Bonjour, ça faisait un moment que je ne m'étais pas manifestée.
Cette histoire me trottait dans la tête depuis longtemps. Elle a gagné en force et s'est développée, jusqu'à ce que je puisse plus l'ignorer.
Je la publie donc aujourd'hui, le jour du 22 septembre, date de l'anniversaire de Bilbon et Frodon.
Bonne lecture !
DISCLAIMER : Le Seigneur des Anneaux ne m'appartient pas, tout est à Tolkien.
Chapitre 1 :
L'histoire oubliée
La nuit tombait sur Seattle.
D'épais nuages gris se rassemblaient dans le ciel, annonciateurs d'une tempête.
Au dernier étage d'un immeuble vieux et miteux situé en banlieue, Jodie Bennett regardait l'horizon par la fenêtre.
Un miaulement plaintif à ses pieds lui fit baisser les yeux. Une chatte angora gris perle la fixait de ses grands yeux bleus.
Avec un soupir, l'adolescente de treize ans la prit dans ses bras avant de retourner à son observation des nombreux toits visibles par la fenêtre.
Les lampadaires étaient nombreux dans ce quartier, mais comme c'était la zone, il n'était pas rare qu'une bagarre entre deux gangs cause des dégâts.
Et inutile de compter sur les phares des voitures, car peu de gens osaient sortir après la tombée de la nuit par ici.
Jodie distinguait à peine son propre reflet dans la vitre de la fenêtre, mais elle s'en moquait.
« Jodie ? »
L'interpellée se retourna. Une femme aux cheveux grisonnants d'une quarantaine d'années se tenait allongée dans un canapé-lit. Des couvertures en laine recouvraient son corps, mais Jodie voyait clairement les tremblements qui agitaient ses membres sous les couches de tissu.
« Tu ne devrais pas perdre ton temps ici », dit la femme.
Jodie comprenait le sous-entendu. Elle ne devrait pas perdre son temps, pour leur dernière soirée, à fixer le vide par la fenêtre.
Mais la jeune fille détestait l'idée que ce soir soit peut-être le dernier passé ici, avec sa mère, dans leur appartement. Demain, Mme Bennett partirait à l'hôpital et y resterait pour une durée indéterminée, jusqu'à ce que ses problèmes cardiaques soient réglés.
Jodie songea à son père. Il était pilote d'avion et souvent en déplacement, mais depuis que l'état de sa femme s'était détérioré, il avait pris des heures supplémentaires pour couvrir les frais médicaux de son épouse.
Jodie appréciait qu'il fasse des efforts, mais elle détestait l'idée de rester seule.
Demain, sa mère irait à l'hôpital et elle devrait partir vivre chez Tina, une amie d'enfance. Elles avaient fait l'école primaire et le collège ensemble. Elles feraient sans doute aussi le lycée, Jodie n'en doutait pas. Peut-être même qu'elles iraient à la même fac et assisteraient chacune au mariage de l'autre ?
« Tu veux regarder la télé ? » suggéra sa mère.
Jodie fit la moue. Il n'y avait rien d'intéressant à cette heure de la nuit et avec les soucis pour payer les factures, il valait mieux économiser l'électricité.
« Je préfère que tu me racontes une histoire », dit Jodie.
« Laquelle ? »
« Raconte-moi encore l'histoire oubliée de ce monde. »
Sa mère sourit.
« J'étais sûre que tu me demanderais ça. »
D'une main amaigrie par la maladie et la fatigue, elle invita sa fille à la rejoindre sur le canapé.
Une fois allongée à ses côtés, la tête calée contre l'épaule de sa mère, Jodie grimaça. Elle pouvait sentir l'os à travers la peau de la malheureuse. Si seulement elle pouvait manger davantage, peut-être qu'elle aurait plus de chances de guérir !
« Il y a longtemps, si longtemps que les hommes l'ont oublié, existait un être tout puissant nommé Eru Ilúvatar. C'était le dieu créateur et il demeurait dans les Salles intemporelles. Avec la Flamme Impérissable, il créa les Ainur, les premiers et les plus puissants êtres. Il leur ouvrit à chacun une partie de son esprit. Alors, ils chantèrent. Eru leur donna trois grands thèmes reflétant l'avenir, notamment la création d'Arda, la Terre. Et à la fin du chant, Ilúvatar donna naissance au monde. Désireux d'accomplir leur chant, certains Ainur y descendirent. Cependant, Ilúvatar ne leur révéla pas certaines choses, comme la création des Elfes et des Hommes, la destinée des Hommes et la fin du monde. »
La fin du monde… Jodie n'aimait pas ce concept. Pourquoi Eru avait-il décidé cela ? Pourquoi se donner tant mal à créer des choses si c'était pour les condamner, à la fin ? Et les Ainur ? S'ils avaient su, seraient-ils descendus sur Arda ?
« Mais il n'y eut pas que les Elfes et les Hommes», poursuivit sa mère. «On dit qu'Ilúvatar n'est intervenu que peu de fois dans la création de ce monde. La première fois, ce fut pour sanctifier la création des Nains par Aulë, la seconde pour modifier la morphologie du monde. »
« Mais il y a un méchant qui vient tout gâcher, comme dans toutes les histoires, pas vrai ? » dit Jodie.
« Hélas, oui ! Melkor, le plus puissant des Ainur, choisit de prendre son indépendance et se tourna vers le mal. Ainsi, tout le mal dans le monde vient de lui. »
Jodie serra les poings. Cela faisait des siècles que leur monde connaissait de dures épreuves : les épidémies, les guerres, la famine… Penser que tout cela venait d'un des Ainur était encore pire. Pourquoi Eru avait-il laissé ce Melkor descendre avec les autres ? Pourquoi ne pas avoir au moins empêché celui-là de venir tout gâcher ?
La mère de Jodie pointa la fenêtre du doigt.
« Tu te souviens de la Grande roue ? »
Et comment ! Située sur la jetée 57 dans la Baie Elliott, Jodie l'avait vue pour la première fois à l'âge de neuf ans, lorsque ses parents et elle avaient fait une sortie en famille. À l'époque, l'enfant avait eu envie d'y monter, mais ses parents avaient refusé, disant qu'elle était trop petite.
Mais en grandissant, elle avait fini par connaître la vraie raison.
« C'est un symbole du mal, même si personne n'en a conscience. Elle représente un œil, le symbole d'un des lieutenants de Melkor : Sauron. Il y en a plusieurs dans différentes villes de notre monde, toutes ensorcelées pour nous épier, pour veiller à ce que nous poursuivions notre déclin. »
Jodie fit une grimace. Ses parents faisaient partie d'un groupe secret, les Érudits d'Arda. Bien sûr, personne ne le savait, car c'était un secret. Son père était originaire de Nouvelle-Zélande. Il avait rencontré sa mère lors d'une réunion orchestrée par plusieurs membres originaires de différents pays.
Ils étaient les derniers à se souvenir des débuts de ce monde, d'Eru, des Ainur qu'on appelait aussi Valar, et du nom que portait leur monde autrefois : la Terre du Milieu.
« Sauron a fini par gagner, hein ? » souffla tristement Jodie.
Sa mère fit la moue.
« Il a connu de nombreux échecs, le plus grand étant qu'il n'a jamais réussi à libérer Melkor. Grâce à nous. Parce que nous nous souvenons du passé. Même si l'histoire est devenue une légende, et la légende un mythe, nous nous souvenons de choses qui n'auraient pas dû être oubliées. Nous sommes les derniers à croire en la Lumière. Et la Lumière maintient notre ennemi prisonnier, loin des sphères de ce monde. »
Sa mère glissa la main sous le col de sa chemise et en retira un cordon au bout duquel pendait une bourse en cuir. Elle l'ouvrit, en retirant une pierre étrange. Selon la manière dont on l'exposait à la lumière, elle pouvait briller comme un petit soleil, ou bien se parer de vert et d'orange avec une surface recouverte de paillettes scintillant comme de l'or.
« Ceci est un minuscule fragment des Silmarils, les trois joyaux créés par un Elfe de l'ancien temps. L'un de nos propres ancêtres, un plongeur du début du XXe siècle, l'a trouvé dans l'Océan Pacifique. Il était bien plus grand et plus beau que cela, mais il n'a pu en extraire qu'un maigre fragment avant de remonter à la surface. Il tenta par la suite de le retrouver, mais lorsqu'il revint aux coordonnées qu'il avait enregistrées, la pierre avait disparu. Il se consola avec ce maigre éclat. Après tout, c'était une découverte formidable ! La preuve que toutes les histoires que nous nous transmettons de famille en famille sont vraies. Arda a bien existé, même si le monde a changé. »
Jodie effleura la pierre du doigt. Elle était toujours étonnamment chaude, comme si un feu couvait à l'intérieur.
Soudain, sa mère quitta son air rêveur pour un autre plus grave.
« Chérie, tu as bien préparé tes affaires pour partir vivre chez Tina, pendant mon séjour à l'hôpital ? »
« Oui, tout est prêt. »
« Bien. J'aimerais que tu prennes cela aussi. »
Elle lui glissa la bourse dans la main. Ce geste surprit Jodie.
« Mais maman… c'est ta pierre ! »
« Oui, et la tradition veut que je te la transmette. Je préfère le faire maintenant, plutôt que de la laisser à l'hôpital avec mes affaires, en attendant de ressortir. Elle sera plus en sécurité avec toi. Et je veux que tu ailles à la prochaine réunion. »
Jodie fit la grimace. Elle avait déjà accompagné ses parents à trois réunions par le passé. Elles se tenaient toujours dans une église différente de la ville. Leurs membres étaient heureux de s'y retrouver. À chaque fois, ils parlaient de leurs recherches sur le passé d'Arda. Parfois, ils évoquaient des indices sur des thèmes d'Arda : comment l'histoire de l'Atlantide partageait de nombreuses similarités avec celle de Numenor, où elle pouvait se trouver, mais parfois aussi des sujets plus terre à terre, comme le fait qu'il était dur de mener une vie normale tout en cachant leur secret.
Jodie était heureuse d'avoir deux parents érudits, tout le monde n'avait pas cette chance dans leur groupe.
« Papa ne sera pas présent à la réunion ? »
« Il est à Hong Kong et doit bientôt faire une correspondance à Tokyo. »
Jodie soupira. Quand elle était petite, le métier de pilote lui paraissait merveilleux ! Synonyme de voyage, d'aventures… Mais sans un père dans sa vie, l'adolescente se sentait bien seule.
« D'accord, j'irai », dit la jeune fille.
Rassurée, sa mère cala son front contre la chevelure brune de son enfant.
Cela ferait du bien à sa fille de participer à ces réunions, elle y retrouverait des visages familiers, tisserait des liens plus profonds… et un jour, elle reprendrait le flambeau. Elle mènerait sa propre quête pour découvrir des preuves de l'existence d'Arda.
Mais ce soir, elles profitaient des dernières heures qu'il leur restait, blotties l'une contre l'autre dans ce petit salon, coupées du reste du monde et des Ténèbres qui rôdaient au-dehors.
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Debout face à son miroir, Galadriel regardait les images qui y défilaient sans en comprendre leur sens.
Il y en avait tant : la défaite de Sauron alors qu'Isildur lui coupait le doigt portant l'Anneau, la mort du roi, la découverte de l'Anneau par Gollum, puis Bilbon et… celle qu'elle détestait le plus : Sauron retrouvant son Anneau. Deux Hobbits gisaient morts à ses pieds, face à l'entrée de la Montagne du Destin.
Notre combat est-il vain ?
Elle avait dû faire un effort pour continuer de regarder dans le miroir. Elle voyait les Hommes décliner, se pliant lentement à la sombre influence de Sauron. Les Elfes fuyaient pour rejoindre Valinor, tandis que les Nains disparaissaient dans leurs cavernes, les rendant inaccessibles et si profondes qu'ils finissaient par se fondre dans l'obscurité.
Les Hommes continuaient leur vie malgré tout, inventant d'étranges machines bruyantes et modernes. Les forêts disparaissaient, le monde changeait, les pays portaient d'autres noms… Et pourtant, le miroir ne cessait d'attirer son attention sur certaines personnes. Des gens de différents peuples et pays, se nommant les Érudits. Ceux-là semblaient entretenir une lumière, un secret fondé sur l'ancienne vérité de ce monde.
En quoi ce maigre éclat d'espoir peut-il tous nous sauver ?
Elle regarda deux Érudits, une mère malade et sa fille, blottis dans un lit avec un chat gris, contempler un petit morceau de roche.
Plissant les yeux, l'Elfe réalisa que ce n'était pas un vulgaire caillou. Il s'agissait d'un minuscule fragment d'un des Silmarils !
Comment était-il arrivé entre les mains de cette femme ? Était-ce la clef ? Cet objet pouvait-il tout changer ? Les pierres de Fëanor pouvaient-elles influencer le cours du destin ?
Galadriel voulut en voir davantage, mais le miroir changea d'image, lui montrant cette fois les ruines de Dol Guldur.
La dame elfe grimaça intérieurement. La dernière fois qu'elle s'y était rendue, elle avait combattu l'esprit de Sauron. Cette lutte avait été rude, elle avait épuisé ses forces pour l'envoyer à l'Est.
La quantité de magie invoquée avait été si colossale que Saroumane avait affirmé, avant qu'ils quittent les lieux, que les ruines en garderaient des traces pendant longtemps.
Galadriel n'avait jamais remis les pieds là-bas, préférant rester en Lothlorien pour veiller sur son peuple.
Le miroir lui montra quelque chose de bizarre : l'endroit où elle avait combattu Sauron, sur l'esplanade. Sauf que le sol avait changé. D'ordinaire gris et sale, il semblait maintenant couvert d'étranges taches de couleur blanchâtres.
L'Elfe mit un instant à comprendre ce qu'elle voyait. Un hoquet surpris s'échappa de ses lèvres. Une telle chose était-elle possible ?
L'émotion brisa sa concentration, faisant disparaître les visions. L'eau du miroir redevint transparente, révélant un simple plateau d'argent.
S'écartant du miroir, Galadriel réfléchit. Aujourd'hui, il lui avait montré beaucoup de choses, mais rien dans tout cela ne semblait cohérent. Elle fut tentée d'en voir davantage, mais son intuition lui souffla qu'elle n'aurait rien de plus pour l'instant.
Le destin était une chose étrange. D'aucuns disaient qu'il était plus fort que les Valars eux-mêmes.
Pourtant, la dame elfe aurait aimé le comprendre. Non pas pour le contrôler, mais pour veiller à ce qu'il ne s'en prenne pas à ceux qui lui étaient chers.
À cause de lui, elle avait vu Fëanor massacrer les Teleri, le peuple de sa mère, rien que pour leur voler leurs bateaux. Son frère Finrod avait péri en affrontant Sauron. Et elle avait failli perdre sa fille, Celebrian, à cause des Orques. À l'idée que tous ces sacrifices aient été vains et que ce monde sombre dans les Ténèbres, elle frémit.
Non, elle ne laisserait pas Sauron gagner ! Elle l'avait déjà vaincu par le passé, elle y parviendrait encore.
Elle finirait par trouver un moyen. Son miroir ne lui avait pas montré toutes ces images par hasard, il y avait sûrement un message sous-jacent, quelque chose qui ferait pencher le destin en faveur de la Lumière.
Elle finirait par le trouver, elle en était sûre. Il fallait juste qu'elle s'arme de patience et continue d'observer, en attendant d'agir.
