Scourge la dévisage.
Le silence aurait pu durer une éternité, tant il était chargé. Puis son regard glissa vers cette cicatrice, juste au-dessus de son cœur. Blafarde, irrégulière. Il n'avait jamais remarqué. Et c'était impossible de la manquer. Pas sur ce corps qu'il avait appris à connaître sans même en avoir conscience.
Il plissa les yeux.
« Tu peux soigner les autres sans laisser de trace... mais tu gardes ça ? »
Sa voix était grave, tranchante, mais il n'y avait ni reproche ni moquerie. Juste une incompréhension qui lui déplaisait viscéralement.
Illaoï baissa brièvement les yeux vers la marque, puis les releva, lentement.
« Il y a des blessures... qu'il faut choisir de garder. Même lorsque le corps sait les effacer. »
Elle tenait sa serviette contre elle, mais ce n'était pas la pudeur qui dominait : c'était le poids des souvenirs.
Scourge avança d'un pas. Juste un. Suffisant pour réduire l'espace. Trop court pour la menace. Trop long pour l'indifférence.
« Pourquoi m'observes-tu comme si tu voulais comprendre quelque chose que tu ne crois plus possible ? »
Ses propres mots — qu'elle lui avait lancés un jour, en rêve. Ils résonnaient maintenant, plus fort que jamais. Et elle le sentit.
Illaoï le fixa.
« Parce que tu regardes comme quelqu'un qui cherche ce qu'il ne sait plus nommer. »
Sa voix était douce. Mais c'était une flèche.
Il sentit un étrange pincement dans sa poitrine. Une chose qu'il n'avait plus ressentie depuis… longtemps. Trop longtemps. Et il la haïssait pour ça. Mais il ne pouvait pas reculer maintenant.
« Tu... m'as changé. »
Les mots tombèrent. Lourds. Brutaux. Honnêtes.
« Ce n'était pas prévu. Rien de tout ça n'était prévu. Et je n'aime pas perdre le contrôle. »
"Je suis la Furie de l'Empereur. L'arme ultime. Le garde-fou du chaos. Pas un homme hanté par des rêves de couleurs et de mains chaudes contre sa peau."
Illaoï, cette fois, détourna le regard. Elle ne fuyait pas. Elle temporisait.
« Tu crois que je l'ai voulu ? Que je t'ai choisi, toi ? Que j'ai laissé une brèche ouverte dans mon esprit par caprice ? »
Elle marqua une pause, puis :
« Je t'ai repoussé. Encore et encore. Mais tu t'es accroché comme une âme damnée qui n'a plus rien d'autre à faire que de frapper à la mauvaise porte. »
"Et je l'ai laissée entrouverte. Idiote que je suis."
Scourge, un instant, sembla perdre pied. Ce regard. Cette voix. Il n'était plus un monstre de silence et de colère. Il était un homme debout au bord d'un précipice.
« Je ressens. Je guéris plus lentement. Je rêve. »
Il serra les dents.
« Tu te rends compte de ce que ça signifie ? De ce que tu m'as pris ? »
Il approcha encore. Elle ne bougea pas.
« Ou ce que tu m'as rendu ? »
Illaoï se pinça les lèvres, les yeux rivés dans les siens.
« Et toi ? Tu te rends compte que tu n'es plus seul dans cette chute ? »
Un souffle.
« Que ce n'est pas un accident. Qu'il y a peut-être quelque chose d'autre... après ? »
Un silence. Juste eux deux, et l'écho des anciennes versions d'eux-mêmes qui se heurtaient à ces nouvelles âmes naissantes, fragiles, incertaines.
Puis, Illaoï passa à côté de lui, l'effleurant volontairement. Juste assez pour qu'il sente sa chaleur.
« On ne choisit pas ce que l'on réveille chez les autres. Ni ce qu'ils réveillent en nous. »
Illaoï s'était arrêtée près de la porte, l'ombre glissant sur son profil comme un voile silencieux. La main encore sur la poignée, elle ne se retourna pas tout de suite. Derrière elle, Scourge s'approcha.
Pas avec sa démarche de prédateur ou de Furie.
Non.
Un pas plus lent, plus lourd.
Plus humain.
Il se pencha, jusqu'à ce que son visage soit tout proche du sien, si près qu'elle pouvait sentir son souffle, tiède contre sa tempe.
Mais il ne la toucha pas.
"Et si elle n'en voulait pas ?"
La pensée le frappa comme un revers de lame froide.
Il resta là, en suspens, figé, attendant. Il ne voulait pas lui imposer quoi que ce soit.
Pas elle.
Pas cette fois.
Il attendait qu'elle le choisisse.
Illaoï sentit le temps ralentir, s'effilocher. Son cœur tambourinait. Le poids de tout ce qui s'était accumulé en elle depuis des années menaçait de se déverser sans retenue.
Mais alors qu'elle s'apprêtait à se tourner, un flash la transperça.
Le décor changea.
Les murs disparurent.
La chaleur familière fut remplacée par celle d'un brasier lointain.
Un homme, son homme, pressé contre elle.
Son corps effondré, encore tiède.
Son souffle déjà presque absent.
Et ces derniers mots, susurrés entre deux râles.
« Je savais… que tu ne me laisserais pas… partir seul… »
Et puis plus rien.
Juste le poids contre son torse, le silence fracassé par le hurlement déchirant d'une âme brisée.
Elle hurlait encore, sans le savoir, dans son propre esprit.
Elle revint à elle en sursaut, haletante, figée, les mains crispées sur sa robe.
Scourge l'observait, le souffle court. Il avait vu aussi. Pas tout. Mais l'essentiel.
Son esprit à elle l'avait laissé entrevoir un morceau d'enfer.
Ses yeux à lui étaient lourds de questions.
« Qui… était cet homme ? »
Il avait reculé, par réflexe plus que par choix.
Elle ne répondit pas.
Son regard était vide, mais pas par défiance. Par panique.
« Qui était-il, Illaoï ? »
Sa voix n'était pas dure. Elle était… tendue. Suppliante.
Il avait besoin de savoir. Parce que ce souvenir ne voulait plus quitter son esprit.
Mais elle ne parvenait plus à respirer. Ses poumons se refermaient sur eux-mêmes.
Elle porta une main tremblante à sa poitrine. Le souffle court. Le regard fuyant.
« Illaoï ? »
Il s'approcha, la rattrapant au moment où elle fléchissait.
« Réponds-moi. Dis-moi au moins qui— »
Elle s'effondra à genoux, le souffle arraché dans un hoquet strident.
Puis, la douleur.
Brutale.
Aveuglante.
« Illaoï ?! »
Elle vacilla, et un jet de sang éclaboussa son torse, chaud, inattendu, affolant.
« DOC ! » hurla-t-il.
Il la retint contre lui, les bras tendus, pris entre l'horreur et la panique. Elle ne bougeait plus. Son teint virait au gris. Il sentait sa chaleur s'évanouir.
Une main contre son flanc, l'autre glissée derrière sa nuque.
« Tiens bon. Je t'interdis de— »
La porte s'ouvrit avec fracas.
Doc surgit, suivi de près par Kira.
Scourge n'avait jamais été aussi… désemparé.
Et ce n'était que le début.
