L'odeur de la forêt lui donnait envie de tuer.

Pas parce qu'elle était désagréable — au contraire. L'humus tiède, les résines nocturnes, les fleurs grasses de l'été formaient un parfum presque agréable, si l'on se laissait aller à ce genre de considérations. Pour tout individus, cela aurait été apaisant et enchanteur. Mais Lord Scourge ne sentait rien.

Ni le sol sous ses bottes, ni la morsure de l'humidité dans l'air nocturne, ni l'odeur de la forêt qui chatouillait autrefois les sens des chasseurs.
Il n'entendait pas les feuilles craquer sous les pas des soldats.
Pas vraiment. Il savait qu'elles craquaient. C'était tout.

Ses yeux, éternellement ouverts, ne voyaient plus qu'en différentes nuances de gris.
Le monde était morne. Ternes nuances de formes, d'ombres, d'angles.
Et pourtant…

Elle, il la voyait en couleur.

Il l'avait vue deux fois. Fugacement.
Un éclat de bleu dans un monde de cendre.
Un feu liquide dans des yeux impossibles.
Une illusion ? Une faille ?
Il n'en savait rien.

Mais depuis, il dormait encore moins. Et pensait encore trop.

Scourge ne se laissait jamais aller. Et surtout pas maintenant … Non, ce qui l'agaçait, c'était la vie, cette moiteur végétale trop vivante, trop bavarde dans la Force. Ce bruit constant sous sa peau. Le bourdonnement paresseux des insectes, le bruissement des feuilles gorgées de chaleur, la sueur invisible de la terre encore humide.
Tout respirait, tout vibrait. Et tout cela semblait lui rappeler qu'il n'était plus tout à fait vivant.

Et ce fichu murmure d'eau, au loin. Toujours là, toujours présent.
Comme si elle le narguait. Comme si elle le narguait.

— Elle était là, grogna-t-il à mi-voix, les yeux plissés vers la falaise à peine visible au-dessus de la canopée, où la cime des arbres caressait la lune.

C'était un constat à peine prononcé, un murmure. Pas pour les autres. Pour lui.

Silence.

Les soldats derrière lui n'osaient plus parler. Pas depuis le dernier "incident".

Il en avait éparpillé un contre un tronc pour un commentaire de trop — un de ces murmures qu'il ne supportait plus, ces petits soupirs, ces regards qu'ils pensaient discrets.
Lui, il entendait tout. Et il était fatigué.

Fatigué de leurs doutes. Fatigué de leurs regards. Fatigué d'échouer.

Il avait cent soixante-sept hommes en début de campagne.
Il en restait… bien moins.

Il en avait perdu combien, déjà ?
Trois la semaine passée. Quatre ce mois-ci.
Des hommes remplaçables, certes. Mais les excuses commençaient à manquer.

"Problème de coordination tactique." "Désobéissance en situation de traque." "Erreur de jugement… fatale." Bien que les rapports officiels mentionnent embuscades, mauvaises conditions, ou "dommages collatéraux", la vérité était bien moins glorieuse.

La plupart étaient morts de sa main.

En vérité, ils parlaient trop. Trop fort. Trop librement.
À croire qu'ils avaient oublié qui il était.

Scourge contracta la mâchoire. Le capitaine derrière lui recula d'un pas, comme par instinct.

Le mythique Seigneur Sith ne tourna même pas la tête.

Il détestait cette mission.

Trois siècles d'immortalité. Trois siècles à servir, à observer, à survivre.
Il connaissait la patience comme un amant fatigué. Il savait attendre.
Mais ça, ce n'était plus un exercice pour éprouver sa patience. C'était de l'humiliation.

Lui, la Furie. Le bras de l'Empereur.
Un chasseur de dieux. Un exécuteur de seigneurs.
Et on l'avait flanqué d'un escadron de sous-fifres respirants pour retrouver une guérisseuse errante.

Tout ça parce qu'un membre du Conseil Noir avait explosé en pleine séance. Littéralement.
Et que l'unique témoin encore en vie — un acolyte tremblant — avait murmuré un nom avant de se vider de son sang :
Illaoï.

Depuis, l'Empire voulait une tête. Et Scourge avait été envoyé.

— Seigneur, dit une voix nerveuse dans son dos, à peine audible. Le lieutenant Veyran demande s'il faut établir un périmètre de—

— Qu'il s'établisse lui-même un cercueil, s'il veut. Et qu'il y reste.

La voix se tut. Mieux valait ne pas insister.

Scourge n'avait pas besoin d'eux et surtout, il ne voulait pas d'eux.
Ils étaient là pour l'espionner. Pas pour l'aider.
Et lui n'avait plus l'habitude de sentir les regards sur son dos.

Pas depuis qu'il n'avait plus… rien.
Ni goût. Ni chaleur. Ni douleur. Ni fatigue.
Ni émotions.

Juste la colère.
Pas celle qui brûle. Non. Plutôt celle qui ronge, sourde, viscérale et acide.
Celle qui vous fait détruire des mondes sans frissonner.

Et pourtant… il sentait un frisson. Maintenant. Un frisson sans corps.

Cette femme — cette chose — échappait à toutes les règles.
Elle n'était pas rapide. Pas puissante dans le sens sith du terme.
Mais elle glissait. Hors de ses griffes. Hors de la réalité.

Elle voyageait sans laisser de trace. Elle soignait des villages entiers sans qu'on ne perçoive son empreinte dans la Force.
Elle était partout. Et nulle part.

Et surtout… elle ne réagissait pas à sa présence.

Lui. Un Seigneur Sith immortel. Ignoré comme s'il n'existait pas.

C'était ça, plus que tout, qui l'obsédait.
Pas la traque. Pas les morts. Pas même l'ordre de capture.

Mais ce vide qu'elle lui renvoyait. Ce silence.
Comme si sa colère ne l'atteignait pas. Comme s'il n'était qu'un autre courant d'air dans sa nuit.

Il s'arrêta.

Son armure crissa légèrement lorsqu'il leva la tête vers les hauteurs, là où la falaise mordait le ciel. La lune — invisible à lui sauf par sa silhouette — brillait sans chaleur.

Mais quelque chose d'autre brillait, tout là-haut.
Un souffle. Une trace.

Une vibration presque musicale dans la Force.
Il ne pouvait pas l'entendre. Mais il savait qu'elle existait.

Il serra le poing.

— Elle n'est pas loin, souffla-t-il.

Elle, cette silhouette pâle et silencieuse, qu'ils poursuivaient depuis des mois sans parvenir à ne serait-ce que la frôler.
Elle, qui effaçait ses traces mieux qu'un assassin entraîné.
Elle, qui avec audace parfois guérissait parfois ses propres blessés. Qui soignait et ne tuait pas.

Mais elle était invisible.
Elle lui échappait.
Et pour la première fois depuis trois siècles, cela le rendait… vulnérable.

Il se tourna vers l'un des capitaines.

— Fouillez les hauteurs. Discrètement. Si vous me la ramenez vivante, je vous laisserai vivre un jour de plus en entier.

Le soldat hocha la tête. Il se voulait brave. Il était surtout inconscient.

Scourge resta seul, un instant dans le silence, face à l'océan, à l'endroit même où elle s'était tenue sans qu'il ne le sache.

— Seigneur, dit une voix derrière lui, hésitante. Un homme jeune, récemment promu. Le genre à croire qu'il vivra assez longtemps pour raconter cette mission comme un exploit.

— Je… je voulais signaler que nous avons peut-être une piste… un rapport civil sur une guérisseuse dans un village côtier, à moins d'un jour de marche…

Le colosse tourna la tête lentement. Un regard. C'est tout ce qu'il fallut.

Le jeune soldat recula d'un pas. Trop tard.

Il n'eut pas le temps de s'excuser. Ni de finir sa phrase.

La main de Scourge traversa sa gorge comme une lame. Un éclair rouge, rapide, chirurgical.
Le corps tomba à genoux, puis s'écroula sur le flanc, sans bruit.

— Tu parles trop, murmura La Furie de l'Empereur Noir. Et mal.

Il se baissa et essuya lentement ses doigts gantés sur la cape du défunt.

Un capitaine accourut, pâle, les yeux écarquillés.

Le Sith n'avait pas de haine. Pas de frisson. Cela avait juste été une nécessité.

— Ajoutez-le à la liste des accidents, dit Scourge sans se retourner. Crise respiratoire. Très soudaine.

— Seigneur, je vais…

— Note ce que tu veux, trancha Scourge. Mais fais-le loin de moi.

Le capitaine s'exécuta.

Il se redressa lentement et reprit la marche, seul, s'éloignant de l'escadron comme une ombre en colère. Plus de deux mètres d'armure et de silence. Une statue vivante. Une arme forgée dans le feu et la haine.

Il observa la direction du vent. Il huma la terre.
Il ferma les yeux, et il revit son regard. Ce regard calme, insondable. Dans cette nuit tiède, sous la pleine lune, il ressemblait à un homme qui avait perdu quelque chose.

Elle était proche et glissait encore entre ses doigts, oui.
Mais il sentait — il savait — que ce jeu allait bientôt changer.

Et quand ce jour viendrait, il verrait sa couleur de plus près.