Ils arrivèrent en courant. Les bottes martelaient la terre sèche de Tython sans mot, sans souffle. Tous suivaient le sillage brut de la Force comme un fil d'urgence, tendu à l'extrême. La tension, palpable, accrochait leurs entrailles comme une griffe invisible.

Le vacarme précédent semblait avoir tout figé. Il n'y avait plus de sons. Même le vent s'était arrêté.

Ils débouchèrent enfin sur les rives du grand lac de Myrana, situé à l'écart des structures principales. Un lieu de calme, de méditation. D'habitude.

Pas aujourd'hui.

Et ce qu'ils virent les laissa muets.

Au centre exact du lac, agenouillée au creux du lit asséché, la jeune femme se tenait là. Illaoï.

Dos voûté. Bras croisés contre elle-même. Une étreinte vide. Solitaire.

L'eau du lac avait été repoussée. Deux immenses colonnes d'eau figée, dressées vers le ciel comme des piliers liquides de cathédrale, entièrement gelées, lévitaient en arc autour d'elle.

Le reste du lac… était pris dans une glace absolue. Lisse. Miroir. Sans faille.

Le sol alentour n'échappait pas à la scène. L'herbe, les feuilles, même les rochers étaient recouverts d'une couche de givre si pure, si dense, qu'elle rendait le monde cristallin.

Et puis ils virent les débris. Des formes sombres. Des tâches rouges. Partout.

Des oiseaux. Tombés du ciel.

Leurs ailes figées. Leurs corps brisés au contact du sol. Ils s'étaient littéralement éclatés sur la surface dure comme du verre. Gelés instantanément.

Plus loin, un faon, figé en pleine course, statue de givre.

Un renard. Couché, yeux ouverts, pris au piège de son dernier souffle.

Scourge s'approcha du bord. Il ramassa une pierre, la lança.

Elle toucha l'herbe figée à quelques mètres à peine. Un tintement clair. Puis un craquement brutal. L'herbe s'effondra, en milliers d'éclats verts et blancs.

Zéro absolu… souffla l'un des Maîtres Jedi.

Le champ de froid s'était abattu sur cette zone avec une violence telle qu'il n'y avait même plus d'énergie pour le mouvement. Une mort instantanée pour tout ce qui vivait.

Et pourtant… elle était là.

Toujours immobile.

Jusqu'à ce qu'un mouvement infime brise l'instant.

Elle se redressa lentement, dévoilant la courbe sanglante de son bras. Des fissures fines s'étendaient sous sa peau, telles des veines rouges éclatées. Son sang coulait par capillarité. Lent. Sombre.

Elle tourna la tête.

Regarda autour d'elle.

Et comprit.

Le désastre. Le gel. Les morts. Les regards figés.

Alors, doucement, elle relâcha la pression.

Les piliers d'eau fondirent lentement. Des gouttelettes jaillirent dans un bruissement presque imperceptible. Le lac se remplit à nouveau.

La glace céda, laissant place à un miroir liquide parfait, sans une seule vague. Le soleil s'y refléta en silence.

Et le givre disparut.

Ils restèrent figés, n'osant pas franchir la ligne invisible du miracle… ou du cataclysme.

Et ce fut Satele Shan qui rompit le silence.

Elle s'avança, seule, ses pas sûrs, droits, calmes.

Et Illaoï ne bougea pas.

Elle ne s'enfuit pas. Ne se referma pas. Elle attendit.

Car elle savait.

Il était temps d'avancer.

Derrière, Scourge grogna dans sa barbe.

— Évidemment… Elle, elle y va comme si de rien n'était… Pas deux ans à suer pour la retrouver, non. Madame l'Ordre-Jedi et ses foutus airs de guide spirituel y va tranquille comme au marché.

T7 émit un bip prudent et recula d'un pas.

Loewen esquissa un rictus. Doc, lui, faisait mine de vérifier ses instruments.

Scourge soupira profondément. Las. Écoeuré.

— Deux ans… Deux ans à la traquer, à cramer des planètes, à faire tomber des garnisons entières. Et là, hop. Cinq minutes et c'est la confidence post-cataclysme avec tresses au vent. J'espère qu'au moins elle lui a offert un thé.

Il leva les yeux au ciel, marmonnant encore des choses peu compatibles avec la diplomatie Jedi.

Sur le lac, Illaoï s'était relevée.

Elle ne montrait aucune fatigue. Son sang avait disparu. Les fissures de sa peau s'étaient résorbées. Son souffle était calme. Sa silhouette… imperturbable.

Elle marchait aux côtés de Satele. Elles ne parlaient pas.

Mais une chose avait changé.

En passant près du groupe, Illaoï croisa le regard de Scourge.

Elle le fixa. Longuement.

Ses yeux… d'un turquoise impossible, la seule couleur que Scourge voyait encore dans ce monde devenu gris. Ils brillaient d'une lueur tranquille.

Il n'y avait pas de mots. Mais dans ce regard, il lut une reconnaissance. Un lien tacite. Un fragment de vérité partagée, au-delà du langage.

Elle savait.

Et lui aussi.

Satele s'arrêta brièvement et se tourna vers les Jedi restés en retrait.

— Je vais faire le point avec quelques Maîtres dans mon bureau. Seuls.

Loewen et Scourge échangèrent un regard. Ils n'étaient pas conviés.

Scourge haussa un sourcil.

— Parfait. Qu'ils aillent donc méditer à huis clos. J'ai une droïde à torturer et un protocole de sécurité à pulvériser juste pour me détendre.

Loewen posa une main sur son épaule.

— Tu sais que tu vas devoir faire un effort…

— J'ai fait un effort monumental, Jedi. J'ai laissé les oiseaux survivants respirer et s'envoler. Son regard de dédain sur la main posée sur son épaule en disait long sur ce qu'il pensait de cette soudaine familiarité. Loewen en pris bonne note.

Et il partit dans l'autre direction, l'armure cliquetante et l'ironie en bandoulière.

La tempête était passée. Mais la vraie guerre ne faisait que commencer.