Prologue

A vrai dire, Dawn Summers ne comprenait pas vraiment ce qu'elle faisait là, dans ce bureau, avec cette dame qu'elle ne connaissait pas mais qui l'avait convoquée et s'était présentée à elle comme la nouvelle conseillère pédagogique du collège. Au début, Dawn avait supposé qu'on la convoquait pour lui parler de ses notes en chute libre, de ses absences injustifiées et de ses sautes d'humeur. Ou, pire encore, pour lui demander comment elle se remettait de la mort de sa mère, dont la perte lui avait brisé le cœur l'année précédente. A ce sujet, l'équipe pédagogique de l'établissement lui avait témoigné, dès le premier jour, un soutien moral sans doute sincère mais maladroit, qui ne l'aidait en rien et l'exaspérait plutôt. Elle espérait ne pas avoir à essuyer de nouvelles paroles de consolation creuse.

A sa grande surprise, elle comprit vite que la conseillère n'avait aucune intention d'évoquer tout cela. Au contraire, elle s'intéressait à la condition présente de Dawn, à ses problèmes actuels, à ses chagrins, et à la manière dont son entourage la traitait. D'abord réticente, la jeune fille s'ouvrit peu à peu, mise en confiance par l'attitude bienveillante de la conseillère. La sollicitude que cette dernière lui témoignait semblait authentique, et Dawn ressentait cruellement le besoin de laisser libre cours à tout ce qu'elle avait sur le cœur: combien elle se sentait seule, et triste, et abandonnée; combien elle souffrait de voir ses proches s'éloigner d'elle et disparaître; et par-dessus tout combien la barrière de distance et de froideur que sa grande sœur – sa seule famille, qu'elle aimait plus que tout au monde – avait érigé entre elles depuis son retour la blessait.

Bribe par bribe, Dawn se confia, avouant des idées noirs et des sentiments qu'elle avait trop longtemps gardés enfouis en elle, sans personne avec qui les partager et pas même un journal où les coucher sur le papier : elle ne tenait plus de journal intime depuis qu'elle avait brûlé tous les siens, l'année précédente, en découvrant qu'elle était la Clef. Mais cela, bien sûr, il n'était pas question d'en faire mention à la conseillère. Dawn n'était pas stupide : le surnaturel devait rester top secret (même si elle se demandait bien comment quiconque à Sunnydale pouvait encore en ignorer l'existence).

Lorsque la conseillère l'incita à verbaliser ce qu'elle souhaitait, Dawn tressaillit d'émotion. Elle avait les mots sur le bout de la langue: enfin, elle avait l'occasion de confier combien elle aurait souhaité pouvoir empêcher ses proches de la quitter! Mais comme elle allait le dire, sa gorge se serra tout à coup d'émotion et quelque chose la retint: le souvenir du visage accablé, hanté par le désespoir, de sa sœur: sa sœur qui était morte pour elle, qu'on avait arrachée du Ciel, et à laquelle tous leurs amis s'étaient empressés de faire endosser de nouveau le poids du monde. Dawn ressentit une vague de colère mêlée de pitié: c'était injuste, ce que vivait Buffy. Cruel. Dawn ne pouvait même pas imaginer à quel point quitter le Ciel pour retomber dans le cauchemar sans fin d'une vie de Tueuse gardant la Bouche de l'Enfer devait être douloureux. Et avec quel soutien? Pour quelle reconnaissance? Même Giles avait fini par la laisser tomber, retournant en Angleterre toucher sa retraite d'observateur pendant que Buffy restait seule à se battre pour sauver le monde tout en travaillant dans un fast food pour assurer leur subsistance. Comment la blâmer d'être déprimée, après tout ça ? Dawn se sentit soudain très égoïste, et le souhait qui quitta ses lèvres ne fut pas du tout celui qu'elle avait d'abord envisagé :

« En fait, ma grande sœur a vécu des épreuves difficiles depuis que nous sommes arrivées à Sunnydale et au début, je n'étais pas vraiment là… Je veux dire pas vraiment là pour elle, pour la soutenir… Je sais bien que c'est impossible, mais si je pouvais formuler un seul souhait, ce serait d'avoir pu être vraiment à ses côtés, depuis le début de tout ça, pour lui donner le soutien qu'elle n'a pas eu… que je n'ai pas pu lui donner… »

Halfrek écarquilla les yeux, déconcertée. Ce n'était pas le souhait auquel elle s'attendait. Est-ce qu'on pouvait même considérer cela comme un souhait de vengeance ? Mais si c'était vraiment ce que désirait la pauvre petite, il n'y avait aucune raison de le lui refuser.

Dawn faillit hurler en voyant le visage de la conseillère se transformer sous ses yeux d'horrible manière, mais elle n'en eut même pas le temps.

«Souhait accordé.»