En dépit de sa disposition généralement laissez-faire et coulante, Ted devait bien confesser qu'il existait une ou deux choses capables de l'irriter suprêmement. La principale – franchement, beaucoup considéreraient ça comme une vétille mais ça revenait si fréquemment que c'était vite passé tout en haut de la liste – était qu'on l'appelle Teddy, parce que les gens pensaient aussitôt teddy bear et il avait passé l'âge des nounours depuis belle lurette, merci bien.

Une autre était de se retrouver l'unique garçon résidant au bungalow d'Aphrodite. Ce n'était pas qu'il détestait ses sœurs, loin de là… bon, peut-être un peu, mais qui n'a jamais occasionnellement pris ses sœurs en grippe était ou une impossibilité existentielle ou un saint de premier plan. Bref, engueulades à part, il aimait son bataillon de sœurs, mais il aurait quand même voulu se sentir moins isolé au sein de la troupe. On a beau aimer la glace à la vanille, de temps à autre on veut juste du caramel.

Heureusement et de manière tout à fait surprenante, ses prières s'étaient apparemment vues exaucées.

« Et alors, Tonks, on a hâte de retrouver sa smalah ? »

L'adolescent décocha son sourire le plus nonchalamment ravageur au Serdaigle qui venait de lui adresser la parole – à le voir avaler sa salive, l'effet était toujours aussi dévastateur peu importe le genre ou la préférence de la cible.

« Hâte de faire connaissance avec le petit dernier, surtout » rectifia-t-il.

« C'est vrai, ça » commenta Smith alors qu'ils descendaient les escaliers pour rejoindre la longue file attendant de remonter dans le Poudlard Express pour les vacances de Noël, « vous en avez eu encore un. Ça fait quoi, maintenant ? Dix gamins dans la famille ? »

« En fait, on est dix-sept » confessa Ted, faisant mentalement l'arithmétique de ses souvenirs – oui, lors de son arrivée à la Colonie, le bungalow avait compté douze enfants, quatre étaient parties depuis et rajoutez à cela le nouveau, dix-sept. « Et connaissant ma mère, elle ne va pas s'arrêter en si bon chemin. »

Smith rata une marche et faillit dégringoler dans l'escalier sous le coup de la stupeur.

« Dix-sept… ? Mais vous cherchez à rivaliser avec les Weasley ou quoi ?! »

En fait, aurait pu lui avouer le demi-dieu sous couverture, c'était tout bêtement la conséquence logique d'avoir une divinité de la beauté et du désir sexuel pour parent : le flux de frères et de sœurs pouvait ne pas être abondant, mais en tout cas il était constant.

« Dans ce genre-là, ouais » se borna-t-il à prétendre.


« Teddy ! Grand lâcheur, on s'est languis de ta présence. Viens nous faire des bises, veux-tu ? »

Lorsque vous étiez affligé d'un essaim de sœurs et d'une déesse de l'amour en guise de mère, vous appreniez très vite à dire bonjour à la française : baiser bien sonore sur chaque joue, étreinte brève mais forte en option. Ted s'exécuta, distribuant bises, étreintes et même un ébouriffage de cheveux sur la personne de sa plus jeune sœur Aurélia qui s'empressa de lui tirer la langue en matière de représailles.

Quand à Démona, il lui rappela qu'on ne l'appelait pas impunément Teddy en lui appliquant deux bises bien bruyantes qui sonnaient davantage comme des pets qu'autre chose, lui arrachant un glapissement dégoûté.

« Je vois qu'on a survécu à mon absence » lança-t-il théâtralement une fois les formalités des retrouvailles accomplies. « J'ai même entendu dire qu'on m'avait remplacé ! Voilà comment ma propre famille m'aime ! »

« Tu es irremplaçable » lui assura Libby alors qu'il traînait sa malle à l'intérieur du bungalow rose où une bouffée de déodorant à l'orchidée de Madagascar l'accueillit en pleine figure. « Tellement adorable que notre chère maman a cherché à reproduire son plus grand succès ! »

« Succès, succès, jusque là les résultats sont mitigés » renifla Louison juste derrière eux.

« Quand vous aurez fini la manipulation émotionnelle, vous pourriez sortir notre petit frère de là où vous l'avez caché ? Autrement, je pourrais commencer à croire que vous l'avez inventé rien que pour me jouer une blague de mauvais goût. »

Intérieurement, Ted ne croyait pas du tout en cette hypothèse – Démona aurait pu essayer de jouer un tour de cochon de cet acabit, peut-être bien Irma, mais il ne voyait pas le restant du bungalow soutenir leur entreprise. On n'était pas chez les Hermès, ici.

« Oh, Kevin est tout à fait réel » décréta sa sœur monochrome – une fois n'est pas coutume, elle avait mis un chemisier blanc crème pour ponctuer sa coloration brun doré. « C'est juste… il n'est pas franchement dans son assiette, en ce moment. »

Pour un demi-dieu, ne pas être dans son assiette pouvait être aussi simple que de souffrir d'un rhume, ou aussi brutal que d'avoir vu mourir plusieurs personnes simplement pour avoir été trop près de vous lors d'une attaque de monstre imprévue autant dire que Ted se sentait nettement inquiet d'entendre ces termes.

« Pas dans son assiette comment ? Il a encore tous ses membres, j'espère ? »

« Oh, il est on ne peut plus intact. Seulement déprimé. Viens voir, tiens. »

En matière de spectacle, une petite bosse ensevelie sous un épais duvet violet n'excitait guère l'imagination, ce à quoi Démona décida de remédier en arrachant la couette pour exposer l'occupant du lit à l'air libre.

« Kevin Thompson, oublie un peu ta dépression et dis bonjour à ton frère ! »

Le garçon roula sur le dos et loucha sur son aîné qui put ainsi observer le petit visage pâle surplombé de longue boucles noires, où brillaient deux yeux gris ourlés de cils interminables. Combiné avec la silhouette fluette sous le pyjama vert pastel, Ted aurait cru avoir une nouvelle sœur s'il n'avait pas été alerté au préalable du genre du nouveau pensionnaire.

« … Bonjour à ton frère » se décida à lâcher le petit d'un ton plat.

Deux ou trois gloussements retentirent, et Ted lui-même sentit un sourire lui chatouiller la commissure des lèvres.

« Elle est facile, celle-là. Mais mignonne, je te l'accorde. »

Le garçon – Kevin – renifla, et les sourcils clairs de son aîné se froncèrent presque malgré lui. Pourquoi éprouvait-il une impression de familiarité, exactement ?

« Si vous vous présentez l'un à l'autre dans le style masculin, ce sera du désastre alors je me sacrifie honorablement » annonça Louison, des trémolos dans la voix. « Ted, notre dernier venu, perle rare des perles rares, un fils d'Aphrodite comme on n'en voit qu'une fois le trente-six du mois, j'ai nommé Kevin. Kevin, mon petit, sois ébloui et admire donc notre magicien en titre, Edward Tonks qui demande à être connu comme Ted pour une raison qui nous échappe. »

« C'est un diminutif tout à fait bien, et ce n'est pas magicien mais sorcier » riposta Ted.

« Quelle différence ? »

« La différence, c'est que je ne suis pas un apprenti dans l'Antiquité égyptienne. »

Louison fit mine de s'évanouir.

« Parce que c'est tellement plus respectable d'apprendre à tirer un lapin d'un chapeau dans une école baptisée Verrue de Cochon. »

« Poudlard, Loulou, c'est la combientième fois que je te corrige là-dessus ? »

Imperceptiblement, Kevin s'était raidi sur le matelas, son regard soudain acéré.

« C'est trop ridicule pour qu'on s'en souvienne » gémit l'adolescente Noire, « soutiens-moi, Kevin, et tu seras mon préféré. »

Kevin ne semblait pas vouloir offrir son soutien à Louison – il semblait concentré sur Ted, les lèvres pincées, les narines vaguement dilatées, et l'adolescent connaissait cette grimace, mais d'où et pourquoi la sortir à l'énoncé du nom Poudlard…

Oh.

Et tout d'un coup, Ted vit la ressemblance.