Chapitre 12 : On se connaît ?

- Défi du Mille-Prompts : 10. Personnage – Varys.

« Ah Tyrion, te voilà enfin, j'ai dû crapahuter dans tout le Donjon Rouge pour te trouver, c'est pas trop... tôt. »

Jaime resta figé pendant quelques secondes en voyant que son petit frère n'était absolument pas seul.

« Oh, pardon... Est-ce que je dérange ? »

Oui, faillit répondre immédiatement Tyrion, en se retenant de lever les yeux au ciel.

Il aimait son frère, vraiment, mais là, ce n'était réellement pas le moment.

Le nain se tourna vers Brienne, et ce qu'il vit le stupéfia.

La jeune femme était littéralement figée par la peur.

Jamais il ne l'avait vue comme cela, jamais il n'avait vu ce genre de regard tout court, mélange de joie, de choc, de tristesse, mêlé d'incompréhension et... oui, de peur.

Comme si elle ne s'attendait définitivement pas à revoir Jaime Lannister.

Pas comme ça en tout cas, pas si tôt.

Elle n'était pas suffisamment préparée pour ces « retrouvailles », de toute évidence.

Et Tyrion, dans ses yeux, voyait aussi, bien caché derrière la peur, l'amour brûler.

Il l'avait toujours plus ou moins su avant leur départ au Mur, les sentiments de la femme chevalier vis-à-vis de son frère étaient plus qu'amicaux.

Il en avait la preuve maintenant.

Brienne, quant à elle, n'arrivait pas à croire ce qu'elle voyait.

L'homme qu'elle aimait était là, devant ses yeux, vivant.

Elle se sentit revivre.

À cet instant précis, peu importe qu'il ne se souvienne pas d'elle, que tout ce qu'ils avaient vécu ensemble n'existe plus, ne signifie plus rien pour personne, si ce n'est pour elle-même, cela ne comptait plus.

Il allait bien, c'était la seule chose qui importait réellement.

Mais en sens, le revoir faisait terriblement mal, pour deux raisons.

Tout d'abord, elle n'était pas le moins du monde préparée à cette rencontre/ces retrouvailles, alors que, quand elle avait revu Renly, elle avait eu droit à quelques secondes de préparation, voire une ou deux minutes, et même là, ça avait été terriblement douloureux.

Et de plus... la mort de Renly, elle avait fini par s'y faire, par l'accepter, elle avait fait son deuil depuis longtemps, même si ça avait été douloureux.

Les années avaient passé, elle était allée de l'avant, et son cœur avait guéri.

Mais Jaime...

Pour elle, de son point de vue, Jaime Lannister était mort trois jours plus tôt.

Bien trop tôt pour qu'elle ait pu s'en remettre.

Elle devait sûrement arborer sur son visage la même expression pleine de stupeur et d'incrédulité que ceux qui avaient vu Jon Snow revenir à la vie après s'être fait tué par les frères jurés de la garde de nuit.

Encore que, ce jour-là, certains étaient au courant de ce que la femme rouge était en train de faire.

Et surtout... elle n'arrivait pas à prononcer le moindre mot pour saluer ser Jaime, ni même faire le moindre geste, pas même pour se lever et effectuer une malhabile révérence, rien du tout.

Jaime, quant à lui...

Oh, par les Dieux, ça aussi ça faisait tellement mal...

Il la regardait, comme si elle était une parfaite étrangère (ce qu'elle était d'ailleurs. Logique. Douloureux, certes, mais logique.), et dans ses yeux, il n'y avait plus rien du respect, de la tendresse, de... l'admiration d'autrefois.

En revenant dans le passé, elle avait à la fois gagné, et tout perdu.

Le Régicide, quant à lui, regardait l'étrange créature devant lui, ne prêtant même plus attention à son petit frère, réalisant soudainement qu'il avait déjà vu cette... femme, quelques heures plus tôt.

Ce n'était pas vraiment le genre de rencontre qu'on oublie vite, même si elle n'avait duré que quelques secondes.

Il fronça les sourcils, remarquant à peine la manière dont elle le regardait, ayant appris au fil des ans à faire abstraction du regard des autres, sauf quand ils faisaient partie de sa famille.

Si il y avait prêté attention, peut-être aurait-il compris qu'il n'y verrait pas de mépris, comme d'ordinaire, contrairement à ce qu'il aurait pu croire.

Il se mit à sourire, gardant sur son visage le masque de politesse qu'il arborait en permanence, et qui lui collait presque à la peau à force.

« On se connaît, non ?

À ces mots, Brienne sentit son cœur être agité d'un espoir stupide, avant qu'il ne rajoute :

- Je vous ai croisée tout à l'heure, à votre arrivée à l'entrée de Port-Réal, continua-t-il avec son sourire faux. Vous n'êtes vraiment pas passée inaperçue, ajouta-t-il, et Brienne comprit rapidement qu'il se retenait vraiment de faire un commentaire sur son armure, ce qui la sortit un peu de sa torpeur.

La simple idée qu'elle ne puisse n'être de nouveau qu'une blague à ses yeux, une parodie de chevalier, suffisait pour réveiller sa colère.

- Est-ce mon accoutrement qui vous a choqué ser ? Demanda-t-elle, les yeux brûlants de rage, les poings serrés. »

Tyrion sursauta alors, n'imaginant pas que les premiers mots de Brienne à Jaime dans cette nouvelle réalité seraient ceux-ci, juste avant de se mettre à sourire.

Amoureuse ou pas, cette dernière était toujours décidée à ne pas se laisser faire.

C'était... appréciable.

Jaime cligna des yeux, surpris également, mais pas pour les mêmes raisons.

Il était plutôt rare qu'on lui tienne tête, si à nouveau, on exceptait les membres de sa famille.

Et cette étrange femme semblait prête, hé bien, à se battre vaillamment et à ne pas se laisser insulter ou intimider.

C'était... agréable.

Étrangement.

Il haussa les épaules.

Peu importe après tout, qu'elle ne porte pas une robe, qu'est-ce qu'il en avait à faire franchement ?

Ce n'est pas comme si c'était à lui de lui dire quoi porter...

« Je ne vais pas vous mentir, cela m'a... surpris. Vous pouvez vous habiller comme bon vous semble, ce n'est pas moi qui vais vous en empêcher. Mais tout le monde risque de ne pas réagir comme moi... Il s'agit de Port-Réal, ce n'est pas Dorne ou l'Île-aux-Ours ici, vous allez très certainement entendre des remarques à ce sujet.

- Pour qui me prenez-vous exactement ser ? Une enfant ignorante du monde qui n'a jamais rien connu ? Je reçois des remarques sur mon physique et ma tenue depuis des années. Vous ne m'apprenez absolument rien. »

C'était très étrange, elle devait le reconnaître.

Elle avait l'impression de se retrouver aux débuts de sa « relation » avec Jaime, mais en moins... violent, disons, ce qui était logique, puisqu'ils n'étaient pas ennemis, ce qui était le deuxième bon point quant au fait d'être revenue dans le passé, juste après le fait que Jaime était de nouveau vivant.

Et Jaime était toujours l'homme insupportable qu'elle détestait autrefois, sauf qu'elle savait désormais ce qui se trouvait derrière le masque du Régicide.

Qui sait, peut-être qu'un jour elle arriverait à briser ce foutu masque, une seconde fois, une fois pour toute.

Tyrion décida alors d'intervenir, avant que cela ne finisse par dégénérer.

« Bien... Jaime, je te présente Lady... Non, vous savez quoi, qu'ils aillent tous se faire foutre ! Toujours pas adoubée ou pas, je m'en tape... Mon frère, voici ser Brienne, annonça-t-il sous les regards stupéfaits de Jaime et Brienne. Elle est venue à Port-Réal afin de tenter de devenir chevalier. »

Autant jouer franc-jeu tout de suite, non ?

Jaime eut une réaction tout à fait appropriée.

Il éclata tout bonnement de rire, ce qui ne fit que renforcer la rage de Brienne, comme autrefois, au camp des Stark, dans la cage du prisonnier, quand il lui avait balancé de nombreuses piques pour la faire sortir de ses gonds, ou même encore après, sauf que cette fois-ci, c'était réellement blessant.

Parce qu'elle savait qu'il était bien plus que cet homme arrogant, mais qu'elle n'avait aucune raison de le savoir.

Et lui-même n'avait aucune raison valable de lui faire confiance, si l'on exceptait la confiance que Tyrion plaçait en elle, bien sûr, qui pourrait peut-être le pousser à la prendre au sérieux.

Alors quoi...

Il ne l'en croyait pas capable, c'est ça ?

« Je peux savoir ce qui te faire rire, mon très cher frère ?

Ce fut sûrement à cet instant que Jaime comprit qu'ils étaient sérieux tout les deux, et son rire s'arrêta brusquement dans sa gorge.

- Vous... vous voulez devenir chevalier ?

- Oui, effectivement, répliqua Brienne. Quoi donc, vous riez parce que je suis une femme et que ma démarche est absurde ? Que vous m'en pensez incapable ?

- Oh non ma dame... hum... ser... Brienne... Je pense que j'aurais réagi de la même manière face à n'importe qui d'autre, seulement, je voudrais savoir... Pourquoi ? »

Elle fronça les sourcils.

La femme chevalier savait déjà que le chevalier avait lui-même perdu toute foi en ses devoirs de chevalier, qu'il ne croyait plus en l'honneur, pas avec le monde pourri dans lequel ils vivaient tous, pas après tout ce qu'il avait pu traverser, sous les règnes d'Aerys et de Robert.

Lui faire une petite piqûre de rappel ne lui coûterait rien, de toute évidence.

« Avez-vous donc oublié les voeux que vous avez prononcé ser Jaime ? Défendre les pauvres gens, les innocents, les nécessiteux, ceux qui ont besoin d'aide... Ceux que vous avez trahis ! Que vous cessé de défendre et d'aider... »

Oh...

Ça aussi c'était franchement inhabituel, pensa Jaime avec une certaine stupéfaction.

C'était la première fois qu'on le condamnait non pas pour son crime de Régicide, mais pour avoir cessé d'agir comme le chevalier qu'il était, ce qui était... plutôt exact pour dire vrai.

Depuis qu'il avait tué Aerys en réalité et était désormais une des personnes les plus méprisées des sept couronnes, en fait...

J'ai tué le roi fou pour sauver la population de Port-Réal et le royaume en général, j'ai fait ce que je pensais être juste, j'ai fait mon devoir, est-ce que ça ne compte pas ça au moins ?

Non, bien sûr que non, cela ne comptait pour personne.

Et probablement pas non plus pour cette femme qui avait l'air d'être attachée à l'honneur autant que Ned Stark lui-même l'était, ce qui la lui rendit immédiatement antipathique.

Il détestait les donneurs de leçons, et elle avait bien l'air d'en être une.

Oui, bien évidemment, pour elle, il ne méritait plus d'être appelé chevalier, d'être un véritable chevalier, il avait tué son roi après tout, pensa-t-il avec amertume.

Oui, un roi c'est vrai, son souverain, son suzerain, à qui il avait prêté serment, mais qui avait tué, brûlé, qui avait battu et violé sa femme à de nombreuses reprises, et qui n'avait jamais été jugé uniquement parce qu'il était roi et qu'il avait tout les droits...

Mais que faire dans ces cas-là ?

Que faire quand le roi était un monstre, que les lois, les règles et les serments devenaient plus des entraves qu'autre chose, et que suivre son devoir conduisait à accepter que des crimes odieux soient commis ?

Si avoir de l'honneur signifiait bel et bien suivre des règles stupides, contraignantes et sans aucune morale, alors soit, qu'on l'appelle l'homme sans honneur, il n'en avait rien à foutre.

Il se mit à sourire ironiquement, la fusillant du regard, qu'elle soutint sans peine.

Il ne pouvait le nier, cette femme avait du cran.

« Et vous pensez donc réussir à faire mieux ?

- Je ne prétends pas être meilleure que qui que ce soit, ser Jaime, lança-t-elle. Mais je peux essayer de faire de mon mieux pour améliorer la vie des gens qui ont besoin d'être aidés, d'être défendus, de tout simplement croire en quelque chose, contrairement à vous qui semblez ne plus croire en rien... »

Et elle était modeste en plus !

Jaime, à vrai dire, trouvait sa croyance naïve en l'ordre de la chevalerie et ses préceptes presque touchante.

Il avait l'impression de se revoir à seize ans, avant de prononcer ses voeux, avant de comprendre qu'il s'était fourvoyé, et que ce qu'il devait faire n'avait rien d'honorable.

Et que c'était même le contraire.

« Hé bien je vous souhaite bonne chance... fillette.

Brienne frissonna immédiatement en ré-entendant ce surnom que le régicide s'était plut à lui donner au fil des années, mais pas de peur.

Apparemment, certaines choses ne changeaient jamais vraiment.

Elle ne laissa rien paraître de son trouble, et répliqua :

- Vous pensez donc que je vais échouer ?

- Je n'en sais rien, je ne suis pas médium... Si il y a bien une chose dont je suis sûr, en revanche, c'est que vous ne conserverez pas votre foi dans la chevalerie très longtemps... »

Et soudain, Brienne la vit, dans son regard, la petite fissure derrière le masque, ce qu'il s'efforçait de cacher, son désespoir, sa désillusion, sa fatigue.

Elle vit tout cela, même si cela ne fut que brièvement, et elle sentit une vague d'amour la traverser.

Brienne commençait peu à peu à se souvenir de la raison pour laquelle elle était tombée amoureuse de l'homme en face d'elle, même s'il n'était pas exactement le même que celui qu'elle côtoyait encore quelques jours plus tôt, ils étaient bel et bien la même personne.

« Auriez-vous peur pour moi ? Ironisa-t-elle, sachant très bien que ce n'était pas le cas, se plaisant malgré tout à s'imaginer que, peut-être, c'était la vérité, un peu.

Il haussa les épaules, avec un air de fausse nonchalance.

- Je vous préviens seulement... ser. Bientôt vous comprendrez pourquoi... je ne crois plus en tout ça. Vous aussi vous deviendrez comme moi, un jour...

Il n'avait pas envie qu'elle devienne comme lui.

En fait, il n'avait pas envie que qui que ce soit devienne jamais comme lui, cynique et sans plus aucune illusions ou rêves, mais il le savait déjà, ce n'était qu'une question de temps.

Elle se mit à sourire à son tour.

- Nous verrons cela... ser. »

Tyrion, quant à lui, qui avait été laissé complètement de côté pendant la conversation (à croire qu'ils avaient fini par complètement oublier sa présence), marmonna dans sa barbe inexistante :

« Je comprends mieux le sens de la réplique de Bronn à Podrick quand vous étiez tous à Vivesaigues maintenant que je viens de voir ça. »

Si Brienne l'avait entendu, elle l'aurait probablement fusillé du regard, et Jaime n'aurait rien comprit.

Il ricana alors tout seul, pour lui-même.

Par les Sept, ça allait être foutrement long.

§§§§

« Au fait Jaime, lança-t-il alors, pourquoi es-tu là ?

Jaime cligna des yeux à plusieurs reprises, semblant avoir presque oublié la raison de sa présence dans la bibliothèque, avant de reprendre ses sens quelques secondes plus tard.

« Ah oui, c'est vrai ! Je suis venu te voir pour te parler de Lancel.

Puis, il regarda avec méfiance Brienne, comme si il ne voulait pas qu'elle assiste à la conversation.

Tyrion leva les yeux au ciel.

« J'ai toute confiance en ser Brienne, Jaime, tu peux parler devant elle, elle ne divulguera rien à qui que ce soit.

Il eut un regard sceptique, avant de continuer.

- Bien, si tu le dis... Bref, je suis allé parler à Robert... enfin, au roi Robert, se reprit-il en grimaçant, comme tu me l'as demandé.

- Ah ! Et donc ?

- Il accepte que Lancel ne soit plus son écuyer et qu'il soit celui de ser Barristan Selmy désormais.

- Hé bien, c'est parfait tout ça ! Enfin une bonne nouvelle !

- Cependant, rajouta son grand frère, il faut que Barristan soit d'accord pour ça. Et tu m'excuseras, mais je n'ai pas vraiment la motivation pour aller lui parler, alors j'aimerais bien que tu t'en charges toi-même.

- Pourquoi ?

- Déjà, parce que c'est ton idée... Et puis, tout simplement parce que Barristan Selmy ne m'aime pas beaucoup... Je l'admire, mais la réciproque n'est en aucun cas vraie... Je ne pense pas qu'il m'écoutera. Alors que toi... Il n'a aucun grief particulier contre toi, ça devrait marcher.

- Oh, je vois... Bien, d'accord, j'essaierai, enfin, en espérant qu'il accepte.

- Tu es un bon négociateur, petit frère, je suis sûr que tu y arriveras. »

Tyrion se permit un léger sourire.

« De la flatterie Jaime ? Je ne pensais pas que tu t'abaisserais jusque là...

- Très drôle Tyrion, répliqua-t-il, en souriant malgré tout.

- Très bien, je le ferai... Maintenant, est-ce que tu as autre chose à dire ?

- Hum... non, pourquoi ?

- Parfait, dans ce cas peux-tu nous laisser s'il te plaît ? Ser Brienne et moi nous avons à discuter de choses importantes... »

Jaime fronça les sourcils, un peu surpris, avant de hocher la tête.

« Comme tu veux... Je vous laisse donc tout les deux tranquille... Ser, fit-il en saluant Brienne d'une révérence – son ton étant moins moqueur que plus tôt –, je vous souhaite à tout les deux une bonne journée. »

Et il sortit.

Alors, Brienne s'autorisa à poser pour la première fois depuis le début de la conversation ses mains sur la table.

Elles tremblaient toujours...

§§§§

« Brienne, déclara aussitôt Tyrion une fois que son frère fut sorti, est-ce que vous allez bien ? »

A sa grande surprise, il la vit qui commençait à pleurer.

Comme si elle laissait enfin s'écouler les larmes qu'elle avait retenues ces derniers jours.

« Je... Tyrion, c'est arrivé il y a seulement trois jours. Je pense seulement que j'ai besoin de temps pour m'en remettre, c'est tout...

- Oui, bien sûr, je comprends, question stupide, désolé. »

Pendant ce temps, Jaime se posait une foultitude de questions quant à cette étrange rencontre, et au fait qu'une femme aussi... hé bien, étrange, soit une fréquentation de son frère, alors qu'il ne lui en avait jamais parlé avant.

Et la plupart du temps, son frère lui disait tout ou presque, et cette cachotterie n'était en rien ce à quoi il était habitué.

Des dizaines de théories s'échafaudèrent alors dans son esprit, avant qu'il ne les laisse de côté, décidant que ce n'était pas ses affaires.

Enfin, jusqu'à ce qu'il repense à ce qu'ils s'étaient dits, lui et lady... enfin, ser Brienne, et qu'un détail de la conversation en particulier ne finisse par l'interpeller, sans qu'il puisse exactement mettre le doigt dessus.

Et soudain, la révélation le frappa par surprise, avec la même force qu'un coup de poing dans le ventre.

Même si elle semblait le mépriser au moins autant que tout le monde à la cour, hé bien...

À aucun moment de la conversation la jeune femme ne l'avait appelé Régicide.

Était-ce à cause de la présence de Tyrion, parce que ce dernier l'avait déjà prévenue sur le fait qu'il détestait ce surnom ?

Il n'en savait rien.

Mais, aussi absurde que cela soit-il, ce simple constat lui réchauffa le cœur.

§§§§

« J'imagine qu'il ne me reste plus qu'à aller supplier à genoux Barristan de prendre Lancel comme écuyer... marmonna Tyrion, prenant un air faussement affligé, afin de dérider la pauvre Brienne, ce qui marcha plutôt bien.

- Il vous écoutera je pense... Vous saurez le convaincre, votre frère a raison, vous êtes un bon orateur de ce que je sais. »

Le nain eut un léger sourire.

« Il paraîtrait, oui... En revanche, je sais d'ors et déjà que le roi Robert ne sera jamais convaincu de l'existence des marcheurs blancs, à moins qu'on ne lui apporte une preuve, un peu... comme pour tout le monde dans le royaume en fait, maintenant que j'y pense.

- Oui, ça aussi ça risque de nous poser problème...

- Par ailleurs, pour réveiller les consciences, il faudrait que... Puis, il ferma les yeux brièvement, se souvenant enfin de quelque chose. Le verredragon, fit-il. Il y en a beaucoup à Peyredragon, si j'envoie une lettre à Stannis Baratheon, lui demandant si nous pouvons exploiter son verredragon, peut-être se posera-t-il quelques questions salutaires, et peut-être que notre tâche ne sera pas si compliquée que cela... »

(Pauvre Stannis qui allait recevoir en moins d'une semaine plus de lettres et de sollicitations qu'en dix-sept ans...)

« Et il faudrait aussi lui dire que nous voudrions un entretien avec la femme rouge, si jamais elle se trouve déjà à ses côtés. Tyrion... continua alors Brienne, vous avez bien conscience que la destruction des marcheurs blancs ne signifiera pas la victoire, n'est-ce pas ?

- Que voulez-vous dire ?

- Analysons un peu la situation catastrophique qu'était la notre il y a encore à peine trois jours... Nous étions en sous-nombre, face aux marcheurs blancs, en danger de mort...

Si nous avions gagné, ce qui est plus qu'improbable, votre sœur aurait envoyé contre nous ses soldats de la Compagnie Dorée, et il y aurait eu encore plus de morts ! Parce qu'elle avait refusé de faire une trêve nécessaire pour sauver l'humanité et notre monde... Et si nous avions perdu, ça aurait été la même chose, en pire ! L'humanité aurait perdu, et le plus étrange dans tout ça, c'est que j'ai l'impression que la situation est presque aussi désespérée qu'à l'époque. Parce que nous sommes toujours autant désunis maintenant, voire plus ! C'est même pire, puisque les monstres au pouvoir sont encore vivants...

- Joffrey n'est pas roi. Pas encore. Et Cersei n'est pas seule au pouvoir. C'est une des rares bonnes choses à saluer. Mais vous avez raison à ce sujet-là Brienne... Que proposez-vous dans ce cas-là ?

- Je n'en sais rien ! S' exclama la femme chevalier. Si même en voyant la mort en face, votre sœur n'a pas su mettre de côté ses ambitions, alors qui est-ce qui le fera sans aucune preuves ? J'ai peur, voilà, j'ai peur de refaire les mêmes erreurs, et que tout ce que je tenterai puisse ne pas marcher me terrifie d'avance ! Je suis fatiguée Tyrion, fatiguée de me battre contre le vent, et la simple idée que tout mes efforts puissent ne servir à rien me rend malade ! »

Elle termina sa tirade, avant que Tyrion, compréhensif, ne finisse par lui sourire.

« Vous êtes une grande guerrière, Brienne de Torth... Vous avez sauvé Sansa Stark, et vous l'avez ramenée chez elle... Vous êtes quelqu'un de bien, vous êtes forte, et aucun de vos efforts n'ont été vains. Vous avez échoué, oui, mais comme tout le monde. Alors écoutez-moi, vous et moi, nous allons réussir à faire entendre raison à tout ces crétins de dirigeants des sept couronnes, c'est clair ?

Elle s'autorisa également à sourire.

- Je crois... que cela me convient.

- Tant mieux... Parce que nous allons avoir du pain sur la planche dans les prochaines semaines. L'union des sept couronnes ne se fera pas comme ça. Si tant est même que nous y arrivons un jour... »

Mais ils y arriveraient, pas vrai ?

Il n'avait pas vécu toutes ces épreuves pour que tout soit gâché par un petit connard sadique, et une bonne douzaine de nobles bornés.

« Bien, hum... je pense que nous avons fait le tour... Enfin, pas vraiment, mais disons que nous ferions mieux de faire une pause maintenant, et nous reprendrons ça plus tard... Au fait, maintenant que j'y pense, où dormirez-vous cette nuit et les nuits qui suivront ?

Brienne haussa les épaules.

- Je comptais prendre une chambre dans une auberge à proximité du Donjon Rouge et au cœur de la capitale, pourquoi ?

- Quoi ? Oh que non, vous n'en ferez rien, je vous en prie, vous êtes une invitée de marque ! Vous logerez au Donjon Rouge comme nous tous, ce n'est que justice, vous n'aurez pas à dépenser inutilement votre argent.

Je vais faire en sorte de vous trouver une chambre par ici. Et comme ça, si jamais je sais d'avance où vous logez, je n'aurai pas à fouiller chaque auberge de Port-Réal pour vous trouver. Ce qui permettra à mes petites jambes de ne pas trop se fatiguer. »

Brienne accepta, et Tyrion dût cacher son air calculateur.

La raison derrière sa demande n'était pas seulement pratique, non, en fait, il souhaitait également faire en sorte que son cher frère et cette toute aussi chère Brienne passent le pluuuussss de temps ensemble possible, pour une raison qu'il n'est même pas nécessaire d'expliquer.

Et quoi de mieux que de les faire cohabiter dans le même endroit, où ils avaient le plus de chance de se croiser tout les jours ?

Ah ah, son plan était brillant.

« Par ailleurs, ajouta-t-il, je viens de me souvenir que les chevaliers et les écuyers ont entraînement demain... D'un côté, cela permettra à Lancel de faire ses preuves, et à ser Barristan de voir où il en est, et de votre côté, vous pourrez montrer à tout ces abrutis que vous êtes bien meilleure qu'eux ! À part en ce qui concerne cinq ou six chevaliers qui sont à peu près aussi doués que vous l'êtes.

- Je dois vous avouer que cela me manque... de me battre juste pour me battre et montrer mes compétences, au lieu de me battre pour ma vie.

- Hé bien dans ce cas-là c'est entendu ! Maintenant, Brienne, si vous voulez bien m'excuser, je vais devoir y aller, il faut que j'aille parler à Lord Varys au plus vite. »

Et sur ces mots, Tyrion sortit de la bibliothèque.

§§§§

« Lord Varys ! S'exclama le nain en revoyant le maître des chuchoteurs pour la première fois depuis... pas si longtemps que ça, en fait, mais ce Varys là, il ne l'avait pas vu depuis à peu près sept ans.

- Lord Tyrion, répondit alors l'eunuque. Que me vaut donc le plaisir de votre visite ?

- Je vais faire vite, si vous voulez bien m'excuser, j'ai à faire ailleurs, et je suppose que vous aussi. Il faillit faire un commentaire sur ses petits oiseaux, et sur le fait qu'ils devaient avoir beaucoup à lui dire, avant de se raviser. J'aurais besoin de votre aide pour retrouver deux personnes.

- Oh... Et qui donc ?

- Un mercenaire nommé Bronn, et un jeune garçon qui s'appelle Podrick Payne, il s'agit du cousin d'Ilyn Payne, le bourreau du roi, comme vous le savez déjà. Je souhaiterais les faire entrer tout deux à mon service.

Pendant quelques secondes, le nom et le visage de Shae envahirent également son esprit, avant qu'il ne secoue la tête.

Il savait déjà que c'était une mauvaise idée.

- Et pourquoi donc pensez-vous que je suis la personne la mieux placée pour cette tâche ?

- Allons Varys, ne soyez pas si modeste... Tout le monde sait déjà que vous espionnez tout le monde ici, retrouver deux personnes devrait être parfaitement dans vos cordes.

- Certes oui, je le reconnais, mais dites-moi, qu'est-ce qui pourrait bien me faire accepter de vous aider ?

Tyrion se rembrunit immédiatement, réalisant que oui, effectivement, à cette époque, lui et Varys n'avaient pas encore cette relation de respect, de confiance, et, osait-il le dire, d'amitié.

- Croyez-le ou non lord Varys, mais ce que je fais, et qui pourra certaines fois peut-être vous paraître étrange, je le fais pour le royaume. Rien d'autre. Alors, même si vous ne me connaissez pas vraiment, je vais vous demander de me faire confiance. »

L'eunuque le jaugea pendant quelques secondes, sans que rien sur son visage ne trahisse ses pensées, comme de coutume.

Tyrion savait très bien que gagner la confiance de Varys serait compliqué, mais ce dernier était un espion hors pair – et un bon ami – et Tyrion savait qu'il aurait besoin de lui dans ce futur que lui et Brienne essayaient désespérément de sauver, de construire.

« J'imagine que votre requête est légitime ser Tyrion... J'enverrai un de mes petits oiseaux pour les rechercher dans les prochains jours, où qu'ils soient.

L'ancienne main soupira de soulagement, et il salua l'autre homme.

« Je vous remercie lord Varys, je vais maintenant vous laisser, il faut que j'aille parler à ser Barristan Selmy à propos de mon cousin. Je vous souhaite une bonne journée. »

L'eunuque le regarda partir avec un air sceptique sur le visage.

Quelque chose avait changé chez Lord Tyrion, de toute évidence, et il n'arrivait pas encore à déterminer quoi.

Le noble, quant à lui, souriait.

Même si c'était lentement, pour la première fois depuis son retour, il avait l'impression qu'il avançait, enfin.

A suivre...

ND'A : Dans le prochain chapitre devrait apparaître un nouveau personnage... A vous de deviner de qui il s'agit : Je suis une femme noble, issue d'une des familles les plus méprisées des sept couronnes, je n'apparais que dans les livres, j'ai notamment été brièvement mariée à un certain moineau, je suis, je suis !

(La première personne qui trouvera la bonne réponse aura droit de demander un bonus...)