Les galeries naturelles de la grotte étaient fraîches, presque douces. Le vent ne les atteignait pas, et les murs suintaient lentement, goutte après goutte, une condensation tiède issue du sol encore imprégné de l'humidité de l'orage d'il y a trois jours.

La lumière provenait d'un enchevêtrement de cristaux posés ici et là, chargés de particules lumineuses absorbées dans la journée. Un éclairage faible, bleuté, pulsant doucement comme une respiration. L'odeur de mousse, de pierre humide et de sueur humaine emplissait l'espace sans devenir insupportable. C'était un mélange de silence, de fatigue, et d'espoir désespéré.

Illaoï était à genoux.

Son haori relevé jusqu'aux coudes, ses bras tremblaient à peine alors qu'elle élevait, d'un geste lent, une sphère d'eau pure au-dessus du torse d'un adolescent inconscient. La goutte pesait près de deux litres, parfaitement sphérique, suspendue dans les airs à une trentaine de centimètres du corps fiévreux. Ses paumes ne touchaient pas la sphère, mais ses doigts l'accompagnaient, la guidaient, comme un chef d'orchestre au bord du silence.

Elle l'abaissa lentement, la posant avec soin sur les plaies ouvertes, encore boursouflées par la morsure des rakgouls. La surface de la sphère ondula un instant, comme si l'eau goûtait elle-même l'infection, puis se mit à briller faiblement.

Un souffle parcourut l'assemblée. Les villageois, alignés sur les parois, serrant leurs blessés contre eux, regardaient la scène comme une apparition divine. Aucun mot. Juste la tension retenue dans la poitrine de chacun.

L'eau vibra. Puis se fondit lentement dans la peau. Et les plaies disparurent. Pas une marque. Pas un cri. Le garçon ouvrit les yeux. Il n'avait plus mal.

Illaoï ne sourit pas. Elle hocha lentement la tête, releva les yeux, et appela d'un simple geste la personne suivante. Sa voix ne portait plus, alors elle n'essayait même plus de parler.

Elle était à bout. Elle le savait.

Elle n'avait pas mangé depuis l'aube, ni bu depuis midi. Sa tête bourdonnait légèrement, et chaque sphère d'eau lui coûtait un peu plus. Mais il ne restait plus que trois personnes. Trois, et elle pourrait partir avant la nuit.

Avant que le vent ne change. Avant que la Force ne murmure autre chose.

Elle termina un soin, les mains brûlantes de fatigue, les bras lourds comme la pierre. Et c'est à ce moment précis que tout bascula.

Le bruit arriva comme une rumeur d'abord, puis comme un grondement de fond, lourd, mécanique. Un cliquetis métallique. Des bottes. Des pas, nombreux. Organisés.

Illaoï tourna brusquement la tête vers l'entrée de la grotte. Elle ne voyait encore rien, mais elle savait. Chaque muscle de son dos s'était tendu, chaque fragment de la Force lui hurlait le même mot : fuis.

— Non… murmura-t-elle, pour elle-même. Elle aurait dû partir hier. Avant-hier. Elle avait trop attendu.

Des cris résonnèrent. D'abord lointains. Puis des détonations. Des tirs de blaster.

Et enfin, ce son si caractéristique : le vrombissement aigu et vibrant d'un sabre laser.

Les villageois paniquèrent. Plusieurs se levèrent, portant leurs proches blessés, trébuchant, cherchant à fuir par les tunnels secondaires. Illaoï se leva elle aussi, chancelante, saisissant son sac à moitié ouvert.

Elle appuya une dernière sphère d'eau sur la poitrine d'une vieille femme en gémissant d'épuisement. Puis se tourna vers l'entrée.

Ils tournaient le dernier virage. Elle les voyait à travers la poussière soulevée, la lumière vacillante. Des armures noires, des visières rouges. Et lui, au centre. Grand. Massif. Une silhouette de guerre, sculptée dans le métal et le silence.

Illaoï tendit les bras. Le sol vibra autour d'elle.

Toute l'eau répandue dans la grotte, dans les fissures, dans les flaques de condensation, se rassembla en un seul mouvement. En une fraction de seconde, un mur de glace surgit, entre elle et eux. Solide. Translucide.

Et à travers lui… leurs regards se croisèrent.

Scourge s'arrêta. Son sabre toujours actif vibrait contre son bras.

Couleur.

Pourquoi est-elle en couleur ?

Ses yeux à elle étaient turquoise. Clairs, brûlants de peur, de rage, de lucidité.

Son visage était marqué par l'épuisement, mais encore magnifique, encore vivant.

À travers la paroi de glace, ses traits étaient déformés, comme dans un rêve ou un souvenir noyé. Mais ses yeux restaient clairs. Incisifs.

Illaoï le regardait comme on regarde une ombre qui revient d'un cauchemar ancien.

Elle recula. Puis s'enfuit.

Scourge frappa.

Son sabre entama la glace avec un cri strident. Le mur se fêla.

— Ne pars pas encore. Pas cette fois.

Il frappa à nouveau. Et encore. Les soldats tiraient, leurs tirs ricochaient sans percer.

Puis le mur céda.

Il explosa en éclats bleutés, volatiles, comme des larmes figées dans l'air.

Scourge s'élança. Sa cible glissait dans les galeries comme un courant d'air. Mais cette fois, il ne la laisserait pas filer.

Pas après ces mois de traque. Pas après toutes ces humiliations.

Pas alors qu'il pouvait sentir quelque chose, pour la première fois depuis des siècles.

Ils débouchèrent à l'air libre. Et Illaoï s'immobilisa.

Ce qu'elle vit figeât son sang.

Le village. Son village. Ceux qu'elle avait sauvés. Ceux qu'elle avait veillé toute la semaine. Tous à genoux. Des soldats les encerclant, blasters levés.

Des enfants. Des femmes. Des vieillards.

Pris au piège.

Scourge et ses hommes surgirent derrière elle.

— Illaoï Vareïsh, dit-il de sa voix d'obsidienne. Vous allez venir avec nous. Sans discussion.

Elle fit un pas. Pas vers eux. Vers les siens.

— Vous ne les tuerez pas. Je ne vous laisserai pas…

Elle n'eut pas le temps de finir.

Un grondement, terrible, retentit. Le sol vibra. Un fracas sourd, lointain, mais approchant.

Puis ils virent le mur d'eau.

Un raz-de-marée venu des hauteurs. Le barrage avait cédé.

Les soldats hurlèrent. Certains fuirent. D'autres restèrent figés, incapables de croire ce qu'ils voyaient.

Illaoï, elle, se mit à courir. Pas pour fuir. Pour bloquer.

Scourge tenta de l'attraper. Sa main frôla son bras.

Mais elle le figea. Littéralement.

Un mouvement du bras. Une vibration dans l'air. L'eau sous ses pieds se transforma en glace, emprisonnant les jambes du Sith jusqu'à mi-cuisses.

Il rugit. Elle hurla :

— Partez ! Fuyez tous ! Ne restez pas là !

Et elle se planta entre le mur d'eau et le village.

Elle leva les bras.

Ses jambes fléchirent sous l'effort. L'eau se cabra.

Un arc de glace se forma, lentement, douloureusement, une barrière gigantesque. L'eau se heurtait à elle. La poussait. Tentait de la briser.

Elle tenait. Les secondes s'étiraient. Chaque souffle devenait un cri intérieur. Chaque craquement de glace, une menace.

Elle ne pouvait plus entendre. Plus voir. Tout était bruit, pression, froid.

Scourge pulvérisa son entrave. Il fonça et la saisit.

Ses bras la broyèrent presque.

— Tu ne partiras plus.

Et l'eau les emporta tous les deux.