Vu que son professeur improvisé ne commencerait pas les cours avant le Nouvel An, ça laissait cinq à six jours pour que Kevin se renseigne sur la marche à suivre après. Parce qu'un professeur privé, c'était un bon point de départ, mais lui voulait la grâce. Il voulait se tenir sur la scène quand Casse-Noisettes était en représentation.

Ça voulait dire trouver une école. Une bonne, très bonne, de préférence pas trop loin pour éviter les frais de déplacement et la probabilité de se faire attaquer avant d'avoir pu regagner la sécurité de la Colonie, et pas trop chère vu que Kevin n'avait pas d'argent à lui et ne voulait pas trop réclamer à Chiron.

(de l'argent, Reggie Black en a, mais que penseraient Walburga et Orion de le voir s'adonner à un passe-temps moldu ?)

Après mûre réflexion, il avait enfin sélectionné l'institut parfait pour ses besoins : la School of American Ballet, basée au Lincoln Center for Performing Arts de la ville de New York. Officiellement, la formation pour devenir danseur étoile ne démarrait qu'à partir de onze ans, mais l'école acceptait les élèves dès six ans, du moment qu'ils passaient leur audition.

Kevin savait qu'il n'avait pas encore le niveau, mais il comptait bien suer sang et eau pour l'obtenir afin de décrocher une place dans le programme d'été de la SAB : deux cents enfants sélectionnés dans l'ensemble des États-Unis afin de bénéficier de cinq semaines de préparation, qui verraient les meilleurs être intégrés dans l'institut pour l'année scolaire. Et après ça, il faudrait ne pas se relâcher jusqu'à ses dix-huit ans, où la formation serait enfin achevée et qu'il recevrait le choix d'intégrer la troupe de danse de son choix.

Comme l'avait si élégamment résumé Jess quand elle l'avait surpris en train d'élaborer ses plans pour l'avenir, il allait en baver des ronds de chapeau, et ce pour longtemps. Mais tout comme il l'avait décidé en face des pieds meurtris de Janis, les conditions étaient acceptables.

Une fois le plus difficile réglé, Kevin avait eu besoin d'une tenue acceptable pour l'effort physique qu'il aurait besoin d'effectuer. Les t-shirts et débardeurs, c'était facile à trouver. Les collants et leggings, c'était facile aussi, même si les regards de ses sœurs et la sensation procurée sur ses jambes quand il les enfilait lui donnaient l'impression de sentir voler des papillons bizarres au creux de l'estomac. Et derniers mais pas des moindres, les incontournables chaussons – achetés en gros, une douzaine de paires parce qu'apparemment ça s'usait vite.

Quand enfin, le moment était venu, il s'était présenté devant Janis exactement à l'heure, en tenue et le cœur battant si fort dans la poitrine que le premier orchestre venu aurait cru que leur grosse caisse jouait sans permission.

« Ma parole » commenta la fille d'Apollon, une nuance de surprise agréablement impressionnée dans son alto, « tu prends vraiment ça au sérieux. »

« Je le prends comme ça devrait être pris, maîtresse » répondit Kevin, d'un ton calme qui faisait de son mieux pour masquer sa fébrilité sous-jacente avec plus ou moins de réussite.

La blonde défigurée partit d'un bref éclat de rire.

« Maîtresse ! En voilà une autre ! Décidément, t'es bien un Aphrodite, pour savoir si bien parler aux femmes ! »

Le timbre était ironique, mais le sourire était radieux, et la crampe de nervosité nichée dans le plexus solaire du garçon fondit un peu. Les leçons démarraient bien.


Très franchement, ces vacances de Noël et Nouvel An auraient dû être une réussite complète : Ted n'était plus l'unique garçon du bungalow d'Aphrodite, il avait pu profiter de sa fratrie et de ses innombrables cousins, les Héphaïstos et Apollon s'étaient surpassés pour la décoration et les animations, et le chocolat chaud avait été fantastique, digne de Willy Wonka en personne.

Et pourtant, il ne pouvait pas s'empêcher de sentir un pince-oreilles des plus persistants lui grattouiller l'arrière des pensées.

C'était la faute de Kevin, cette insistance du pince-oreilles. Enfin, pas réellement la faute du petit, pour être tout à fait honnête : Ted avait la certitude que si le garçon avait pu se couper entièrement de sa famille humaine, il l'aurait fait. Et l'adolescent ne l'en blâmait pas, vu que beaucoup d'autres demi-dieux agissaient de même pour diverses raisons allant du mesquin au justifié, plus ou moins personnelles.

Et pourtant, le visage d'Andromeda Black lui apparaissait dès qu'il fermait les paupières.

Le truc, c'était que Ted n'avait encore jamais adressé la parole à Andromeda Black. Comment aurait-il pu ? Elle était à Serpentard, elle était riche, elle provenait d'une famille qui était snob avant que le dictionnaire n'enregistre le mot snob – et les Black avaient probablement contribué à définir le snobisme en tant que tel – et Ted Tonks était votre pékin moyen de Poufsouffle, pêché dans un milieu ouvrier qui n'avait jamais entendu parler de Poudlard avant qu'il ne reçoive sa lettre d'inscription à onze ans.

Et puis, s'il avait osé, Bellatrix Black lui serait sans doute tombé dessus comme la misère sur le monde, et il préférait éviter cette foldingue autant que possible.

Mais peu de temps après la rentrée, Andromeda s'était subitement faite triste et angoissée. Plusieurs des gens assez intéressés par la question pour formuler leur opinion là-dessus avaient suggéré que la perspective de passer les BUSE à la fin de cette année lui pesait sur les épaules, ça arrivait parfois et ça passerait avec les examens, fin de la discussion.

Ted n'avait pas été convaincu par l'argument. Celui-ci était plausible, oui, mais le garçon au visage rond le trouvait trop superficiel. Le chagrin et le désarroi de la seconde fille Black avaient eu une épaisseur, une profondeur qui laissaient deviner un sérieux problème, quelque chose d'énormément plus grave que la perspective de décrocher une mauvaise note et d'avoir à plancher pour éviter la défaite académique.

Il avait buté sur la nature de ce comportement pendant la majeure partie de quatre mois, puis il était retourné à la Colonie où il s'était retrouvé nez à nez avec Kevin Thompson, et la lumière s'était faite avec une intensité digne de s'en mettre à crier Eurêka tout en courant nu dans les rues.

Après tout, la disparition d'un membre de votre famille, un membre mineur qui plus est, était une excellente raison de paniquer et de perdre le moral.

Mais maintenant que la lumière s'était faite et que le casse-tête était résolu, cela laissait Ted avec un nouveau problème sur les bras : comment allait-il se conduire une fois revenu à Poudlard, dans le voisinage d'Andromeda ?

À première vue, la réponse paraissait s'imposer d'elle-même : Kevin ne voulait pas reprendre contact avec sa famille humaine, et respecter les souhaits et l'autonomie d'autrui était important dans toute relation saine et durable.

Mais quand il examinait de près la situation d'Andromeda, et bien, ce beau raisonnement commençait à vaciller sur sa base à la manière d'un château de cartes bâti sur du sable. Était-ce vraiment une bonne chose de laisser une jeune fille innocente faire des cauchemars regardant le destin de son petit cousin auquel elle paraissait sincèrement tenir ? Et si Andromeda se mettait à croire que Kevin était mort ? Pour le coup, ce serait vraiment le pompon.

Ted n'avait pas de bonne réponse à ce dilemme, et il doutait qu'il existât une réponse correcte à la chose.