Bonjour à tous !

Me revoilà avec une nouvelle histoire. Hé oui, je me lance dans quelque chose que je considère d'un peu plus dur : Harry qui élève Tom. Je ne sais pas si je vais arriver à bien décrire l'évolution d'une telle relation, qui, on se le dira, sera… ma foi… malsaine. Je tiens toutefois à dire que Tom ne verra jamais Harry comme son père. Pour Harry, ce sera un peu plus complexe, je le crains.

Bien entendu, pour moi Tom restera le dominant dans cette relation, même s'il est plus jeune que Harry. Il s'agira d'une histoire où l'on observe la progression de notre sombre et magnifique sorcier.

Je dois aussi dire que les chapitres sont plutôt longs. Je suis en train de terminer d'écrire le troisième (encore incomplet) et j'en suis pour un total de 47 000 mots pour 3 chapitres incomplets. Étant donné la longueur desdits chapitres, vous comprendrez que ma vitesse de publication ne sera pas constamment régulière. Contrairement à ma dernière histoire (Le Maître de la mort), je pense que je dois laisser mijoter un peu plus les choses. Toutefois, je vous rassure, je sais vers où je veux aller. En général, du moins.

Il y aura certainement des scènes difficiles et sexuelles dans un futur. Je vous mets donc en garde immédiatement. Je ne code pas encore « explicite » dans le classement, mais cela changera à coup sûr.

Le premier chapitre est du point de vue de Tom uniquement. Le point de vue changera toutefois selon mes envies.

Alors sur ce, bonne lecture !

SeverusRiddle


CHAPITRE 1

TOM ELVIS JEDUSOR

Une araignée était suspendue dans les airs, prise dans un étau incompréhensible. Aucune soie ne la retenait, aucune toile autour d'elle. Mais elle flottait, aussi incroyable que cela puisse paraître. Elle écartait ses huit pattes et les ramenait près d'elle dans la recherche d'un appui fixe. Or, l'une de ses pattes se fit happer par de maigres doigts qui l'étirèrent, l'étirèrent et l'étirèrent. Lentement, très lentement. Puis, elle s'arracha de son céphalothorax dans l'écho d'un rire.

Tapi dans le coin de sa chambre, Tom s'amusait avec la bestiole. Elle avait osé fouler son espace de vie, la seule pièce qu'il considérait comme sa maison, l'unique endroit où il pouvait respirer à son aise, sans sentir sa gorge s'étrangler. Lui qui entretenait avec une minutie parfaite son pitoyable royaume, les angles et ses deux meubles de toute poussière, il pouvait bien torturer une simple araignée. Et si elle décidait d'accoucher de rejetons ? De les enrouler dans de la soie dans un coin caché de sa chambre, derrière son sommier ? Tom fronça les sourcils, plissa le nez de dégoût. Peut-être même que l'araignée pondrait ses œufs dans sa précieuse boîte en carton, celle qui contenait tous ses trophées durement recueillis. Il ne pouvait le tolérer. Un long sourire malveillant étira ses fines lèvres, puis, sans scrupule, continua son activité : il arracha une seconde patte, puis une autre, jusqu'à ce qu'il ne reste plus qu'un tout petit corps frétillant, toujours en suspension.

C'était un beau spectacle.

Tom laissa vagabonder ses fantasmes : comment réagirait Amy Benson devant l'araignée handicapée ou même devant les pattes encore sous l'emprise de convulsions ? Elle qui détestait les opilions, peut-être serait-elle soulagée de voir que le garçon s'en débarrassait ? Bien sûr que non: la fillette serait effrayée par son pouvoir et le traiterait une fois de plus de monstre, comme Dennis Bishop et Billy Stubbs.

Les enfants de l'orphelinat Wool craignaient Tom, tout comme Mme Cole, la directrice de l'endroit. Et Tom ne cherchait pas à corriger cette situation et l'encourageait plutôt. La peur lui permettait la tranquillité, les jeux d'esprit et surtout, la possibilité d'aiguiser son intellect. Tom détestait de toute façon les autres orphelins. Il les trouvait répugnants avec leurs joues sales, leur nez glaireux et leurs loques bien trop grandes. Ils ne possédaient aucune fierté, contrairement à Tom qui s'efforçait de maintenir une image impeccable. Tous les matins et tous les soirs, il se savonnait le visage, effectuait une toilette partielle, car le bain était seulement une fois par semaine. Il peignait ses cheveux, ajustait au mieux ses vêtements, laçait ses chaussures.

Il devait être parfait.

Ces réflexes, Tom les avait acquis dans les premières années de sa vie. Les familles qui venaient pour adopter des enfants observaient ce genre de choses. Elles aimaient ce qui était joli, propre et soigné. Et Tom ne faisait pas exception. Il était un beau garçon, avec sa peau pâle, ses cheveux sombres sans cesse bien coiffés, son nez droit, son maintien aristocratique. Et pourtant… Jamais les adultes ne s'attardaient longuement sur était toujours présenté en dernier, par obligation. Ses yeux trop perçants étaient jugés certes intelligents, mais aussi effrayants. Sa personne dégageait une aura bien trop étrange, trop lourde. Aucun adulte ne reconnaissait sa valeur. Alors, bien vite, Tom avait abandonné l'idée d'être adopté. Il se trouvait au-dessus de la masse, au-dessus de tous les autres. Les adultes étaient bien trop idiots pour discerner sa grandeur. Il soupçonnait d'ailleurs Mme Cole de prévenir les familles dans un chuchotis bien placé sur les curieux événements survenant autour de lui, ce qui le désavantageait dans une potentielle adoption.

Une fois, lorsqu'il avait aidé à la cuisine avec Amy Benson, le chaudron d'eau bouillante destiné aux pommes de terre avait explosé au pied de l'orpheline, éclaboussant ses jambes découvertes. L'accident mémorable avait provoqué d'horribles brûlures au deuxième degré. Depuis, la fillette couvrait honteusement sa peau lésée de longs bas. À un autre moment, Eric Whalley avait poursuivi Tom sans relâche dans le jardin de l'orphelinat pendant qu'il cherchait un endroit calme pour lire. Près du vieil arbre en décomposition, une branche s'était détachée et avait heurté le visage du garçon. Le flot sanguin avait été un spectacle incroyable. Il avait perdu connaissance au pied de Tom, victime d'une commotion cérébrale. Et que dire de l'excursion de l'été dernier alors que Tom visitait une caverne avec Amy et Dennis ? Les pauvres enfants étaient ressortis traumatisés par des ombres. Bien entendu, davantage d'événements particuliers entouraient Tom, mais la liste était bien trop longue pour la relater dans son entièreté.

Une latte du plancher craqua dans le corridor près de la chambre. Tom relâcha son emprise sur ce qui restait de l'araignée ; la porte s'ouvrit au moment où le corps de la bestiole heurtait le sol. Mme Cole, la matrone de l'orphelinat, se tenait sur le seuil, son visage anguleux avec une pointe d'anxiété. Elle portait des vêtements austères, gris, dont une longue jupe qui retombait sur des collants tout aussi cendrés. Les bras croisés telle une armure, elle observait Tom d'un air sévère.

— Que fais-tu au sol ? N'as-tu pas une chaise pour t'y asseoir ?

Avec lenteur, Tom se releva, dépoussiéra son uniforme et écrasa la pauvre araignée sous la semelle de son soulier.

— Vous avez raison, Mme Cole, répondit-il d'une voix mesurée.

Puis il attendit, les mains dans le dos, la posture bien droite. La femme se présentait rarement à sa chambre.

— Nous aurons un invité ce soir, lui dit-elle. Il désire visiter les lieux, voir les orphelins, et a fortement insisté pour apporter le gâteau.

Tom fronça les sourcils. Jamais un tel événement ne s'était produit dans le passé. Les adultes venaient et repartaient tout aussi rapidement, sans jamais rester pour le repas. Et apporter le dessert ? Quelle étrange idée !

— Alors, Tom, continua-t-elle, je te demande d'adopter une attitude normale. Me suis-je bien fait comprendre ?

D'un sourire froid, le garçon hocha la tête, habitué aux reproches constants. Même si la plupart étaient réellement de son fait.

— Bien entendu, Mme Cole. Comme toujours.

La directrice renifla, le scruta de la tête aux pieds puis disparut dans le couloir sans refermer la porte. Tom souleva son pied et observa la carcasse aplatie sur le plancher. Il allait devoir tout nettoyer maintenant : le cadavre souillait son pathétique royaume.

888

Le reste de la journée passa relativement vite. Tom s'était enfermé dans ce que Mme Cole appelait la bibliothèque afin de s'y reposer. Un roman sur les cuisses, il le feuilletait sans vraiment le regarder. Combien de fois le lisait-il ? Il ne pouvait le dire : la diversité d'histoires faisait pitié. Il avait dévoré tous les livres de l'orphelinat, sans aucune exception. Outre nettoyer sa chambre et effectuer ses tâches obligatoires, les activités demeuraient pauvres. Les orphelins jouaient souvent dans le jardin, mais Tom n'y participait pas. Il préférait réfléchir, tenter de comprendre son pouvoir. Seul, il arrivait parfois à soulever des objets, à les déplacer et même, à les faire disparaître. Il l'avait d'ailleurs expérimenté sur le lapin de Billy, mais avait échoué à sa grande frustration. Il s'était alors questionné. Pourquoi un petit animal serait-il plus difficile à faire disparaître qu'une poupée ? Sa conclusion s'était formée autour du fait qu'il s'agissait d'un être vivant.

Or, Tom arrivait à plier certains esprits à sa volonté ou à y plonger, ce qui, toutes les fois, lui étirait un sourire carnassier et le consolait dans ses autres essais infructueux.

Les seuls êtres vivants que Tom affectionnait étaient les serpents. Au printemps, lorsque le sol dégelait et se gorgeait d'eau pour créer de vilaines flaques de boue, il trouvait souvent ces créatures dans le jardin. C'était d'ailleurs durant ces moments qu'il se permettait de traîner avec les autres enfants. Mais traîner était un bien grand mot. Ceux-ci l'évitaient comme la peste lorsqu'ils l'entendaient siffler aux serpents. L'horreur tapie dans leurs yeux valait tout l'or du monde. Tom appréciait cette faculté que lui seul détenait. Ce don lui rappelait son exception, sa grandeur et surtout, son intellect au-dessus des autres.

Tom observa l'horloge. L'invité arriverait bientôt. À contrecœur, il se leva, retourna dans sa chambre pour étudier son reflet et s'assurer de sa perfection, et descendit l'escalier pour attendre dans le hall avec l'ensemble des enfants. Il allait perdre une soirée à jouer les faux-semblants. Et pourquoi ? Pour une personne qui apportait un gâteau à leur pathétique tablée ? Mais il ne pouvait le nier : la curiosité lui rongeait le ventre, creusait un trou dans son corps déjà bien vide.

Amy revêtait sa plus belle robe, celle déchirée à l'arrière et d'un rose décoloré. Ses cheveux étaient coiffés en nattes alors qu'une rougeur d'excitation teintait ses joues habituellement pâles. Billy, quant à lui, soutenait son stupide lapin entre ses bras, le caressant sans relâche comme pour le rassurer. La bestiole glapissait. À ce son, Tom sentit une forte envie de tordre son petit cou poilu pour le faire taire à tout jamais. Un jour, il s'occuperait de l'animal. Un jour. Dennis et Eric jouaient aux billes sur le sol et criaient lorsqu'un coup portait. Cette vision plissa les yeux de Tom. Comment Mme Cole pouvait-elle tolérer ce comportement ? Habituellement, elle les grondait. Mais elle semblait accaparée par diverses pensées, le regard fixé sur une porte silencieuse près de l'entrée. Elle attendait son convive avec des mains moites qu'elle essuyait contre son habit.

Une grande vague d'adoptions avait eu lieu dans les derniers mois : il restait peu d'enfants à l'orphelinat. Si l'invité cherchait à devenir parent, il serait fort déçu du choix restreint. Il repartirait rapidement. Tom eut un sourire cruel à cette pensée : encore des gamins affligés par le ridicule espoir d'être aimé. Amy se tendit près de lui, témoin de sa réaction. Bien vite, Tom afficha un visage poli comme il avait appris à le faire et attendit avec les autres que l'invité se montre.

Des coups furent portés à l'entrée. Mme Cole sursauta au bruit, puis s'empressa d'ouvrir la porte. Le soleil de fin de journée voila un moment la silhouette sur le seuil. Tom plissa les yeux afin de les ombrager de ses cils.

— Bonsoir Mme Cole, entendit-il.

La voix était chaleureuse, douce comme le velours, mais aussi chantante que la braise d'un foyer. La voix d'un homme.

— M. Peverell, salua la matrone, un plaisir de vous voir à l'orphelinat. Entrez, entrez donc, et laissez-moi vous débarrasser de votre manteau.

Un homme, ou plutôt, un jeune homme s'invita dans l'entrée, à l'air terriblement naïf, ne caressant pas encore la vingtaine. Il était plus petit que la moyenne — ne dépassant guère la vieille matrone —, un corps frêle recouvert d'un long manteau noir, mais chic. Des gants protégeaient ses mains par le temps froid, mains qui tenaient une énorme boîte contenant assurément le dessert. Son visage, imberbe, dégageait une chaleur que l'on observait peu chez les adultes. Sa masse de cheveux indisciplinés retombait devant des lunettes à la monture ronde et des yeux d'un vert émeraude. Tom sentit une agitation inhabituelle en lui. Son rythme cardiaque augmenta sa cadence, comme victime d'un étrange sentiment.

M. Peverell tendit la boîte enrubannée à son hôte, retira ses gants puis son manteau. Tom remarqua une bague ornant l'un de ses index, mais de sa distance, il ne put détailler les motifs. Lorsque l'invité fut débarrassé, il se tourna vers les orphelins, tous alignés devant lui. Tom se tenait toutefois légèrement en retrait, le visage crispé.

— Bonsoir à vous, dit l'homme avec bienveillance.

Il plongea les mains dans les poches de son pantalon de tweed et retira des poignées de bonbons.

— Allez, servez-vous, les enjoignit-il.

Mme Cole claqua de la langue, ce qui attira l'attention de tous.

— Oh ! s'exclama l'homme. Bien entendu, je vous déconseille fortement d'accepter des bonbons d'inconnus dans la rue…

Une rougeur envahit ses joues et Tom sentit naître un sourire ironique sur ses lèvres. Quel sot maladroit ! Mme Cole hocha le menton pour signifier aux enfants qu'ils pouvaient maintenant prendre l'offrande.

— Vous êtes si gentil, monsieur ! s'exclama Eric alors qu'il piochait une friandise. N'est-ce pas, Amy ?

— Oh oui ! répondit-elle, la main empoignée à sa robe pour une petite révérence.

Tom observa ces créatures orphelines s'arracher les bonbons avec dégoût, mais s'efforça de garder un visage lisse, déserté de sa répulsion. L'invité s'approcha de Tom, une friandise tendue dans la main.

— Le cadeau est aussi pour toi, lui dit-il.

L'homme regardait son visage, mais ne croisa jamais ses yeux. Jamais. Comme s'il les évitait. À ce constat, Tom fronça les sourcils, crispa la mâchoire. Un profond sentiment de rejet s'insinua en lui, plus fort que lors de toutes les visites d'adoption, et plus insidieusement. Il avait l'impression qu'une mare d'encre tachait son cœur, remplaçait son sang pour noircir tout son intérieur. Il ne comprenait pas pourquoi, mais il avait envie — plutôt besoin — que cet inconnu le regarde, le voit vraiment. Il désirait avec ardeur que Peverell saisisse son potentiel. Ce puissant sentiment était très contradictoire avec ses habituelles émotions et son idéal d'isolement, de calme et d'indépendance. Quelque chose de magnétique tourbillonnait autour de cet homme.

— Tom, ne sois pas mal élevé, le gronda Mme Cole, maintenant derrière son invité.

D'une main moite et livide, Tom accepta difficilement la friandise, mais prit le temps de le remercier poliment. Il vit un sourire hésitant étirer ses lèvres, puis l'observa tourner les talons pour suivre la directrice.

— Venez, la table est installée. Vous pourrez vous y sustenter.

Les orphelins suivirent les adultes, Tom à l'arrière. Son esprit réfléchissait. Ce monsieur Peverell semblait si jeune, bien plus jeune que tous les adultes ayant pénétré l'orphelinat dans une optique d'adoption. Quel était le réel but de sa visite ? Et Mme Cole qui remuait et se frottait continuellement les mains contre sa robe. Tom ne comprenait pas. Il ne saisissait d'ailleurs pas sa propre agitation de plus tôt. Jamais un adulte n'avait créé un tel sentiment en lui. Alors, pourquoi cet inconnu ? Il ne laisserait pas ce Peverell l'affliger. C'était hors de question !

Ils arrivèrent dans leur pathétique salle à manger, une soupière chaude déjà sur la table. Tous s'installèrent sur les vieilles chaises bancales alors que Martha, une employée de Mme Cole, s'occupait de servir les convives comme lors d'une vraie réception. Elle commença par une louche du potage à M. Peverell, les joues étrangement rougies, puis continua avec la directrice et les enfants. Tom fut le dernier servi, mais n'en fit aucun cas : cela lui permit de scruter leur invité à son aise.

Malgré son visage affable, Tom put y lire un certain malaise, un non-dit, voire une réticence. Si de tels sentiments animaient l'homme, pourquoi perdait-il son temps à ce lamentable repas ? Il était bien nanti, cela se voyait. Il était propre, portait des vêtements de qualité. Seuls ses cheveux détonnaient sur l'impeccabilité de son ensemble, comme s'il peinait à les dompter.

Tom attendit que leur invité ait pris la première cuillerée avant d'entamer lui-même sa soupe, comme l'usage le demandait. L'ustensile en bouche, la crème enroba ses papilles. Étonnamment, le goût était mieux que jamais. Le cuisiner avait tout donné pour ce repas, même s'il restait médiocre. Tom dut d'ailleurs se retenir d'engloutir l'entièreté de sa soupe et d'imiter les autres orphelins qui salissaient leur visage, étranger à un menu avec des saveurs plus rehaussées.

— Alors, M. Peverell, comment trouvez-vous l'orphelinat ?

Mme Cole entama la discussion d'un ton léger alors qu'elle hochait la tête vers Martha pour approuver le potage.

— Eh bien, pour ce que j'en vois, l'endroit me semble bien austère pour des enfants, avoua-t-il d'un sourire contrit.

Tom cligna des yeux. Il ne s'attendait pas à une telle honnêteté. Toutefois, si l'homme détenait un statut important, il aurait été étonnant que celui-ci s'empêche une réponse franche, malgré sa naïveté. Les traits de Mme Cole se durcirent légèrement alors que certains orphelins affirmaient les propos de M. Peverell du menton.

— Mais je comprends que les dépenses sont difficiles, continua l'homme, le visage empreint de douceur, alors qu'il essuyait sa bouche salie de soupe.

M. Peverell semblait maladroit : il se tachait continuellement le menton, le bout du nez et avait laissé tomber sa cuillère au moins à deux reprises dans un bruit sonore sur la nappe en dentelle. Soit c'était un incapable, victime de gaucherie, soit il était nerveux. Tom s'exaspéra de ce comportement, lui-même possédait de meilleures manières à table que l'invité.

— J'aimerais bien me présenter, si vous me le permettez.

— Bien entendu, allez-y.

L'homme se tourna vers les enfants, le visage souriant. Il ne regardait aucun orphelin précisément, se concentrant plutôt sur ce qu'il allait dire.

— Bonsoir, les enfants, je me nomme Harry Peverell, commença-t-il. Vous pouvez m'appeler monsieur, M. Peverell ou bien Harry. Personnellement, je préfère Harry.

Ses yeux chaleureux survolèrent les têtes devant lui sans s'arrêter sur celle de Tom, qui le fixait de ses pupilles sombres.

— Je vous ai apporté mon dessert préféré, révéla-t-il.

— Oh ! Qu'est-ce que c'est ? s'exclama Amy qui avait un peu trop la dent sucrée.

Peverell s'amusa un moment, ses yeux verts pétillants comme le champagne.

— Une tarte à la mélasse.

— Génial ! s'enjoua Billy, son lapin sur ses genoux. Je n'ai jamais eu la chance d'y goûter.

Tous les orphelins exprimèrent leur impatience, sauf Tom qui demeurait silencieux. Son esprit s'énerva plutôt, voulant comprendre la raison de la présence de l'homme. C'était sûrement plus que de partager du gâteau.

— Des présentations nécessitent l'introduction de tout le monde, ne croyez-vous pas ? affirma alors Tom d'une voix ni dure ni douce, juste sous contrôle.

Mme Cole se racla la gorge et lança un regard d'avertissement au garçon, mais Tom l'ignora, fixant Peverell sans ciller. Mais même son intervention ne lui permit pas de rencontrer les yeux de l'invité. Ce dernier eut toutefois un rire et hocha la tête.

— C'est bien vrai, répondit-il. Pourquoi ne faisons-nous pas un tour de table pour nous présenter?

Amy fut la première à parler, les joues roses de gêne, dévoilant aussi ses intérêts, dont le dessin. Dennis et Eric poursuivirent, exposant leur passion pour les billes et la capture de grenouilles. Billy, quant à lui, présenta son lapin alors qu'il l'embrassait sur le bout du museau. Tom remarqua l'étrange regard de Peverell pour l'animal : il le scrutait comme s'il se remémorait un souvenir presque insaisissable. Peut-être avait-il déjà eu un lapin ? Que donnerait Tom pour frôler ses pensées ? Mais ce n'était pas convenable autour de la table. Il manquait encore de concentration.

— Et toi, mon garçon ?

Tom croisa pour la toute première fois les yeux de Harry Peverell. Son estomac se tordit, ses dents se serrèrent. Son cœur battit plus fort, empreint d'une anxiété inexpliquée. Mais il soutint ces deux magnifiques émeraudes, sans détourner le regard.

— Tom Elvis Jedusor, se présenta-t-il avec calme, en apparence du moins. 8 ans.

— Enchanté, Tom, répondit Peverell, un sourire inconfortable contre ses lèvres. Y a-t-il quelque chose que tu aimes ?

— Lire, répliqua-t-il, comme si c'était la chose la plus évidente.

Et Peverell eut un rire entendu, pas le moins du monde surpris.

— Et vous, monsieur, qu'est-ce que vous aimez ?

L'invité écarquilla les yeux, ne s'attendant pas à cette question. Il pencha la tête sur le côté, comme le faisaient les chiots, révélant la peau blanche de son cou, et prit un moment pour réfléchir. Pouvait-on apprécier assez de choses pour se perdre dans les choix ?

— La tarte à la mélasse, le vent, un bon feu de cheminée et davantage, je dirais. Ah oui, Noël !

Ce dernier propos fit rire les enfants. Tom plissa le nez, ne sachant comment réagir. Peverell affectionnait que des choses puériles. Aimer le vent ? Quelle connerie ! Et Noël… Il se força toutefois à afficher un sourire poli, puis revint à sa soupe. Il trouvait difficile de faire bonne mesure devant l'homme marginal. Quelque chose dans son regard l'incitait à dévoiler sa véritable personnalité. Ou bien, voyait-il clair en Tom ? Voyait-il la noirceur de son âme ? Mais comment pourrait-il le faire alors qu'ils se rencontraient pour la première fois ?

Rendu au dessert, Tom scruta les joues de Peverell. Chaque fois qu'il avalait une bouchée de la tarte, deux fossettes se creusaient. Celles-ci ressortaient déjà à chacun de ses sourires, mais elles s'imposaient davantage en ce moment, comme si l'invité dégustait réellement le dessert au lieu de l'engloutir comme tous les autres. Du bout de sa fourchette, Tom détacha une petite pointe de la tarte et la porta à sa bouche. Il fronça les sourcils. En effet, c'était assez bon. Il reprit trois minuscules morceaux avant de repousser l'assiette, fatigué du sucre.

— Alors, les enfants ? s'informa Peverell. N'est-ce pas délicieux ?

— Oh oui, monsieur ! s'exclamèrent-ils.

— Je vous rapporterai une surprise lors de ma prochaine visite, promit-il avec un sourire qui découvrait ses dents blanches.

— Vous allez revenir, Harry ? s'étonna Billy, offrant son doigt sucré à son lapin.

Tom n'aurait pas besoin de tuer l'animal, Billy s'en chargerait bien assez vite avec de telles manies.

— Bien entendu, approuva Peverell avant de se tourner vers Mme Cole. Je vais vous soutenir financièrement pour les rénovations de l'orphelinat.

Des cris s'élevèrent et Tom resta abasourdi. Voilà donc la raison de sa présence. Mme Cole espérait obtenir de l'aide pécuniaire pour l'établissement. Et voilà que Peverell tombait du ciel, cet homme qui jamais n'était venu ici auparavant.

— Vraiment ? souffla-t-elle, les larmes aux yeux. Je… Comment vous remercier ?

— En assurant des repas adéquats et complets à tous les enfants, madame.

— Ce sera fait, affirma-t-elle.

888

Tom reposait dans son lit, les yeux grands ouverts. Il fixait le plafond sans réellement le voir. Il repensait au repas et au sourire de Peverell — surtout à ses fossettes. Elles le dérangeaient, comme si leur apparition témoignait d'une vraie émotion positive. À son attitude chaleureuse et à l'étrange offre pour l'orphelinat. Cet inconnu était fortuné, sans aucun doute. Pourquoi s'embêtait-il à les aider ? Cette générosité devait certainement lui rapporter quelque chose. Mais quoi ? Et quel emploi occupait-il ? Il était stupide et ô combien naïf ! Le garçon crispa ses poings. Il revoyait les grands yeux verts de l'homme, ressentait encore l'agitation qu'un tel regard éveillait en lui. Et ça l'énervait. Qu'était-ce cette faiblesse ? Jamais une personne n'avait provoqué autant de remous en lui. Il se trouvait au-dessus des autres !

Il se tourna dans son lit qui grinçait atrocement et plissa le nez. Peverell allait revenir, il l'avait dit. Et Tom ne pouvait s'empêcher d'avoir lui aussi envie de le revoir.

888

Lors d'un matin enneigé, où des tourbillons de flocons cherchaient à pénétrer l'orphelinat chaque fois que la porte principale s'ouvrait, Harry Peverell revint. Tom se trouvait dans le hall, sur un fauteuil déchiré, puisque les autres orphelins envahissaient la bibliothèque. Et le hall était plus chaud que sa chambre et donc, plus confortable. L'homme, ou plutôt le jeune homme, se souvint-il, se détaillait mieux à la lumière du jour. Tom pouvait davantage évaluer ses traits dans la fleur de l'âge, et ce, même si la neige le recouvrait. Comme un chien, il secoua sa tignasse de jais et retira son manteau qu'il accrocha à une patère. Puis, il se retourna et croisa les yeux de Tom, qui le scrutaient depuis son arrivée.

— Oh, bonjour Tom, dit-il avec une certaine hésitation. Pardonne-moi, je ne t'avais pas vu.

Il se souvenait de son nom… Tom sentit sa gorge se serrer. Et pourquoi lui demandait-il de l'excuser ? Ça n'avait aucun sens. Était-ce une façon d'être poli ?

— Bonjour, répondit-il simplement, son livre ouvert sur les genoux, l'estomac tordu comme à leur première rencontre.

Peverell baissa les yeux et remarqua l'objet.

— Que lis-tu ? l'interrogea-t-il, comme s'il essayait de s'intéresser à lui alors qu'aucun adulte ne le faisait.

C'était pathétique.

— Frankenstein de Mary Shelley.

— Un bon livre, approuva Peverell. Que préfères-tu dans cette histoire ?

Tom referma le roman, la bouche pincée. Jamais un adulte ne lui posait ce genre de question. Sauf à l'école, mais de façon désintéressée. C'était… rafraîchissant.

— Qu'il est possible de ramener un mort à la vie ou, du moins, de créer un être puissant de toute pièce.

Une étrange lueur vacillait dans les yeux verts de Peverell. Il semblait analyser sa réponse, sans toutefois y émettre son grief sur l'immédiat. Sa bouche se tordait de malaise, ses fossettes se creusèrent. Mais il hocha le menton, signe qu'il avait bien écouté le garçon. Vers ce dernier, il pencha la tête et découvrit une partie de son front de ses cheveux hirsutes. Une pâle cicatrice en forme d'éclair ornait sa peau.

— Le personnage de Victor a une énorme responsabilité envers Frankenstein. Il est, après tout, son créateur. Il a certes réussi un triomphe scientifique, mais il échoue lamentablement sur le plan moral, abandonnant sa créature qui avait besoin de lui. Cette triste histoire est bien plus qu'une question de vaincre la mort, Tom, termina Peverell d'une voix sèche.

Tom se mordit l'intérieur de la joue, furieux. Il se sentait infantilisé. Et pourtant, il venait de recevoir une leçon… Une leçon d'un adulte qui s'intéressait à lui. Et ça, il ne pouvait pas l'ignorer. Comme s'il avait senti son courroux, Peverell adoucit son expression.

— Je sais que tu es un garçon brillant. Il n'est pas toujours évident de saisir la philosophie derrière une histoire.

Pinçant ses lèvres, Tom hocha la tête. Il avait envie de lui cracher au visage qu'il n'était pas idiot, mais s'abstint.

— Je te laisse à ta lecture, je dois voir Mme Cole. Peux-tu m'indiquer son bureau, s'il te plaît ?

D'un doigt pointé vers la gauche, Tom lui montra le chemin en silence. Peverell le remercia et s'éloigna du garçon. Tom réalisa à ce moment toute la tension qui agitait ses muscles et chercha à les détendre. Lorsque le son des pas de l'homme s'évanouit dans le couloir, il se leva pour suivre le même chemin. Il vivait à l'orphelinat depuis sa naissance : aucun recoin ne lui échappait. Et il connaissait le meilleur endroit pour espionner la conversation dans le bureau de Mme Cole.

888

— Martha va nous apporter du thé, roucoula Mme Cole. Avez-vous une préférence ?

— Du thé noir, je dois l'avouer.

Tom, assis dans l'obscurité derrière une porte entrebâillée, tendait l'oreille dans un silence absolu. Il se trouvait dans un cabinet de toilette, relié non seulement au couloir, mais aussi au bureau de Mme Cole. La porte du cabinet dans le corridor était en tout temps barrée, mais Tom avait vite appris à la déverrouiller avec son pouvoir. Ce n'était pas toujours facile, mais il y arrivait avec de plus en plus d'aisance.

— Je suis heureuse de vous voir, continua Mme Cole d'une voix pâteuse, le nez rougi.

Elle était ivre une fois de plus. Tom remarqua le regard de Peverell : il fixait d'un air désapprobateur une bouteille de rhum sur le bureau de la matrone.

— Je viens vous rencontrer pour les dernières formalités. J'ai les documents avec moi.

Peverell les sortit de l'une de ses poches et Tom fronça les sourcils. N'était-il pas anormal de retirer cette épaisse liasse de papier d'un pantalon ? Comme un tour de magie… L'homme les déposa sur le bureau, sous le nez de Mme Cole. Martha choisit ce moment pour cogner à la porte, un plateau recouvert d'un service à thé.

Peverell se versa sa propre infusion, ajouta un gros nuage de crème et le sucra d'une bonne cuillère. Il porta la tasse à ses narines, puis la huma. Tom observa ses épaules se détendre sous les arômes.

— Je vous verserai cette somme tous les mois, puis nous réévaluerons la situation l'année prochaine.

Les yeux de Mme Cole s'arrondirent.

— Un tel montant est… est… Comment puis-je vous remercier ?

— Comme je vous l'ai spécifié lors de ma dernière visite, je demande à ce que tous les orphelins soient bien nourris et aient des repas complets. Bien entendu, je veux que les lieux physiques s'améliorent pour les enfants. Pourquoi ne pas créer une salle de jeu rien que pour eux ? Je pensais aussi à une cour clôturée, plus sécuritaire dans cette partie de Londres.

Peverell porta la tasse à ses lèvres et savoura son thé, fermant les yeux un instant. Tom se demanda brièvement quel goût cela pouvait avoir pour générer un tel réconfort chez l'homme.

— Et surtout, il faut absolument régler l'isolation dans toutes les pièces. Je suis certain que les enfants meurent de froid.

Tom crispa ses mains : Peverell dégageait une lumière tout à fait inhabituelle pour un adulte. Il était si généreux, c'était incompréhensible. Presque insupportable. Était-ce pour cela que le cœur de Tom battait si vite ?

— Je vous le promets, M. Peverell. Votre générosité ne sera jamais oubliée.

Mme Cole semblait sincère, les yeux luisants par les effets de l'alcool, mais aussi par l'émotion. Quelque chose se passa d'une façon infime à graduelle : Peverell secouait sa jambe de nervosité, doucement, puis fortement. Ses lèvres se tordirent, son front se plissa.

— Et pour l'adoption, avez-vous analysé mon dossier ?

Tom sursauta et dut agripper sa bouche de ses mains tremblantes pour étouffer son souffle. De violents remous surgirent en lui, noyant ses poumons, son estomac, ses entrailles. Peverell voulait réellement adopter un orphelin ? Lequel ? Amy ? Tom avait bien vu les yeux doux de l'homme sur la fillette lorsqu'elle faisait ses courbettes écœurantes dans son affreuse robe déchirée. Tout son être s'anima d'une grande fureur. Il réalisa à ce moment qu'il espérait du plus profond de son âme être l'enfant choisi alors qu'il n'envisageait plus l'adoption depuis des lustres.

Un reniflement s'éleva de Mme Cole.

— Êtes-vous certain de l'enfant ? Je peux vous montrer les fiches que je tiens de mes orphelins. Vous pourriez les étudier afin de faire un choix éclairé.

— J'apprécie vraiment votre aide, mais je sais déjà lequel je veux avoir sous ma tutelle.

Tom, crispé de la tête aux pieds, se trouvait si proche de l'entrebâillement de la porte qu'il risquait de s'exposer. Il se recula en silence, mais garda ses oreilles grandes ouvertes.

— Je dois vous mettre en garde, M. Peverell… Tom est un enfant particulier.

Les mains de plus en plus tremblantes, Tom sentit sa gorge se nouer. Elle devint si sèche qu'il crut avaler du sable. L'air même y pénétrait avec difficulté.

— Oui, je l'ai remarqué, poursuivit-il.

Tom crispa la mâchoire, le cœur au bord de l'explosion, les mains maintenant moites.

— C'est un garçon brillant, vif d'esprit et qui a besoin de stimulation intellectuelle. Je pense être la personne idéale pour lui apporter ces besoins.

Seul, dans le noir, le faible rayon de lumière éclaira les yeux écarquillés de Tom. Pour la première fois de sa vie, il se faisait remarquer. Pour la première fois de sa vie, quelqu'un réalisait sa valeur. Un drôle de tourbillon émotionnel flottait dans le cœur du garçon. L'impression que sa tête allait se fissurer en deux sous l'afflux sanguin ne le quittait pas.

— Vous avez raison, acquiesça Mme Cole. Mais certains événements se produisent lorsqu'il est…

— Mme Cole, la coupa Peverell un peu durement, une main devant lui, j'apprécie votre sollicitude, mais ma décision est prise. Je veux adopter Tom si, bien sûr… il accepte.

À ce moment, Tom sortit du cabinet de toilette et se précipita le plus silencieusement possible au deuxième étage. Il croisa Billy et son stupide lapin, mais l'ignora. Ses pensées se chamboulaient, il perdait son calme. Il s'enferma dans sa chambre et s'assit sur son lit.

Peverell voulait adopter Tom.

Tom allait quitter cet endroit.

Tom aurait une maison.

Tom aurait un tuteur qui saisissait son intelligence.

Les mains moites, il les essuya sur son pantalon puis attendit, tremblant. Après quelques minutes, sa respiration se calma et bientôt, personne n'aurait cru possible que le garçon eût une perte de contrôle émotionnelle.

Les minutes s'égrenèrent. Des coups se portèrent enfin contre sa porte.

— Oui ?

Alors qu'elle s'ouvrait, Tom se tourna vers Mme Cole qui l'observait, le visage incertain. La crainte tout comme la joie semblaient y danser à tour de rôle.

— Tom, tu as de la visite.

Harry Peverell entra dans la chambre, ses traits illisibles. Un sourire fluctuant, voire forcé, flottait entre eux. Les deux émeraudes de l'homme l'étudiaient comme s'il se questionnait sur ses motivations d'adoption avant qu'il ne soit trop tard. Voulait-il ou non le prendre à sa charge ? Tom crispa ses petites mains.

— Tom, le salua-t-il à nouveau, j'aimerais prendre un moment avec toi pour discuter. Puis-je ?

Peverell pointa la chaise, demandant ainsi l'autorisation pour s'y asseoir. Tom hocha la tête pendant que Mme Cole quittait la pièce, un dernier regard pour l'homme, tout en refermant la porte.

— Comme tu le sais déjà, je souhaite t'adopter. Qu'en penses-tu ?

Tom plissa les yeux, la bouche pincée.

— Comment pourrais-je savoir vos motivations alors que vous venez tout juste de me les annoncer ?

Il était, semblait-il, heureux, mais tout aussi soupçonneux. Dernier sentiment renforcé par un soudain rire franc de Peverell.

— Ne te cachais-tu pas dans la pièce adjacente au bureau de Mme Cole ?

— Comment le savez-vous ? murmura Tom, encore et toujours méfiant, entre ses dents serrées.

— Tom, ta présence attire l'attention, souffla Peverell, doucement. Mais ne t'inquiète pas, Mme Cole n'a rien remarqué.

Était-ce un compliment ou une critique ? Les mains crispées, Tom changea de sujet d'un ton sec pour revenir au plus important.

— Pourquoi voulez-vous m'adopter ? Est-ce une plaisanterie ?

Le visage de Peverell se durcit et Tom regretta un instant ses paroles. Toutefois, il le cacha et haussa plutôt le menton d'un air hautain. L'homme allait-il changer d'avis face à son impolitesse ?

— Non, je ne plaisanterais jamais sur un tel sujet, Tom. Ce serait tout simplement cruel. Si je suis ici, c'est pour savoir si tu as envie de venir avec moi. J'ai une petite maison, suffisante pour deux, où tu pourrais grandir et où je pourrais faire ton éducation. Tu aurais ta chambre et nous pourrions devenir… une famille.

Ces derniers mots étaient tombés dans un instant de flottement, ce qui rendait Tom encore plus vigilant. Ses lèvres s'aplatirent, ce qui semblait faire hésiter Peverell.

— Alors… Acceptes-tu de…

— C'est évident ! lâcha Tom avec arrogance. C'est d'ailleurs une question idiote !

Peverell se recula un instant, le visage un peu livide. Tom se mordit l'intérieur de la joue, comprenant qu'il devrait tacher de prudence envers son nouveau tuteur. Cet homme, étincelant comme le soleil, serait facilement affecté par la noirceur de Tom. Et s'il voulait vivre autre part qu'à l'orphelinat Wool, Tom devrait faire des efforts. Ainsi, il étira ses lèvres en un sourire qu'il espérait agréable.

— C'est un affreux endroit, ici, expliqua-t-il plus doucement. Je pense que vos dons financiers pourront améliorer l'orphelinat, j'en suis certain même, mais cela ne remplacera jamais une véritable maison.

Peverell lui offrit un doux sourire et se leva, le visage résolu.

— Eh bien, puis-je t'aider pour tes bagages ?

— Nous partons bientôt ?

— Bien entendu, tous les documents sont presque réglés.

Tom scruta son environnement, sans émotions.

— Je n'ai pas grand-chose, dit-il. Vous pouvez finaliser les papiers pendant que je m'occupe de ma valise.

— Bien, fit Peverell.

Il marcha jusqu'à la porte puis se retourna. Une fois de plus, son visage vacillait.

— Je n'autorise pas les objets volés, annonça-t-il avec une certaine lenteur. D'accord, Tom ? Tu devras les rendre à tes amis.

Puis Peverell s'effaça de la chambre, laissant Tom à ses sombres pensées. Amis ? Ce mot ne signifiait rien pour Tom. Et comment Peverell pouvait-il savoir pour ses trophées ? C'était sûrement la faute de cette vieille Mme Cole, la garce. Elle voyait un peu trop clairement en lui et avait préféré prévenir l'homme de sa dépendance. Mais Tom aurait bien d'autres occasions pour refaire sa collection. D'un geste brusque, il ouvrit son armoire et extirpa sa boîte en carton de la plus haute tablette. Il sortit les objets qu'il avait dérobés dans les dernières années avec un sentiment de convoitise encré en lui. Parmi les trophées, il reconnut la vieille poupée d'Amy, l'œil manquant, le bras déchiré.

Un sourire sardonique étira ses traits. S'il ne pouvait pas les avoir, pourquoi les autres orphelins le pourraient-ils ?

Tom ouvrit la fenêtre de sa chambre et, un trophée à la fois, les jeta du deuxième étage avec son pouvoir afin qu'ils pourrissent dans la neige, derrière la clôture, telle une épave sur un lit blanc maculé par les saletés de la ville. Ce qui était magnifique avec l'emplacement de sa chambre, c'était qu'aucune autre fenêtre — hormis celle de la cuisine — n'observait le même paysage. Avec un faible pourcentage de chance, les objets seraient retrouvés au printemps, le temps ayant eu ses droits sur la médiocrité des matériaux.

Satisfait, il referma la fenêtre et entreprit de faire sa valise. La tâche fut vite accomplie. Tom observa une dernière fois son environnement, sans une once de regret, sans réelles émotions. Puis, il sortit de sa chambre pour atterrir dans le couloir froid et sombre de l'orphelinat. Il atteignit rapidement les escaliers, mais croisa une fois de plus Billy et son stupide lapin assis sur une marche. D'un regard glacial, Tom le fixa sans ciller.

Il retira ses pensées précédentes. Il possédait un seul regret : ne pas avoir pu pendre cette fourrure vivante à la poutre de la piaule de Billy. Un sourire mauvais étira ses lèvres.

— Où vas-tu avec ta valise ? s'informa Billy, les yeux écarquillés d'incompréhension.

Le visage fendu de satisfaction, Tom lui répondit d'un ton glacial.

— M. Peverell m'a adopté. Je vais donc habiter avec lui.

Billy se figea d'horreur.

— Quoi ? Mais… mais… comment est-ce possible ? Un garçon aussi sombre que toi ?

Tom se pencha doucement jusqu'à ce que ses lèvres atteignent l'oreille de l'orphelin.

— Mais ça… Il ne le sait pas, n'est-ce pas ?

Billy devint livide, la bouche tremblante. Celui-ci serra avec plus de force son lapin, pensant ainsi le protéger de l'abominable démon. Tom renifla de dégoût, puis reprit son chemin, sa lourde valise à son poing. Ses pas s'arrêtèrent près du bureau de Mme Cole alors que ses sens restaient aux aguets. Quelques minutes passèrent et enfin, son nouveau tuteur se présenta devant lui, des papiers à la main.

— Regarde Tom, c'est officiel, lui dit-il tout doucement. Tu es maintenant mon fils adoptif.

Ses petites mains agrippèrent avec avidité les documents d'adoption. Ses yeux les parcoururent. Son nom reposait effectivement sur les formulaires : Tom Elvis Jedusor.

— Ne prend-on pas le nom de famille de son tuteur ? demanda-t-il, les sourcils froncés.

— Ce n'est pas toujours le cas, répondit Peverell, la voix cherchant à cacher un inconfort. J'ai décidé de te laisser le choix du nom de famille. À ta majorité, tu opteras pour celui que tu désires.

Que signifiait cette décision ? Harry Peverell se prévoyait-il une échappatoire si l'adoption tournait au désastre ? Ou bien était-ce réellement pour lui laisser un choix considéré comme important ? Après tout, jamais il ne verrait Peverell comme son père. Il paraissait bien trop jeune et Tom était bien trop indépendant. Des émotions contradictoires s'élevaient toutefois en lui : il se sentait heureux de cette latitude, mais étrangement anxieux d'une éventuelle remise en question. Tom devrait faire de gros efforts pour devenir l'enfant parfait.

— Es-tu inquiet ? entendit-il de la voix masculine alors que Mme Cole arrivait près de l'homme, les bras croisés d'angoisse.

Cette question lui tortilla la bouche, lui plissa le nez.

— Bien sûr que non, répondit-il.

Il redonna les papiers d'adoption à Peverell et attendit, sagement.

— Eh bien, merci encore Mme Cole. Je vous ferai parvenir les dons tous les mois, rappela Peverell.

— Je vous souhaite tout le bonheur du monde, répondit-elle en s'inclinant.

Peverell se retourna et marcha jusqu'au hall. Tom le suivit, les yeux fixés sur la main de l'homme. Devait-il la prendre ? Tous les enfants adoptés, lors de leur départ, saisissaient la main de leurs nouveaux parents. Mais Tom ne voyait pas Peverell ainsi, jamais cela ne changerait. Mais peut-être que l'homme désirait avoir un bon garçon avec d'excellentes manières ?

— Aimerais-tu que je porte ta valise, Tom ? Elle semble lourde.

Tom scruta le visage soucieux de son tuteur. Puis lui tendit sa malle.

— Merci, répondit-il d'une voix polie.

Peverell eut un sourire chaleureux en agrippant le bagage. Il reprit le chemin, tout en jetant des coups d'œil derrière lui afin de s'assurer que Tom le suivait bel et bien. Ils sortirent sur le porche. Un véhicule noir luisant attendait au bout du trottoir menant à la rue.

— J'ai loué une voiture pour le trajet, expliqua Peverell. J'en ai certes une, mais je suis un piètre conducteur sur les longues distances.

Un vieil homme à la barbe grisonnante sortit du véhicule lorsqu'il vit Peverell et Tom. Il se dirigea vers le coffre arrière et débarra le capot. Peverell y glissa la valise de Tom puis ouvrit l'une des portières afin d'inviter l'enfant à s'asseoir sur la banquette. Bientôt, tous furent installés dans l'embarcation qui s'ébranla sur la route.

Une partie du trajet se fit en silence. Tom considérait d'un œil excité le paysage changé vers sa nouvelle vie. Il s'éloignait enfin de l'orphelinat pour connaître la joie d'habiter une véritable maison. Un fourmillement intérieur témoignait de son agitation. Mais bien vite, son regard se porta sur Peverell qui observait aussi la modification de l'horizon. L'homme semblait si jeune. Il possédait un nez droit, qui se retroussait joliment. Son agréable mâchoire se découpait sous les rayons du soleil filtré par la vitre. Les cheveux, quant à eux assez long, partaient dans tous les sens comme un véritable désastre. Mais quelques mèches arrière retombaient gracieusement sur une nuque gracile. Ne connaissait-il pas le peigne ?

Tom pouvait le dire, l'homme était beau. Cette sorte de beauté naturelle, négligée. Peverell tourna son visage vers lui, brûlé par son analyse du regard.

— As-tu une question, Tom ? s'enquit-il.

Il y en avait effectivement une qui lui incendiait les lèvres.

— Vous me semblez assez jeune pour adopter. Quel âge avez-vous ?

— 24 ans, répondit-il, ses grands yeux verts fuyant vers le paysage.

— Vraiment ? répliqua-t-il en fronçant les sourcils. Vous me semblez plus jeune que ça…

Peverell resta silencieux, mais Tom vit ses mains se contracter. Ce dernier plissa encore plus ses traits. Finalement, plusieurs questions titillaient sa langue empoisonnée.

— Est-il normal d'adopter un enfant à 24 ans ?

— Je croyais que les règles de ce pays exigeaient la majorité pour adopter, et ce, malgré l'apparence physique, claqua Peverell.

Le silence tomba. Même le chauffeur faisait bien attention pour ne pas le briser ou le violer d'un regard par le rétroviseur central. Tom sentit une tension désagréable fourmiller ses mains, ses bras, ses épaules. Sa question était peut-être trop inconvenante. Il devrait plutôt remercier l'homme de sa générosité, mais c'était beaucoup trop lui demander, pour lui et sa langue de vipère. Puis, un long soupir s'éleva de Peverell. Ce dernier appuya son front contre la vitre et se perdit dans le paysage, les doigts crispés contre son manteau. Tom crut un instant qu'il continuait à l'ignorer, mais il répondit finalement d'un ton bas et las.

— Eh bien, je suis malheureusement seul dans cette vie. J'ai donc voulu aider un orphelin pour lui offrir une existence confortable. Et cet orphelin, c'est toi Tom.

Tom s'agita sur son siège. Il était… reconnaissant, mais garda une fois de plus cette information pour lui.

— Où allons-nous ? questionna-t-il.

— Dans le Devon, répondit son tuteur. Ma maison se trouve à l'extrémité d'un petit village.

Et le silence revint. Le chauffeur leur lançait parfois des coups d'œil dans le rétroviseur et commentait leur avancée. Tom avait les mains moites. Il avait hâte. La dernière fois qu'il avait ressenti une telle excitation fut lorsqu'il avait fait pousser des furoncles sur le visage de Dennis Bishop.

Le temps s'écoulait, le soleil baissait. Peverell s'était assoupi contre la portière, la respiration régulière. Même ainsi, l'homme dégageait une aura chaleureuse. Tom, quant à lui, ne put fermer l'œil. Il assimilait tous les changements de l'horizon. L'après-midi touchait à sa fin lorsque la voiture emprunta enfin un chemin rocailleux, bordé de terre et de verdure endormie sous la neige. Depuis un moment, la nature primait sur les désolantes habitations. Ce nouveau paysage en rien gris et sombre allégea le cœur de Tom.

Une maison s'éleva dans la pénombre, un véhicule garé près de l'entrée. Un petit cottage rustique, en pierres. Avec la végétation gelée et le vol des flocons, la fresque était sublime. Tom retint son souffle : jamais il n'avait vu un aussi joli endroit. La voiture s'immobilisa enfin, éveillant Peverell. Il battit des paupières, révélant ses deux globes verts.

— Je suis désolé, Tom. Je me suis assoupi.

Tom ne répondit rien, beaucoup trop absorbé par sa future demeure. Il ouvrit la portière et s'élança à l'extérieur, le cœur tremblant. Il devait se ressaisir. Il souffla un moment. Peverell s'approcha une fois le chauffeur remboursé et la malle entre ses mains.

— Bienvenue à la maison, entendit Tom alors qu'il fixait les grandes fenêtres. Laisse-moi te faire visiter.

Peverell marcha jusqu'à l'entrée et ouvrit la porte lorsqu'elle fut débarrée. Il déposa la valise sur un tapis en jute. Puis, il éclaira la maison d'une douce lumière chaude. Tom s'arrêta, laissant son tuteur refermer la porte derrière lui.

— Ce n'est pas énorme, mais c'est notre maison.

Tom cligna des yeux, émerveillé. Il retira ses bottillons et s'avança dans l'ombilic de la demeure. L'entrée donnait sur le salon où reposait l'âtre d'une cheminée en briques rouges. Un vieil escalier séparait la pièce de la cuisine, non loin, qui accueillait une table ronde, en bois, avec quatre chaises. Les teintes étaient claires avec quelques touches dorées. Le plafond strié de poutres boisées retenait des plantes grimpantes.

— Par ici, à gauche, indiqua Peverell, c'est ma chambre. Et tout en haut des marches se trouve deux pièces et une salle de bain. Tu pourras choisir celle que tu veux pour ta chambre.

Tom ne comprenait pas comment gérer ses émotions. Elles débordaient rarement, sauf s'il s'agissait de colère. Et encore, il se contrôlait assez bien. Mais ça… Que ressentait-il ? Sa lèvre inférieure tremblait. Alors, il se la mordit pour l'arrêter. Heureusement, Peverell ne le regardait pas. Tom s'avança vers l'escalier, sa malle à la main.

— Puis-je monter ?

— Oui, laisse-moi te montrer, insista Peverell avec une certaine joie.

Ils grimpèrent l'escalier. Tom étudia les deux chambres et choisit celle qui offrait une vue sur le jardin. La pièce était simple, sans ornement. Un lit trônait au centre tandis qu'un bureau de travail meublait le dessous de la fenêtre. Une commode boisée complétait le tout.

— Nous pourrons acheter des décorations au village pour personnaliser ta chambre, lui promit Peverell, un sourire au visage. Je te laisse t'installer. Tu pourras me retrouver en bas lorsque tu seras prêt.

Et l'homme sortit de la pièce. Tom referma la porte et observa plus attentivement son environnement. Il ouvrit l'armoire sans la moindre trace de poussière et toucha les draps de son lit. Une courtepointe argentée le recouvrait. Il le contourna et s'approcha de la fenêtre et du bureau. Il alluma la lampe et caressa la surface du meuble. Une volonté se dessina sur son visage : il ne pouvait pas quitter cet endroit. Il ne le pouvait pas. Il entreprit de défaire sa valise et rangea ses objets aux emplacements qui lui convenaient. Ses vêtements, eux, se firent suspendre dans la penderie. Puis, il s'installa sur son lit.

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Une odeur s'éleva dans l'air. Elle vint chatouiller les narines de Tom qui s'était assoupi sur son lit. Lorsqu'il ouvrit les yeux, le soleil avait disparu, laissant la lune naître dans le ciel. La chambre éclairée par la lumière de sa lampe était déjà plus chaleureuse que celle délaissée à l'orphelinat. Il ouvrit doucement la porte et écouta attentivement. Peverell fredonnait une mélodie accompagnée du son d'un couteau contre une surface en bois. Il cuisinait.

Tom fit un détour à la salle de bain, s'étonnant du carrelage bleuté et argenté, et descendit l'escalier le plus silencieusement possible. Quelque chose bouillait dans une casserole, une sauce vibrait dans un récipient. Ça sentait bon et Tom saliva.

— M. Peverell, dit-il alors que l'homme continuait de hacher ce qui ressemblait à du persil, j'ai fini de m'installer.

Son tuteur ne le regardait pas et Tom sentit son cœur se durcir.

— Pourrais-tu m'aider avec la table ? Il faudrait mettre les napperons et les ustensiles.

Peverell lui indiqua où trouver les objets et Tom s'attela à la tâche en grinçant des dents. Pourquoi avait-il l'impression que son tuteur évitait son regard ? C'était… énervant. Il s'appliqua à bien dresser la table, les couverts aux bons endroits.

— J'espère que tu aimes les pâtes, dit Peverell avec une voix presque automatique, les yeux attachés à ses gestes. Je les adore, je ne mangerais que ça.

Tom ne savait pas ses préférences culinaires. Les choix à l'orphelinat Wool revenaient régulièrement à une bouillie grossière et sans saveur avec du pain rassis.

— Je suis certain que je vais adorer, répondit-il avec un grand sourire.

Peverell leva son regard et l'observa de ses paupières plissées. Il l'analysait, Tom en était sûr. Le garçon demeura immobile, affrontant cette étude d'un visage figé dans une expression qu'il voulait accueillante. Il eut l'impression que l'homme décortiquait son âme, qu'il voyait clair en lui. Et ce, peu importe tous les masques qu'il porterait. Mais c'était idiot et… impossible. Ce constat lui fit toutefois peur : il cacha cette émotion en l'enfouissant au mieux derrière son sourire intact. Or, ses mains ne l'écoutèrent pas, elles se tortillaient ensemble. Finalement, le visage de Peverell s'adoucit.

— Tom, tu n'as pas à jouer un rôle ici. Je suis là pour t'éduquer, pour t'apprendre la valeur de la vie. S'il y a quelque chose que tu n'aimes pas, je dois le savoir. Il est normal d'avoir des goûts différents, nous sommes tous, après tout, uniques. Il est juste…

Peverell se mordit la lèvre, hésitant. Son regard se raffermit toutefois.

— Il est juste essentiel de comprendre qu'une limite existe, que des lois sont mises en place pour la sécurité de tous et que chaque existence est importante.

Tom croisa les bras, la tête penchée sur le côté. Cette discussion devenait intéressante.

— Chaque vie ? répéta Tom avec scepticisme. Je crois au contraire que certaines vies sont plus importantes que d'autres.

Les épaules de l'homme se raidirent. Il continua toutefois sa tâche et servit les plats de pâtes ainsi qu'un bol de salade. Il invita Tom à s'asseoir et appuya son menton sur le dessus de ses mains, coudes sur table.

— J'aimerais que tu m'expliques pourquoi tu penses ça, dit-il en plongeant ses yeux émeraude dans ceux de Tom.

Celui-ci sentit son ventre se tortiller, sa bouche s'assécher. Tom baissa les yeux sur son plat. Venait-il d'éviter le regard de Peverell ? Il renifla un instant et fut happé par l'odeur de la sauce. Elle allécha ses papilles gustatives, les humidifiant à nouveau. Même l'aspect de la nourriture était un régal pour la vue.

— Il y a du parmesan sur la table si tu veux rehausser le goût, lança Peverell, un petit sourire aux lèvres.

Tom survola un instant le fromage, mais ouvrit plutôt la bouche.

— Certaines vies sont plus importantes que d'autres, car elles sont plus utiles, siffla-t-il alors qu'il agrippait la fourchette et la cuillère afin d'y enrouler les pâtes. Par exemple, il est dans l'intérêt de tous de protéger le premier ministre d'attaques terroristes en lui octroyant des gardes du corps plutôt qu'à un… voyons voir, un fermier. Personne n'ira protéger un pat… un simple fermier.

Sa langue avait fourché, le qualificatif « pathétique » avait voulu glisser de ses lèvres.

— Si on étudie la situation de ton exemple, il semblerait étrange d'octroyer des gardes du corps à un fermier, je te l'accorde. Le premier ministre et le fermier n'ont pas le même rôle en société. Ils n'attirent pas le même danger. Par contre, le fermier apporte quelque chose d'important : il cultive nos terres, nous offre de la nourriture à la table. Il nous permet de combler un besoin de base essentiel : manger. Le fermier est un être sensible et se doit d'être protégé par la loi. Que ce soit le premier ministre ou bien le fermier, les deux comblent un rôle pour les intérêts de la communauté. Seulement, leur rôle diffère. Mais cela ne justifie pas que la valeur de leur vie soit inégale.

Peverell goûta à son plat. Ses lèvres se tachèrent de sauce tandis que ses joues se creusèrent et se colorèrent de rose.

— Dans ce cas-ci, le premier ministre aurait avantage à protéger le fermier s'il veut que celui-ci exerce ses fonctions et lui apporte de bonnes moissons, poursuivit-il.

Tom demeura silencieux. Il comprenait les mots de Peverell, mais il ne les aimait pas. Il pensa aux orphelins laissés derrière lui et, peu importe comment il observait les choses, la valeur de sa propre existence surpassait la leur. Il était plus important.

— Ce n'est pas facile de rester moral dans nos décisions, ajouta Peverell. La proximité et l'amour que l'on a pour certaines personnes créent bien souvent du favoritisme. On a tendance à vouloir protéger ceux qui nous ressemblent. Mais je crois qu'il est important de se rappeler que tous ont le droit à la vie.

— Alors, pourquoi m'avoir seulement adopté moi et non tous les autres enfants ? critiqua Tom, les yeux plissés. N'ont-ils pas le droit d'avoir eux aussi une famille ? Votre comportement a-t-il seulement été moral ? Et comment avez-vous déterminé que le meilleur enfant était moi plus qu'un autre ? Avez-vous été juste dans votre choix ?

Peverell souleva son visage, livide. Et Tom sentit une étrange satisfaction s'infiltrer dans ses veines, couler jusqu'à son cœur. Il dut taire cette envie de sourire cruellement. L'homme ne s'attendait pas à une telle réplique et chercha à cacher sa culpabilité. Voilà donc un point faible intéressant à manier.

— Tu es un garçon intelligent, Tom. Ton esprit est vif.

Ses grands yeux verts ne mentaient pas. Peverell le pensait réellement. Tom sentit son petit cœur noir battre un peu plus fort.

— Il m'est malheureusement impossible d'adopter tous les orphelins, mais… avoir pu… Peut-être que j'aurais dû… Peut-être que je devrais…

La satisfaction de plus tôt s'évapora bien vite. Elle fut remplacée par la peur et Tom sentit ses entrailles se glacer. Peverell allait-il revoir son choix, maintenant ? Allait-il retourner Tom à l'orphelinat et étudier davantage tous les profils des enfants ? Ou bien, aller chercher un autre orphelin pour se donner bonne conscience ?

Non… Non ! Hors de question !

— Je… Je vous remercie de m'avoir choisi. Je vous serai éternellement reconnaissant, insista Tom avec une certaine panique dans la voix tout en scrutant l'homme, qui l'observait encore avec hésitation. Je veux que vous et moi — seulement nous deux — formions une famille.

Il était franc. Et le soulagement fit fondre la glace de son cœur lorsque Peverell lui offrit un sourire affectueux.

— Il m'est difficile de croire que tu as seulement 8 ans, souffla Peverell. Tu es le premier enfant que je rencontre avec autant d'intellect.

Tom plissa le nez. Il savait bien que d'un point de vue génétique, il était encore un gamin, mais il n'aimait pas ce mot. Il ne lui collait pas à la peau. Il avait parfois l'impression d'être un homme enfermé dans le corps d'un enfant.

— Et vous, difficile de croire que vous avez seulement 24 ans, répliqua-t-il alors qu'il mangeait une première bouchée du plat.

Ses yeux s'écarquillèrent. C'était bon. Incroyablement bon.

— Tu aimes ? entendit-il.

Peverell le scrutait et Tom fut incapable de répondre. Sa bouche refusait de lui obéir, un peu comme si elle trahirait ses pensées internes. Elle préférait d'ailleurs profiter du salé du plat. Alors, il hocha la tête pour le contenter. Il vit le visage de l'homme se réjouir du moment.

Le reste du repas se déroula dans un silence étonnamment agréable. Peverell poussait parfois des commentaires comme « Peut-être qu'un peu plus d'ail la prochaine fois… » ou « L'infusion du romarin dans le beurre aurait gagné avec une minute de plus ». Mais Tom ne souleva pas le fait que son tuteur parlait seul. Il enregistrait toutes les informations qu'il entendait ou observait afin d'établir un tableau de plus en plus précis de l'homme devant lui. Chaque détail collecté lui apportait un savoir, un pouvoir, qui lui permettrait une éventuelle manipulation ou emprise sur Peverell.

Tom termina son plat avec appréciation, il se retint même de recueillir le reste de la sauce avec son index. Le regard de Peverell le scrutait, un léger sourire aux lèvres. Ses yeux verts brillants affichaient des émotions complexes, difficiles à comprendre. Ce constat irrita Tom.

— Le repas fut agréable, commenta ce dernier avec politesse. C'est différent de l'orphelinat.

Les yeux de Peverell scintillèrent de reconnaissance, ses lèvres s'étirèrent. Il était touché par le compliment. Et Tom sentit son cœur bondir dans sa poitrine. Comment un simple compliment aussi anodin pouvait-il générer autant de gratitude ? C'était un mystère. Alors qu'il repoussait son assiette dans l'optique de se lever, Peverell s'élança vers le réfrigérateur en trébuchant dans ses pieds.

— Il y a un dessert ! s'exclama ce dernier avec empressement.

Tom se rapprocha de la table.

— J'ai fait un gâteau que je pense que tu pourrais aimer. Tu ne sembles pas apprécier lorsque c'est trop sucré, je me trompe ?

Plissant les yeux, le garçon l'étudia avec prudence.

— J'ai cru comprendre que tu tolérais le sucre à petite dose. Enfin, c'est ce que j'ai observé à l'orphelinat. J'ai donc fait un gâteau aux anges avec un coulis fruité. Ça reste sucré, mais beaucoup moins que la tarte à la mélasse.

Tom regarda la couronne de dessert que Peverell déposait devant lui : elle était simple, sans fioritures. Le gâteau semblait moelleux. Jamais il n'avait dégusté cette pâtisserie. Il laissa son tuteur lui trancher et lui servir une part, le tout rehaussé d'un peu de coulis. D'une fourchette, il déchira un morceau et le goûta. Il resta une fois de plus sans voix.

Jamais il n'avait mangé meilleur gâteau. Il était léger, moelleux, fondant et aussi doux que le miel. Même la texture nuageuse émerveillait sa bouche. Ses joues se colorèrent un peu.

— Je note ton appréciation, le taquina Peverell. Selon moi, la tarte à la mélasse est bien supérieure, mais ce gâteau n'est pas si mal.

Tom plissa les paupières en regardant l'homme un brin trop fier.

— Vous ne me semblez pas être une personne difficile avec le sucre, siffla Tom. Les deux parts de tarte lors de votre première visite à Wool et l'énorme cuillère de sucre dans votre thé de ce jour… J'en déduis que vous vivez pour les douceurs et que vous appréciez particulièrement votre dessert du moment.

Peverell eut un sourire moqueur.

— Eh bien, je vois que tu m'observes attentivement.

Le cœur de Tom s'arrêta un instant. Ses joues se vidèrent de son sang avant que celui-ci afflue à nouveau avec force. Elles se colorèrent comme deux pommes, ce qui fit réagir le garçon. Il poussa sa chaise et, raide comme une barre, se leva.

— Je vous remercie pour le repas, dit-il de sa voix hachée. Je vais me reposer.

Peverell l'observa sans moquerie cette fois et hocha la tête.

— N'hésite pas à utiliser la salle de bain, l'eau est chaude ici.

Puis il débarrassa la table pendant que Tom grimpait l'escalier tel un automate. Alors qu'il s'enferma dans sa chambre, le visage en feu, ses pensées tournoyaient sans cesse. N'était-il pas normal d'étudier un inconnu ? Et surtout, son actuel tuteur ? Pourquoi se sentait-il embarrassé d'une simple phrase ? Tom secoua la tête. Il devait être fier de son sens de l'observation. Et il était, après tout, au-dessus des autres. Il était donc déjà anormal. C'était une grande force qui lui apporterait bien des avantages dans l'avenir. Alors, il continuerait à scruter Peverell et à noter tout ce qui lui donnerait des armes, du pouvoir pour le manipuler.

Satisfait de sa reprise de soi, il écouta le conseil de son tuteur et se glissa sous la douche.

888

Assis dans son lit, Tom feuilletait son livre d'un air distrait. La faible lumière de la lampe était suffisante pour lire les mots, mais ceux-ci tombaient dans le tourbillon de pensées du garçon. Il se sentait étrange. Son environnement différait tellement de Wool qu'un malaise lui grugeait une partie de l'estomac. C'était curieux. Pourquoi ? Tom affectionnait la routine serrée, ce que l'orphelinat lui offrait malgré la monstruosité des lieux. Il était après tout travaillant, préférant occuper son esprit plus qu'à le laisser pourrir. Mais assis là, dans un lit récent, dans une chambre presque vide, ses habitudes se brisaient. Alors qu'il tournait une autre page, il se rassura : il développerait une nouvelle routine.

Trois coups furent portés contre sa porte.

— Entrez.

La tête de Peverell se glissa par l'ouverture, montrant des yeux incertains. Il observa distraitement l'environnement avant de poser son regard nerveux sur le visage impassible de Tom.

— Je… je me demandais si tu désirais que je te fasse la lecture.

Comme pour confirmer ses dires, l'homme brandit un livre devant lui.

— Me faire la lecture ? répéta Tom incrédule. Pourquoi ?

Son ton était sec, mais son cœur gonflait. L'idée ne lui déplaisait pas, même s'il préférait s'isoler lors d'une telle activité. La porte s'ouvrit complètement pour révéler la silhouette menue de Peverell. Il sortait de la douche : ses cheveux étaient légèrement humides et il portait un horrible pyjama rayé et déformé, bien trop grand pour lui.

— Eh bien, je pensais que nous pourrions créer une routine, tu vois ? Une tradition, sans que ce soit tous les soirs, à ta guise.

La nervosité de Peverell contamina un moment Tom, qui ne montrait rien. Son tuteur semblait craindre le rejet. L'enfant laissa planer le doute un instant, remplaçant son angoisse par une étrange satisfaction, comme s'il menait la danse. Puis, avec douceur, il ouvrit la bouche :

— C'est une bonne idée.

Il scruta alors le visage de Peverell, qui s'illumina. Il était heureux. Pendant qu'il approchait la petite chaise du bureau près du lit, Tom referma son propre livre.

— J'ai apporté cette histoire, le renseigna Peverell en le lui montrant.

Il s'agissait d'Alice aux pays des merveilles. Jamais Tom n'avait pu le lire au complet à l'orphelinat, puisqu'il manquait un peu plus de la moitié des pages alors que les autres restaient illisibles. Sa curiosité s'éveilla.

— Si tu aimes autant les livres, nous pourrions te dresser une belle bibliothèque là, dans ce coin, poursuivit Peverell avec humeur. Qu'en penses-tu ?

Les yeux de Tom observèrent l'espace désigné et il sentit à nouveau une agréable secousse au niveau de son ventre.

— Je… Oui, dit-il simplement.

Lentement, Peverell tourna les premières pages et s'arrêta au chapitre 1 : Dans le terrier du Lapin.

— Alice, assise auprès de sa sœur sur le gazon, commençait à s'ennuyer de rester là à ne rien faire; une ou deux fois elle avait jeté les yeux sur le livre que lisait sa sœur ; mais quoi ! pas d'images, pas de dialogue !

La voix de Peverell était plaisante, chaleureuse et captivait l'attention de Tom. Elle roulait sur lui comme le faisaient les frissons dus au froid ou à l'agréable sensation d'une couverture chaude à la sortie d'un bain particulièrement glacé. Jamais un adulte ne lui avait fait la lecture et il s'étonnait d'aimer ça.

Le temps filait avec douceur pendant qu'Alice tombait dans un grand puits pour se retrouver dans un long couloir. Tom trouvait la protagoniste stupide. Elle était tout simplement imprudente. Mais il ne pouvait nier comprendre sa curiosité de suivre un lapin qui parle.

— Au cou de cette petite bouteille était attachée une étiquette en papier, avec ces mots « BUVEZ-MOI » admirablement imprimés en grosses lettres.

Peverell poursuivit sa lecture, mais un ricanement s'éleva de son auditeur. Il l'observa avec intérêt.

— Alice n'est pas complètement idiote, répondit Tom. Elle pense au moins à vérifier si c'est du poison au lieu de suivre aveuglément l'inscription. Mais elle reste quand même frivole. Elle boit toute la potion au lieu de simplement en prendre une petite quantité pour voir les effets. Elle se laisse gagner par le plaisir que cela lui procure. Elle n'a aucune volonté.

— C'est une enfant, Tom. Et c'est un conte.

Tom grogna un moment pour lui signifier de continuer : il ne répondrait pas plus. Il voulait entendre la voix de son tuteur. Lorsque l'histoire arriva au moment du petit gâteau, un nouveau ricanement surgit de sa gorge. Peverell s'arrêta et lança un regard amusé à Tom.

— Elle a compris son erreur la première fois avec la potion, elle a évité de manger complètement le gâteau. Elle pourra donc se servir de ce qui lui reste pour une prochaine fois. Ce qui est plus rusé.

Peverell lui offrit un sourire difficile à interpréter, prêt à reprendre sa lecture, mais Tom l'en empêcha.

— Auriez-vous été capable de vous arrêter de manger le gâteau, monsieur ?

Il faisait référence à son amour du sucre et Peverell rit sans ombre à cette question, dévoilant ses dents et ses fossettes. Une chaleur s'alluma dans le thorax de Tom. Les derniers mots du chapitre s'envolèrent et le livre se referma. Peverell se pencha vers Tom et brandit une main vers ses cheveux, mais l'abaissa au dernier moment. Tom fronça les sourcils, cherchant à comprendre le comportement de son tuteur, mais aussi l'avalanche d'émotions en lui. Il détestait les contacts physiques, ils le dégoûtaient. C'était plein de bactéries et de saleté. Mais cette main, il aurait aimé la sentir un moment.

— Nous continuerons demain soir, souffla Peverell en remettant la chaise à sa place et en éteignant la lampe. Bonne nuit, Tom.

Et il partit, refermant légèrement la porte pour laisser filtrer un peu de lumière de la maison.

888

Le soleil se glissait par la fenêtre de la chambre jusqu'au lit de Tom. Celui-ci papillonna quelques fois des paupières, puis se réveilla complètement. Il sortit de ses couvertures, l'oreille aux aguets. Il n'entendait aucun bruit, mais cela ne signifiait pas pour autant qu'il était le seul debout. À pas feutrés, il alla à la salle de bain et descendit les escaliers sans les faire grincer. Peverell n'était pas au salon ni dans la cuisine. Dormait-il encore ?

Sur la pointe des pieds, il se dirigea vers la chambre de l'homme. Tout était silencieux. Étonnamment, la porte était entrebâillée. Tom aurait pensé que Peverell préférait préserver son intimité, mais peut-être était-ce pour s'assurer que tout se passait bien dans la nuit. Il jeta un coup d'œil à l'intérieur. L'odeur de la pièce le frappa de plein fouet: la bergamote. Son intensité étourdit un instant le garçon, qui se ressaisit afin d'étudier l'environnement.

La pièce était sombre puisque les lourds rideaux de velours étaient tirés. Un immense lit en bois sculpté — une tête de lion — trônait au centre de l'espace, bien plus gros que le sien, dans lequel reposait Peverell, endormi. Plusieurs objets décoraient les environs: des cadres qui semblaient protéger des photos, des bibelots, des livres, des plantes. Des morceaux de vêtement meublaient le plancher, prouvant que son tuteur manquait d'ordre. Une table de travail près de la fenêtre cachée d'étoffes était couverte de branches d'arbre avec d'étranges outils et un raque recueillant des bouts de bois. C'était curieux. La silhouette humaine se retourna dans ses draps d'un soupir, sans toutefois se réveiller. Tom se détourna de la vision et décida de faire le petit-déjeuner.

Dans le réfrigérateur se trouvaient des œufs, du lait, quelques légumes, des fruits et aucune tranche de lard. Tom repéra de la farine et du sucre — évidemment — dans les armoires et décida de concocter des crêpes. Il avait faim et détenait une cuisine entière pour lui tout seul. Il pouvait bien s'amuser un peu. Il s'y connaissait un brin en cuisine, assez pour faire de la pâte à crêpes, du moins. Alors qu'il mesurait les ingrédients, un sourire sournois étira ses lèvres. Son attitude responsable et parfaite attirerait l'émerveillement de son tuteur, sans aucun doute. Un peu de manipulation pour le faire entrer dans ses bonnes grâces et mieux le manier. L'odeur de la pâte à crêpes s'éleva dans l'atmosphère lors de sa cuisson. Tom profita d'un moment d'accalmie pour mettre la table comme il l'avait fait la veille, sans oublier d'y ajouter du miel et de la confiture pour l'éventuelle garniture. Alors qu'il finissait la cuisson de la dernière pâtisserie, il perçut les pas de Peverell dans le salon.

— Ça sent très bon, entendit-il.

Sa voix était enrouée de sommeil, un peu rauque.

Tom se retourna et eut un choc devant le désastre des cheveux de l'homme. Finalement, Peverell prenait le temps de se peigner, il en avait la preuve à ce moment même. Ses couettes semblaient avoir rencontré un pétard et se dressaient de façon anormale sur le dessus de sa tête. On aurait dit un nid d'oiseau. Ce constat lui souleva un sourire moqueur. Peverell fronça les sourcils et se gratta le crâne avant de bâiller longuement.

— Pourquoi ris-tu ?

— Je ne ris pas.

— Bon, pourquoi ce sourire, alors ?

Tom pencha la tête sur le côté, les yeux scrutateurs.

— Vos cheveux sont un réel désastre, lui avoua-t-il alors qu'il déposait l'assiette de crêpes sur la table.

Peverell eut un rire.

— Je sais, répondit-il en haussant ses épaules.

Tom plissa le nez de dégoût face à son attitude. S'ils étaient pour sortir un jour, devant d'autres êtres humains, Peverell allait devoir faire des efforts sur son apparence physique. Et ce, même s'il était naturellement beau. Ce n'était pas une raison pour paraître… négligé.

— Merci pour le repas ! s'exclama Peverell, le miel déjà entre ses doigts.

Il se servit quelques crêpes qu'il badigeonna généreusement de sucre doré. Puis, fourchette à la main, il se délecta des pâtisseries, ses fossettes aux joues à nouveau creusées.

— C'est très bon.

Et Tom reçut un réel sourire de plaisir. Sa gorge se coinça et il toussota. Il ne comprenait pas Peverell : tantôt, il était réticent, prudent envers Tom, l'étudiant comme s'il lisait son esprit et voyait la noirceur de son âme, plus tard, il lui balançait sa chaleur et sa bienveillance au visage, comme s'il était un simple enfant.

— Qu'aimerais-tu faire aujourd'hui ? demanda Peverell alors qu'il portait un morceau à sa bouche et qu'un filet de miel glissait sur son menton.

Ce geste agrippa les yeux de Tom. Ils tombèrent sur l'anneau autour de son index. Maintenant, à cette distance, il pouvait observer les armoiries de la bague : un triangle équilatéral séparé en deux, un cercle en son centre. Qu'est-ce que ça pouvait bien signifier ? Jamais il n'avait vu ce motif.

— Des livres, répondit-il tardivement, reportant difficilement son regard sur le visage de l'homme. J'aimerais trouver des livres.

— Il y a une petite librairie au village, répliqua Peverell. Elle n'est pas immense, mais on peut y commander des articles.

L'excitation gagna Tom : il pourrait posséder ses propres livres, neufs. Le repas fini, Peverell apporta la vaisselle dans l'évier. Il proposa à Tom de s'en charger seul, mais ce dernier refusa. Il devait jouer le parfait enfant jusqu'au bout. Pendant que son tuteur fredonnait une horrible chanson entendue à la radio, il essuya les ustensiles, les assiettes et tout le reste. Puis, il partit se changer. Une fois satisfait de son image, il attendit dans le salon que Peverell le rejoigne.

L'homme sortit de sa chambre, habillé étrangement. Son pantalon était un peu trop large. Il revêtait une chemise sous un pull difforme en tricot, d'un rouge vif. Il portait un énorme « H » jaune comme motif. Ses cheveux étaient certes moins en désordre, mais manquaient plus de soins que ce que Tom avait observé de son tuteur lors de ses visites à l'orphelinat. En fait, il comprit que Peverell se moquait de son apparence : il avait seulement fait des efforts les premières fois que le garçon l'avait vu.

Tom eut un claquement de langue. Quel tableau allaient-ils offrir en public ? Lui, le jeune garçon peigné à la perfection, ses vaguelettes égales que l'on pouvait mesurer à la règle et Peverell, l'homme adulte qui semblait sortir de la corde à linge après une tempête ? Il avait l'air d'un adolescent perdu dans ses vêtements.

— On y va ? demanda Peverell, souriant.

Tom hocha la tête et enfila ses bottes et son manteau. Le vent froid le saisit à l'extérieur. Il remonta son écharpe et suivit Peverell jusqu'à la voiture.

— Tu t'assois à l'avant ?

— Et pourquoi pas ? grogna Tom.

Peverell haussa les épaules et embarqua dans le véhicule. Il observa les commandes, puis se gratta la tête. Tom eut un mauvais pressentiment.

— Savez-vous au moins comment conduire ?

— Bien sûr ! marmonna-t-il alors qu'il entrait la clef dans le contact. C'est juste que je ne l'utilise pas très souvent. Seulement pour certaines courses loin au village.

Tom plissa le nez : il sentait un certain mensonge derrière son histoire. Ou plutôt, certains non-dits.

Le bruit du moteur s'éleva et lentement, Peverell actionna les commandes pour reculer la voiture de l'entrée. Elle s'ébranla sur le chemin, par grands coups.

— Arrêtez d'appuyer sur le frein, bon sang ! s'énerva Tom, dont la nuque et les épaules se raidirent sous le stress.

— Ton langage, jeune homme ! gronda Peverell sans toutefois le regarder, les yeux braqués sur la route. Par où dois-je aller, déjà ?

Tom retint un gémissement. Le chemin allait être long !

— Ah oui, je me souviens.

Était-il toujours aussi loquace lorsqu'il conduisait ? Tom compta les secondes qui se transformèrent en minutes. Son cœur bondissait dans sa poitrine durant les tournants et il comprit qu'il n'aimait pas la conduite de Peverell. Il n'avait aucun talent. Lorsque la voiture se stationna près d'un trottoir, Tom réalisa que ses ongles s'enfonçaient avec force dans le tissu du siège. Il sortit en coup de vent, le souffle court. Il inspira profondément par le nez, soulagé d'être sur la terre ferme.

Ses yeux rencontrèrent finalement la façade de la librairie, plus ou moins bien entretenue. Un écriteau « ouvert » s'affichait sur la porte.

— Nous sommes arrivés à bon port, se réjouit Peverell, un sourire légèrement honteux. Puisque nous sommes au village, autant en profiter pour faire plusieurs achats.

Irrité, Tom pénétra dans le magasin, faisant retentir une clochette. Plusieurs livres meublaient les bibliothèques poussiéreuses et même le sol, faute d'endroits pour les ranger. Un vieil homme, cigare à la bouche, monocle à l'œil, observait un cahier sur le comptoir. En fait, il écrivait sur les papiers et Tom reconnut des mots croisés. Le marchand les accueillit d'un signe de tête.

— Vous êtes nouveau ici ? demanda-t-il.

— Oui, avoua Peverell en lui tendant la main et en se présentant. J'ai acheté un cottage plus loin sur le chemin.

— Peverell, ce nom ne me dit rien, répondit le vieil homme en se caressant le menton.

— Ce n'est pas grave, ajouta Peverell alors que Tom s'éloignait dans les rangées pour étudier les trésors.

Le garçon passa son doigt sur toutes les tranches qu'il voyait, agrippant certains livres : Vingt Mille Lieues sous les mers, Voyage au centre de la terre, Le dernier des Mohicans et quelques livres d'histoires et de mathématiques. Bientôt, ses bras furent si pleins qu'une tour se balançait maladroitement contre lui à chacun de ses pas. Peverell le retrouva et l'aida avec ses choix.

— Eh bien, tu ne lésines pas sur mon porte-monnaie, remarqua l'homme, les yeux écarquillés.

Tom se figea un moment. L'excitation l'avait tellement gagné qu'il avait oublié de faire bonne mesure et ne pas exhiber son égoïsme. Avec hésitation, il leva son regard vers Peverell afin d'étudier son expression pour adopter sa réaction. Mais il fut surpris de constater que les émeraudes pétillaient avec douceur.

— Je suis content que tu me montres ce que tu désires, approuva-t-il. Et l'achat de livres, à mon sens, n'est jamais superflu.

À la caisse, il observa Peverell payer ses nouveaux biens et remercier chaleureusement le vieil homme, lui promettant de revenir dans un avenir pas trop lointain. Il porta les achats à la voiture, plus précisément dans le coffre arrière, avant de se tourner vers Tom.

— Il y a un magasin plus loin pour des articles de décoration. Aimerais-tu y jeter un œil ?

Tom avait envie de rentrer à la maison — son esprit marqua un arrêt à cette pensée et au mot «maison» — pour lire un peu, mais il sentait son cœur trop fragile pour reprendre la route immédiatement. Alors, il hocha la tête. Il suivit donc son tuteur sur le chemin, scrutant les environs. Des hommes et des femmes voguaient dans les rues, emmitouflés dans des vêtements chauds. Des enfants sales hurlaient et jouaient avec une cannette dans l'une des allées vides du village. Ceux-ci remarquèrent Tom, le saluant avec étonnement. Mais celui-ci détourna les yeux avec dédain. Bien vite, les villageois les pointèrent et leur adressèrent des signes de la main.

— Pourquoi attirons-nous autant l'attention ? grogna Tom, le nez plissé.

— Nous sommes nouveaux, expliqua Peverell. Les villageois se connaissent bien entre eux, en général. Alors, ils se demandent qui nous sommes.

— N'habitez-vous pas ici depuis longtemps ?

— Non, lui avoua-t-il. J'ai acheté cette maison dans l'optique de l'adoption. Je pensais que ce serait un endroit chaleureux pour t'élever.

Les yeux de Tom étudièrent la silhouette de son tuteur. Un doux sentiment s'installa dans son ventre. Mais il s'effaça bien vite au rappel de l'accoutrement de l'homme. Heureusement, et malgré ses étranges pantalons volumineux, son manteau noir cachait son abominable pull rouge. Ils arrivèrent bientôt devant une nouvelle façade, nommée Objets d'art, plus soignée que celle de la librairie. Peverell ouvrit la porte, suivi par Tom. Une odeur écœurante d'encens pénétra les narines du garçon, qui s'empressa de se couvrir le nez de son foulard. Contrairement à leur premier arrêt, la boutique était propre, absente de poussière. Tout était bien rangé et s'exposait fièrement à la lumière du jour. Il y avait plusieurs bricoles et Tom zigzagua parmi les allées.

Des bibelots de toutes sortes, des porte-bouteilles, des écrins dorés, des paniers et plus encore ornaient le décor. Tom aimait posséder — ses trophées qui pourrissaient maintenant dans la neige lui manquaient — des objets durement acquis. Là, dans ce magasin, les clients devaient fournir la monnaie, et puis voilà ! Ils obtenaient. Toutefois, une bouteille renversée avec un bateau en son cœur attira son attention. Il scruta le bibelot, comprenant qu'il devait être très difficile de confectionner un tel objet. La patience devait être la clef du succès.

— As-tu trouvé quelque chose qui te plaît ? s'informa Peverell avec un panier-roulette à la main.

Gardant ses yeux sur le bibelot, Tom répondit :

— Je ne sais pas.

Puis, il jeta un coup d'œil à Peverell, qui haussait un sourcil, puis au contenu de son panier : des vases, des coussins bigarrés et dépareillés, une toile avec un affreux hibou blanc, plusieurs plantes et d'autres babioles.

— C'est beaucoup de couleur… marmonna Tom d'un plissement douteux de la bouche.

— Ça va ajouter de l'éclat au salon.

— Hum…

Peverell poussa le panier, un léger sourire aux lèvres.

— Allez, choisis des choses pour ta chambre, insista-t-il en tournant l'allée.

Les yeux de Tom revinrent sur le bateau dans sa prison de verre : c'était onéreux. Il passa son chemin et agrippa des coussins verts, un jeté argenté, un nécessaire d'écriture avec du papier et un bibelot de serpent. Il trouva Peverell observant un carillon en bois.

— Non ! s'exclama Tom. C'est bruyant.

— Mais non, écoute, insista l'homme.

D'un geste de la main, il caressa l'objet. Les pièces de bois se heurtèrent dans une sonorité plus basse qu'au souvenir de Tom. C'était moins agressant que ceux en cuivre.

— Tu vois ? se réjouit Peverell. Je le prends.

Et avant que Tom ne puisse dire quoi que ce soit, le carillon reposait dans le panier. Ils allèrent payer leurs achats lorsque la voix de Peverell s'éleva :

— Je prendrai aussi le bibelot : le bateau dans la bouteille.

Tom se figea.

— C'est un bon choix, approuva la vendeuse. Cette pièce a été confectionnée par un navibotelliste réputé à Londres : Herman McMillen. Je vais vous l'emballer pour bien le protéger.

Alors que la dame s'effaçait parmi les allées, Tom scruta le visage de Peverell.

— C'est de la folie, siffla-t-il. Le bibelot est magnifique, mais c'est trop cher.

Peverell se pencha à la hauteur du garçon, confrontant directement ses yeux sombres.

— C'est le seul objet qui a titillé ton attention parmi tous les autres, insista l'homme. Tu le qualifies même de magnifique. Je veux te faire ce cadeau. Alors, chéris-le adéquatement.

Tom pinça ses lèvres et avala difficilement. Quelque chose coinçait dans sa gorge : la gratitude. En deux jours, Tom vivait des émotions diverses, différentes à celles plus sombres tournant autour de la jalousie, de la colère, du dégoût ou de la haine. Il avait l'impression que son cœur flottait dans de la ouate… Et la crainte de s'habituer à de tels sentiments l'étreignit sévèrement.

La femme revint, le paquet dans les mains.

— Et voilà !

Peverell termina le paiement, remettant sa liasse d'argent dans la poche de son manteau, et conduisit le panier à l'extérieur jusqu'à la voiture. Bien vite, le coffre arrière déborda. Une fois le panier retourné, ils remontèrent dans le véhicule, le cœur de Tom déjà au bord des lèvres.

Au soulagement du garçon, ils arrivèrent au cottage en un seul morceau. Peverell avait évité tant bien que mal les fossés. Celui-ci avait mis en faute les plaques de gel et Tom, lui, avait affirmé que c'était dû à son affreuse incompétence. Ils déchargèrent le coffre arrière puis entreprirent de décorer la maison avec leurs achats.

Peverell cloua le cadre de l'étrange hibou près de la cheminée, sous les yeux désapprobateurs de Tom. Les coussins se firent jeter sur les divans et les plantes — déjà nombreuses — se logèrent dans la salle de bain et dans la cuisine. Le carillon trouva sa place sur l'une des poutres du plafond, près de la porte arrière extérieure. Ce constat découragea Tom, se disant que chaque fois que la porte s'ouvrirait, le carillon sonnerait.

— Peux-tu porter ses oreillers dans ma chambre, s'il te plaît ? Je vais solidifier la toile.

Effectivement, le tableau pendouillait étrangement contre le mur. Tom s'exécuta et pénétra l'antre de son tuteur. La même odeur du matin le frappa de plein fouet. Il inspira un moment la bergamote, puis déposa les oreillers sur le lit. D'un coup d'œil vers la porte, il vérifia l'emplacement de Peverell — il observait le cadre, la tête penchée sur le côté, comme s'il cherchait à orienter ses yeux avec ceux du hibou. Il s'attarda un instant dans la pièce, s'approchant des photos.

Un rouquin et une gamine aux dents avant prédominantes souriaient largement sur la photo. Le garçon portait un pull ressemblant étrangement à celui de Peverell, mais avec un « R ». Tom plissa le nez : les deux enfants semblaient avoir bougé un moment, mais c'était tout simplement impossible. Les autres photos étaient absentes de personnes, ce qui était encore plus étonnant. Peut-être que Peverell attendait de se faire de nouveaux souvenirs ? Un épais livre, se méprenant à un album, attira son attention.

— Tom, que fais-tu ?

Peverell se trouvait dans l'entrée de sa chambre, les bras croisés, l'épaule appuyée contre le chambranle. Il le scrutait avec raideur, les sourcils froncés.

— Je t'ai demandé de déposer les oreillers, pas d'inspecter ma chambre, lui reprocha-t-il. Aimerais-tu que je fasse de même avec la tienne ? Il faut dire qu'en tant que tuteur, ce serait dans mes droits.

Tom sentit ses joues brûler. Une colère sourde lui comprima l'estomac en imaginant Peverell virer ses tiroirs à l'envers. Il n'arriva pas à soutenir son regard vert étincelant et détourna bien vite les yeux pour observer la moquette rouge au sol. Il était furieux contre l'homme, mais aussi contre sa faiblesse.

— Pardon, marmonna-t-il. J'ai vu la photo et j'étais curieux.

Peverell se rapprocha et observa ladite photo d'un œil vif, désapprobateur : il semblait l'avertir de rester sage, ce qui était tout à fait incongru. Tom sentit la main de son tuteur se déposer sur son épaule et le pousser vers le salon. Le contact le raidit, tout en créant un léger fourmillement. Ce n'était pas désagréable.

Une fois sorti de la chambre, Tom analysa le tableau. Le hibou était droit. Il grimpa les escaliers, puis entreprit de décorer son sanctuaire. Il observa le résultat et surtout, le bibelot du bateau qui reposait sur son bureau devant la fenêtre. Certes, c'était encore vide, mais c'était toujours mieux que les murs miteux de l'orphelinat. Il agrippa un livre et redescendit au salon. Un feu ronflait maintenant dans la cheminée et Tom s'installa près de celui-ci, une couverture sur lui. Peverell fit de même sur l'autre canapé.

888

Les jours passèrent et Tom se complaisait enfin dans une certaine routine. Certes, seulement quelques semaines s'étaient écoulées depuis son adoption, mais chaque jour représentait un souffle nouveau dans ses poumons. Le matin, il se levait, prenait le temps de lire un livre d'histoire ou de mathématiques et de rédiger des notes, avant de filer sous la douche pour se laver. Il s'habillait, coiffait ses cheveux, puis descendait dans la cuisine. Parfois, il préparait le repas et d'autres fois, c'était Peverell qui s'y attelait. Ils déjeunaient toujours ensemble. En fait, ils partageaient tous les repas. Peverell trouvait ça important: ils étaient maintenant une famille. Ce mot ressortait régulièrement de ses lèvres, comme s'il s'y accrochait avec espoir. Tom ne dépréciait pas son vocabulaire, mais il redoutait que Peverell lui exige de l'appeler «père » ou bien «papa ». L'homme ne devait pas s'illusionner de chimères. Jamais Tom ne le verrait ainsi. Jamais.

Le reste de la journée, soit Tom se promenait dans les rues pour visiter les environs et les quelques demeures sur le chemin, soit il lisait près du feu. Il lui arrivait de dessiner ou d'aider aux tâches de la maison — surtout l'époussetage et le rangement — et le soir, Peverell lui faisait la lecture. Pour Tom, c'était le meilleur moment de la journée, mais jamais il ne l'avouerait. Il avait déjà bien assez de barrières à se l'admettre. Peverell s'installait toujours sur la chaise qu'il avançait près du lit et, de sa voix réconfortante, poursuivait l'histoire en cours. Ils avaient terminé Alice quelques jours plus tôt et Tom avait émis plusieurs fois sa vision du personnage, la trouvant idiote et mièvre. Et Peverell souriait toutes les fois où ils en discutaient.

— Tu sais, lui avait dit Peverell avec solennité, l'un des messages dans Alice tourne autour du fait qu'il est difficile de garder son âme d'enfant en vieillissant. Il est de plus en plus complexe de trouver du merveilleux dans son quotidien. Et, en tant qu'adulte, cette enfance perdue devient un objet de désir, voire de nostalgie. Tout est si magique lorsque l'on rêve sans crainte.

Peverell souriait tristement à ses mots, comme s'il les digérait et les vivait au moment même de leur prononciation. Et Tom avait froncé les sourcils, cherchant à comprendre. Mais il n'y arrivait pas: pour lui, il n'était pas un enfant normal. La vie était sombre, sans lumière. La seule lueur existante et nouvelle dans son quotidien provenait de Peverell.

Son tuteur laissait Tom gérer son temps. Ce dernier commençait à trouver cela curieux et bien vite, il sut la raison.

Le soleil se couchait tranquillement pendant que Tom tournait l'une des pages de son roman. Un feu pétillait dans l'âtre pendant qu'il se détendait dans son coin habituel. Peverell s'approcha avec une tasse de thé — ce qu'il buvait toujours — pour s'installer sur le même fauteuil que Tom. Ce détail différait des derniers jours. Alors, le garçon releva les yeux et l'observa.

— Comment te sens-tu depuis que tu vis ici ? commença doucement Peverell.

Avec prudence, Tom répondit:

— Bien. J'aime beaucoup la maison et votre prévenance.

Peverell hocha la tête, le visage indéchiffrable.

— J'ai voulu te laisser du temps pour t'adapter, souffla-t-il, ses yeux verts dans ceux de Tom. Pour que tu te mettes à l'aise. Toutefois, il faut parler de l'école.

Ah, voilà… L'école. Tom n'avait rien contre cette institution, elle représentait même son havre de paix lorsqu'il vivait à l'orphelinat. Mais il devait s'avouer avoir oublié ce détail de l'éducation.

— Aimerais-tu que je t'inscrive à l'école ?

Cette question souleva des sentiments contradictoires en Tom: l'envie, la curiosité, le désintérêt et la frustration. Il n'arrivait pas à saisir tout ce chamboulement émotif. La chose qu'il comprit était qu'il se sentait bien dans ce cottage avec Peverell.

— Et vous, que faites-vous ? Vous ne travaillez pas ?

Au lieu de répondre à la question, il l'attaqua en l'interrogeant à son tour. Peverell se gratta l'arrière de son crâne, sa tasse de thé dans son autre main.

— J'ai… hérité d'une grande fortune. Alors… Je suis sans emploi pour le moment. Je travaille sur quelques projets, mais rien de plus.

Tom ferma son livre sur ses genoux et se tourna complètement devant son tuteur. Il le scruta avec intensité, cherchant à comprendre quels étaient ses projets, mais Peverell ne s'épancha pas sur le sujet. Celui-ci était tout autre: il concernait l'école.

— J'ai entendu dire que certaines familles faisaient l'école à la maison pour leurs enfants… marmonna Tom, les yeux toujours fixés sur son tuteur alors que son cœur s'affolait un moment. Serait-ce une option envisageable ?

Peverell pencha la tête sur le côté comme le ferait un chiot, puis étudia sérieusement la question. Plusieurs émotions difficiles à déchiffrer voyageaient sur son visage. Mais une en particulier s'invitait de l'avant: la solitude. Tom n'était certes pas un adulte aux yeux de la société — même s'il se voyait de la sorte — et était terrible dans la compréhension de ses propres sentiments, mais… il lisait bien les gens. Il lui arrivait de saisir quelques-unes de leurs pensées lorsqu'ils réfléchissaient trop fortement. Elles s'imposaient à lui naturellement. Toutefois, avec son tuteur, jamais le phénomène ne s'était produit, et ce, même s'il essayait avec une absolue concentration. Comme en ce moment-ci. Or, même sans sa capacité à entrer dans les pensées de son tuteur, Tom avait bien vite compris que Peverell avait un besoin affectif plus grand qu'un adulte normal, comme une éponge avec l'eau. Celle-ci se gorgeait, mais s'asséchait bien vite, jamais rassasiée. Peverell devait absorber tout l'amour qu'il pouvait, et ce, jusqu'à une saturation quasi inexistante. Ça et le fait qu'il montrait une certaine crainte à l'abandon.

Tom retint le sourire carnassier qui cherchait à naître contre ses lèvres.

— Je vous avoue, monsieur, que je viens tout juste de vous trouver, susurra-t-il.

Peverell se redressa avec méfiance sur le fauteuil. Pourquoi ? Tom usait pourtant de sa langue d'or, celle qui manipulait tout le monde sans exception. S'y prenait-il mal ?

— Ça fait beaucoup de changement en peu de temps, poursuivit-il avec hésitation cette fois-ci. Je veux apprendre… S'il est possible de le faire avec vous… J'aimerais éviter de m'éloigner de vous pour le moment.

Les yeux de Peverell s'adoucirent enfin. Le cœur de Tom devint plus léger. Son tuteur était si naïf!

— Eh bien, bégaya Peverell, je vais m'informer auprès de l'école du village pour les détails. Oui, ce serait possible. Je dois juste avoir un certain soutien pour quelques matières.

Il plongea ses émeraudes dans l'ombre des iris de Tom.

— Toutefois, je pense qu'il serait bien pour toi de rencontrer d'autres enfants. Tu ne peux pas rester isoler avec un homme, tu dois socialiser avec d'autres humains de ton âge.

La fureur s'éleva dans la poitrine du garçon. Avec une telle force qu'elle déborda de ses lèvres, ce qui lui arrivait rarement.

— Socialiser avec des enfants, vous dites ? Je l'ai fait tous les jours de ma vie ! J'ai grandi dans un orphelinat ! Tous les jours, j'ai dû apprendre à partager, à laisser de l'espace aux autres et même à torcher les bambins. Alors, pardonnez-moi de vous contredire, mais mon besoin immédiat est de créer un lien de confiance avec l'adulte qui a décidé de m'adopter. Le même adulte qui me décrit comme brillant, vif d'esprit. Si c'est le cas, je crois bien qu'étudier à la maison ne changera rien à mon intellect, n'est-ce pas ?

Tom se tut, un peu essoufflé. Ses joues étaient rouges et la frustration irritait encore son visage. Et Peverell, face à lui, l'observait avec surprise, les yeux écarquillés. D'un geste maladroit, il porta son thé à ses lèvres et prit une gorgée. Il ouvrit la bouche, mais la referma bien vite. Une tempête de satisfaction s'éleva en Tom, qui se concentrait à garder une expression impassible. Mais ce fut difficile : il goûtait déjà la victoire de son petit discours.

Peverell hocha alors la tête.

— Je comprends, souffla-t-il. Si c'est ce que tu désires, je vais écrire à l'école et je t'enseignerai à la maison. Mais une routine stricte sera fixée.

— Aucun problème, répondit Tom, ravi.

Oui, il était heureux et ce constat lui fit froncer les sourcils.

888

Une tour de livres reposait sur la table de cuisine : histoire, géographie, mathématiques, français et sciences. Tom écoutait Peverell lui rabâcher certaines règles de grammaire déjà connues du garçon, mais malheureusement obligatoires au programme scolaire reçu par la poste. Alors, il laissa la voix de son tuteur glisser sur lui comme le ferait une caresse. Ça lui rappelait les lectures de Peverell le soir, avant de dormir. Sa voix calme, égale, apaisait le vilain en lui, ou plutôt, éveillait un sentiment de douce euphorie.

— Le déterminant introduit toujours un nom dans la phrase, récita Peverell, les yeux fixés sur la leçon de français. Il ne peut pas être employé seul.

Tom hocha la tête, puis scruta son tuteur d'un regard plissé. Il trouvait surprenant qu'un homme tel que lui soit seul, sans parenté, sans conjointe. Le garçon n'allait pas s'en plaindre, mais Peverell possédait plusieurs atouts hautement recherchés par la société et surtout, chez les femmes célibataires : richesse, gentillesse, beauté et prévenance. Alors, pourquoi préférait-il former une famille avec un orphelin?

Une vague de chaleur inonda son ventre. Tom avait été choisi par cet homme, parce qu'il voyait son potentiel. Son tuteur avait beau être naïf, il n'était pas stupide.

— Peux-tu me montrer les déterminants dans cette phrase, Tom ?

Tom observa l'exercice et pointa sans faute tous les bons éléments. C'était d'une facilité monotone.

Les heures s'égrenèrent, Tom fut libéré pour une période libre. Avec grâce, il se leva et scruta le paysage extérieur par la fenêtre du salon. Le froid laissait enfin la place aux vents tempérés. La neige fondait tranquillement, signe que le printemps montrerait bientôt le bout de son nez.

— Je vais prendre l'air, informa-t-il Peverell, qui préparait de l'eau chaude pour un éventuel thé.

— Bien, lui répondit-il alors qu'il cherchait les feuilles de thé noir. L'air frais nourrit le cerveau et un cerveau bien alimenté retient mieux l'enseignement.

Tom cacha son sourire dans l'écharpe qu'il venait tout juste d'enrouler autour de son cou : Peverell aimait bien sortir des phrases philosophiques. D'un dernier regard vers son tuteur qui laissait tomber le pot de sucre par mégarde, Tom quitta le cottage et se promena sur le chemin de la maison. Cela faisait déjà plusieurs semaines qu'il vivait sous le toit de Peverell. Malgré les nombreux jours écoulés, l'homme balançait encore entre la bienveillance et la prudence. Chaque fois que Peverell posait ses yeux sur lui, Tom sentait naître une dualité. Il analysait ses phrases, les scrutait au peigne fin, et ce, même si ça ne servait à rien. Tom n'avait qu'à user d'un mot doux pour apaiser les réticences de l'homme, qui fondait comme la glace au soleil.

Peverell lui avait d'ailleurs demandé une fois de le tutoyer. Il disait trouver étrange de vouvoyer les membres de sa famille. Mais Tom ne le voulait pas. C'était une limite difficile à franchir. Dépendrait-il réellement de son tuteur s'il l'outrepassait ? Malgré l'éclat de Peverell, l'attrait de sa lumière, Tom devait éviter de se brûler. Il préférait garder son autonomie.

Tom plissa le nez à cette pensée. S'il envisageait vraiment son indépendance, pourquoi avait-il désiré que Peverell lui fasse l'école à la maison ? Ses pas voguèrent sur la route boueuse, la nature morte encore loin de reprendre ses habituelles couleurs. Ce qu'il appréciait de sa nouvelle demeure était que les voisins résidaient hors de vue. Le cottage était dans un cul-de-sac, entouré de plaines et de magnifiques arbres.

Au bout d'un moment, Tom rebroussa le chemin et revint vers la maison. Toutefois, en amont d'un fossé, des taches noires attirèrent son attention. D'un pas furtif, il s'avança et observa sa découverte. Devant lui se trouvaient des corbeaux qui dévoraient un lièvre. Tom ramassa une pierre et chassa les oiseaux avec le projectile. Puis, il s'agenouilla près de l'animal — un œil crevé sûrement par le bec des rapaces. Le lièvre avait le ventre déchiré, les entrailles déchiquetées hors de sa cavité. Du sang rouge vif inondait la terre humide.

Tom sentit son rythme cardiaque s'emballer. Cette fresque morbide le charmait. De ses mains, il caressa le cadavre, constatant que le décès était récent. La carcasse était chaude et le sang à peine coagulé. Que pouvait encore cacher le petit corps devant lui ? Et s'il ouvrait davantage son ventre, pourrait-il trouver son cœur ? Alors que ses doigts s'enfilaient parmi les intestins du lièvre, Tom entendit une voix l'appeler. Seulement, celle-ci était beaucoup plus proche que ce qu'il aurait voulu.

— Tom ? Nous devrions reprendre la leçon, annonça Peverell à quelques mètres derrière lui.

Sa voix s'éteignit un instant, avant de poursuivre, tremblante :

— Que fais-tu ?

Le garçon, toujours accroupi au sol, tournait le dos à son tuteur. Ses pensées s'amassaient à une vitesse folle : que devait-il faire ? Était-il normal qu'un enfant joue avec un cadavre ? Comment réagirait Peverell en constatant le lièvre mort à ses pieds ? Tom se crispa, le corps et l'esprit empoisonnés par la panique.

— Tom ! répéta durement Peverell, la voix grave. Qu'as-tu fait ?

Peverell voyait donc l'animal écorché… Avec lenteur, Tom se releva, les mains barbouillées de sang. Il se retourna, sans fixer son tuteur, le visage inexpressif. Du moins, il essayait. Ses lèvres commencèrent toutefois à trembler, alors, il se les mordit pour les cacher.

— Tom, regarde-moi ! le somma Peverell en colère, dévasté par ce qu'il découvrait.

Il leva le regard et fut choqué par la lueur des yeux de son tuteur. Ceux-ci avaient toujours été magnifiques, mais là, ils brillaient de mille éclats, encore plus verts qu'auparavant. Ils s'écarquillaient d'horreur et un sombre jugement naissait sur le visage de Peverell. Ce dernier détail dévasta Tom, malgré la beauté de ses traits. Il ne voulait pas que Peverell le fixe ainsi, comme tous les enfants de l'orphelinat, comme Mme Cole. Il devait étinceler aux yeux de son tuteur. Il souhaitait l'éblouir.

— Je… je…

Il fronça les sourcils. Pourquoi bégayait-il ?

— As-tu tué ce lapin, Tom ? siffla Peverell d'une voix froide, inconnue aux oreilles de l'enfant.

— Non, je ne…

— Dis-moi la vérité ! s'écria-t-il, sans réserve. Bon sang, Tom ! As-tu éventré ce pauvre animal ? Pourquoi tes mains sont-elles tachées de sang ? Es-tu… Es-tu…

Peverell, dément, plongea les doigts en catastrophe dans ses cheveux noir de jais. Lui, brillant comme le soleil, nourrissant un espoir de la manière dont peu d'adultes le faisaient, perdait le contrôle. Les injures pénétrèrent Tom telle la lame d'un couteau. Certes, il avait manifesté de la curiosité devant l'animal éventré. Il avait aussi voulu y baigner les mains pour vérifier si le sang était encore chaud. Mais il n'avait pas tué le lièvre !

— Il était déjà mort lorsque je l'ai trouvé ! hurla Tom, les poings crispés, les yeux tranchants. N'allez-vous pas me croire ?

Son pouvoir s'éleva autour de lui, comme toutes les fois où la fureur empiétait sur sa raison. Ses cheveux voletaient devant un visage débordant d'émotions, les lèvres tremblantes et exposées, le nez rempli de mucus. Il allait se faire jeter. Il retournerait dans ce maudit orphelinat et Amy Benson, Billy Stubbs, Eric Whalley et Dennis Bishop se moqueraient de lui, lui rappelant à quel point il était un monstre, un pauvre enfant indésirable, une erreur de la nature. Eh bien, soit, il épouserait ces étiquettes avec fierté !

— Vous êtes comme tous les autres, poursuivit-il avec une telle haine que son pouvoir bouscula Peverell de quelques centimètres. Comme Mme Cole, comme le prêtre de l'église qui a voulu m'exorciser !

Tom, les yeux humides, fixait le visage de Peverell qui se décomposait à chacun de ses mots. Ou bien était-ce dû à la crainte de son étrange pouvoir qui le repoussait ?

— Vous voyez ? Vous avez adopté un monstre, hurla le garçon, les joues trempées de larmes. Mme Cole vous avait pourtant averti.

D'un grand geste de la main, Tom écarta son tuteur avec sa capacité surnaturelle et courut sur le chemin jusqu'au cottage. Peverell lançait des mots derrière lui, mais il ne les écoutait pas. Son cerveau baignait dans la fureur, mais davantage dans la panique. Peverell le retournerait à l'orphelinat. Il allait quitter cet endroit bien meilleur que ce à quoi il aspirait comme enfant.

Tom n'eut pas besoin d'ouvrir la porte : son don s'en chargea. Ne prenant pas le temps de retirer ses bottes et son manteau, il grimpa à l'étage et laissa exploser son pouvoir. Les murs tremblèrent, le lit craqua, les livres s'envolèrent, la fenêtre se fissura. Une véritable tempête emportait tous les objets de la pièce. Même son bibelot : la bouteille se cassa et le petit bateau s'échoua au sol dans un bruit terrible.

Puis tout devint calme. Tom se laissa choir par terre, le visage blême, les yeux collés contre le bibelot fracassé. Il se rendit compte que cet objet, il le chérissait bien plus que ce qu'il prétendait.

— Tom ! cria Peverell au bas des marches.

L'escalier craqua dans la précipitation de l'homme, qui s'arrêta sur le seuil pour observer la pièce de ses yeux écarquillés. Il y avait quelque chose à être choqué. Tom avait des pouvoirs qui dépassaient la raison humaine et Peverell venait de le découvrir. Il devait avoir peur.

Ses pas s'immobilisèrent sous le nez de Tom. Un corps courbé suivit et deux grands bras entourèrent les épaules du garçon. Celui-ci cligna des yeux, son esprit étrangement embrumé.

— Je suis désolé, Tom, dit Peverell contre ses cheveux. Pardonne-moi.

Tom sentit l'étreinte se raffermir alors qu'une douce main lui caressait le dos. Il fut envahi par l'odeur de bergamote et la tiédeur de son tuteur. Avait-il déjà été pris comme cela par un adulte ? Par un être humain ? Répondant à son instinct, Tom enroula ses petits bras autour de Peverell avec une force insoupçonnée. Il enfouit son nez dans ses vêtements, inspirant à pleins poumons. Peverell acceptait son étrange abomination. Et son toucher l'emplissait de contentement et non de dégoût.

— Tu n'es pas un monstre, Tom, souffla son tuteur. Je… j'ai jugé trop rapidement. J'ai été surpris de te voir avec du sang sur les mains, un animal mort à tes pieds. Je sais que tu es curieux, que tu as un esprit vif… Je… Je te crois si tu me dis que tu n'y es pour rien.

Et Tom pleura doucement, agrippant étroitement le corps de son tuteur, qui continuait de lui caresser le dos.

— Ce sont les corbeaux qui l'ont tué, croassa-t-il. J'étais simplement curieux de côtoyer la mort d'aussi près.

Tom tut toutefois ses réelles pulsions, l'envie qui l'avait saisi d'ouvrir un peu plus l'animal pour y écraser son muscle cardiaque. Peverell était bien trop lumineux pour sa part d'ombre.

— Allez-vous me renvoyer ? bredouilla Tom, son cœur affolé devant la perspective de cette possibilité.

La main de Peverell se glissa dans les cheveux du garçon, caressant son crâne du bout des doigts en gestes circulaires. Tom retint le soupir de joie qui tentait de quitter ses lèvres.

— Non, Tom, le rassura-t-il. Tu es comme moi. Je suis là pour t'apprendre.

Lentement, Tom s'éloigna de l'homme, sans toutefois se détacher, pour le fixer dans les yeux. Il ne comprenait pas.

— Comme vous ?

Peverell hocha la tête. Un doux sourire étira ses lèvres, puis, d'un mouvement du poignet et d'un tout petit mot, les objets de la pièce s'envolèrent pour reprendre leur place d'origine. Même le bibelot que Tom affectionnait se répara et retourna sur son bureau, près de la fenêtre cicatrisée. Ce spectacle le laissa sans voix.

— Je suis un sorcier, révéla Peverell avec calme. Tout comme toi. Nous sommes capables de manier la magie.

À cet aveu, Tom sentit naître en lui un fort sentiment de convoitise, une soif d'apprendre, d'exceller et aussi la joie folle d'avoir trouvé une personne partageant le même don. Quelque chose d'exceptionnel le liait à Peverell, les différenciant de tous les autres pathétiques mortels sur la terre. Son cœur se gonfla de gourmandise à cette nouvelle réalité qui s'ouvrait à lui. Et Peverell pourrait le guider vers la grandeur. Afin de devenir le plus puissant, meilleur que tout le monde.

— Donc, mon pouvoir est de la magie ?

— Oui, Tom, confirma son tuteur. Ce qui se passe autour de toi est de la magie accidentelle. Cela arrive à de nombreux enfants-sorciers.

L'euphorie du garçon retomba un peu.

— Il y en a d'autres comme nous ? murmura-t-il avec une déception qu'il cherchait à cacher.

Mais Peverell perça avec aisance son secret et lui ébouriffa les cheveux.

— Bien sûr, mais je dois t'avouer que tu possèdes une maîtrise incroyable de la magie pour ton âge. Je n'ai jamais vu cela auparavant, si ça peut te rassurer.

Les lèvres de Tom s'étirèrent largement à cette remarque. Sa tête s'enfla de fierté. Non seulement Peverell venait de lui révéler qu'un Nouveau Monde s'ouvrait à lui, avec des sorciers, mais Tom se démarquait déjà de la masse. Les misérables orphelins de Wool pouvaient bien trembler devant lui, il pouvait les écraser de son pied à tout moment.

Les traits de Peverell changèrent, passant de la douceur au doute. Et Tom réalisa qu'il avait oublié de masquer les émotions de son visage. Avait-il compris son avarice ? De nouveau, la crainte rampa dans son corps, dans ses veines, jusqu'à meurtrir son cœur. Tom devait user de ruse, faire attention à ce qu'il montrait à son tuteur. Il ne voulait pas partir, il voulait rester auprès de Peverell. Celui-ci devait l'aimer.

Tom jeta à nouveau ses bras autour de l'homme, le serrant avec force.

— Je suis heureux d'être ici avec toi, Harry.

Celui-ci se raidit un instant, avant de complètement se détendre et de retourner l'étreinte au garçon dans un soupir. Tom le sentit lui caresser le dos, les cheveux, tout en lui murmurant des mots réconfortants contre son oreille. Et Tom ne put se retenir : caché dans les vêtements de Harry, il s'autorisa un large sourire acéré.


Voilà le premier chapitre.

Comment avez-vous trouvé Tom ? Froid, cruel, mignon ?

J'aime beaucoup les discussions entre Harry et Tom. Je ne suis pas aussi brillante que Tom, et je ne suis pas une grande philosophe. Et donc, je ne pense pas que je détiens un grand argumentaire dans mon écriture. Et je ne pense pas qu'Harry soit le plus incroyable des philosophes non plus. Il fait de son mieux, comme je fais de mon mieux pour l'écriture.

Personnellement, Tom me fait froid dans le dos, mais il soulève aussi ce sentiment qu'on veut le sauver. La scène avec le lapin, je dois avouer qu'il provient d'une de mes craintes des enfants meurtriers. Ça commence toujours par le meurtre d'animaux (bon, peut-être pas, je ne suis pas une experte). Je trouvais que cela collait parfaitement à Tom. Cette envie morbide de découvrir ce qu'est la mort, ce qui sommeille dans un cadavre encore chaud.

Je trouve que les enfants meurtriers font peur. Plus que Voldemort ! Bon, j'exagère peut-être.

À la prochaine !