Rakataa Prime.

Un monde suspendu entre les souvenirs d'un passé millénaire et la beauté intacte du présent. Les lagons étincelaient comme des gemmes taillées par la lumière, la brise salée emportait les murmures de la jungle. Ici, tout semblait respirer. Vivre. Enfin.

Illaoï revivait.

Depuis leur arrivée, elle reprenait des forces. Chaque matin, elle marchait un peu plus loin, les pieds nus dans l'eau tiède, ses mains encore couvertes de fines cicatrices désormais libres de bandages. Elle ne parlait pas beaucoup, mais elle chantonnait parfois. De ces airs inconnus, doux et mélancoliques, qu'elle créait au fur et à mesure. Elle retrouvait peu à peu ses gestes, sa paix.

Scourge l'observait, silencieux.

Mais en lui, rien n'était paisible.
Il brûlait.

Il ne se souvenait pas de la dernière fois qu'il avait ressenti un tel feu. Les trois siècles d'immortalité froide et de pulsions mécaniques lui semblaient soudain dérisoires. Car ce qu'il ressentait à présent n'avait rien à voir avec le désir simple, brut, sans âme. Ce n'était pas une pulsion animale à apaiser dans une chambre obscure.

Non. C'était elle.

C'était son souffle, sa nuque, la façon qu'elle avait de redresser la tête vers le ciel le soir. C'était la lumière dans ses cheveux blancs, le timbre de sa voix quand elle riait — si rare encore, mais réel. C'était ce regard qu'elle avait parfois, comme si elle portait l'océan entier dans ses yeux.

Et c'était le manque. Chaque nuit.

Il aurait pu la prendre dans ses bras. Il aurait pu simplement tendre la main. Mais non. Ce n'était pas le bon moment.

Alors il patientait, comme il l'avait toujours fait.

Jusqu'à ce jour-là.


Ils s'étaient éloignés du camp, sans trop réfléchir. Juste une balade, avaient-ils dit. Les autres étaient restés. Ils s'étaient avancés dans une crique isolée, bordée de palmiers ondulant sous la brise. Le sable était plus clair encore ici, l'eau d'un turquoise presque irréel.

Illaoï ôta ses sandales. Marcha dans l'eau. Et sourit.

« Je crois que je pourrais vivre ici... » murmura-t-elle, comme pour elle-même.

Scourge la regardait.

Pas comme un soldat, pas comme une Furie. Comme un homme. Entier. Dévoré de l'intérieur.

« Tu pourrais y rester. »
« Et toi ? » demanda-t-elle sans le regarder.
« Je resterais. »

Le silence tomba. Juste le ressac et leurs respirations.

Elle tourna enfin la tête. Leur regard se croisèrent.

Il s'approcha. Lentement. Prudemment. Mais cette fois, il n'y avait pas de retenue dans ses gestes. Sa main se posa sur la joue marquée de la jeune femme, avec une douceur qui n'aurait jamais pu lui être attribuée. Il l'effleura, du pouce, avec une lenteur déconcertante.

« Je brûle pour toi, Illaoï. Je ne peux pas le taire plus longtemps. »

Elle ne répondit pas. Elle pencha juste la tête dans sa paume, acceptant cette confession muette.

Et tout bascula.


Les gestes furent d'abord hésitants. Ils apprenaient à se connaître à nouveau, sans les barrières, sans la distance. Il la découvrait, elle le redessinait du bout des doigts, avec la pudeur d'un souffle et la précision d'une mémoire neuve.

Leurs baisers étaient profonds, sincères. Rien d'urgent. Tout d'essentiel.

Ils s'allongèrent dans l'herbe haute à l'abri des roches, le monde autour d'eux en suspens. Le sable colla à leurs peaux, le vent s'invita dans ses cheveux. Elle effleura son torse marqué de cicatrices anciennes, s'attarda sur les traces de batailles passées. Il lui murmura son nom, comme une promesse. Il l'embrassa dans le creux de l'épaule, sur les poignets à nu. Elle le serra contre elle comme si le temps s'était figé.

Aucun mot n'était nécessaire.

L'amour, le vrai, n'avait pas besoin de phrases. Juste d'un souffle partagé.


La nuit tomba.

Ils restèrent là, allongés sous le ciel étoilé, les doigts mêlés. La mer chantait doucement, comme pour accompagner leur repos.

Pour la première fois, Scourge ne songeait pas à demain. Il ne prévoyait rien. Il ne calculait rien.

Il vivait.

Et Illaoï dormait, le visage paisible, lovée contre lui, comme si le monde avait enfin cessé de l'effrayer.