Lorsque Phil – mais vous allez arrêter d'induire les gens en erreur, puisque je vous dis que je m'appelle Xenophilius et que ça n'a rien à voir, oui c'est sans doute plus dur à prononcer et se rappeler mais impossible de confondre à moins de le faire réellement exprès – revint de Poudlard pour célébrer le Nouvel An avec le reste de la Colonie des Sang-mêlés, le pauvre fils d'Apollon n'avait pas du tout l'air dans son assiette.

Pour un garçon dont le père comptait la médecine parmi ses innombrables domaines, c'était plutôt inquiétant – en règle générale, les pensionnaires du septième bungalow prenaient soin de leur alimentation et de leur sommeil, or l'apprenti sorcier avait la mine hagarde, éreintée du gars qui se retourne pendant des heures dans son lit au lieu de s'abandonner à des rêves réparateurs et qui chipote face au contenu de son assiette pour se refuser à ingurgiter la moindre miette.

Inutile de préciser que la horde des rejetons blonds aux yeux bleus d'Apollon avait fondu sur leur frère revenu afin de le cuisiner en long, en large et en travers sur le pourquoi de cette dégaine atroce. Bien sûr, à en croire Démona qui reniflait de mépris, il ne s'agissait pas tellement de compassion mais davantage de préserver la réputation du septième bungalow – Apollon était une divinité solaire, il fallait que le reste du monde tourne autour de lui et pour cela, personne qui habitait entre ces murs n'était autorisé à être moins que parfait.

À cela, Kevin aurait bien voulu rétorquer qu'en fait de nombrilisme démesuré, Aphrodite ne se posait pas trop mal non plus. En fait, le reste du panthéon Olympien pouvait répondre à ce critère, certains nettement plus que d'autres – mais le garçon n'avouerait jamais ceci à voix haute, y compris sous la torture, il ne cherchait pas à se faire griller par un éclair ni transformer en araignée, certainement pas avant d'avoir gagné une renommée minimum nationale en tant que danseur, et probablement pas après.

Aussi, Phil n'avait jamais été exactement séduisant pour son bungalow. Oui, ses cheveux étaient blond brillant comme le soleil, oui, ses yeux étaient d'un bleu resplendissant qui donnaient l'impression qu'on lui avait percé deux trous dans le crâne pour y apercevoir le ciel en été, mais il tendait à se fagoter comme un hippie à qui personne n'avait indiqué que Woodstock avait pris fin depuis dix-huit ans, il fixait votre nez ou vos oreilles avec tellement d'attention lorsqu'il vous parlait que vous vous demandiez s'il n'allait pas vous les arracher, et même en prenant en compte la vie de dingue menée par un demi-dieu il croyait des histoires proprement abracadabrantes, genre que construire une fusée dans son jardin pour visiter la lune et en rapporter un sac de grenouilles était faisable.

Kevin aurait été très content d'ignorer le bonhomme – s'il voulait des nouvelles de Poudlard et de sa famille, il pouvait demander à Teddy, tant pis si en échange il lui fallait endurer les éloges à n'en plus finir de cousine Andy, Teddy ne démordait toujours pas de son béguin et à ce stade il était vraisemblablement mûr pour acheter une bague de fiançailles, Calixte et Louison lui glissaient déjà des magazines en douce pour lui suggérer des recommandations – si seulement ça n'impactait pas Janis, laquelle était distraite par les problèmes de son petit frère et avait donc moins de temps à consacrer à son élève d'un autre bungalow.

C'était irritant. C'était inacceptable, et c'était sans doute la marque d'un personnage désagréablement nombriliste – lui qui critiquait les Olympiens, pouvait-il encore se plaindre – mais le chemin de Kevin était tout tracé, il lui fallait s'adresser à Phil Lovegood pour voir s'il n'existait pas moyen de résoudre le problème et de redonner à Janis sa paix intérieure, parce qu'elle se rongeait les ongles quand elle se sentait énervée et ce n'était absolument pas esthétique, le bungalow d'Aphrodite frémissait de dégoût à cette vue.

Le garçon brun attendit que les pensionnaires de la Colonie soient tous occupés à se souhaiter une bonne année et à échanger les bonnes résolutions qu'ils ne tiendraient pas en dépit de leurs vigoureux efforts pour approcher le blond plus âgé – avec le bruit des conversations alentours, personne ne les entendrait ni ne les remarquerait sans penser que leur échange était on ne peut plus anodin.

« Alors, tu as l'intention de davantage te ménager, pour le trimestre à venir ? » lança nonchalamment le résident du bungalow rose, conscient que si son interlocuteur se sentait aux abois, il disparaîtrait dans la foule et se cacherait derrière un frère ou une sœur plus spécialisée dans le combat physique.

Phil se frotta un œil avec lassitude – ses paupières étaient bouffies et grisâtres, signe accusateur d'insomnie.

« Si seulement » soupira-t-il, « mais c'est un facteur qui ne dépend guère de moi. Pourquoi faut-il que les autres ruinent votre avenir... »

Cela aurait pu être une remarque innocente, le genre que n'importe qui profère afin de se lamenter sur sa misérable existence, sauf que Phil Lovegood n'avait rien d'un humain innocent. Un fils d'Apollon – le dieu des prophéties, le protecteur de l'Oracle de Delphes et vainqueur du grand serpent Python – ne parlait pas de l'avenir nonchalamment. Surtout pas un fils d'Apollon fortement soupçonné, bien que jamais confirmé, d'avoir hérité des visions prophétiques de son divin géniteur.

« Oh, vraiment ? » commenta Kevin, se concentrant. « Raconte donc. »

Sa colonne vertébrale le picotait furieusement, la nausée lui nouait les tripes alors qu'il s'apprêtait à utiliser sciemment ce pouvoir maudit qu'il n'avait jamais voulu, jamais demandé, ce pouvoir qui lui échappait constamment pour n'en faire qu'à sa tête, mais c'était pour une bonne cause, n'est-ce pas ? C'était pour Janis, et c'était pour le propre bien de Phil aussi, il avait besoin de parler de son problème pour que celui-ci puisse se voir régler son compte.

La voix de Kevin baissa d'un ton, prit des sonorités caressantes, tendres, enjôleuses.

« Raconte-moi. »

Le fils d'Apollon cligna des cils blonds, ses yeux bleus un peu plus étourdis que d'habitude, et le cœur de Kevin battait la chamade. Avait-il injecté trop peu de volonté dans ces deux mots ? Aurait-il dû employer une phrase plus élaborée ? Son interlocuteur était-il conscient de ce que l'enfant d'Aphrodite venait de tenter, allait-il se mettre à crier des accusations et appeler à l'aide…

« Je… qu'est-ce qu'il y aurait à raconter, franchement ? » se décida finalement à marmonner le blond, l'expression toujours un brin assommée. « J'ai un très mauvais pressentiment pour l'année à venir. »

Tiens donc. Paradoxalement, le rythme cardiaque de Kevin se stabilisa – tant mieux, il ne voulait pas subir une attaque à son âge, ce serait devenir une célébrité pour une raison exécrable et il n'était pas ce genre particulier de désespéré, qui se tapissait dans les bas-fonds hollywoodiens pour mieux hanter les tabloïds avec leurs actes grotesques.

« Quoi, un pressentiment ? Quelqu'un va rater en beauté ses examens de fin d'année ? » suggéra le garçon brun, gardant un ton léger pour garder sa cible à l'aise, l'inciter à en livrer davantage, les gens ne pouvaient pas résister à la perspective d'expliquer combien ils savaient.

Phil se tripotait les mains, massant les articulations de l'une à l'aide de l'autre dans ce qui constituait un effort criant pour se calmer.

« Quelque chose a plané très longtemps dans l'ombre de cette Colonie » révéla le fils d'Apollon, « et maintenant, cette chose va enfin se mettre à bouger. Elle ne sortira pas de l'ombre, mais ce sera une année très critique. »

Oh. C'était – pas du tout inquiétant. Notez le sarcasme.

« Et c'est quoi ? » pressa Kevin, seulement pour que son interlocuteur retrousse ses lèvres sur un éclair de dents blêmes.

« Ce serait bien de savoir, hein ? Mais non, il y a une raison pour que la prophétie soit appelée un don et une malédiction, et c'est qu'elle ne donne jamais les bons détails » gronda le blond plus vieux avant de s'affaisser. « Pardon. Je crois que je vais aller me coucher, je tiens plus debout. »

« Bonne nuit ! » lança hâtivement le jeune brun en le regardant s'éloigner, l'abandonnant avec un essaim de pensées tournoyant furieusement sous son crâne, l'une surnageant plus que les autres.

Janis, je crois que le problème de ton frère ne pourra pas se régler de sitôt.