Le matin arriva trop tôt.

Dans la lumière pâle filtrée par les hublots, tout semblait suspendu dans le temps. Ni l'un ni l'autre n'avaient bougé. Ils n'avaient pas échangé un mot, à peine un souffle. Ils s'étaient contentés de se regarder, de s'observer, de s'effleurer aussi. Une lente et silencieuse danse des mains, des regards, comme une brise d'été chargée de sel et de souvenirs, traçant les contours du visage de l'autre du bout des doigts, comme pour mieux le graver.

Chaque contact était hésitant, fragile, intime. Chaque frôlement devenait prière.

Scourge frémissait.

Ce n'était pas une émotion. C'était une sensation. Pure. Crue. Douloureuse dans sa vérité. Sa peau se souvenait. Il n'avait rien ressenti depuis plus de trois siècles. Pas même le froid. Pas même le feu. Et là… là, c'était presque insupportable, tant tout lui revenait comme une vague noire d'eau salée et glaciale.

Son dos, ses bras, sa nuque… tout réagissait. Tout se révoltait et s'éveillait à la fois. Et il n'aurait arrêté cet instant pour rien au monde.

Elle aussi semblait perdue dans l'étrange ballet de leurs respirations. Son regard s'était posé sur lui sans défiance, sans fard, sans masque. Pour la première fois, elle n'était plus la survivante, la fugitive, l'ombre insaisissable. Elle était simplement là. Une femme, une âme, désarmée, offerte.

Et pourtant, au fond d'elle, elle sentait une présence familière. Une chaleur douce, distante, paisible.

Il était là.

Déréos.

Pas sous forme de spectre. Mais comme un écho dans l'eau calme, comme une étoile disparue dont la lumière persistait à percer le ciel. Elle ressentait sa paix. Sa bénédiction. Il s'effaçait. Enfin.

« Tu dois vivre, Illy… »

Les mots résonnaient encore, un murmure d'amour qui s'éteint dans l'aube. Et elle savait maintenant qu'elle pouvait tenir sa promesse.

Mais était-elle prête ?

Elle n'eut pas le temps d'y répondre. Une secousse brusque fit trembler la cabine.

Le vaisseau venait d'atterrir. Une alerte s'afficha sur les écrans : Coordonnées : Hoth. Climat : Extrêmement hostile. But : Localiser une relique d'origine inconnue. Message : de Maître Satele.

Ils se figèrent, l'un contre l'autre, l'instant s'évaporant sous leurs yeux comme de la buée sur une vitre. La réalité les rattrapait. La mission. L'équipe. L'Empire. Tout.

Ils échangèrent un dernier regard, profond, sans un mot. Et quittèrent leur cabine, vêtus des mêmes tenues que la veille.

Quand ils franchirent la passerelle, tous les regards se tournèrent vers eux.

Kira, la première, sauta au cou d'Illaoï. Elle ne posa aucune question. Elle ne fit aucune remarque. Elle savait. Et elle choisissait d'aimer, sans condition. D'être présente.

T7 roula en avant, vibrant de joie, émettant une série de petits bips amoureux. Il papillonnait autour d'eux, trop heureux de voir « la dame » entière et souriante.

Doc ouvrit la bouche, la referma. Soupira. Il avait déjà perdu. Et dans le fond… il n'en voulait à personne.

Loewen, lui, s'était éloigné. Il n'avait rien dit. Il n'avait pas attendu.

Le sergent Rusk, stoïque comme toujours, s'approcha, leur remettant la tablette de mission d'un air grave :

— « Ordre de mission reçu dans la nuit. Hoth. Objectif : récupération d'une relique. Potentiel artefact Sith. Dangerosité : extrême. Coordonnées déjà transmises à tous. »

Le vent hurlait sur les crêtes glacées de Hoth, balayant les nuages de givre dans des rafales qui mordaient la peau et glaçaient les os. Pourtant, rien de tout cela ne parvint à effacer la tension qui s'était abattue comme une chape de duracier sur le groupe.

Scourge, à peine sorti du sas de décompression, plissa les yeux contre l'éblouissement blanc. L'étrange silence radio qui régnait depuis leur arrivée n'augurait rien de bon, et le fait que Loewen soit parti en avant sans rien dire n'était pas habituel. Le Jedi n'avait jamais manqué à ses devoirs de coordination. Pas une fois.

Ils mirent du temps à retrouver le Jedi.

Il se tenait seul, face à l'abîme gelé. Le vent battait sa cape comme une bannière de guerre. Son sabre était à sa ceinture. Ses épaules voûtées, comme alourdies par quelque chose de bien plus terrible que la simple morsure du froid.

Scourge fit un pas en avant, la main en visière, prêt à poser une question. Illaoï, juste derrière lui, observait la scène avec inquiétude. Son regard allait de l'un à l'autre, cherchant un sens à cette distance, à ce froid qui n'avait rien de météorologique.

Mais il n'eut pas le temps.

Le sabre bleu jaillit. Aveuglant. Tranchant.

Et la Furie de l'Empire n'eut que le réflexe de lever son propre sabre pour bloquer le coup.

Et ainsi débuta le combat des deux hommes qu'elle avait fait changer. Le choc de deux mondes. Deux douleurs. Deux vérités. Deux cœurs fracassés

— "Maître Loewen ?", lança Scourge, sa voix rauque comme un grondement de volcan sous la glace.

Il n'eut pas le temps de finir. L'éclair bleu du sabre laser fendit l'air sans avertissement. Un éclair de lumière pure. L'arme écarlate de Scourge bloqua l'attaque de justesse dans une gerbe d'étincelles.

Les deux hommes s'affrontèrent comme deux forces titanesques, leurs lames s'entrechoquant avec une rage contenue, déferlant sur le plateau comme l'écho d'un ouragan. Le sol craquait sous leurs pieds, la glace se fissurait là où ils se heurtaient.

— "Pourquoi ?", gronda Scourge, ses bras vibrant sous l'impact. "Tu es devenu fou ?"

— "Non." La voix de Loewen était rauque, tremblante de rage. "Je viens juste d'ouvrir les yeux."

Ses larmes gelaient sur ses joues. Son visage n'était plus celui du sage qu'ils avaient tous connu. C'était celui d'un homme blessé, trahi, débordé par une émotion qui dépassait la raison.

— "Tu m'as volé quelque chose. Tu n'as même pas essayé de comprendre ce qu'elle signifiait pour moi."

Le cœur de Scourge se serra, contre toute logique. L'écho de ses propres sentiments résonna en miroir.

— "Elle n'est pas un objet." Il para une frappe en diagonale et répondit du coude, violemment. "Et ce que tu crois avoir perdu… tu ne l'as jamais possédé."

— "Tu mens !"

Le combat s'intensifia. Des éclats de glace volaient dans l'air. Leurs mouvements étaient fluides, rageurs, presque symphoniques. Deux adversaires de même force, de même détermination, chacun alimenté par une vérité différente.

Illaoï se précipita en avant, effrayée par ce duel absurde. Elle se tenait à distance, appelant leur nom à plusieurs reprises, mais ses mots étaient dévorés par le vent. T07 et Rusk la suivirent, impuissants.

Puis, à un moment, leurs sabres se croisèrent si violemment qu'ils se figèrent, leurs visages à quelques centimètres l'un de l'autre.

— "Tu ne comprends rien, Loewen."

Le Jedi grogna, serrant les dents.

— "Alors explique-moi pourquoi je la vois dans tes bras. Pourquoi elle dort contre toi. Pourquoi tu as cette lueur dans tes yeux que je ne t'ai jamais vue."

Scourge ne répondit pas tout de suite. Il sentait le feu en lui. Pas celui de la rage. Celui de la douleur, ancienne, enfouie, qu'il n'avait pas ressentie depuis des siècles.

— "Parce qu'elle m'a ramené à la vie." souffla-t-il. "Et je n'ai rien demandé. Rien. J'étais bien dans ma damnation. Mais elle… elle a fait fondre tout ça, sans même le vouloir. Tu crois que je l'ai voulue ? Tu crois que j'ai cherché à ressentir à nouveau ? Tu crois que j'ai demandé à être libre du fardeau de l'immortalité ? Je n'ai rien volé. Elle a fait un choix. Comme elle le fera encore."

Un silence, suspendu entre eux. Lame contre lame. Cœur contre cœur.

Loewen ferma les yeux. Sa garde baissa légèrement.

Et Illaoï intervint enfin, posant une main sur chacun d'eux, des larmes dans les yeux.

— "Assez. S'il vous plaît."

Leurs sabres s'éteignirent dans un sifflement commun. Les épaules de Loewen s'affaissèrent. Il fit un pas en arrière, puis un autre. Et il tomba à genoux.

— "Je suis désolé.", murmura-t-il. "Je ne savais pas à quel point j'avais laissé mon cœur s'égarer."

Illaoï s'agenouilla à son tour et posa son front contre le sien, simplement. Un geste de paix. Rien de plus.

Scourge détourna le regard, traversé de mille choses à la fois. Il n'était pas en colère. Il n'était pas jaloux. Il était… humain. Et ça le terrifiait plus que n'importe quel combat.

Mais ce n'était pas encore fini.

La tempête reprenait au loin.

Et la relique, tapie dans les profondeurs de glace, attendait qu'on vienne la chercher.