Dans les abysses de la Force, là où le réel se délite et où le temps devient poussière, l'Empereur ressentit.
Il ne vit pas.
Il ne vit jamais, au sens où les mortels l'entendaient.
Mais il sut.
Chaque battement de cœur désaccordé, chaque tension, chaque brèche dans l'âme d'un Jedi… c'était comme un accord de musique dissonant dans la grande symphonie du cosmos. Et cette nuit-là, la dissonance fut parfaite.
L'éclat de haine, le feu incandescent d'un Jedi consumé par la jalousie, la douleur, l'envie…
L'hésitation d'un Sith autrefois parfait, désormais souillé par les murmures de sensations qu'il n'aurait jamais dû retrouver…
Le frisson émotionnel d'une étrangère au pouvoir incontrôlé, toujours hors de sa portée, toujours trop brillante pour être possédée…
Tout cela, il le ressentit.
Il s'immobilisa dans sa salle du trône, seul. Ou presque.
Son corps — s'il pouvait encore être nommé ainsi — reposait sur un siège d'obsidienne, figé dans un éternel rictus de malice dévorante. Ses yeux, caves d'ombre absolue, contemplaient sans voir.
Autour de lui, les esclaves silencieux ne savaient rien. Mais ils frémirent. La température chuta. L'air lui-même sembla fuir les lieux.
Un murmure s'échappa de ses lèvres desséchées.
Un mot ancien, trop ancien.
Un nom.
« Illaoï… »
Ce nom l'avait obsédé depuis leur première rencontre — ou plutôt, depuis sa première absence.
Il avait essayé.
Il avait tout essayé.
L'infiltration mentale, les rêves, les incantations.
Des rituels impies pour percer son esprit, briser ses murailles.
Mais chaque fois, il s'était retrouvé face à un miroir d'eau insondable.
Et pire que cela : à une faille.
Un vide qui absorbait sa volonté.
Un gouffre où même lui, l'Immortel, avait senti un danger qu'il ne pouvait nommer.
Et voilà que maintenant, elle tissait.
Elle rassemblait autour d'elle une meute de blessés, d'ombres brisées, d'esprits vacillants.
La Furie.
Ce traître.
Cet imbécile ingrat, qui avait osé défier le don de l'immortalité pour de misérables sensations d'homme.
Le Jedi.
Le précieux pion qu'il avait corrompu avec tant de soin, maintenant fissuré jusqu'à la moelle, instable, sentimental…
L'équipage.
Des insectes, certes. Mais agités. Inquiets. Émouvants dans leur naïveté.
Et elle…
Elle restait un mystère.
Un spectre né d'un monde inconnu, d'une Force qu'il ne comprenait pas encore.
Il haïssait cela.
L'inconnu.
Alors oui, peut-être avait-il glissé quelques pensées dans les recoins de l'âme du Jedi.
Peut-être avait-il soufflé à son oreille les murmures du doute, du désir, du regret.
Peut-être avait-il réveillé une blessure. Ou deux.
Mais il n'avait pas orchestré ce chaos.
Non.
Cela, c'était eux.
Ces marionnettes qu'il avait laissées trop longtemps libres de leurs fils.
Un grondement sourd monta du trône. Les murs vibrèrent. L'ombre s'épaissit.
Il ne pouvait plus laisser les choses ainsi.
Elle, l'étrangère, devait être soumise. Plongée dans les abysses de sa volonté.
Elle devait brûler comme les autres.
Mais pas encore.
Pas maintenant.
Non.
Il attendrait.
Il écouterait.
Et il frapperait quand elle croirait avoir gagné.
Car si elle était réellement ce qu'il soupçonnait…
Alors elle ne pouvait rester libre.
Il attendrait.
Il écouterait.
Et il frapperait quand elle croirait avoir gagné.
Mais pas seul.
Un bruissement à peine audible fendit l'obscurité.
Des chaînes cliquetèrent. Des pas glissèrent sur le marbre noir.
Et dans un soupir de chair soumise et d'esprit broyé, la silhouette émergea.
Hautaine naguère, flamboyante dans la lumière de la République, la Jedi n'était plus qu'un spectre glacé, vidé de sa lumière.
Ses yeux, pourtant toujours bleus, étaient vides. Immenses. Et tristes.
Maitre Kiwix. Non. La Furie. La nouvelle. L'autre. Le contrepoids.
Car si Scourge avait glissé, s'il n'était plus la lame inflexible qu'il avait été…
Il fallait une autre lame. Plus pure, plus tranchante, plus obéissante.
Et cette fois, elle serait liée par le sang, par la volonté, par l'oubli de soi.
L'Empereur inclina légèrement la tête. C'était tout ce que ce pantin attendait.
— Tu pars pour Hoth.
Sa voix était comme le givre, coupante, sinueuse.
— Là-bas, tu retrouveras les traces de ton ancien maître. Tu veilleras à ce qu'il ne se relève pas.
La Furie s'agenouilla.
— Et si elle est là-bas, elle aussi… (un murmure glissa dans les ombres, empli de rancune déformée) dois-je la briser ?
Un silence.
Puis, un sourire.
— Pas encore. Laisse-la goûter à sa paix. Qu'elle croie pouvoir aimer. Qu'elle croie pouvoir sauver.
— Et ensuite ?
— Ensuite… nous lui montrerons ce que cela coûte.
Et dans l'ombre du trône, la nouvelle Furie se leva, sans un mot.
Une ombre à la peau encore chaude.
Une lame sans nom, qui n'avait plus de cœur, plus de voix propre.
Elle partit.
Et la glace d'Hoth l'attendait.
