rythme plus apaisé, et il finit par reconnaître le jeune garçon devant lui.

Il eut un léger mouvement de recul totalement involontaire.

« Bran ? S'exclama-t-il, étonné. Qu'est-ce que tu fais là ?

Bran eut un léger sourire.

Si l'on oubliait tout leurs différents et conflits passés, il devait admettre qu'il était heureux de revoir Théon, l'ancien Théon, celui qui n'avait pas été brisé par Ramsay, même s'il se doutait bien que de nombreuses cicatrices invisibles et mentales perduraient encore chez le guerrier.

- Bonjour Théon...C'est Robb qui m'envoie, il veut savoir comment tu vas. »

En entendant ces mots, Théon sentit une étrange chaleur l'envahir, lui permettant de laisser de côté le froid qui l'avait saisi jusqu'aux os lors de son cauchemar.

Robb s'inquiétait pour lui ?

C'était plutôt agréable comme sensation, bien qu'immérité à son avis, et cela faisait tellement longtemps qu'un Stark ne s'était pas soucié de lui, sans absolument aucune animosité due à sa trahison, puisque Robb ne savait rien de ce qu'il avait fait.

Il se permit de sourire, avant que ses actes ne finissent par lui revenir en pensée, et son sourire s'effaça.

En parlant de ça...

« Bran, je... »

Ils ne s'étaient pas revus quand Théon était revenu à Winterfell, juste avant son départ pour le Mur, le temps leur ayant manqué.

Et, s'il s'était excusé auprès de Sansa, Arya et Jon, il n'avait jamais pu le faire avec Bran.

« Je suis désolé, pour tout, sincèrement. Je sais que je ne mérite pas ton pardon, mais je voudrais que tu saches que je regrette, tellement.

Bran prit une profonde inspiration.

Même si il ne l'avait pas déjà su avant, même si Sansa ne lui en avait pas déjà parlé, il aurait compris à cet instant précis que Théon Greyjoy ne méritait aucunement sa haine et sa colère.

Ça ne voulait pas le moins du monde dire qu'il ne lui en voulait plus, bien au contraire, mais sa colère était tout bonnement devenue obsolète.

Quand il regardait le jeune homme, il voyait à quel point ce qu'il avait fait l'affectait, à quel point il s'en voulait, dans ses yeux, il lisait toute sa détresse, toute la haine qu'il avait contre lui-même.

Oui, sa colère ne s'était pas évanouie comme cela, en quelques secondes, mais, alors qu'il réalisait réellement jusqu'où allaient ses remords, et d'à quel point il était sincère, il sut qu'il saurait un jour trouver la force de pardonner le traître.

Malgré ce qu'il avait fait, parce qu'il avait déjà payé, et parce que ce n'était jamais arrivé.

- Théon, avant qu'on ne parle de ça, et... et de tout le reste, je voulais savoir... Est-ce que tu vas bien ? »

Il tremblait toujours autant, la tête baissée, comme s'il avait terriblement peur que Bran ne le condamne directement sans lui laisser le temps de s'expliquer, son cauchemar encore frais dans ses souvenirs, les images sanglantes s'étant définitivement imprimées sur sa rétine, pour sans doute toujours.

Il hocha la tête, tentant d'arrêter ses tremblements, en se rappelant qu'il était chez lui, à Winterfell, avant de se souvenir que non, cet endroit ne serait jamais son foyer, peu importe à quel point il avait envie d'être accepté par les Stark.

Enfin, ce n'est pas comme si il avait le droit de le vouloir maintenant.

« Oui, répondit-il, à moitié convaincu (et convaincant), je vais bien... Je crois.

- Est-ce que tu en es sûr ? Robb a dit qu'il pensait que tu étais sûrement malade, est-ce que tu veux que j'appelle mestre Luwin ?

Théon frissonna.

Lors de sa « glorieuse » (ha ha... Quelle blague !) conquête de Winterfell, le mestre avait été le seul à essayer de comprendre ses motivations, à essayer de l'aider, de le soutenir.

Sansa lui avait appris plus tard que le vieil homme avait péri après sa défaite contre les troupes Bolton, et même s'il n'avait pas pris une part active à sa mort, il s'en était quant même voulu, s'était senti responsable.

C'était lui qui avait attaqué Winterfell en premier lieu, après tout.

- Non... Ça ira. Disons tout simplement que... revenir comme ça, d'un seul coup, à Winterfell comme avant que... que je ne détruise tout avec mes conneries, ça... Ça m'a fait un choc. Et je n'ai pas réussi à me reprendre tout de suite, ce qui explique pourquoi Robb s'est dit que quelque chose n'allait pas.

Bran renifla avec amusement.

Théon avait pour la première fois revu Robb Stark, son ami, celui qu'il avait trahi et qui était mort depuis des années à sa connaissance, et il avait paniqué.

C'était parfaitement compréhensible.

Ça avait été comme de voir un fantôme.

- Tu n'es pas le seul... murmura-t-il avec un sourire aux lèvres. Je suis tombé dans les pommes quand j'ai vu tout les membres de ma famille réunis et bien vivants. J'ai revu et revécu tout ce qu'ils avaient pu endurer auparavant, leurs souffrances, les tortures, leurs morts parfois... C'était abominable.

- Est-ce que... tu es toujours la corneille à trois yeux ?

- Non, plus maintenant, puisque la corneille de cette époque existe toujours... Mais j'ai encore en tête les images que j'ai pu voir, et elles sont revenues aujourd'hui.

- Je vois...

- Ça inclut aussi ce que tu as toi-même vécu aux mains de Ramsay, Théon, ajouta Bran en le regardant droit dans les yeux, le regard sérieux et grave. »

Ses tremblements reprirent de plus belle, et le regard que lui adressa le noble était purement et simplement désespéré.

Et en le voyant ainsi, encore meurtri et brisé, incapable de se libérer du souvenir de Ramsay, Bran eut alors subitement envie de le serrer dans ses bras pour le réconforter.

Oh, et puis merde.

Quittant sa chaise, il se dirigea vers son ancien ennemi, et laissant de côté sa rage quant à ce qu'il avait fait à Ser Rodrick et à Winterfell, il l'enlaça sans hésitation, laissant le jeune Fer-né pleurer sur son épaule.

« Je suis désolé, hoqueta alors Théon à travers ses larmes. Je voulais, je pensais...

- Je sais... »

Puis, quand les tremblements du guerrier stoppèrent, Bran se détacha de lui et revint à sa place.

Théon s'essuya les yeux, désormais calmé, mais Bran savait parfaitement que ce n'était pas terminé.

Le chemin de Théon Greyjoy jusqu'à la guérison, s'il parvenait jusqu'à la fin de ce dernier du moins, serait long et tortueux.

§§§§

« Si tu ne veux pas en parler, ça me va parfaitement... Mais en ce qui concerne ce que tu as fait à Winterfell...

Bran serra les poings.

Il était temps pour Théon de rendre des comptes.

Il avait déjà suffisamment souffert aux mains de Ramsay, mais Bran avait simplement besoin de lui hurler dessus, pour évacuer toute sa colère, toute sa rage passée qu'il n'avait jamais pu extérioriser.

Il avait été la corneille à trois yeux pendant tellement longtemps, il avait fini par presque oublier ce que c'était que d'être en colère.

Et ça faisait du bien de retrouver cette sensation, ça lui prouvait qu'il était bel et bien en vie.

Pas juste un esprit froid et mort ne ressentant plus rien du tout.

- Tu nous as attaqués... Tu as attaqué Winterfell, alors que... alors que nous ne le méritions pas ! Tu as tué Ser Rodrick, et tu as voulu nous tuer, Rickon et moi ! Je ne vais pas te demander pourquoi tu l'as fait, je le sais déjà, et crois-moi, je comprends tes motivations.

Mais ça ne change rien à ce que tu as fait ! Nous n'étions que deux enfants, Rickon et moi, deux gosses terrifiés par ce qu'il se passait, qui ne comprenaient pas pourquoi toi, Théon, tu nous faisais subir ça. J'avais trop peur à l'époque pour être vraiment en colère, mais par la suite... Je t'en ai voulu, Théon, je t'en ai vraiment voulu.

- J'imagine que c'est toujours le cas... »

Bran soupira.

Dieux, la voix de Théon était tellement... vide d'espoir que ça lui faisait mal.

- Théon, c'est... compliqué. Je pense que ça dépend aussi beaucoup de qui a été renvoyé dans le passé... Ce que je veux dire, c'est que, si ça avait été Jon, il aurait été en colère contre toi et il t'en aurait toujours voulu, et il aurait eu raison, parce qu'il n'a aucune idée de ce que tu as vécu.

Si ça avait été Sansa, elle t'aurait pardonné, et elle aurait aussi eu raison. Parce qu'elle a vécu des choses similaires, que vous avez souffert ensemble, qu'elle te comprend mieux que personne, et que vous vous êtes relevés et enfuis ensemble.

Moi, je suis entre les deux, perdu entre deux feux, entre deux injonctions contradictoires : celle de te haïr et celle de te pardonner. Alors, je ne peux pas te promettre que je vais cesser de t'en vouloir tout de suite, ni arrêter immédiatement d'être en colère, mais... je te jure que d'ici quelques temps, j'aurai réussi à complètement te pardonner. »

Un sourire faible illumina le visage de l'ancien eunuque.

« Merci Bran... Même si je sais pertinemment que je ne le mérite pas.

- Foutaises ! D'autres ont fait bien pire que toi et ne se sont pas sentis coupables pour autant... Ce que Ramsay t'a fait... personne ne mérite de vivre ça. Il t'a brisé, a abusé de toi, s'est servi de toi de toutes les manières possibles... Et j'en suis sincèrement désolé.

- Qu'est-ce qu'on fait maintenant ? Lui demanda Théon, inquiet, et conscient qu'il ne pourrait pas supporter d'en entendre plus si la conversation continuait de tourner autour de Ramsay. Je veux dire, on est revenu dans le passé, et c'est génial. Mais... qu'est-ce qu'on fait pour changer les choses ? Entre les marcheurs blancs, mon père qui veut l'indépendance des îles de fer, la guerre à venir, sans compter les ambitions de Daenerys Targaryen... On est dans la merde Bran...

Un léger rictus étira les lèvres de l'ancienne corneille.

- Peut-être... Mais au moins nous savons ce qui nous attend. C'est un plus, tu ne crois pas ?

Théon se mit à sourire.

- Certes oui, tu as raison... Mais alors, peut-on faire quelque chose pour changer le cours de l'avenir ? La mort de Jon Arryn est ce qui a tout déclenché, elle a mis le feu aux poudres, c'est la première chose que nous devons empêcher. La question est de savoir quand cela est supposé se passer.

Bran eut un sourire en coin, avant de désigner son propre crâne du doigt.

- Tu oublies que tu parles en ce moment-même à une encyclopédie vivante ! Les choses sont encore un peu confuses dans ma tête, mais d'ici peu, quand j'aurai fait le tri, je devrai être en mesure de savoir de façon assez précise ce qu'il va se passer et quand. En attendant, nous devons attendre. Toi, tu dois essayer de guérir, et de te pardonner ce que tu as fait, ou plutôt, n'as jamais fait dans cette réalité.

Moi, je vais essayer de faire fonctionner mes pouvoirs de zooman une nouvelle fois. Ils sont probablement rouillés, mais avec un peu de chance, j'arriverai bientôt à les faire refonctionner. Tu devrais aller manger, je ne suis pas un mestre, mais je suis certain que ce n'est pas bon de rester aussi longtemps le ventre vide. »

Théon acquiesça, Bran lui sourit, et avant de partir de sa chambre, il se retourna une dernière fois vers son interlocuteur.

« Et, Théon ? Je suis content que tu sois rentré... »

Le sourire que lui renvoya Théon était empli de gratitude, et surtout, il était sincère.

§§§§

Alors qu'il sortait, Bran sursauta une nouvelle fois en voyant que Robb était dehors, manifestement en train de l'attendre.

Il fronça les sourcils.

« Qu'est-ce que tu fais là ?

- J'ai réussi à me libérer quelques minutes, alors ? Est-ce que Théon va bien ?

Son petit frère hocha la tête.

- Oui, ça va. Apparemment, mentit-il avec aisance, ce n'était que de la fatigue, et peut-être aussi un coup de froid, mais rien de grave.

Le soulagement qui apparut sur le visage de son grand frère était plus que palpable.

- Bien, tant mieux, tant mieux... »

Il posa un regard plein de regrets sur la porte de la chambre de Théon, retenant à grand-peine un soupir, avant d'adresser un dernier sourire à son frère.

Il avait très certainement envie d'aller voir Théon pour s'assurer qu'il allait bien, mais avait à faire ailleurs.

C'était une bonne chose d'ailleurs, Bran n'était pas sûr que Théon soit encore prêt pour avoir un tête-à-tête avec Robb, pas maintenant en tout cas.

« Je vais y aller alors. Merci d'avoir veillé sur lui petit frère. »

Puis, il fila aussi sec, et Bran repartit vers ses propres occupations.

§§§§

C'est en arrivant aux cuisines que Théon réalisa qu'il était véritablement affamé.

Les restes du repas de midi s'y trouvaient, probablement laissés là pour les retardataires, et le Fer-né se figea en constatant que Jon Snow s'y trouvait déjà.

Dans d'autres circonstances, il l'aurait soit insulté, soit ignoré, puis serait reparti après avoir mangé, fin de l'histoire.

Mais là...

Les circonstances étaient tout à fait différentes.

Il avait promis de s'amender, non ?

Hé bien ça commençait en faisant des excuses à celui qu'il avait le plus mal traité durant ses années à Winterfell, et sans que cela soit justifié.

Ce qui serait tout sauf facile.

Le plus drôle en un sens, c'est que dans ces circonstances, les excuses en question seraient ridiculement simples à formuler, et étaient relatives à des choses bien moins graves que ce qu'il avait pu faire plus tard.

Pourtant, il avait un mal terrible à se décider à aller voir le futur soldat de la garde de nuit pour lui parler.

Ce n'était pas que Jon Snow lui-même le terrifiait, mais le fait est que la simple idée d'être en présence de chaque membre de la famille Stark (Bran excepté puisqu'il savait déjà tout), l'épouvantait.

Les détails de son cauchemar étaient toujours frais dans son esprit, et il frissonna, se souvenant du regard que lui avait lancé Snow.

Cependant, en le regardant une nouvelle fois, il se retrouva seulement confronté au gosse de seize ans que Jon était encore à l'époque, ignorant encore que la garde de nuit était bien moins honorable qu'il ne le pensait, qui ne savait pas encore que les marcheurs blancs étaient réels, qui n'avait pas perdu une grande partie de sa famille, et qui n'était pas encore mort puis ressuscité.

En vérité, Théon enviait son innocence et son ignorance.

Lui au moins, il n'avait pas le terrible fardeau de ses erreurs ou de ses crimes à porter, il ne se souvenait pas de tout ce qu'il avait perdu, ou détruit.

Théon, lui, se souvenait de tout, dans les moindres détails.

C'était terrible à dire, mais il aurait préféré oublier, ne rien savoir, ne pas revenir dans le passé en ayant conservé ses souvenirs, et laisser les autres s'occuper de régler l'immense merdier qui venait tout juste de leur tomber dessus.

C'était également atrocement égoïste, et il le savait, mais de toute façon, il n'avait jamais été un héros, il n'était pas Robb, il n'était pas Yara.

Si Sansa avait été là, elle aurait probablement dit que c'était faux, qu'il l'avait sauvée de Ramsay et de Myranda.

Théon aurait rétorqué que ce n'était pas suffisant.

Mais le fait est que, puisqu'il était là, autant qu'il en profite pour régler son conflit avec Jon.

Et à nouveau, ça n'avait rien de simple.

Comment s'y prendre exactement ?

Comment faire pour lui faire ses excuses, tout en sonnant comme le Théon d'autrefois, et en donnant le change ?

Il savait déjà qu'il n'y parviendrait pas.

L'ancien Théon de Winterfell était mort, remplacé par celui de Fort-Terreur, remplacé par Reek, et s'il était désormais plus ou moins lui-même, quelque chose était définitivement mort en lui.

Oh et après tout, peu importe.

Qu'est-ce que ça pouvait bien faire qu'il ne soit plus lui-même de toute façon, qu'est-ce que ça changeait qu'il soit désormais complètement brisé, cassé, en morceaux, qu'est-ce que ça pourrait bien lui faire ?

Après tout, peu importe... peu importe ce que Ramsay lui avait fait, pas vrai ?

Peu importe que le simple fait d'y repenser lui donnait envie de hurler, de vomir, le faisant frissonner de terreur, peu importe qu'il ait en ce moment-même les ongles enfoncés dans ses mains serrées.

Ça ne comptait pas.

Il ne comptait pas...

Dieux, qu'est-ce que Yara lui manquait.

Elle au moins elle aurait pu peut-être comprendre ce qu'il ressentait, ou du moins, elle aurait essayé.

Après avoir mangé, il s'assit en face du bâtard de Winterfell, qui le gratifia d'un regard peu amène, avant de baisser la tête sur le livre qu'il avait entre les mains, bien décidé à l'ignorer.

« Snow...

- Greyjoy... Qu'est-ce tu veux ? Lui demanda-t-il avec un ton sec et blasé. »

Théon leva les yeux au ciel et sourit.

Évidemment, il n'avait pas envie de lui parler.

Ce n'était... absolument pas étonnant.

Il se jeta à l'eau malgré tout.

« Je suis venu m'excuser.

Son interlocuteur releva immédiatement la tête, et cligna des yeux, interloqué, un peu comme si le ciel venait de lui tomber sur la tête, ou qu'on l'avait appelé seigneur au lieu de bâtard, ou que Lady Catelyn avait dit un mot gentil à son égard.

- Pardon ?

- Non, ça c'est moi qui suit supposé le dire, répliqua Théon avec un léger sourire en coin.

Certaines choses ne changeraient sans doute jamais vraiment.

- Tu veux t'excuser... De quoi exactement ?

- De... tout je dirais ? D'avoir été un vrai connard à ton égard. De t'avoir insulté et rabaissé, traité comme un moins que rien pendant toutes ces années sans que tu le mérites. En te promettant de ne plus recommencer, bien sûr... Je pense que c'est tout.

- Certes... Et qu'est-ce que je suis censé répondre au juste ? Tu me prends un peu de cours là.

Théon haussa les épaules.

- Oh, comme tu veux, soit : j'accepte tes excuses Théon, merci ou vas te faire foutre Greyjoy, tire-toi et laisse-moi lire, tu m'emmerdes, fit le Fer-né avec un faux sourire plaqué sur le visage. »

C'était comme remettre un ancien masque, jouer un ancien rôle, et c'était plutôt déconcertant, comme quand Ramsay l'avait envoyé à Moat Cailin pour...

Il secoua la tête.

Mieux valait ne pas y repenser.

Jon posa son livre et croisa les bras.

« Et donc... dit-il prudemment, ça t'es venu comme ça ? Tu t'es levé ce matin, et tu t'es dit : je vais arrêter d'être un sale con ?

- C'est ça, oui... à peu de choses près. J'ai eu une... épiphanie, disons.

- Et ça t'es tombé dessus en une nuit ? Demanda Jon, incrédule. »

Le sourire de Théon se fissura, et les différentes tortures de Ramsay, physiques comme psychologiques, lui revinrent en mémoire.

Non, son changement d'attitude ne s'était pas fait en une seule nuit.

Ce n'était pas ce que lui avait fait Ramsay qui l'avait changé ainsi, il était déjà comme ça avant, seulement...

La torture avait fait tomber toutes les barrières qu'il avait construites autour de lui au fil des années, à vivre en tant que captif, loin de chez lui.

Le regardant plus attentivement, Jon vit dans ses yeux quelque chose qu'il n'avait jamais vu auparavant.

Le regard de Théon était comme hanté par quelque chose, il y avait une sorte d'ombre dans ses yeux, une peur terrible qui n'était pas là avant, il en était sûr.

« Théon... est-ce que... est-ce que tout va bien ?

- Oui Jon, oui bien sûr, tout va bien, tout baigne... Fit-il sa voix tremblant involontairement. Pourquoi, ça ne se voit pas ? Demanda-t-il avec un ton légèrement agressif, mais bien moins qu'à l'accoutumée.

- Hé bien, je ne sais pas, tu viens tout juste de t'excuser, alors que tu ne fais pas ce genre de choses habituellement. Alors, à moins que ce ne soit une blague extrêmement bien élaborée dont je ne comprends pas encore le sens, j'ai du mal à saisir...

- Je t'arrête tout de suite, le coupa Théon. Je sais que... je n'ai pas toujours été très sympa avec toi, c'est vrai... mais on est d'accord que je n'ai jamais fait de blagues trop tordues, non ?

- Non. C'est vrai. Mais pourquoi... pourquoi maintenant ?

Théon soupira.

Il était peut-être temps pour lui de tout dire.

- Tu veux savoir pourquoi j'ai toujours été aussi infect avec toi ?

- Je t'écoute, répondit Jon, méfiant.

- Tu es un bâtard. Je ne dis pas ça comme une insulte, ajouta-t-il immédiatement en voyant le visage de Jon s'assombrir (enfin, encore plus que d'habitude quoi...), j'énonce simplement cela comme un fait. Tu es le fils illégitime de Lord Stark, et moi... je suis un otage.

- Quel est le foutu rapport avec ton comportement au juste ?

- Toi et moi, on est pareils, lâcha finalement Théon. On est à part de Winterfell, des exclus. On aura jamais de réelle place ici. Nous ne sommes pas des Stark, même si tu en es un par le sang, à défaut de l'être par le nom... Pas moi. Moi, je suis juste... je ne suis rien ici.

Je suis un Greyjoy, un seigneur, théoriquement. Mais à cause des conneries de mon père, je suis un juste un otage ici. Je suis un noble, et tout le monde s'en fout ! Et avant que tu n'ajoutes quoi que ce soit, non, ce n'est pas seulement une question d'égo. Et je n'ai pas fini ! Ici, quels que soient mes efforts, personne ne me respecte ou ne m'apprécie à part Robb. Et peut-être ton père, un peu.

Quoi qu'il en soit, ici, je n'ai pas de place. Je suis bloqué ici, sans avoir la possibilité de repartir, et au moindre faux pas de mon père, le tien devra me couper la tête ! Et malgré tout ce que je pourrais faire pour essayer de me frayer une place ici... Ce serait un complet échec.

- Et donc, tu as pensé que tu pourrais le faire en étant terriblement désagréable avec moi ? C'est quoi cette logique tordue ?

- J'ai été stupide, reconnut le fer-né. Je pensais que si je montrais à Lady Catelyn que je te méprisais autant qu'elle, elle en aurait quelque chose à faire de moi. Ça n'a pas eu un grand succès, comme tu as pu le constater par toi-même, ironisa-t-il. »

Jon eut un léger sourire, et hocha la tête.

« Ça et le fait que je suis un vrai petit con, évidemment... Je ne vais pas le nier.

- Moi non plus... Il y autre chose, pas vrai ?

Théon serra les poings.

C'était peut-être une mauvaise idée d'en parler à Snow, c'était un comble même, au vue de leur animosité passée.

Mais il avait juste besoin que quelqu'un lui pardonne.

Même si c'était pour quelque chose d'aussi de futile que ça.

C'était de la triche, bien évidemment, parce que Jon ne savait pas tout le reste, et ne le saurait jamais.

- Je voulais une famille, lâcha-t-il enfin, la voix brisée. Un chez-moi. Ce truc que je n'ai jamais eu sur les Îles de Fer. Un foyer. Je vis ici depuis quoi... dix ans ? En dix longues années, mon connard de père ne m'a pas envoyé une seule lettre ! Mes deux grand frère sont morts durant la rébellion de ma famille contre la tienne, ma mère est... je ne sais même pas ce qu'elle est devenue, et je n'ai pas revue ma sœur depuis dix ans ! Je voulais juste que ta famille m'accepte, et désormais, je sais que ça n'arrivera jamais. Après tout, continua-t-il avec amertume, ce n'est pas ma maison. »

Robb ne lui avait pas encore sortit cette phrase dans cet univers, mais ça ne changeait absolument rien au fait que c'était vrai.

Ce n'est que quelques secondes plus tard, en constatant qu'il n'y voyait plus clair, qu'il réalisa qu'il pleurait de nouveau.

Et merde.

Il s'essuya les yeux, les mains tremblantes, avant d'éclater de rire, nerveusement.

C'était la première fois qu'il prononçait ces mots à voix haute, après les avoir ruminés pendant tant d'années, et c'était libérateur, comme si un énorme poids lui tenaillant la poitrine et l'empêchant complètement de respirer venait tout juste de s'évaporer dans l'air.

Mais aussi terriblement épuisant.

« Je sais.. marmonnant Théon en ricanant, pleurant toujours sans pouvoir s'arrêter. Je suis pathétique.

- Non, tu ne l'es pas... le contredit Jon. »

Cette conversation était tout bonnement... surréaliste.

Celui qui se trouvait devant lui, ce n'était pas Théon.

Pas le Théon qu'il connaissait en tout cas, ce Théon-là n'aurait jamais été jusqu'à pleurer en face de lui, il était bien trop fier pour ça.

Sauf qu'après tout ce qu'il avait enduré, le jeune homme s'en battait sincèrement les reins de sa fierté, c'était même presque un miracle qu'il ait réussi à se reconstruire un petit peu après avoir fui Winterfell.

Même s'il n'était pas le moins du monde redevenu lui-même, et que ce n'était qu'une façade, un rôle qu'il se forçait à jouer.

Même si c'était loin d'être fini.

« En tout cas, si jamais... c'est sincère...

Théon ne put s'empêcher de pouffer.

Évidemment, Snow n'allait pas lui faire confiance comme, il n'était pas stupide non plus.

Tant mieux pour lui d'ailleurs.

- Merci, reprit Jon. De t'être confié à moi... comme ça. Je me doute que ça n'a pas dû être facile d'en parler, surtout à moi... Je pense que ça aurait été plus simple si tu en avais parlé à Robb.

- Robb n'aurait pas comprit. Parce qu'il ne sait pas ce que c'est. Toi oui. Il est le futur Lord de Winterfell... Comment pourrait-il comprendre ?

À son grand soulagement, il s'était arrêté de pleurer.

- En effet... Tout ça pour dire que... J'accepte tes excuses Théon.

Le sourire qui illumina le visage du Fer-né était tout sauf railleur, juste... soulagé.

- Merci Snow... Enfin Jon. Vraiment. Je ne te promets pas d'arrêter d'être insupportable, mais disons que ce sera comme pour tout le monde quoi. Il tenta de rire, mais son rire sonnait terriblement faux. Bon, moi je vais y aller, il faut que je fasse quelque chose, sinon je sens que je vais exploser. »

Puis, le Fer-né prit la poudre d'escampette et partit aussi vite qu'il était entré quelques minutes plus tôt.

Jon cligna des yeux, stupéfait.

Okay, il était totalement perdu là...

Qu'est-ce qu'il venait de se passer au juste ?

Haussant les épaules, il finit par se lever, bien décidé à aller toucher deux mots à Robb de... cette étrange conversation.

Si il y avait bien quelqu'un capable de tirer au clair le comportement de Théon, c'était lui, et personne d'autre.

A suivre...

Prochain chapitre : On reste à Winterfell, et Théon va encore morfler un peu, le pauvre.