Xenophilius – qui avait lourdement insisté lorsqu'il s'était présenté à ses compagnons de dortoir pour que personne ne l'appelle Phil, il avait un prénom qui n'était pas Philippe et tant pis si c'était imprononçable par le commun des mortels il s'agissait de son nom et il détestait l'entendre écorcher – savait depuis toujours qu'il étudierait à Poudlard, en dépit des dangers que recelait le Vieux Monde pour les demi-dieux dans l'époque contemporaine.
Parce que, toujours, un ou deux demi-dieux étaient envoyés en Europe à titre de séjour permanent ou temporaire, et la scolarité au pensionnat constituait une excuse parfaite. En plus, c'était un peu plus difficile pour un monstre de se glisser dans une académie consciente que le surnaturel et le paranormal existaient, et bardée de protections en tout genre pour les élèves venant y étudier.
Si le panthéon grec autorisait cela, c'était en partie une question d'orgueil, ils avaient été les maîtres tyranniques et absolus de la Grèce et de Rome et ça leur donnait mal au ventre d'abandonner entièrement leur ancien domaine, même s'ils disposaient d'un nouveau. En expédiant leurs rejetons en France ou en Italie, ils pouvaient se dire qu'ils continuaient de rappeler à ces contrées qu'ils n'avaient pas encore disparu, bien que les mortels pensent désormais que le culte des Olympiens relevaient du passé et de la superstition dépassée en faveur du monothéisme et de la science.
C'était aussi partiellement une question de méfiance et de relations diplomatiques tendues avec les panthéons européens qui subsistaient encore, un tour de force pour le moins remarquable quand on repensait à la guerre de conquête menée par l'empire romain puis par les persécutions de l'église chrétienne. Un demi-dieu se retrouvait à danser sur le fil du rasoir, en équilibre délicat sur la fine frontière séparant l'ambassadeur de l'espion et encourant le double de risques sans rien de la protection réservée à ces gusses particuliers dans le monde mortel.
Et bien sûr, des fois une quête exigeait qu'un rejeton ou un autre de telle ou telle divinité fasse un petit tour du côté des origines. Là, il n'y avait qu'à préparer ses valises en râlant autant que possible, saisir l'opportunité de gagner quelques bribes de culture si possible parce que vous ne pouviez pas visiter l'Europe sans vous cultiver sous peine d'être étiqueté un vandale tout juste bon à se moucher et se torcher les fesses sans aide, peut-être ramener un ou deux souvenirs pour les frères et les sœurs de votre bungalow ou vos copains du reste de la Colonie.
À titre personnel, Xenophilius avait sérieusement envisagé de s'inscrire à Beauxbâtons plutôt qu'à Poudlard : l'académie française avait un programme de langues étrangères et de lettres proprement alléchant, et accueillait tellement plus de ressortissants d'origines variées – l'Espagne, l'Italie, la Suisse et il en oubliait – comment un aspirant journaliste était-il supposé résister à la tentation d'explorer autant de cultures et de points de vue qu'il le pouvait ?
Et puis, la France, c'était suffisamment loin du nuage noir qu'il sentait planer au-dessus de la Grande-Bretagne. Le fils d'Apollon ne savait pas exactement en quoi consistait la menace, mais il avait la conviction qu'elle ne tarderait pas à s'abattre sur le Royaume-Uni, et ce serait brutal.
Forcément, quand il avait confessé son pressentiment à ses frères et sœurs, tout le bungalow d'Apollon s'était ligué pour le convaincre de fréquenter Poudlard – apparemment, son devoir de demi-dieu était de se renseigner sur le danger qui couvait, arrête donc de faire ta chiffe molle, tu veux devenir journaliste, oui ou non ? Ce ne sera pas toujours inoffensif comme carrière, mon pauvre vieux !
« Journaliste spécialisé dans la nature ! » avait désespérément braillé Xenophilius en guise de défense. « Au moins je saurais quelles précautions prendre avant de partir dans la cambrousse ! »
Toujours était-il qu'il s'était retrouvé dans la locomotive rouge à la date du 1er septembre, se lamentant sur son sort tandis que Ted Tonks lui tapotait distraitement le dos dans une molle tentative de réconfort, plus concentré qu'il était sur ses projets de séduction visant une certaine demoiselle.
Enfin, au moins la bibliothèque de la tour des Serdaigle était-elle bien garnie. Si jamais le bungalow d'Athéna et les rejetons d'Hécate voyaient une photo de l'endroit, nul doute qu'ils monteraient à l'assaut de Poudlard – et ils dévaliseraient aussi la bibliothèque principale de la forteresse pour faire bonne mesure, Madame Pince avait peut-être une redoutable réputation dont Ted n'avait pas oublié de faire mention autour du feu de camp mais une femme seule serait bien contrainte de ployer face à une marée de jeunes gens assoiffés de connaissance.
Évidemment, il y avait connaissance et connaissance, celle qui était toujours utile à prendre, celle qui était absolument indispensable pour survivre plus tard, celle qui se réduisait à un vernis brillant pour faire son malin en bonne société, et celle qui vous brûlait les doigts et vous collait des cauchemars.
Xenophilius pressentait sans mal que ce qui allait se produire en Angleterre, ce serait précisément le dernier type – parfois, peut-être davantage dans son cas parce qu'il semblait avoir davantage de facilités à prévoir les embêtements et catastrophes, c'était une véritable calamité d'avoir le don de voyance. Quand il recevrait son choix d'options pour la troisième année, lui ne prendrait certainement pas la divination ou l'arithmancie, le futur, il en avait eu sa tasse de thé et même drôlement plus, merci bien.
Le fils d'Apollon pouvait en gros détecter la forme la plus probable qu'adopterait l'explosion de violence quand elle déciderait avoir suffisamment attendue. Comme beaucoup de désastres majeurs, ce serait principalement politique – ça murmurait dans les couloirs, surtout parmi les années supérieures qui s'apprêtaient à décrocher leurs diplômes et à quitter le refuge de l'école pour rentrer dans la vie active, et ce alors que le mois de septembre démarrait à peine. Des murmures qui demandaient à machin ou truc ce qu'il avait fait pendant les vacances, ce qu'elle pensait de la société magique anglaise, et tu ne penses pas que tu ne cherches pas assez loin, que peut-être tu devrais courir un petit risque et t'engager davantage ? Rien qu'un peu, trempe juste l'orteil pour commencer, pour juger la température de l'eau, tu pourras toujours reculer si tu la trouves trop désagréable.
Xenophilius n'était pas stupide, il savait que pour cuire une grenouille, la casserole devait chauffer doucement, jusqu'à ce que la bestiole se sente mal à l'aise mais soit trop engourdie pour réagir et sauter loin des bulles et des glouglous. Ces gentils étudiants risquaient de trouver sacrément dur de quitter le bain, une fois le pied plongé dedans.
Et cela peu importe le camp qu'ils choisissaient. Ceux-là, ils restaient encore flous, Xenophilius ne savait pas encore si les troubles en puissance tournaient simplement autour des traditions que certains voulaient remettre au goût du jour ou abroger entièrement, ou autour de l'intégration de sang neuf dans la communauté sorcière restreinte qui étonnamment chipotait là-dessus, vous n'avez donc pas vu ce qui arrive aux chiens et aux chevaux quand vous les accouplez une fois de trop entre cousins, ce que ça peut être moche et en plus ça vous dégrade le ciboulot.
Peut-être que c'était deux problèmes entièrement séparés, ce qui serait déjà bien chiatique, mais peut-être que ça finirait par se mélanger et dans ce cas Xenophilius sentait déjà monter la migraine et merde à son bungalow, merde à la désapprobation qui ne manquerait pas de lui tomber sur la pomme, il refusait de rester dans le coin quand ça péterait.
Oui, il était de sang divin, mais ça ne voulait pas dire qu'il avait le tempérament adéquat pour affronter crânement la tempête, et il ne voyait pas en quoi c'était mal.
Il fallait de tout pour faire un monde, vraiment.
