Andromeda n'avait jamais particulièrement apprécié les fêtes de famille, conséquence infortunée autant que logique lorsque vous deviez vous traîner Cygnus Black pour père, et (dans une moindre mesure) Bellatrix pour sœur aînée. L'atmosphère finissait toujours par se faire gênante et prendre du plomb dans l'aile, au point que le seul moyen de le supporter consistait à monopoliser les rafraîchissements à teneur alcoolique au point de ne plus y voir droit – la tactique favorite de Maman – ou bien à vous enfermer à l'écart pour ne réémerger qu'une fois venu le moment des adieux – la stratégie éprouvée d'oncle Orion.
Mais cette année, le réveillon avait été particulièrement odieux, un calvaire tel que ça méritait de figurer dans les annales comme une des pires célébrations commises dans les dix dernières années – non, le siècle dans son ensemble. La famille d'oncle Orion avait été si visiblement plongée dans un noir marasme de déprime que les commentaires sans délicatesse de Papa et Bella ne les avaient même pas fait tiquer, et ça rendait toute l'affaire encore plus désespérante.
Merci infiniment pour le cadeau, Reggie. Qu'est-ce qui lui avait pris de se sauver comme ça ? Et comment pouvait-il se cacher si bien que même les elfes s'avouaient bredouilles dans leurs recherches pour l'enfant égaré de la famille ?
(en son for intérieur, Andromeda refusait de penser à toutes les raisons pour lesquelles son petit cousin pourrait ne pas réussir à rentrer à la maison, à tout ce qui risquait d'arriver à un enfant dès que ses parents le quittaient des yeux, mais plus les jours défilent et plus la peur lui ronge les entrailles)
C'était un soulagement sans commune mesure d'avoir à retourner à l'école, et oui elle disait ça en dépit de l'essaim de poules qui lui caquetait aux oreilles, des professeurs qui rabâchaient à n'en plus finir la nécessité de bien étudier pour les BUSE, des rumeurs parcourant les couloirs sur elle ne savait plus quel nouveau parti politique montant radical. Entre les murs de Poudlard, elle pouvait éviter de penser à sa famille, en dehors de ses sœurs, bien entendu.
Apparemment, personne n'avait signalé ce petit détail à Edward Tonks.
Avant qu'il ne vienne l'aborder, elle ne lui avait jamais adressé la parole. Comment aurait-elle pu ? Une Black de pure souche, héritière de l'ancestrale tradition sorcière de sa lignée, s'abaisser à frayer avec un sang-de-bourbe ? Ses parents l'auraient égorgée avant de la ranimer en tant qu'Inferi pour la tuer à nouveau via le bûcher, tant pis s'il était mignon.
Bon, pas mignon dans le sens où tout le monde l'entendait. Il avait une carrure trop épaisse, presque potelée pour ça. Mais ça lui allait bien, d'avoir le visage rond et une large poitrine, ça lui conférait presque des allures de gigantesque ours en peluche. Il avait aussi de très belles dents, chose aisée à remarquer vu qu'il avait le sourire facile, une voix aussi dangereusement irrésistible que des pralines enrobées de chocolat au lait, et des yeux pailletés absolument fascinants.
Non, Andromeda ne s'intéressait pas à ce garçon. Pas du tout. En fait, elle le détestait avec la furie de dix mille soleils, depuis que sous prétexte de l'aider à remettre ses livres dans son sac qui s'était mystérieusement ouvert, il lui avait glissé à l'oreille : « Ton cousin, c'est bien les chaussons aux pommes son dessert préféré ? »
Des cousins, Andromeda n'en répertoriait que deux qui n'évoluaient absolument pas dans les mêmes cercles sociaux qu'un Poufsouffle sans les moyens, et sur ces deux-là, Sirius était davantage amateur de profiteroles, donc ça ne pouvait pas être lui.
Comment elle s'était retenue de lui sauter à la gorge illico, elle l'ignorait, mais elle lui avait décoché un sourire aimable avant de lui susurrer un rendez-vous pour dix-sept heures dans la remise à bateaux et de s'éloigner, le sang lui cognant aux tempes.
En vrai gentleman, il s'était présenté à l'heure et seul. Hélas, il avait nonchalamment esquivé le coup de poing qu'elle avait voulu lui appliquer sur le nez, alors sa galanterie conservait des trous non négligeables.
« Bonsoir à toi aussi » eut-il le culot de lancer tranquillement.
« Où est Reggie ? » cracha Andromeda en échange, tirant sa baguette pour la darder sur lui. « Comment as-tu eu contact avec mon cousin ? »
« Juste pour ne pas commettre d'erreur, il a environ huit ans, haut comme ça, des cheveux noirs bouclés plutôt longs et des yeux gris, se laisse facilement déborder par les émotions ? »
Le maléfice urticant jaillit de sa baguette presque sur une impulsion, et il esquiva de nouveau.
« Dis-moi où il est ! Si tu lui as parlé – si tu l'as touché… ! »
Andromeda s'était considéré épargnée par le notoire tempérament Black, sa sœur aînée ayant tout accaparé dans la portion réservée aux filles de Cygnus, mais force lui était d'admettre qu'elle se trompait : les tremblements de rage qui la secouaient et la nuance rougeâtre prise par son champ de vision ne laissaient aucune ambiguïté.
Face à elle, Tonks se fit soudain grave, levant les mains dans un geste d'apaisement – ou peut-être pour démontrer qu'il était inoffensif, elle ignorait lequel et s'en moquait royalement.
« Andromeda Black » dit-il, sa voix vibrant d'une telle manière qu'elle sentit la chair de poule lui hérisser tout le dos, « ton cousin est en parfaite sécurité, il est en vie, et je tiens à ce qu'il reste les deux, je le jure par le Styx. »
Il y avait du pouvoir dans les serments, chaque enfant issu d'une longue lignée sorcière apprenait cela sur les genoux de ses parents, afin de ne pas se laisser abuser et convaincre de prêter un vœu qui finirait par leur causer du tort, à lui-même et aux siens. Ces serments n'étaient pas tous équivalents : jurer sur son nom et sa magie suffisait pour assurer qu'on était sérieux, mais invoquer le divin, invoquer la Rivière Infernale, c'était…
Tonks était sérieux…
Reggie n'était pas mort, alors…
Les genoux d'Andromeda lâchèrent, et elle se serait vautrée sans grâce sur le plancher de la remise si son interlocuteur ne s'était pas précipité pour la rattraper, comme la jeune fille délicate de bonne famille… qu'elle était, en fait.
« Si j'avais su que ça te chamboulerait à ce point, princesse » commenta le jeune homme, son timbre aussi velouté qu'une profusion de coussins moelleux.
« Je peux toujours changer ton nez en topinambour » le menaça-t-elle, mais sa prise sur sa baguette n'était plus très assurée.
Tonks émit un bruit amusé, comme s'il ne l'en croyait pas capable. C'était enrageant, à la fin, qu'il se montre si attentionné à un instant donné avant de se conduire en parfait goujat le moment suivant. Qu'il se décide une bonne fois pour toutes à être un gentleman ou un malotru !
« Je vais le faire » insista-elle.
« Si tu m'épargnes, je serais plus disposé à bavarder du sort de ton cousin, tu ne crois pas ? »
La main d'Andromeda lui tomba sur l'épaule et serra. Tonks ne cilla même pas – enfin, il fronçait les sourcils, mais c'était davantage navré que souffreteux.
« Pardon, c'était malvenu de ma part. Je te promets qu'il va bien, les filles du bungalow où il réside ne demandent qu'à le gâter et le chouchouter, même si je doute qu'il apprécie leurs attentions, vu qu'il finit tout le temps par vouloir se sauver. »
Cette fois, ce fut elle qui lâcha un petit gloussement, se rappelant la conduite de Reggie chaque fois que ses cousines décidaient de le faire bénéficier de leurs attentions.
« Ah, je suppose que ce n'est pas une conduite récente ? »
La main de la jeune fille se détendit sur l'épaule du garçon.
« Raconte-moi. Je veux tout savoir. »
