Holà !

Me voici avec ma première fic longue, je suis ravie, même si ce sera bien sombre et relativement court (pas plus de cinq chapitres, je pense).

Intégralement sponsorisée par Mindhunter — la série créée par David Fincher qui retrace les débuts du profilage —, cette fic n'est pas pour tout le monde. J'y évoque des thèmes crus, voire franchement sordides.

L'idée narrative au cœur de cette fic (qui peut se résumer à : Hermione rend visite à Tom en prison) est donc très directement influencée (pompée) par le concept de la série qui met en scène des entrevues, entre agents du FBI et tueurs en série, pour rationaliser le crime. Je me suis avalée les deux saisons beaucoup trop vite pour ma santé mentale (ne faites pas ça) et je me suis retrouvée à balancer quelques mots un peu tordus sur une page. J'ai eu envie d'explorer certains personnages grâce à cette opposition/rencontre entre une expression décomplexée du mal amoral (Tom) et les tentatives de rationalisation de ce mal pour la recherche criminologique (Hermimi). Je vois pas trop comment on peut en sortir indemne, ni repartir sans avoir la sensation terriblement dérangeante d'être gagné par les ombres.

Ce qui m'amène à quelques précisions et avertissements.

Précisions : c'est un Univers Alternatif moldu sans magie, où j'ai fait une GRANDE tambouille. J'ai non seulement mélangé les différentes temporalités — puisque se côtoient à la même époque, Hermione & co, et Tom & co —, mais j'ai également délocalisé tout ce beau monde aux États-Unis, dans les années 1970 (débuts du profilage). L'époque, l'atmosphère et toute la structure m'ont été très fortement inspirées par la série. Si vous l'avez vue, ne vous étonnez pas de reconnaître quelques clins d'oeil (massifs, de type : l'idée de départ).

Hermione a 25 ans ; Tom, 35.

Avertissements : vous vous en doutez, ce sera pas la lecture à entamer en pleine détente à la plage ou dans le métro, sous l'oeil des voisins (quoique, vous êtes libres). Nous aurons globalement affaire à des gens pas nets (tema la taille de la litote) et, très brièvement, à des profils criminels extrêmes. La fic sera rythmée, bien sûr, par les entrevues avec Tom (qui ne sont pas difficiles à supporter pour le coup et ça tient à un choix narratif et parti pris psychologique sur le personnage), mais il y aura une autre entrevue qui sera bien plus perturbante — c'est celle qui ouvre la fic. (il y en aura surement une autre au cours des prochains chapitres).

Je comprendrais que vous ne vouliez en aucun cas être exposé.e à des thèmes graphiques et psychopathologiques et que vous fassiez demi-tour en lisant ça— parce que c'est un peu glauque (après, j'ai rapidement fait un tour sur le thème en ff et mes yeux ont sai-gné et sont vaccinés pour le restant de leur jour — ce sera pas si hard ici).

Par ailleurs, je ne suis pas psy, je ne travaille pas dans les services de criminologie, ni dans une prison, bref je suis juste une pauvre étudiante qui tente de connecter ses doigts et quelques neurones, je ne prétends absolument pas offrir des personnages représentatifs de ce qu'on nomme la psychopathologie ni de la vie en prison. (on s'en doute, Sherlock, mais bon).

Je ne veux détailler de trigger-warning précisément, j'ai toujours le regret de dévoiler l'histoire et la fin (qui ne sera pas macabre, je peux au moins vous divulguer ça), mais il faut que vous sachiez que la 1ère scène (celle qui suit ce petit développement déjà beaucoup trop long) est très dérangeante et mentionne des actes criminels abjects. C'est souvent — étrangement — bien plus facile à écrire qu'à lire. Je poursuis dans la transparence et les disclaimers puisqu'on est toujours là :

Au-delà de la référence à Mindhunter, rendons à Cléopâtre ce qui est à Cléopâtre :

— Les personnages appartiennent à J. K. Rowling.

— La relation entre Tom et Hermione doit pas mal à celle, intense et fascinante, entre Clarice et Hannibal, imaginée par Thomas Harris dans Le Silence des agneaux.

Et merci à Sun Dae et Louvrine qui ne seront peut-être pas attirées par un tel plot (je vous pardonne), mais qui m'encouragent à écrire (cœur immense) et écrivent des perles (allez les lire).

J'ai indiqué Tom et Hermione comme pairing, maais. Ce sera un petit peu plus complexe que cela.

Je sais pas trop pourquoi je me suis lancée là-dedans, honnêtement, je suis même pas adepte du true crime et de ses côtés un peu voyeuristes. Au début, c'était un petit exercice avec moi-même, puis. Puis.

Si cette chronologie malmenée et cette plongée dans les entrailles macabres de notre société ne vous effraient pas, et même — soyons, fous — vous intriguent, il ne me reste qu'à vous souhaiter une bonne lecture :)


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Son doigt ne tremble pas quand elle presse le « on » de l'enregistreur. À peine son ongle grippe-t-il la fente qui entaille la touche.

— M. Greyback, vous avez accepté d'être enregistré pour le bien d'une étude confidentielle menée par les services secrets du ministère, le bureau fédéral des Aurors. Je m'apprête à vous poser des questions concernant votre enfance, votre famille, vos comportements et tout mode de pensée lié aux crimes commis avant votre incarcération. (Elle fait une courte pause, quitte le ton mécanique des consignes règlementaires). La dernière fois, nous avons évoqué votre enfance, notamment votre mère. J'aimerais que vous me parliez maintenant du crim…

— Dis-moi, agent Hermione Granger, combien on t'a payée pour venir poser ton joli cul ici ?

Un sourire coupé d'incisives tranche le visage de Fenrir Greyback. De la pointe de sa langue, il caresse sa lèvre inférieure, avant de cajoler l'une de ses canines— le plafonnier de la prison jète un éclat blanchâtre qui brille contre la dent argentée.

— M. Greyback, il f…

— Une petite prime de cinq cent ? Un bonus sur le mois ?

Le détenu se penche vers elle, ses menottes cliquettent contre le formica brun clair. Une lueur excitée lui incise la pupille.

— À moins que ce soit toi… (Le bout de chair rose afflue de nouveau). Toi, qui les aies suppliés. Boss, boss, s'il vous plaît. Laissez-moi parler aux tarés ! Ils ont tellement de choses à nous apprendre. Avec tes mains plaquées sous ta jupe.

Son rire se répercute contre les barreaux, le fer, la sécurité des murs, l'expression du gardien derrière la grille, la peau d'Hermione. Elle se sent glacée contre sa chaise. Mais elle sait pourquoi elle est là. Et elle sait ce qu'il fait — comme d'habitude, d'abord l'insulte.

— Le 13 janvier 1964, vous avez fait la connaissance de Lavande Brown. Elle faisait du stop sur le bord de la route, entre Nashville et Memphis. Vous vous êtes arrêté…

— Je sens l'odeur de ta peur, renifle-t-il alors.

C'est la troisième fois qu'il l'interrompt. Cette fois, ce n'est ni l'extrémité de sa langue, ni ses canines qui suintent dans son champ de vision. Ses narines s'écartent, s'ouvrent, se vident, s'abreuvent de l'espace qui les sépare. La nausée l'attaque à nouveau— Que fait-elle là ? Kingsley, se répète-t-elle. Kingsley et la science. Inspire. Ses yeux battent contre la figure accidentée. De longes cicatrices cisaillent le visage de Greyback de haut en bas. Expire. L'enregistreur clignote entre ses œillades et le silence qui lui broie le ventre.

— Est-ce que c'est cette même peur que vous avez sentie chez Lavande Brown quand vous avez commencé à la déshabiller ? (C'est à son tour de se pencher vers lui). Est-ce que c'est sa peur qui vous a excité ?

Pendant un instant, elle a l'impression qu'il ne lui répondra pas. Sa posture se rencogne contre le coin sombre de la pièce et le sourire qui la taille depuis le début de l'entrevue frémit. Un de ses doigts s'agite entre ses chaînes.

— Est-ce que c'est l'odeur de sa peur, ou bien son odeur de femme, de prostituée, qui vous a allumé ?

Hermione sait — elle l'a vu chez d'autres détenus —, qu'employer leur vocabulaire les déstabilise. Un Auror qui dit « allumer » ? Une boucle glisse sur son front, elle la dégage d'un geste. C'est comme si elle reconnaissait cette possibilité chez elle.

— M. Greyback. Est-ce que c'est le fait qu'elle portait un costume de cheerleader, comme votre première victime, Amelia Bones, qui vous a poussé à lui serrer le cou, jusqu'à l'asphyxie ?

L'oeil gauche de Greyback s'agite. Ses mains se referment sur le bord bistre de la table et, dans le reflet, elle note sa mâchoire qui tressaute. Elle sait qu'il ne s'y attendait pas. Que, quoique lui ai dit Rookwood depuis sa cellule, il n'imaginait pas ses mots crus, ses connaissances graphiques, sa rigueur inébranlée.

Greyback se raccroche à son rictus déglingué. Trois canines luisent.

— Elle portait pas un "costume de cheerleader". Et je l'ai pas "étranglée".

Hermione contient le sourire. Il va parler. Elle pose une main sur le dossier de plus de cent pages qui les sépare.

— Qu'avez-vous fait alors, quand vous l'avez prise dans votre camion ?

— On a discuté. Sagement.

— De quoi avez-vous discuté ?

— De tout. De rien. Où elle allait. Pourquoi elle allait où elle allait. (Il ricane). De ses passions.

— Quelles passions vous a-t-elle partagées ?

Greyback hausse les épaules. Depuis sa chemise bleue de détenu et l'air affable qui a empoigné ses traits, Hermione aurait presque du mal à croire qu'il a dévoré Lavande Brown. Et Amelia Bones. Et les treize victimes entre.

— Elle aimait la clarinette. (Il sourit). Et les chaussures. Ça, oui, elle aimait les chaussures.

— Quel genre de chaussures ?

— Du genre luxe. Saint-Laurent. (Il ricane en prononçant le nom du créateur français). Des talons « escarpins ». Qui marquent le sol, beaucoup plus pointus que les tiens. (Une de ses canines frôle sa langue). Et les hommes.

— Elle voulait attirer l'attention des hommes ?

— Ah, ça… Elle vivait pour ça.

Son rictus tranche son visage, du plaisir évident jusqu'aux oreilles.

— À agiter son pouce et son cul comme ça…

— Vous avez eu l'impression qu'elle vous a appelé, depuis le bord de la route ?

— Appelé ? Quémandé, tu veux dire.

— Elle vous a quémandé de lui ouvrir la porte de votre camion ?

Supplié, depuis ses lèvres roses.

— De la violer ?

— En long, en large. (Il rigole). De partout.

— … de la tuer ?

Greyback la fixe. Ses canines luisent dans l'ampoule sale. Hermione a le sentiment désagréable d'être épiée par les murs, le magnétophone.

— … de la prendre, en long, en large, et dans le cou. (Greyback fait rougir ses dents dans la lumière). De lui inciser la nuque, comme ça (il émet un bruit de sécateur), et puis comme ça (le geste maxillaire cisaille le ventre d'Hermione) : plonger, ici. Elle a adoré ça.

Hermione attrape le flux qui s'éboule dans ses intestins, cogne contre sa nausée. Elle s'empare d'une des photos du corps retrouvé de Lavande Brown.

— Qu'avez-vous ressenti lors de ce meurtre ? (Elle glisse le papier glacé jusqu'à lui). Vous avez eu l'impression de reprendre le contrôle sur votre vie ? De vous venger de votre enfance ?

Greyback fixe le corps en noir et blanc. Ses mains, ses pieds, son cou. Son sourire s'élargit, mais autre chose l'étire. Hermione voit presque la haine qui goutte — et le triomphe.

— Elles pensent toutes qu'elles peuvent faire de nous ce qu'elles veulent. Elles se pensent supérieures, dominantes. Indestructibles. (Il relève les yeux vers elle). Jusqu'au moment où tu les découpes en morceaux et les avales.

Hermione force ses doigts contre le stylo. Trace "supérieures", "indestructibles", "avales". Elle les pousse à suivre la logorrhée qui s'ensuit, à ne pas s'arrêter sur les images qui reviennent, à attraper les mots qui comptent pour marquer la minute d'enregistrement. Greyback ne s'arrête plus. Il s'enfonce dans le détails des crimes, les actes post-crimes, l'euphorie qui l'enflamme. Elle a l'impression de regarder une bonde qu'on vient de libérer déverser ses eaux saumâtres, agitées par la violence qui coule du plaisir. Y surnagent des morceaux d'enfance violentée, une mère vomie, adorée, des corps d'adolescentes encore roses.

— Merci, M. Greyback, l'interrompt-elle, professionnelle. Nous reviendrons vous voir.

Son doigt presse la touche « off », retrouvant l'encoche. Elle se lève, ses cuisses poussent la chaise, fait un signe au gardien. Greyback la regarde depuis sa paupière. Il a l'air sonné— et furieux.

— Alors c'est comme ça ?, crissent ses dents contre sa lippe. Une information et on se casse ?

Elle l'a poussé là où elle voulait, au cœur du caractère sexuel de ses massacres, et elle entend bien le laisser attendre quelques jours : désirer son retour, épancher sa vanité qu'elle vient de réveiller. Se laisser quelques jours, à elle. Ses poignets heurtent la chaîne qui le lie au gardien quand il se lève. Le bruit métallique semble le rendre fou et Hermione voit presque la rage suinter de sa poitrine—moi, ici, enchaîné, à grincer des dents contre des putes du bureau des Aurors.

— T'as pas entendu le quart de ce qu'elle a aimé que je lui fasse, pourtant.

— À bientôt, M. Greyback.

Et sur cette réplique, l'agente spéciale du Bureau des Aurors, plus jeune recrue du service depuis sa création, ramasse sa veste, son dossier, ses notes, et quitte la cellule de Godric's Hollow, magnétoscope sous le bras. Son cerveau s'accroche aux faits, à son comportement, ses réponses qui malmènent sa typologie. Il a décrit le motif sexuel. Elle avise Dean qui l'attend derrière le poste de contrôle.

— On a sa description sur cassette concernant Lavande Brown, son dernier meurtre, lui annonce-t-elle en sortant du couloir. Et des infos qui intéresseront Chang sur le comportement criminel.

Hermione sourit à son coéquipier depuis sept mois maintenant. Il ne l'a pas accompagnée cette fois-ci. La lumière grise du dehors la cueille violemment, elle ferme les paupières un instant. Elle revoit l'éclat d'une canine contre la chair rose. Elle rouvre les yeux, cherche le sourire de Dean. Ce n'est pas grave, ce n'est pas grave, pilonne sa voix intérieure. Tu t'en sors si bien seule. Elle agrippe la poignée avec lui, aperçoit les nuages derrière les vitres, son regard tombe sur la horde.

— Comme la dernière fois, pas un mot, pas une expression, d'accord ?

— Ok, cheffe, s'amuse Dean. (Il fait mine de cadenasser ses lèvres). Rien ne sortira de là, pas même mon sourire charmeur.

La brune lui frappe le bras alors que ses sourcils valsent. « Idiot », murmure-t-elle. Mais derrière les lettres, elle sait qu'il entend son merci.

— À trois, on pousse ?, propose-t-il.

— 1…, commence-t-elle.

Ses lèvres retrouvent leur sérieux, ses yeux, la porte, la Dodge Monaco qui les attend à quelques pas. Cent mètres, à peine.

— …2…, soupire théâtralement Dean.

— … et 3.

Sa nausée rugit de plus belle contre ses côtes alors qu'elle pousse la porte, pense au sourire de Greyback et se prend dans les flash de la Gazette de San Francisco.

— Miss Granger, Miss Granger ! Est-ce vrai ce qu'on raconte ? Vous sillonnez les prisons pour des entrevues avec les pires tueurs ?

— Vous les interrogez sur leurs crimes ? Leurs fantasmes ? Leur enfance ? Miss Granger ! (La voix lui percute le tympan). Vous n'avez pas peur d'humaniser les monstres ?

Ses chaussures battent le bitume des marches. Elle imagine les journalistes, leurs questions, l'avidité qu'ils transpirent— sous ses talons. Rita Skeeter. Clac, clac, clac.

— Qui vous finance ? Le département de la Justice ? Des associations pour la réhabilitation de ces criminels ? Pour qui travaillez-vous Miss Granger ?

Un flash la heurte, pleine cornée. Dean glisse un bras sous sa posture défensive.

— Est-ce que certains deviennent vos amis ? Comme Corban Yaxley, par exemple, qui vous a indiquée comme Personne de confiance à Sainte-Mangouste ? Miss Granger, M. Thomas ! Tissez-vous des liens avec les tueurs en série de notre époque ?

— Et les familles des victimes, est-ce qu'elles sont au courant ?

Son pied râpe la chaussée, manque une anfractuosité. Elle se rétablit avec l'aide de Dean. Inspire.

— Allez-vous interroger le plus célèbre d'entre tous, le Basilic ?

Sa gorge bloque l'afflux. Sa main se perd dans le dédale rassurant des plis de la veste de son coéquipier, frouuuuush, émet son trench contre sa peau. Expire.

— Miss Granger ! On dit que Tom Jédusor vous attend.

La portière de la Dodge bleue pétrole claque sur l'assertion. Les mots s'accrochent à sa peau, ses pores, sa gorge. Dean lui offre un gobelet de café, elle laisse la chaleur lui brûler la paume. Elle entend à peine le moteur crachoter, les roues qui glissent sur le goudron trempé. … le plus célèbre d'entre tous, le Basilicon ditvous attend. Les ongles se referment sur sa poitrine. Un, deux, un, deux. Elle sait ce qu'elle fait. La fenêtre coulisse, emporte avec elle l'insinuation. Dans une semaine, elle interroge Jédusor.

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— C'est intéressant qu'il ait mentionné les chaussures, relève Cho Chang, une main encore posée sur le casque. Comme si ça avait été… le déclencheur de sa rage.

Hermione regarde la cassette ralentir avant de s'immobiliser. Cho est déjà debout, posture rivée aux feuilles punaisées, stylo en main.

— Le motif de la haine maternelle, de la maltraitance et de l'incompétence sociale — il n'a jamais pu conserver un job plus de deux semaines — le rapprochent de Selwyn et Scabior. Tueurs désorganisés, violence pulsionnelle, solitaires, intelligence moyenne, sexualité compliquée, pathologique.

La psychiatre associée à cette nouvelle branche du Bureau des Aurors, criminologie des tueurs multi-récidivistes, ajoute le nom "Fenrir Greyback" à sa typologie : « Désorganisé ».

— Il était beaucoup plus dissert que Selwyn et Scabior, objecte Hermione. Impossible d'arrêter le flux graphique. Il est passé d'insultant, sur la défensive, à franchement extatique. (Une goutte de café coule sur son doigt, l'irrite). C'est comme si… comme s'il revivait ses crimes en les racontant.

— Hmm, réfléchit Cho. Comme si le triomphe du soi lors des crimes, la victoire sur "la femme" conçue comme la persécutrice ultime, se réactivait lors de l'entretien.

— Est-ce que tu penses que ça aurait été différent si Dean m'avait accompagnée ?

Cho se détourne du tableau, Hermione voit son regard estimer la pâleur qui la marque.

— Je pense que le fait qu'il soit face à une femme Auror a nécessairement influencé ses confessions, finit-elle par dire. (Elle hausse une épaule). Mais, de là à en déduire que l'attention portée sur lui n'aurait pas déclenché cette même inflation narcissique… C'est leur hubris. Il s'est mis à te répondre lorsqu'il a voulu reprendre le contrôle du narratif.

Elle fait une pause. Hermione distingue clairement la fatigue en petites rides sous ses yeux.

— Est-ce que tu veux que Dean t'accompagne pour l'entretien avec Tom Jédusor ?

— Non, balaye Hermione. Je connais mieux le dossier et j'ai interrogé tous ceux qu'il a influencés —enfin, ceux qui ont été arrêtés. (Elle scrute les feuilles noircies qui attrapent l'éclairage jaune du sous-sol). Passées la surprise et la défense, ils se livrent mieux. Au bout d'un moment, ils revoient l'uniforme.

— … sans se rendre compte qu'ils se laissent emporter par le désir de te parler, termine Cho.

— Que veux-tu ? La plupart d'entre eux ne peut pas résister aux émotions violentes face à une femme. Tu avais raison, conclue-t-elle. C'est une bonne stratégie.

Hermione hausse une épaule, détachée, mais son sourire peine à l'éclairer.

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— Tu ne vas quand même pas aller là-bas, toute seule ?, chuchote férocement Pansy Parkinson, entre une frappe du genou et un tacle arrière .

Hermione évite le coup, tente de riposter, "Bonne posture Granger, beaucoup mieux, beaucoup mieux !" hurle Fol'Oeil dans son dos, elle force sur ses cuisses, mais Pansy est trop rapide, elle reçoit le coup pleine poitrine, se rétracte, recule, plie la jambe et part en roulade sur le côté. Elle se replace ; de la sueur dévale sa nuque.

— "Là-bas", pantèle-t-elle, c'est une cellule sous haute surveillance avec bouton d'appel, sécurité renforcée et port de l'arme autorisé.

Cette dernière information est fausse, mais Pansy n'a pas besoin de le savoir. "Trois minutes de répit !", consent à rugir leur entraîneur. Son oeil encore mobile s'arrête sur elle, avant de repartir.

— De plus, relativise-t-elle, je ne lui ferais pas vraiment face. Il parle depuis un écran et un masque depuis qu'il a réussi à convaincre l'agent Wilkes de lui fournir un téléfax il y a trois ans.

Elle n'a pas besoin de préciser que dans l'intervalle des sept minutes de détention de la machine, il a pu provoquer six nouvelles immolations en son nom. Elle ne lui dit pas non plus qu'elle a pour objectif d'obtenir la fin de cette mesure ridicule— à ce qu'elle sache, ni un masque, ni du verre n'ont jamais arrêté des mots de faire cible. Ils ont constitué cette mesure punitive comme le symbole de la puissance carcérale, monopole du pouvoir d'humiliation. En revanche, pour nouer une relation de confiance, l'expression ne le dit-elle pas ? Rien de pire que de se heurter à un mur.

— Je maintiens que c'est complètement irresponsable, riposte Pansy, ton à peine contenu. (Plusieurs visages se tournent, avant de revenir à leurs serviettes sous les oeillades de Pansy). Tu sais, reprend-t-elle plus doucement, que mon père a eu affaire à ton psychopathe.

— Ce n'est pas mon psychopathe, objecte machinalement Hermione. Elle vide d'un trait son verre d'eau.

— Tu as passé les cinq dernières semaines à scruter le moindre fait, rapport, détail, on-dit, que tu pouvais dénicher. Allant…

— À peine plus que pour les autres, tente de se défendre Hermione, mais la brune fait basculer sa queue de cheval d'un côté sans prendre en compte son interruption.

— … allant jusqu'à tenter de retrouver une de ses seules victimes qui n'ait pas fini dans un rituel satanique ou dans un asile. Tout ça pour découvrir qu'elle ne possédait plus qu'une seule fonction mentale.

À ce stade, Hermione abandonne ses velléités de correction. Pansy déforme comme elle aime : avec mauvaise foi, biais et des définitions bien à elle, mais beaucoup de détermination.

— Mon père l'a trouvé charmant le jour où ils ont échangé. Il a trouvé charmant un homme capable de convaincre plus de cent étudiants à travers tout le pays de flamber pour lui. Charmant celui qui a regardé son père agoniser sous les flam…

— Pansy. Je sais tout ça, la coupe-t-elle.

Elle entend le cliquetis des pièces de métal qui tiennent les mannequins en l'air, les corps qui se relèvent, Fol'Oeil : "DEUX MINUTES !".

— La presse ne l'a pas rebaptisé Le Basilic uniquement pour ses beaux dessins. (Hermione rattrape les mèches qui ont craqué son chignon). Il charme et hypnotise comme un serpent, manipulant ses victimes au point qu'elles pensent sublimer leur plus grand désir, il s'enroule autour de leur volonté, susurre les pires douceurs et les pires atrocités, et tous en redemandent. (Elle arrime ses prunelles fauves à celles de Pansy). Mais je suis préparée à tout ça. Vraiment, Pansy. Je sais ce que je fais.

— Et qu'est-ce que tu fais, exactement ?, lui renvoie son amie, sarcasme qui dégouline de son ton— son inquiétude aussi.

"Trente secondes", avertit la grosse voix de Fol'Oeil. Sa tessiture a toujours rappelé à Hermione celle des barytons de la chorale que fréquentait son grand-père.

— J'interroge des criminels multi-récidivistes pour comprendre ce qui les a poussés à agir, explique-t-elle calmement, comme si elle ne l'avait pas déjà répété des dizaines de fois à ses proches, à Kingsley, à son reflet. Je repère des schémas, des répétitions, des déclencheurs— ce qui déchaîne la pulsion criminelle—, toutes les obsessions, fantasmes, éléments biographiques qui motivent leur comportement. (Elle est à peine essoufflée lorsqu'elle replace ses protections). Tout ça dans le but d'établir des protocoles et des profils qui nous orientent dans une enquête, nous indiquent qui chercher. Une empreinte psychologique du crime, si on veut. (Protections revêtues, mèches ravalées, elle se met en position). Et pour répondre à cette question : pourquoi tant de crimes nous paraissent-ils aujourd'hui sans motifs ? Pourquoi transgressent-ils toutes nos limites morales ?

Sa coéquipière finit d'étirer son bras, décale la tension aux poignets. « Je vois que t'as bien peaufiné ton petit speech », lâche-t-elle, quelques secondes avant le coup de gong du baryton : "On se replace !".

Mais à l'instant où Pansy saisit son épaule pour amorcer le premier enchaînement, elle se penche :

— "Tous en redemandent", murmure-t-elle en reprenant ses mots. Puis ils finissent toujours par dire : "Prends garde au Basilic quand il ouvre les yeux".

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— Je sais que vous avez préparé l'échange avec Dr Chang, Granger ». Son regard fléchit sous ses sourcils. « Rappelez-vous surtout les fondamentaux. Il est différent de tous ceux que vous avez interrogés, énonce-t-il. C'est le premier à n'avoir commis aucun crime directement — à ce que l'on sache —, mais par incitation, et le seul qui ait toujours refusé de parler avec des agents du Bureau. C'est aussi celui qui a terrorisé un pays et des milliers de famille pendant six ans. Ne lui laissez pas l'avantage. Jamais.

La peau de Kingsley paraît olivâtre dans la brume froide. Azkaban s'érige face à eux, phalange sombre qui crève l'espace.

— Je m'y efforcerai Monsieur.

Hermione se retient de le saluer, enfonce ses ongles dans la chair. Elle ne sait pas d'où lui vient l'impulsion de s'écraser dans la reconnaissance avant chaque épreuve. Réitérer sa discipline. Le vent brusque un pan de son imperméable beige.

— Et vous quittez cette cellule quand bon vous semble, surtout, rappelle le chargé du département des affaires criminelles et crimes violents. Il ajoute, plus doucement : « Bon courage, Granger. »

Sur ce dernier mot, Kingsley lui presse l'épaule avant de s'éloigner. Son trench glisse sur son allure, comme un linceul. Elle sait ce que ça signifie : que, lui, l'accompagne jusqu'ici, au bord de l'état californien, au bord du monde, pourrait-on dire— à voir ce doigt gris planté dans ce désert. Le témoignage de Jédusor est capital pour leur service. S'il parle, c'est une victoire. Ou plutôt, c'est un triomphe : ça voudrait dire qu'ils ont eu raison d'investir ce nouveau département, qu'ils sont à la pointe de la crim', du Bureau, de la stratégie Scrimgeour.

Elle lève la tête : l'architecture d'Azkaban plonge sur elle depuis ses pierres noires et le malaise poisseux qui la colle à chaque fois ne manque pas. Tour volcanique qui monte sur soixante-dix étages, elle est assez large pour se perdre en couloirs, mais est conçue sur un mode circulaire où toutes les cellules se pressent en rond sur une coursive. Au centre, une cour vide qui exerce son attraction sans jamais avoir à se pencher sur la rambarde. Devant, pour seul horizon et élaboré comme un vis-à-vis étouffant, les autres. On s'y fait face, sans co-détenu et protégé par une cloison, mais jamais à l'abri du regard, de la possibilité d'être vu, scruté, offert à l'imagination et aux délations— panopticon rêvé de Bentham où l'oeil est punitif. La coupole coiffe l'ensemble du même granit noir et les gardiens s'y relaient pour surveiller la dégringolade de cellules. De là-haut, ils voient tout : le chemin de ronde, les rares allées et venues, les box voûtés les uns sur les autres. Point d'architecture ultime, un large orifice traverse le dôme : pensé comme un puits de lumière, les rayons auraient dû éclairer la totalité du bâtiment et exposer les derniers recoins. Mais nulle clarté ne perce jamais l'oculus. Comme à son habitude ici, le ciel se terre dans la brume.

On raconte que la brume d'Azkaban est tenace et ne se dissipe jamais vraiment. Que les langues vaporeuses qui s'accrochent aux pierres murmurent à l'oreille des prisonniers jusqu'à les rendre fous. Pour ceux qui ne le seraient pas déjà. Tout ça, bien sûr, n'a aucun fondement, ricane sa voix intérieure. Ce coin souffreteux de la Californie a toujours été victime du micro-climat de San Francisco.

— Ohé, ma petite dame ! C'est par ici, la hèle une silhouette diffuse en haut des marches. Fait pas bon s'attarder devant Azkaban.

Il agite une lampe torche depuis les grilles. Elle troue à peine la purée de pois. Hermione ramène sa veste contre elle et commence à gravir la pierre.

— Vous êtes différente de ce que j'avais cru, prononce le gardien quand elle parvient à sa hauteur. Vous imaginais plus…

Il plisse les yeux sur ses deux billes bleues vif et la jeune femme reconnaît instinctivement l'examen masculin qu'elle est en train de subir. L'irritation crispe son sourire, elle rabat une boucle dans son col :

— Plus…. ?

Un lent sourire étire les rides de part et d'autre du vieillard ; sa défiance l'amuse.

— Plus grande, ricane-t-il, et il se tourne vers la porte.

Hermione est loin d'être petite, mais elle sait ce qu'il implique. Plus imposante, plus forte, crie le revers des mots. De dimension égale à ceux qu'elle vient questionner. Elle enfonce un talon dans le sol, ravale sa riposte, pas le moment, pas le moment, pas le moment, n'attend pas qu'il ait ouvert la porte pour se frayer son chemin. Lorsqu'elle le dépasse, il glisse : « Bonne chance, mademoiselle. Faites gaffe au brouillard », puis la grille se referme.

— Arme, matricule d'identification, sigle, autorisations, énumère plus que n'exige le policier à l'intérieur.

Le grommellement perce à peine la léthargie qui emmaillote Azkaban. Les murs sont gris, les grilles, métalliques, tandis que le comptoir attrape les lumières blafardes — original, soupire-t-elle. À force de passer son temps entre des cellules grisâtres et le sous-sol des sciences comportementales, il ne serait pas étonnant qu'elle-même se fonde dans cette teinte cireuse.

— Vous pouvez y aller agent… Granger, annonce-t-il après un rapide coup d'oeil à son insigne. Beacon va vous escorter.

Elle récupère son sigle, délaisse le reste au concierge qui s'est mis à la fixer. Sa casquette retombe sur son oeil lubrique.

— Bonne chance, agent Granger, sourit-il en savourant les syllabes, alors qu'elle se détourne de la vitre.

Le magnétophone est si bien plaqué contre sa poitrine qu'il compresse son sternum. Bien, font ses doigts grippés— et elle est presque reconnaissante de l'avoir tout contre elle, froid et inanimé, sans regards lancés pour déshabiller, ni de condescendance qui suinte des bonne chance.

— C'est très étonnant qu'il ait accepté de vous parler, v'savez ? En six ans d'incarcération, c'est à peine s'il s'adresse aux autres.

La voix de Beacon ricoche contre les couloirs. Elle réveille un écho étrange alors qu'ils pénètrent dans un corridor étroit et nu, à l'exception d'un poste de garde déserté. L'éclairage est voilé par de minces tissus verts et Hermione, sur les pas du sergent Beacon, a l'impression de s'enfoncer dans un boyau.

— Enfin, après, le mot s'est passé, vous savez. Un peu que ça a dû lui titiller l'ego !, se moque-t-il, depuis sa longue moustache grise. C'est comme ça avec tous, de toute façon. Même pour lui. Ça fait les fiers… et puis dès que ça peut faire parler de soi….

— Le mot s'est passé ?, relève-t-elle.

Ils dépassent une autre grille, déverrouillée par trois clefs successives.

— Ce que vous faîtes, dit-il. (Il hausse les épaules, toujours devant). Parler à des tueurs, mais pas n'importe lesquels. (Il secoue sa tête grisonnante). Je sais pas comment vous faites, moi, j'aur—

— Vous voulez dire qu'il sait qui j'ai interrogé avant lui ?, le coupe Hermione. Elle entend chaque battement qui s'emballe sous sa veste.

— Ah, ça ! Tout se sait ici. Ça parle, ça parle entre prisonniers. Rien ne résiste à la rumeur, pas même les murs. Et lui…

Il s'interrompt pour composer une commande sur un digicode flambant neuf qui détonne. À nouveau, elle entend un clac strident avant que le dispositif de sécurité ne se lève. La porte saute sur ses gonds.

— … lui, reprend-il, il a le chic, si j'puis dire, pour tout savoir. (Il tient la porte à Hermione qui le dépasse sans le voir). Mais y'a pas à craindre, vous savez. Ça fait quarante ans que je travaille dans les prisons, moi, si y'en a bien une qui se laisse pas déjouer, c'est Azkaban.

Il lui adresse un clin d'oeil bienveillant alors qu'il s'arrête devant la salle d'entrevues de haute protection.

— Bon, vous connaissez les instructions j'imagine. Je vous les rappelle, protocole, vous savez. (Il se poste devant elle, visage aimable). Pas de possibilité d'échanger, prêter, donner des objets avec le détenu.

Il déroule le fil d'avertissements qu'elle connaît bien, mais qu'elle écoute avec la même attention que la première fois, immanquablement.

— Bon, j'sais bien que vous avez requis des « dispositifs d'adaptation ». Ça a pas très bien convaincu la directrice — l'Ombrage comme on l'appelle —, mais votre chef a l'oreille du ministre de la Justice, ça on peut le dire, dit-il alors que ses sourcils montent dans l'admiration. Donc on a fait comme demandé : pas de menottes, pas d'écran, pas de camisole, juste un garde avec vous.

Hermione retient le soulagement de s'écrire trop ostensiblement sur sa figure. Merci Kingsley.

— Après moi j'vous le dis, j'pense pas qu'il fera quelque chose contre vous, c'est pas un violent… » Beacon grimace en entendant ses propres mots, corrige vite : « Enfin, pas un sanguinaire, ça passe pas par là. Lui, c'est là », et il mime un tournevis qui s'enfonce dans les tempes. La tête. « Mais même si j'pense ça, au moindre signe, faut que vous sachiez : on l'a à l'œil. Ça en a pas l'air comme ça, vous allez voir quand vous entrerez, mais y'a pas plus sécurisée comme salle, ajoute-t-il après un échange de regards avec la porte.

Hermione se surprend à apprécier son babil spontané. Il est rare que les gardiens témoignent un intérêt pour ce qu'elle fait, lui témoignent de la considération tout court. Là, avec Beacon et ses lettres mâchouillées, elle se sent à la fois vue et comme n'importe qui sous son uniforme— et elle ne peut pas s'empêcher de le recevoir comme une reconnaissance. Pathétique.

— À toute à l'heure Miss Granger, conclue-il en amorçant un signe de la tête.

Elle s'apprête à pousser la porte, mais une grimace la retient— Beacon la regarde d'un drôle d'air. Elle voit ses lèvres frémir, comme s'il hésitait.

— Sergent Beacon ? Vous voulez me dire quelque chose ?

Il ouvre la bouche, la referme, son visage se contracte avant de céder.

— Ce n'est rien Miss Granger, parvient-il à forcer depuis sa gêne, mais son regard inquiet le contredit. Simplement… faites attention. C'est pas comme pour les autres, il est…

Il cherche ses mots, elle le voit qui tente d'attraper le plus factuel.

— … poli, bredouille-t-il finalement. Très poli.

Le mot la prend au dépourvu. Hermione sait pourtant qu'il l'est, poli. Courtois, raffiné, même, avait pu s'emballer un article de presse à sensations. Mais l'entendre résonner entre les murs d'Azkaban, balbutié aux lèvres d'un de ses gardes ? Il y a quelque chose qui dissone. Et lorsqu'il conclue sur ce même ton à tâtons, presque honteux, par cette idée farfelue, quelque chose se glace en elle :

— Parfois, on oublierait presque ce qu'il a fait.

Elle suit Beacon des yeux, son pas gourd. Le vent ne souffle pas dans ce couloir sans fenêtres qui s'allonge comme une meurtrière, mais elle réprime à grand peine un frisson. Elle frotte son bras, sent les milliers de points de chair. Son badge cliquette contre la porte lorsqu'elle entre.

.

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Il est assis. C'est son immobilité qui la frappe. Malefoy Sr l'avait peut-être surprise, la première fois, à vouloir de façon si opiniâtre lui apparaitre contenu, digne, coulé comme il se doit dans sa morale aristocratique. Mais sa surprise avait fondu en même temps que ses bonnes manières et son honneur, liquidés dans les terreurs paranoïaques et la délation facile. Là, alors qu'elle traverse les quelques mètres qui la sépare de la table, sa fixité dégage une autre odeur— quelque chose de reptilien qui attend son heure. Ses yeux dérivent de la fenêtre au mur, comme s'ils notifiaient sa présence, mais sans la regarder. Exempté de ses menottes et de toute contention physique, avec son col repassé, sa pâleur et ses cheveux noirs, il lui rappelle les tableaux de Joseph Wright of Derby où les scientifiques rationnels baignent dans des clair-obscurs violents gagnés par le rouge.

Tom Jédusor lui fait l'effet d'un intellectuel du vieux monde, érudit et raffiné, mais léché par les ombres.

— Ah, émet-il simplement, son regard l'évitant toujours.

Il sourit lentement, comme une lame. Avec ses yeux qui la dédaignent, mais sa posture en alerte, Hermione a le sentiment diffus d'être observée sans être regardée.

— Bonjour M. Jédusor. Merci d'avoir accepté de répondre à nos questions.

Elle se fond dans le collectif presque par réflexe.

Professeur Jédusor, corrige sa voix, douce, mais lourde. Je n'ai pas consenti à répondre à vos questions Miss… Granger.

Son nom glisse sur ce velours et Hermione se fait violence pour tirer la chaise vers elle. Aucun détenu ne l'a accueillie avec ces façons — gracieuses, mais distantes. Il y avait toujours de l'avidité dans les regards, avidité de dire et de se dire ; avidité de projeter ses affects, se frotter à une Auror étrange venue pour eux ; celle de casser la roue infernale, trouer la monotonie. Depuis sa position, elle peut apercevoir la brume qui colmate la seule ouverture de la pièce et les vapeurs blanchâtres s'étirent le long des pierres. Hermione n'a pas besoin de les imaginer, elle pourrait presque les sentir qui s'enroulent autour d'eux. Ses doigts agrippent les feuilles et elle pose brusquement le dossier entre eux. Seul son profil lui demeure accessible. Pas si gracieuses, ses façons. À l'instant où la pensée la traverse, il braque ses yeux sur elle.

— J'ai accepté de vous voir, vous.

Les pupilles interrompent son geste aussi sec, son doigt vacille contre la page du dossier. Elle se sent comme une biche dans un feu, soudain, ou comme si c'était elle la prisonnière, ses menottes à la ceinture du garde, répercutant la lumière. Ces yeux qui la fixent. Cette attention vorace, étrange et séduisante qui fonce sur elle. Les manières d'Hermione trébuchent et elle tente de s'accrocher à son protocole pour lutter contre les noeuds dans sa gorge. Pas ça. Elle le sait pourtant, elle est prête : des centaines d'heures d'entretien, une préparation minutieuse avec Cho, leurs typologies qui prennent forme, ses réflexes sur-entraînés. Elle a lu les témoignages des victimes (secondaires), des policiers, des psychiatres. Entre les faits épars et incertains, les tentatives malaisées de consigner son profil, tous évoquent le trouble— celui qu'il sème et entretient, celui qui s'invite en eux sans prévenir. Elle sait. C'est lui, derrière les barreaux, lui, tambourinent ses pensées entre les échos de son coeur.

— Me voir ?, parvient-elle à articuler, un ongle planté dans la paume.

Tom Jedusor laisse planer son regard quelques secondes. Il l'attaque à coups d'inspection glaciale et pupilles sombres : elles sont si noires qu'Hermione peut presque y distinguer son visage décoloré.

— Hermione Jean Granger, énonce-t-il, en penchant légèrement la tête. Son rythme n'est pas lent, mais il coule, s'attarde. « Quelle est donc cette Auror qui serpente les couloirs des prisons et enregistre nos némésis ?

Le mot la fait tiquer, dérange un nerf. Némésis ?, a-t-elle presque envie de répéter. Que croit-il qu'elle fait, ici ? Son sang repart, monte sur ses joues.

— Je n'enregistre pas mes némésis, renvoie-t-elle, comme elle peut, de cette voix didactique, si pédagogue, qui cache l'irritation. J'établis des profi—

— Oh ? », coupe-t-il. Hermione tente de trouver l'amusement qui devrait s'afficher sur son visage, mais l'interjection marque à peine ses traits et tombe, glacée. « Vous offrir un frisson en côtoyant le revers de la société, ce n'est pas ce que vous faites ? » Sa langue tape doucement contre ses dents, il secoue tout juste la tête : « T-t-t-t-t-t. Il faut être transparente avec moi Miss Granger. Les menteuses ne survivent pas longtemps à Azkaban, surtout quand elles s'approchent des grilles.

Elle tente de sourire pour cacher le passage de ce qui court sous cette fausse réprobation ; ses lèvres capitulent avant l'arrivée. Quelque chose dissone dans ce regard opaque, ces doigts allongés sur la table, sages, mais si proches de son stylo, ce ton de professeur qu'il doit avoir employé souvent, son uniforme sans pli— c'est bien la première fois que l'ensemble vert forêt lui apparaît si soigné. Hermione a l'impression de voir l'obscurité frémir sous ses manières impeccables.

— Je suis ic—

Mais elle n'a le temps ni de finir sa phrase, qu'il l'interrompt en reculant depuis sa chaise.

— Revenez me voir lorsque vous aurez choisi l'honnêteté, susurre-t-il à son encontre. Après tout, n'est-ce pas ce que font les bons élèves ?

Sa chemise vert sombre échappe à l'éclairage et dans cette semi-pénombre qui contraste avec l'éclat du néon au-dessus d'eux, ses cheveux prennent l'encre, comme ses yeux.

À nouveau, ses mots choisis s'injectent en elle comme s'ils pouvaient venir la chercher. Comme s'il y avait encore ce bonne élève inscrit au feutre rouge en elle, sur les visages moqueurs de son enfance. Même Yaxley, son premier entretien, ne l'a pas tant déstabilisée — avec ses cuticules déchirés et ses digressions psychotiques.

— Peut-être dans quelques années ? Nous avons le temps, ajoute-t-il, et elle ne parvient pas à lire ce que dissimule l'ironie.

La chaise racle le sol et ses yeux s'écarquillent alors qu'elle prend conscience de son départ. Merlin, panique-t-elle, rien ne se passe comme prévu. Elle prend la mesure de ce qui l'attend s'il sort, la mesure de ses incapacités, encore, et ses pensées cavalent pour lui venir en aide. Quelque chose.

— Est-ce que c'est la transparence que vous recherchez quand vous invitez vos étudiants à obéir à leurs… pulsions ?, jette-t-elle, sans parvenir à retrouver son ton tranquille.

Elle tente. Après tout, l'hameçon prend souvent, piège le besoin de s'épancher.

— Vos petites stratégies sont charmantes. Je ne doute pas qu'elles fonctionnent sur une psyché aussi délabrée et pervertie que celle de Scabior. » Le sourire de Jédusor tombe et tout son visage retrouve son marbre. « Mais elles m'insultent profondément, Hermione.

Elle ressent ce Hermione comme un vol. Le gardien, à quelques mètres, ne bronche pas et les menottes dont elle a demandé le retrait lui paraissent si déclinantes et si lointaines à présent. Ses mains se croisent sur les pages qui recouvrent les photos, les actes, les ébauches de diagnostic et de cliniciens rejetés. Jédusor ne se lève toujours pas, mais ses yeux suivent le mouvement, glissent sur ses jointures qu'elle a propulsées entre eux, elle sent leur passage.

Il ne prend pas la peine d'amorcer son rictus, mais elle sait. Le jeu l'amuse, elle le voit. "M'insultent profondément, Hermione". Il commence à le décevoir.

— Vous avez accepté de me voir Professeur », reprend-elle, et c'est comme une reddition, ne peut-elle s'empêcher de penser. Si seulement elle pouvait trouver le chemin vers son orgueil, comme pour les autres. Coincer le besoin de reconnaissance qui ronge. « Vous êtes curieux. (Elle tapote le dossier). C'est ce qui est à l'origine de votre prestigieuse carrière académique. Et, je crois, au coeur de votre incarcération.

Elle lance le dé.

— Oh ?

Il hausse un sourcil. Elle entend presque l'intonation faussement indifférente qui la met au défi.

— Je pense que si vous êtes là, c'est parce que quelque chose en vous n'a pas pu réfréner cet appétit de savoir ce que cela fait : pousser les autres jusqu'au bout— leur bout.

— Vous êtes très perspicace, Miss Granger », se moque-t-il. Mais il y a quelque chose de fixe dans son ironie. « Je ne suis ici que par "faute de curiosité". "Appétit de savoir", mime-t-il.

Appétit frissonne sur ses lèvres. Hermione serre les mains.

— Vous ne commettez pas vos crimes parce que vous savourez la souffrance d'autrui, poursuit-elle. Elle soutient son regard. « Vous transgressez, pour voir jusqu'où peuvent aller les autres sous votre influence.

— Je mènerais donc ma petite enquête psychologique ?, raille-t-il, cet air insolemment tranquille qui ne le quitte pas.

— Plutôt une forme dévoyée d'intérêt académique.

Elle s'interrompt un battement devant la fossette qui se creuse malgré lui. Humour macabre ? Son coeur cogne un coup sec.

— Ça, et… autre chose. Autre chose de plus sourd, qui vous pousse.

Hermione se fait violence pour conserver son immobilité.

— C'est une rédemption que vous m'offrez ?

Elle hausse une épaule, mais son cœur frappe contre sa nonchalance.

— Un dialogue.

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Merci d'avoir lu ! (❤️)

Aimant surtout les histoires à plusieurs chapitres, je suis conteeeente d'en poster une— et d'avoir des retours ? vos petites théories ? tout le bien tout le mal que vous avez pensé de prof!Tom ?

PS : Nietzsche l'a dit, les reviews, "ça augmente l'espérance de vie". (oui)