Pour une fameuse rentrée, on pouvait certainement affirmer que c'en était une, et qui figurait dans les cinq premières qu'on n'oublierait jamais, tant pis si on vivait jusque trois siècles et demi comme ça pouvait arriver chez quelques phénomènes qui passaient dans le journal à cause de ça.
Sirius ne comprenait toujours pas le raisonnement du Choixpeau. Oui, c'était un fantastique pied de nez à sa famille, se retrouver à Gryffondor quand la Noble et Très Ancienne Maison de Black soutenait mordicus que Serpentard était l'unique option valide, mais n'importe quel imprudent de premier calibre se serait senti intimidé devant le silence de mort ayant suivi l'annonce de la destination finale de Sirius.
Les élèves suivant l'étendard du lion avaient carrément oublié d'applaudir le nouveau venu, beaucoup trop occupés à laisser leur mâchoire pendre par terre, MacGonagall avait dû gentiment pousser le garçon dans la bonne direction en dépit d'être visiblement sonnée elle-même, et la Répartition avait eu beau reprendre parce que c'était arrivé dans les toutes premières minutes, plein de gars et de donzelles disséminées dans la Grande Salle lui avait adressé des coups d'œil en coin et des chuchotis.
Sirius avait presque eu envie de courir remonter dans le train pour retourner à Londres, loin des regards et des murmures, pas réellement une conduite qu'on attendrait d'un type expédié dans la maison des preux aventuriers, et ça n'avait réussi qu'à amplifier son malaise, il avait l'impression que son visage n'était plus le sien, comme si les visages pouvaient se perdre et se confondre avec ceux des autres à la manière des slips.
Il savait que dans le tas des éberlués, il y avait forcément Andy and Cissy – Merlin et Morgane soient remerciés, Bella n'était plus à Poudlard, elle aurait piqué une crise bien embarrassante devant les élèves et les professeurs aussitôt après l'annonce – et que les cousines ne se priveraient pas pour moucharder le scandale auprès de la famille. En fait, Sirius préférait nettement que ça vienne d'elles, au moins ses cousines avaient parfaitement intégré les leçons sur le tact et l'étiquette, elles sauraient dévoiler l'info sans flanquer une crise cardiaque à Walburga Black.
Mince alors, est-ce que les recommandations et les conseils dispensés afin qu'il se fasse des alliés au sein de la maison des serpents étaient encore valides ? Sirius nourrissait de gros, gros doutes sur le sujet, il n'allait pas mentir, rien ne s'était passé comme prévu et ça changeait forcément la donne.
Ouais, la soirée avait été stressante, et rien ne s'était arrangé pendant la semaine d'introduction, alors qu'il luttait pour ne pas se perdre dans les couloirs – bon sang, personne n'avait donc pensé à créer une carte du château et non il n'en avait rien à fiche que les couloirs et les escaliers ne veuillent pas rester en place, si l'idée était formulée rien n'empêchait de la réaliser – et ne pas se tirer des étincelles dans les manches ou les cheveux du voisin – beau moyen d'encourager les bonnes relations avec Poufsouffle, ça, il n'était pas sûr que la fille ait été convaincue de sa contrition malgré son sourire navré et ses excuses abondantes – et ne pas se cogner la tête contre le bureau parce que non, la pratique ne servait à rien sans la théorie et ça signifiait prendre des notes – oui, il avait une calligraphie très correcte et lisible, mais il ne se sentait pas une âme d'écrivain, il voulait utiliser sa baguette flambant neuve qui piaffait d'impatience entre ses doigts, depuis le temps qu'il attendait de l'avoir !
Dans des circonstances pareilles, le scandale de sa Répartition était un ragot sur son compte dont le fier Héritier de la Maison Black se serait volontiers passé.
« Hé, en plus de leur aîné à Gryffondor, les Black n'auraient pas perdu leur cadet ? »
« Mais si, ma tante ne pouvait parler que de ça ! Oh, ils ont essayé de garder ça caché, d'étouffer l'affaire, mais tu penses bien que c'est pas possible, il faut bien expliquer aux Aurors pourquoi tu veux leur aide... »
Après réflexion, Sirius ne voyait aucun problème à ce que le reste du corps étudiant jacasse sur le fait qu'il n'était pas dans la bonne maison et avait jeté l'opprobre sur des siècles de tradition Black. Tout plutôt que d'entendre les gens bavarder sur ça.
« Il est mort, d'après toi ? »
« Que veux-tu qu'il soit d'autre ? Après tout ce temps sans être retrouvé, et à cet âge ! Tu lui donnes beaucoup de chances de survie ? »
« Mais ça a pu arriver comment ? À moins que les parents l'aient fait exprès – attends, ils oseraient pas, quand même ? Leur propre fils ! »
« Ben, c'est une famille très traditionnelle, les Black… et très attachée à la magie noire, sauver l'honneur, ce genre d'histoires. Tu sais bien qu'à partir de sept ans, quand un petit n'arrive toujours pas à produire un pet de magie, c'est fréquemment pas bon signe... »
« Mais pourquoi ils seraient allés voir les Aurors, dans ce cas ? Faudrait être idiot, quand tu as un cadavre dans le placard ! »
« Si ça se trouve, ils voulaient brouiller les pistes, se donner des airs de victime, ça serait exactement le style d'Arcturus Black, tu n'imagines pas les combines qu'il a montées avant de se retirer de la scène politique ! À t'en faire dresser les cheveux sur la tête ! »
« Chut ! Taisez-vous ! Voilà le fils Black qui arrive, il va nous entendre ! »
Pourquoi les gens pensaient-ils qu'ils se montraient discrets en chuchotant dans un couloir de pierre dont les murs renvoyaient le son avec une parfaite clarté en avant et en arrière du chemin, c'était la grande question sur laquelle Sirius se prenait à méditer sinistrement.
Il voulait crier après ces bien-pensants qui inventaient des crimes horribles. Il voulait sortir sa baguette et utiliser les sorts favoris de sa grand-tante Cassiopeia, elle avait un faible pour infliger des sévices plus créatifs les uns que les autres aux rotules humaines. Il voulait foncer les poings en avant et briser des nez dans un flot de sang.
Il restait juste paralysé dans le couloir, se mâchonnant la langue alors qu'il se rappelait le soir où un homme barbu en fauteuil roulant moldu s'était introduit dans la cuisine pour expliquer à ses parents que Reggie ne voulait pas rentrer à la maison, que son autre famille s'occuperait de lui maintenant.
Mâchonnant les explications qu'il ne pouvait pas fournir, parce que c'était une affaire de famille, et ça ne regardait personne en dehors de la famille, surtout pas une troupe d'idiots qui n'avaient rien de mieux à faire que s'inventer des horreurs qu'ils se racontaient avec des mines gourmandes, comme si c'était marrant, comme si c'était juste un jeu.
Mais c'était loin d'un jeu pour Sirius, qui ne savait rien de ce qui était arrivé à Reggie depuis que le garçon plus jeune s'était sauvé de la maison du 12, qui ne savait même pas si son petit frère viendrait à Poudlard quand il atteindrait onze ans.
(c'était loin d'être un jeu pour Maman qui pleurait sans bruit la nuit, la tête enfouie dans les oreillers de Reggie même si le coton ne gardait plus aucune trace de son odeur)
Seulement, il ne pouvait pas dire ça, il s'agissait d'une histoire privée qui ne regardait personne d'autre que les Black, et de toute façon les mots pesaient trop lourd sur sa langue, menaçaient de la réduire en plomb.
Alors il ne disait rien, et les gens se taisaient à son approche, et c'était tout.