La brise du matin caressait la surface immobile du lagon, tirant sur la peau des reflets opalins, étirant les ombres des palmiers en arabesques somnolentes. Le sable était encore tiède des étreintes nocturnes du soleil tropical.
Scourge s'éveilla lentement, dans une paix qu'il ne reconnaissait pas. À ses côtés, il ne trouva que les empreintes encore chaudes de son corps. Ses bras vides, sa poitrine sans le poids familier de sa présence.
Il se redressa, fronça les sourcils. Elle n'aurait pas… disparu ?
Non. Impossible.
Et pourtant… une part de lui, profondément ancrée dans les réflexes de fuite et d'abandon, se dressa, grondante. Et si elle regrettait ? Et si cette nuit n'avait été pour elle qu'un mirage passager, une erreur de trop dans une vie déjà trop lourde ?
Il se leva d'un bond, parcourut la crique, les feuillages, les recoins. Nulle trace d'elle. Aucun bruit. Aucune présence. La panique, qu'il n'avait plus connue depuis des siècles, se lova dans sa gorge. Elle ne lui aurait rien dit. Pas elle. Pas maintenant.
Et pourtant...
Sous la surface, le monde était calme. Une clarté émeraude baignait les profondeurs, animées de particules lumineuses, comme des milliers de lucioles aquatiques dansant autour d'elle.
Illaoï plongeait, plus loin, plus bas, tirée par une pulsation ancienne, une vibration presque oubliée, mais familière.
Plus elle s'enfonçait, plus le monde autour d'elle s'étirait, devenait autre. Elle ne respirait plus, mais n'en avait pas besoin. Le courant glissait contre sa peau, doux comme une berceuse. Les battements de son cœur ralentissaient, s'accordant à ceux de l'eau. Et dans ce silence… elle sentit.
Un frisson. Des picotements dans ses doigts. Une brûlure tendre, une chaleur dans sa poitrine. Ses mains, toujours bandées, palpitèrent. Elle les leva devant elle : de fines traînées argentées couraient sur ses paumes, comme des racines de lumière. Elle n'osait y croire.
Une silhouette apparut dans l'obscurité marine. Diaphane. Fluide. Une femme, immense et sereine, tissée de lumière et de brume, drapée d'un voile iridescent. Sa voix n'était pas un son, mais une sensation : la Fille de la Force.
« Tu es venue. »
« Je ne savais pas pourquoi… »
« Tu n'es pas ici par hasard. Tu as touché l'équilibre. Tu as laissé ton feu consumer sans détruire. Tu as aimé. Tu as accepté. Tu es prête. »
Illaoï sentit la présence de l'être effleurer son esprit, avec la douceur d'une étoile filante. Les douleurs en elle, les failles, les blessures invisibles, furent effleurées… puis réparées.
Elle ne sut combien de temps s'écoula. Mais lorsqu'elle rouvrit les yeux, elle flottait dans une lumière nacrée, et ses mains… Ses mains n'étaient plus noircies, plus douloureuses, plus mortes. Elles vibraient. Vivantes. Restaurées. Elle sentait à nouveau. Le courant, les perles d'eau, les vies minuscules autour d'elle.
Et plus encore : son cœur. Il battait sans déchirure. Son souffle était fluide. Les poumons comme neufs. Son pouvoir… revenait. Doucement. Mais fermement.
« Merci… »
« Ce n'est pas un don. C'est une réponse. Continue de marcher, Illaoï. Ce n'est pas la fin. Ce n'est même pas le milieu. »
Elle remonta à la surface.
Scourge s'acharnait à suivre ses traces, à sentir dans la Force le moindre écho d'elle. Mais rien ne venait. Rien, jusqu'à cette onde. Une vibration. Un appel. Il courut au bord de l'eau, prêt à plonger.
Et là — une silhouette fendit les vagues, comme surgie d'un rêve.
Illaoï réapparut, ruisselante, ses cheveux argentés plaqués contre son dos, ses yeux limpides. Et surtout… ses mains. Nue, mais droite, digne, rayonnante d'une force nouvelle. Elle le regarda.
Il ne dit rien. Il ne le pouvait pas.
Elle s'approcha, posa ses doigts contre sa joue.
Elle souriait.
Et dans ce simple geste, il comprit.
