Le voyage vers Coruscant se déroulait dans un calme trompeur, laissant derrière lui les glaces de Hoth et les plaies ouvertes d'un affrontement qui avait dépassé toutes les prévisions. Les moteurs ronronnaient, les couloirs du vaisseau vibraient à peine sous la pression de l'hyperespace, et pourtant, dans chaque recoin, quelque chose pesait — lourd, dense, silencieux.
Dans l'infirmerie, Doc passait en revue pour la troisième fois ses notes, les relevés, les images, les théories. Et il maugréait.
« Trop de dégâts… Si elle avait été un peu moins entêtée, peut-être qu'on… »
Mais il s'interrompit. Il connaissait le prix de son acharnement. Il l'avait vu dans ses yeux. Et surtout, il n'avait pas le temps de jouer les philosophes.
Il pianota rapidement sur son terminal, envoyant un message codé à d'anciens confrères de l'Académie Médicale de Coruscant. Si quelqu'un pouvait aider à reconstruire des terminaisons nerveuses aussi brûlées que celles de l'étrangère, c'étaient eux. Mais même pour eux, ça ne serait pas un simple rafistolage.
Illaoï, allongée dans ses quartiers, dormait d'un sommeil instable, marqué par de brèves convulsions et des gémissements retenus. Même inconsciente, elle portait encore le souvenir du feu, de la brûlure et du combat. Ses mains toujours bandées, ses paumes recouvertes d'un mélange de gel de Kolto et d'herbes spéciales, ne répondaient plus, ses terminaisons nerveuses complètement détruites par la déflagration qu'elle avait déclenchée elle-même.
Elle se sentait... inutile. Défigurée dans ce qu'elle avait de plus fondamental : ses dons. Ses mains, son lien avec l'élément. Tout était désormais silence, douleur, et vide.
Chaque tâche, chaque geste simple nécessitait une aide extérieure. Elle enrageait en silence à chaque fois que Doc ou même T07 venait l'assister. Elle ne disait rien, mais son regard parlait pour elle. Elle détestait ce sentiment d'être une charge.
Et pourtant, Scourge était toujours là. Depuis leur retour à bord, il n'avait jamais réellement quitté ses côtés. Il ne s'imposait pas, mais il était là. Présent. Constant. Sans poser de questions.
Il la nourrissait. Il la changeait. Il l'aidait à s'asseoir, se lever, s'allonger. Il veillait à ses soins, avec une rigueur et une douceur silencieuse qui n'avaient rien de la bête de guerre qu'il avait été.
Dans un coin de la pièce, T7 la veillait à distance. Il émettait parfois un petit bip, très faible, comme une berceuse électronique. Il refusait de la laisser seule, comme s'il craignait qu'elle ne disparaisse dans son sommeil. Et en réalité, c'était un peu ce qu'il ressentait : qu'elle était sur le point de se dissoudre.
Kira, de son côté, était restée sur Tython avec Loewen. Elle n'avait cessé de veiller sur lui, de lui répéter qu'il n'était pas seul. Mais le Jedi n'était plus vraiment lui-même. Il méditait longuement, parfois pendant des heures, immobile, comme une statue rongée par le doute. Kira lui parlait, avec toute l'énergie qu'on lui connaissait. Elle plaisantait, racontait des souvenirs d'antan, mais parfois, au détour d'une phrase, sa voix tremblait.
— Tu sais, maître… c'est pas tant que t'as dérapé. C'est que t'as ressenti. Vraiment. Et pour un Jedi… c'est pas censé être aussi fort. Mais peut-être que c'est pas ça le problème. Peut-être que le problème, c'est qu'on t'a jamais appris quoi faire de tout ça.
Il ne répondait pas. Mais une larme avait coulé ce soir-là. Kira l'avait essuyée sans rien dire.
À bord du vaisseau, Scourge restait figé depuis plusieurs heures devant la baie d'observation. Son reflet, impassible, le fixait dans le verre. Il ne s'y reconnaissait plus tout à fait. Il avait été une Furie, un instrument, une entité figée dans l'éternité… et pourtant, il ressentait désormais. Trop. Fort.
T7 roula jusqu'à lui, presque timidement. Il s'arrêta à côté, émit un petit clic puis un bip doux.
— T7 remarque : Scourge a le regard triste.
Scourge plissa les yeux.
— Je ne suis pas triste. Je suis... perdu. Ce n'est pas la même chose.
— Perdu = sans direction. Sans maison. T7 connaît ça.
Un silence. Puis un autre bip.
— T7 a trouvé une maison. Scourge aussi peut trouver.
Le Sith resta interdit. Le petit droïde l'avait dit avec une simplicité désarmante. Une vérité nue.
— Une maison…
Il répéta les mots, presque pour lui-même. Il n'avait jamais eu de "maison". Juste des objectifs. Des missions. Un maître.
— C'est ça, pas vrai ? Ce que je ressens ? Ce n'est pas juste de l'obsession… ou de la dette. C'est...
— Affection. Attachement. Famille. (Pause) T7 = Illaoï's family. Scourge = aussi maintenant.
"T7 : "Famille = pas toujours comme on croyait. Mais parfois... mieux."
Et là, il comprit. Enfin. Ce qu'il ressentait. Ce qu'il avait toujours su mais refusait de nommer. Il n'avait plus peur. Plus de doute. Il n'y avait plus d'incertitude dans son cœur revenu à la vie. Il se leva et quitta le droïde sans un mot, mais pas sans reconnaissance.
Elle était là, dans le silence de ses quartiers. Toujours endormie, mais moins agitée. Il s'assit à ses côtés. Il ne dit rien, ne bougea pas. Et sans prévenir, le lien s'ouvrit.
Il se retrouva dans son esprit. Dans ce monde intérieur qu'il n'avait jusqu'alors perçu qu'en fragments, en sensations brisées.
Il vit l'homme. Grand, brun, les traits nobles. Le visage si proche de celui de Loewen que cela en devenait déroutant. Déréos Vareïsh. Il s'approcha d'elle dans la mémoire vivante, l'enlaça. Il lui murmura ces mots que Scourge n'aurait jamais pu imaginer, d'une douceur poignante :
"Tu dois vivre, Illy. Lâche prise. Ne vis pas à moitié. Promets-moi…"
Il recula, les poings serrés. Ce n'était pas de la jalousie. Pas comme avant. C'était… de la compréhension. De la clarté. Et même une étrange forme de respect.
Il comprit enfin qu'elle porterait toujours cet amour en elle, comme lui porterait à jamais les cicatrices de ce qu'il avait été.
Il la vit se tourner dans son esprit, comme si elle percevait sa présence, sans surprise. Et quand elle ouvrit les yeux, dans le monde réel, leurs regards se croisèrent.
Elle ne dit rien. Il ne bougea pas.
Alors, lentement, avec tout ce qu'il était, tout ce qu'il avait accepté, il s'agenouilla à côté d'elle. Il lui prit le bras, et dans une infinie délicatesse, posa sa joue contre ses mains bandées.
Puis il murmura :
— Tu as vu cet homme mourir. Et tu as continué à vivre.
Elle cligna des yeux, surprise.
— Tu as aimé plus que tout, et tu as tenu ta promesse. Tu continues. Tu avances.
Elle baissa les yeux, ses bras bandés tremblant à peine.
— Mais tu ne peux pas le faire seule. Pas tout le temps. Pas maintenant.
Il glissa lentement sa main gantée vers elle. Elle ne pouvait pas répondre avec les siennes.
— Je suis là. Pas parce que je suis obligé. Parce que je le choisis. Toi.
Il marqua une pause. Son regard était droit, dur, mais ses mots portaient une gravité inhabituelle. Il s'inclina légèrement, comme il ne l'avait jamais fait pour personne.
— Je suis peut-être un monstre, une Furie, un paria, un vestige d'un autre âge. Mais je peux être ton soutien. Ta main, tant que les tiennes ne peuvent plus l'être.
Elle déglutit. Une larme roula sur sa joue. Elle détourna le regard, honteuse de cette émotion qu'elle pensait avoir enterrée.
Il ajouta, plus doucement :
— L'eau a besoin d'un lit pour couler. Et parfois, même elle, doit se reposer. Laisse-toi reposer. Je veillerai sur le courant.
Elle ferma les yeux, hocha à peine la tête. Puis, sans un mot, elle laissa tomber sa tête contre son torse, ses bandages frôlant son armure.
Il ne bougea pas. Il accepta cette confiance. Et pour la première fois, il laissa son cœur battre non pas contre un ennemi… mais pour quelqu'un.
Elle comprit tout.
Il ne lui demandait rien. Il ne l'obligeait à rien.
Mais il était là. Entier. Présent. Et pour la première fois de son existence millénaire, vulnérable et prêt à aimer.
A court de mots, car il n'en fallait plus aucun.
