Le 15 juillet 1987, journée assez peu remarquable pour le restant du monde qu'on fusse en Amérique du Nord ou dans le Royaume-Uni, Andromeda Black rassembla les bijoux qu'elle avait accumulés à force d'anniversaires et de diverses autres célébrations où les membres de sa famille se faisaient une obligation de contribuer à sa fortune personnelle, ainsi que ses livres sur la mythologie et le fonctionnement des lois internationales, elle enfila ses bottes les plus confortables pour aller avec sa belle robe jaune et son petit chapeau orné d'une plume de corneille, et elle s'échappa de la Noble et Très Ancienne Maison de Black.
En fait d'évasion, l'entreprise s'avéra d'une banalité assez décevante, le genre qui pousserait Sirius et Bellatrix à bâiller d'ennui en raison du manque affligeant d'explosions, de cris stridents et de folles poursuites où les sorts fusaient dans tous les sens, le genre qui véhiculait le risque de rater au dernier moment parce que les participants se concentraient davantage sur le massacre du camp adverse que sur la réussite de leur plan initial. En vérité, c'était vraisemblablement un point en faveur de l'évasion préparée par Andromeda qu'elle ne ressemble en rien à celles exaltées par les romans d'espionnage et de guerre si chers à ses romantiques cousin et sœur aînée.
Une simplicité à pleurer, vraiment. Après avoir soigneusement cacheté la lettre d'adieux – adressée à Mère et Cissa, principalement, Père n'accepterait jamais de voir ainsi défier son autorité – pour la déposer bien visible sur son bureau, attendant d'être lue, la fille cadette de Cygnus Black était sortie de chez ses parents par la porte de devant, prétendant devoir se rendre au Chemin de Traverse afin de profiter du nouveau salon de thé venant d'y ouvrir.
Ce n'était pas un mensonge, puisqu'elle devait y retrouver un certain demi-dieu au regard pailleté, un peu gêné d'avoir été habillé par sa nuée de sœurs comme il convenait pour un évènement si marquant de sa vie, la fuite du pays en compagnie de sa chère et tendre. Très franchement, Edward Tonks était sans doute la coqueluche du bungalow d'Aphrodite pour ce qu'il s'apprêtait à commettre, un crime aussi mémorable aux yeux de ses sœurs que le légendaire rapt d'Hélène par le prince troyen Paris.
D'accord, les enjeux s'avéraient nettement moins catastrophiques dans le cas présent, puisque personne n'avait encore épousé Andromeda et malgré la richesse et la notoriété des Black, ils ne dirigeaient certes pas la Grande-Bretagne magique. La nouvelle causerait un scandale, naturellement, mais n'irait pas plus loin.
Un peu de scandale ferait du bien à Cygnus Black, songeait Andromeda alors qu'elle vidait sa tasse de chocolat chaud. Peut-être même que cela lui inculquerait un zeste d'empathie envers la branche principale de la famille, avec son enfant se volatilisant dans les airs, mais elle ne nourrissait pas grand espoir sur le sujet. La fugue de Reggie était une tragédie, puisqu'un jeune enfant avait été choqué au point de renier ses propres parents, tandis que le refus d'Andromeda de se plier à la volonté de son géniteur pour choisir son propre prétendant ne serait jamais que rébellion malvenue.
« Tu es prête ? » interrogea Edward, la nervosité induisant un tremblement dans sa voix si suave. « Si… je peux toujours te raccompagner chez toi, si tu le souhaites. »
Elle lui pressa la main et eut un petit sourire, moitié exaspéré de le voir si poli, moitié attendri précisément à cause de sa délicatesse.
« Allons-y » l'encouragea-t-elle. « Ne faisons pas davantage attendre Calixte et Louison, je les soupçonne prêtes à te jeter en pâture à une manticore si tu ruines l'occasion. »
Le demi-dieu rigola brièvement, avant d'offrir galamment son bras à la sorcière et de solliciter l'usage de la cheminée du salon du thé, nous avons une longue route à faire, comprenez-vous, et la famille piaffe déjà d'impatience.
Quand le couple émergea du feu de camp éternellement allumé de la Colonie, le bungalow d'Aphrodite était rassemblé autour des flammes, plus les amis et connaissances voulant participer à la fête ainsi qu'une poignée de pique-assiettes, Reggie placé devant, les mains sur les hanches et le regard lourd de jugement.
« Alors » déclara le garçon bientôt en âge de fréquenter Poudlard, « votre décision a été prise, et je suppose qu'elle est irrévocable. »
Edward lâcha le bras d'Andromeda afin de se plier en une courbette exagérée.
« J'implore la bénédiction familiale, cher cousin de ma délicieuse Andy. Pitié pour un pauvre fils de la Dame des Colombes, je ne saurais vivre sans amour » récita le jeune homme, juste assez théâtral pour provoquer des gloussements dans l'assistance, juste assez sincère pour que la sorcière sente le rose lui chauffer les pommettes.
Reggie roula des yeux avant de se tourner vers sa cousine.
« Il fait quoi que ce soit que tu n'approuves pas, castre-le et oblige-le à manger ses roupettes » lança-t-il.
« Il faudra déjà que je lui en donne l'opportunité » riposta la jeune femme en adressant un regard possessif à son soupirant.
Le garçon aux boucles noires renifla hautainement, puis rendit les armes.
« Et bien, elle a parlé, elle veut ça pour une raison qui m'échappe, et elle est trop fière et trop intelligente pour rester enlisée dans une relation où elle ne trouve ni plaisir ni bonheur. Je suppose que Teddy devra faire l'affaire, si ma cousine ne trouve pas de meilleure option. »
« Vive les mariés ! » s'écria Irma qui ne pouvait plus se retenir, et bientôt les félicitations et les souhaits de prospérité et de stabilité se mirent à pleuvoir sur le jeune couple, en dépit du fait qu'ils n'allaient pas célébrer leur mariage le jour même.
Légalement, le mariage avait déjà eu lieu, voyez-vous. Plus tôt dans le mois, Edward avait réquisitionné un certificat de noces au bureau des affaires civiles du Ministère, l'avait rempli en présence du notaire toujours disponible à son guichet, puis Andromeda était passée quelques heures après pour venir apposer son nom et sa signature sur le papier, non sans confirmer auprès du notaire qu'elle faisait cela de son plein gré et en toute connaissance de cause.
Maintenant, le certificat avait été archivé dans le Ministère, et une copie dans le sac d'Edward attendait d'être présentée à un notaire du MACUSA pour que le mariage demeure valide même au cas où Cygnus ferait pression sur l'administration anglaise afin d'obtenir une annulation. Et vu le nombre de vacances passées en France par la Noble et Très Ancienne Maison de Black, Andromeda envisageait de confier sa propre copie – oui, elle en avait une également, copier plusieurs fois un papier légal n'était que bon sens et prudence vu les aléas de la vie menant à perdre ou détruire la paperasse importante – au notaire de tante Lulu sur la Côte d'Azur, la vieille dame trouverait certainement l'histoire follement amusante, ou à celui de grand-tante Melania en Lorraine.
Andromeda aurait été en paix si son mariage s'était réduit à cela, un assortiment de certificats soigneusement éparpillés dans trois pays différents, mais Edward avait le tempérament romantique et partageait ce défaut avec le reste de sa nombreuse fratrie, si bien que ce serait un jour de célébrations à la Colonie des Sang-Mêlés, il ne pouvait en être autrement. Surtout quand vous étiez un demi-dieu et accoutumé à la perspective de mourir ou de perdre un camarade dans un jour prochain, vous ne vouliez pas manquer une occasion de réjouissance.
Il y avait eu des monceaux de fleurs, cadeau du bungalow de Déméter, tressées en guirlandes pour orner les bâtiments et pour en couvrir les têtes et les épaules du jeune couple, il y avait eu de la musique jazz chantée par le bungalow d'Apollon pour que tout le monde puisse danser, il y avait eu une crise quand un gourmand avait tenté de voler le gâteau préparé avec soin par Louison et avait échappé de justesse à un lynchage, il y avait eu un discours du centaure sur le temps qui passait et les enfants qui grandissaient pour mener leur vie, et il y avait eu…
Quand le soir s'était amené à pas de velours bleu, que la fête avait ralenti pendant que les lampions s'allumaient et que l'orchestre prenait une pause après du Frank Sinatra, quand Edward avait pris dans ses bras Andromeda qui ne tenait plus debout afin de l'emmener dans une chambre d'ami à l'étage de la grande maison pour plus d'intimité…
Il y avait eu la nuit de noces.
