J'ai oublié de te dire
que je fredonne encore ton nom dans le silence,
entre deux vagues, entre deux souffles.
Que le froid me réveille chaque nuit, sans exception,
et que je tends la main vers une absence familière.

J'ai oublié de te dire
que je te vois dans les ombres des arbres,
dans le reflet des flammes,
dans les visages de ceux que je sauve pour t'oublier.

J'ai oublié de te dire
que je t'ai aimé jusqu'à me briser,
jusqu'à m'effacer,
jusqu'à ce que la seule chose qu'il me reste … soit ton silence.

L'été offrait encore sa tiédeur à la terre, même au cœur de la nuit. On entendait, par instants, le frottement régulier d'un criquet, l'écho lointain d'un oiseau nocturne, et le bruissement paresseux des feuillages de la forêt voisine. L'air sentait la pierre, les braises froides et l'humidité des fougères.

Allongée sur une couverture de fortune par-dessus un tapis de mousse, au creux d'une clairière sur les hauteurs, elle ouvrit les yeux avant même que le rêve ne s'efface, sans un mot.

Elle ne se réveillait jamais en sursaut. Juste… trop tôt. Toujours. Son souffle était calme, mais tout en elle était tendu, comme à l'écoute d'un écho ancien. La nuit était encore dense, paisible, trop paisible pour que ce soit honnête. Pas un bruit, pas une vibration dans la Force. Et depuis une semaine, aucun signe de l'Empire.

Le ciel, ouvert et clair, laissait deviner une lune presque pleine, basse et dorée, caressant la terre d'une lueur opaline. Le genre de nuit douce que les poètes aiment — mais qui, pour elle, n'était qu'un autre rappel de ce qu'elle avait perdu.

Son regard glissa d'abord vers son carnet, posé sur une pierre plate à quelques centimètres de là. Une esquisse, encore fraîche : un enfant endormi dans les bras d'une femme. Les lignes étaient douces, précises. Le genre de trait qu'on ne trace qu'en silence, quand le monde dort.

Ses longs cheveux pâles étaient encore légèrement emmêlés par la brise, s'étalant sur l'herbe sombre comme des fils de lune. Une mèche collait à sa joue, là où la sueur ou les larmes avaient laissé leur trace. Son haori glissa un peu de son épaule lorsqu'elle se redressa.

Le feu, qu'elle avait laissé mourir au fil de la nuit, ne brillait plus que par souvenir. Les braises, désormais froides, formaient un cercle noir sur le sol. Pas une fumée. Pas une chaleur. Comme un cœur éteint, mais encore présent.

Elle n'avait pas un crédit en poche. Mais elle avait l'habitude. Dormir dehors ne lui faisait ni peur ni honte. Le sol était plus sincère que la plupart des lits qu'on lui avait proposés.

Elle respira, lentement, posant une main sur sa poitrine. Un souffle fragile, qu'elle maintenait malgré la douleur lancinante que ses poumons lui rappelaient dès l'aube venue. Elle n'avait rien à soigner — du moins, pas aujourd'hui. Alors elle endurait.

Elle se leva avec la souplesse d'une ombre.

Il restait une heure avant l'aube.

Silencieuse, elle rangea son carnet, enroula la couverture, vérifia que rien n'était laissé derrière. Elle ne laissait jamais de trace. Pas parce qu'elle fuyait. Mais parce qu'elle savait que le moindre oubli pouvait coûter cher.

Ses doigts, fins et pâles, s'attardèrent un instant sur l'alliance qu'elle portait toujours à son doigt, puis sur son pendentif usé, glissé sur une chaîne d'argent, tout contre son cœur. Elle le serra doucement, puis le lâcha.

Elle longea la bordure de la clairière, ses pas effleurant les pierres et les hautes herbes.
Elle portait des vêtements simples, pratiques — amples pour couvrir, souples pour bouger. Le haori noir flottait derrière elle, brodé de motifs discrets à peine visibles à la lumière de la lune.

Un peu plus loin, le terrain s'élevait, jusqu'à un promontoire rocheux.

Elle grimpa sans bruit, comme elle avait appris à le faire enfant, avant même d'avoir des mots pour nommer les choses. À l'époque, survivre ne nécessitait pas de titre. Juste de savoir quand marcher, quand respirer, et quand se faire oublier du monde.

Au sommet de la falaise, le vent l'accueillit. Léger. Salé.

L'océan s'étendait en contrebas comme un drap d'encre sous la clarté lunaire, infini, immobile pour une fois. Les étoiles s'y reflétaient comme des souvenirs éteints et l'horizon semblait irréel, effacé entre les nuages et l'eau.

Elle s'arrêta là. Simplement. Silhouette noire sur fond d'argent. La lumière caressait son visage sans jamais y laisser de chaleur. Ses yeux, clairs et vastes, fixaient l'infini avec une intensité calme, presque absente.

Le spectacle était sublime. Éternel.

Et pourtant… elle ne ressentait rien. Rien d'autre que ce vide ancien, ce creux qu'aucun chant, aucun souffle, aucun lever de soleil n'avait encore pu combler.

Une unique larme, tiède, traça sa route le long de sa joue.

Son visage ne bougea pas.

Elle avait l'habitude.


D'un mouvement simple, elle rabattit son haori, ajusta la lanière de son sac, et tourna le dos à l'horizon.

L'aube approchait. Et dans le village voisin, on aurait bientôt besoin d'elle.

Des enfants à soigner. Des vieillards à soulager. Des douleurs simples, concrètes. Des blessures qui ne demandaient qu'un peu de chaleur, un peu de chant, un peu d'attention.

D'autres vies à réparer. D'autres douleurs qui ne seraient pas les siennes.

La clairière était paisible. Trop paisible. Elle tourna le dos à la mer. Ajusta son sac. Et s'éloigna dans le vent du matin.