Au bout du compte, Andromeda n'aurait pas dû se préoccuper pour le devenir de son petit cousin dans l'antre des lions. Pourtant, elle avait eu d'excellentes raisons – Sirius venait d'une famille traditionnellement affiliée aux Ténèbres, aux coutumes précédant l'arrivée de la chrétienté en Grande-Bretagne dans toute leur gloire sanguinaire et perturbante, aux créatures si entièrement différentes de l'humanité que le réflexe primaire en les rencontrant consistait à fuir à toutes jambes ou dégainer son arme. Gryffondor prônait de plus en plus l'ouverture aux nés-Moldus, l'adoption des usages modernes et le rapprochement avec les autres communautés humaines du Royaume-Uni, tant pis si elles n'avaient pas de magie.

À titre personnel, Andromeda trouvait leur agenda politique ridicule – quand vous pouviez utiliser la magie, vous étiez déjà différent de ce que le monde en dehors de la société sorcière acceptait, et ce n'était pas un monde réputé pour effectuer des miracles de tolérance. Si les Obscurials existaient, c'était pour une bonne raison. Les hommes ne voulaient pas être frères, alors pourquoi ne pas rester chez soi ? Ce n'était pas comme s'il manquait de merveilles dans la face cachée du monde.

Elle aurait eu du mal à se fondre dans la masse rouge et or placée sous l'étendard au lion, et naturellement elle avait présumé que Sirius en ferait de même. Mais la Répartition de son petit cousin avait été un présage des plus nets, et maintenant que le réveillon était passé, que la nouvelle année débutait fraîche et neuve, il était évident que l'Héritier de la Noble et Très Ancienne Maison de Black s'entendait comme larrons en foire avec un certain James Potter.

La jeune femme connaissait vaguement la famille Potter, principalement grâce à des ragots – Henry Potter critiquant ouvertement le Ministre Archer Evermonde de refuser d'apporter secours et protection à la communauté Moldue pendant la Grande Guerre, comme elle était connue à l'époque avant qu'une seconde guerre plus terrible et violente n'éclate quelque vingt ans après. Le fils de Henry, Fléamont Potter, devenant richissime pour avoir fignolé une recette de shampooing et se retirant paisiblement des affaires pour vivre de ses rentes. Grand-tante Dorea épousant Charlus Potter, un neveu de Fléamont si elle ne s'embrouillait pas dans ses généalogies, avant d'emménager au Pays de Galles avec lui et de lui donner un fils ainsi qu'au moins deux filles, lesquelles envoyaient des lettres polies mais le contact se limitait à cela.

Peut-être que ce James Potter était familier avec Grand-tante Dorea ? Auquel cas, il aurait pu vouloir se rapprocher de Sirius par loyauté envers le sang. Si tel était le cas, Andromeda devait lui offrir un cadeau approprié afin d'exprimer sa gratitude – quelque chose de simple, qui ne sous-entendrait pas qu'elle se considérait si éperdument reconnaissante qu'elle était prête à lui vouer une servitude éternelle. Un kit d'ingrédients pour potions ? Si Fléamont était un potioniste talentueux, il aurait enseigné ses recettes et astuces à son héritier…

En plus du rejeton Potter, Sirius paraissait s'être entiché d'un morveux d'aspect peu reluisant, arborant la mine maladive de celui n'ayant que peu de temps à vivre. C'était du Siri pur jus, cela : quand il ne ramenait pas les araignées dans la maison afin de les noyer dans le lavabo, il interdisait à Kreattur de tuer les rats qui se glissaient dans la cuisine pour dévorer les légumes et les fruits frais livrés le jour même et fondait en larmes quand grand-père Pollux, lequel élevait des chiens dans sa propriété de campagne, noyait un chiot trop petit pour survivre bien longtemps.

James Potter avait intérêt à se montrer sacrément à la hauteur, le jour où ce petit pouilleux – bon, pas franchement pouilleux vu la propreté de son uniforme, mais sa façon de se ratatiner sur lui-même lui conférait une exaspérante allure de mendiant – rendrait enfin l'âme, Sirius volerait en éclats et ferait une scène digne d'un vaudeville rédigé par un écrivaillon de quatre sous, le genre à rajouter dans le mauvais goût parce qu'il croyait que la passion vendait davantage de tickets.

Et puis il semblait y avoir un quatrième garçon, peu digne qu'on s'y intéresse, taillé dans le même bois que l'essaim de poules qui entourait constamment Andromeda et ses sœurs, un suiveur qui cherchait un protecteur plus glorieux, plus riche que lui, quelqu'un avec le potentiel de l'arracher à sa médiocrité affligeante. Utile pour les basses corvées, simple à récompenser, mais courant le risque de vous lâcher s'il pensait trouver meilleure fortune ailleurs, et malheur à vous si la fortune en question était offerte par un ennemi de votre personne et de votre famille. Pas un atout fiable, donc, et la jeune femme se demandait ce qu'un môme de cet acabit pouvait bien trafiquer chez les Gryffondor – entre ça et Sirius, on pouvait légitimement se demander si le choixpeau glissait dans le gâtisme, au bout d'un millénaire d'existence, un être sapient tournait forcément un brin excentrique.

Dans l'ensemble, la situation de l'Héritier apparaissait stable – un peu précaire en raison du pouilleux et du larbin à l'allégeance discutable, mais le rejeton Potter compensait bien. Andromeda ne pensait pas devoir intervenir, alors elle avait écrit une lettre ou plutôt un rapport concernant son petit cousin, l'avait adressée à son chef de famille, et s'était lavée les mains du reste. Que Sirius fasse ses preuves, il était un mâle dans la ligne de succession au poste de Patriarche Black et le démontrerait – ou pas, mais Andromeda avait trop bien fréquenté son cousin pendant leur enfance, elle n'était pas aveugle au point de ne pas remarquer qu'il partageait le volcanique tempérament Black avec Bella – au cours de sa scolarité, de manière absolument fracassante et impossible à manquer.

Sirius pouvait prendre soin de ses propres arrières, Andromeda avait bien assez de ses propres préoccupations. En l'occurrence, son mariage imminent.

Son père n'avait pas encore déterminé le candidat précis, mais elle ne se faisait pas d'illusions sur ses choix – les jeunes mâles au pedigree suffisamment impeccable pour passer les intransigeant critères de sélection de Cygnus Black n'étaient pas légion, et tous jusqu'au dernier avaient un défaut la mettant très, très mal à l'aise.

Amycus Carrow, un peu trop proche de sa sœur Alecto pour n'être qu'un frère attentionné. Gustave Goyle, plus enclin à réfléchir avec ses poings qu'avec sa tête et qui n'aimait pas qu'on lui tienne tête. Corban Yaxley dont la soif de réformes ministérielles prenait des proportions pour le moins tordues, et qui même avant regardait toujours ses interlocuteurs avec le mépris réservé à de la fiente dans le caniveau. Augustus Rookwood qui souriait et s'enquérait poliment de votre santé et de vos dernières activités afin de pouvoir vous faire chanter au moment opportun.

Aux yeux de Cygnus Black, un sang vierge de souillure et une famille à la réputation irréprochable, la garantie d'une vie à l'écart des roturiers cherchant à répandre leurs opinions populistes et révolutionnaires, cela méritait bien qu'on tolérât quelques défauts, quand bien même ces défauts étaient de ceux qui vous ruinent un mariage et traumatise les enfants produits par cette union.

Andromeda était plus exigeante que son géniteur. Elle ne supportait pas les défauts, surtout pas quand elle les trouvait chez la personne qu'elle devrait se coltiner pour le restant de sa vie après l'école, avec qui elle devrait partager des enfants, un lit, un nom de famille, toutes ces choses trop intimes pour être prises à la légère.

Mais qui trouver d'autre ? En tant que fille de la Noble et Très Ancienne Maison de Black, ce n'était pas comme si elle pouvait épouser le premier roturier à frapper à sa porte le matin. Elle méritait le meilleur – elle voulait le meilleur, parce que si vous ne pensiez pas que le meilleur vous était dû, vous commenciez à croire que vous étiez un étron bon à jeter aux ordures, et ça non merci.

Elle voulait le meilleur – et ma foi, le sang divin, il n'y avait guère de choses qui lui soient supérieurs, n'est-ce pas ?

Non, ce n'était pas une question d'amour. Andromeda s'arrangeait simplement pour que son avenir ne soit pas aussi lamentable qu'il promettait de tourner si elle le laissait entre les mains de son père.

C'était sa vie, elle pouvait bien avoir son mot à dire sur le sujet.