La voiture d'Emma ne tarda pas à se stationner devant une grande bâtisse imposante. Du genre de celle qui respirait le luxe et la prétention. Et honnêtement, mettre un pied dans cette maison n'avait jamais été une partie de plaisir pour la détective. Sauf que là, elle n'avait pas le choix. Si elle voulait réparer, il fallait aller jusqu'au bout… Encouragée par sa fille, elle finit par quitter l'habitacle avant de gravir la légère pente qui menait jusqu'à la porte d'entrée anthracite. Elle inspira et se décida finalement à toquer.
« Candice ? entendit-elle sortir de la bouche d'une femme âgée aux yeux écarquillés de surprise.
- Bonjour Isaure…
- Mais c'était prévu ? Antoine m'a rien dit…
- Euh non ! En fait il sait pas que je suis là. Je suis rentrée de Valenciennes tout à l'heure mais je voulais absolument vous parler… Je peux entrer ?
- Oui, oui. Bien sûr… Vous voulez boire quelque chose ?
- Oh non, ça va, merci. Je passais rapidement en fait, lança-t-elle dans un sourire crispé.
- D'accord, accepta-t-elle durement en la toisant de son regard le plus froid possible.
- Je… Je voulais vous demander de m'excuser pour mon manque d'investissement dans ces préparatifs, je… j'ai été envahie par l'angoisse, c'est vrai. J'ai été aux abonnées absentes parce que dans ce genre de moment, je sais pas comment agir autrement. Et je sais que c'est mal hein. Mais c'est plus fort que moi…
- On sait tous que la communication n'est pas votre point fort, Candice. Mais quand même ! Là on a battu un record...
- Je sais, grimaça-t-elle. Et croyez-moi, je le regrette. Sincèrement.
- Hum…
- Puis là je ressors d'une semaine compliquée. Mon passé familial est très complexe et… c'est de là que viennent toutes mes angoisses…
- Antoine m'a raconté oui. Je suis désolée pour vous.
- C'est comme ça… Je peux plus rien changer maintenant. Et cette semaine a été compliquée mais salvatrice. J'ai enfin pu mettre des mots sur ce que je ressentais. Et je me sens mieux. Prête à repartir sur de nouvelles bases.
- C'est à dire ?
- Je… J'étais perdue c'est vrai, mais… J'ai beaucoup réfléchi et… si vous l'acceptez, j'aimerais vraiment que ce mariage ait lieu. Je sais que vous y avez mis tout votre cœur et je vous en remercie… Parce que sans vous, on en serait pas là…
- Mais vous avez conscience que c'est prévu pour dans 13 jours?! Que tout est loin d'être prêt?! Et qu'accessoirement mon fils pense toujours que vous voulez annuler ?
- En fait, plus vraiment…, osa-t-elle dans un léger sourire. Avant de venir vous voir, je suis passée le voir à son bureau… Et il a accepté de me refaire confiance et de m'épouser... à nouveau…
- En même temps c'est facile quand on sait qu'Antoine est incapable de vous refuser quoique ce soit.
Elle sentit les larmes monter, entendant toute la rancœur coincée dans la gorge de sa belle-mère.
Mais comment peut-on être sûrs que le jour-j vous n'allez pas le planter ? Hein? Non parce que c'est vrai… les retournements de situation avec vous, on connaît…
- Non je… Pas cette fois… J'ai bien vu à quel point j'avais pu le rendre triste et… ça m'a vraiment touchée. J'ai commencé à réparer tout ce qui dysfonctionnait à l'intérieur de moi. Je me sens mieux, plus en confiance et… Je suis sûre de moi.
- J'espère pour vous que cette fois vous ne le trahirez pas à nouveau. Je crois, de toute façon, qu'il ne le supporterait pas… Il a beaucoup encaissé déjà.
- Ja sais... Je... Je vous promets que cette fois y aura pas de problèmes. Puis c'est vrai, sans lui, je… Je sais pas ce que je ferais en fait, avoua-t-elle timidement.
- 13 jours donc, lança Isaure en récupérant son calendrier posé sur le buffet du salon.
- Oui! Et justement, je sais pas où vous en étiez mais comme j'ai loupé le rendez-vous chez le fleuriste la semaine dernière, j'en ai profité tout à l'heure pour en reprendre un demain.
- Bah oui. Faut bien vous trouver un bouquet quand même…
- Oui, sourit-elle. Puis même si tout n'est pas prêt comme on l'aurait voulu, tant que les papiers sont signés et qu'on peut faire la fête avec ceux qu'on aime… ça nous ira.
- Ah non ! protesta-t-elle. C'est le mariage de mon fils. Tout doit être parfait. Vous croyez qu'on se contente du minimum chez les De L'Estang?!
- Non, bien sûr…
- Voilà! Vous devriez le savoir avant de porter son nom, quand même!
- Faisons au mieux pour que cela soit parfait, alors. Vous voulez venir dîner à la maison demain soir ?
- Oui. J'amènerai le planning et les listes de ce qu'il reste à gérer comme ça. C'est une très bonne idée.
- Super ! À demain alors ?
- À demain oui. Bonne soirée Candice.
- À vous aussi. Et merci…»
Candice referma la porte en soupirant de soulagement. L'étape 2 était bouclée. Alors certes, Isaure ne la portait probablement pas dans le fond de son cœur vu tout ce qu'elle infligeait à son fils mais… elle pouvait compter sur elle pour organiser cet évènement. Un peu trop, peut-être même… Bah oui, l'ex-avocate se donnait corps et âmes pour le mariage de son fils. Son seul et dernier espoir… Et dieu sait qu'elle ne s'y était jamais attendue à ce mariage. Pas quand son propre enfant s'était démarquée par l'instabilité, les excès et l'insécurité. Mais comme quoi parfois, il suffisait d'une seule personne, d'une rencontre purement fortuite, pour tout changer…!
...
Attablé devant des tonnes de petites fiches, Jules releva brusquement la tête lorsque la porte d'entrée s'ouvrit soudainement sur un homme accompagné d'un bouquet imposant. Il sourit avant d'hocher la tête face à la démesure de sa mère.
«Salut! lança Antoine.
- Eh bah! T'as bien dû passer inaperçu avec ça, se moqua le jeune homme en ricanant.
- Ah ça…
- Tu l'as pas laissé à ton bureau?
- Trop gros… Ça tenait même pas sur mon étagère, expliqua-t-il dans un rire partagé avec son beau-fils.
- Elle est toujours dans l'excès…
- Hum, sourit-il. D'ailleurs elles sont où?
- Suzanne fait des essayages de robe avec maman. Secret d'État!
- Ouh là! Je vais pas monter alors, sinon je vais me faire engueuler…
- J'ai essayé mais on m'a claqué la porte au nez, lâcha-t-il fataliste en se replongeant dans ses papiers.
- Qu'est-ce que tu fais?
- Bah maintenant que vous vous remariez, je recherche mes menus… J'avais tout rangé moi…
- Ah oui, acquiesça-t-il alors qu'une petite brune dévalait les escaliers en courant.
- Papaaaa! hurla-t-elle en se laissant porter par son père.
- Ça va ma chérie?
- Ouais! J'ai choisi ma robe…
- Bien! Et alors? J'aurais le droit d'y jeter un œil?
- Bah non! C'est une surprise…
- Hum…
- Mais c'est quoi ce gros bouquet ? s'étonna-t-elle en fixant le comptoir de la cuisine.
- Hum… Je sais pas… il paraît qu'une suspecte un peu particulière est tombée amoureuse de moi, avoua-t-il alors que Candice se laissait apparaître au pied des escaliers.
- Candice va être jalouse…
- Tu crois ?rétorqua-t-il en redéposant sa fille sur le sol.
- Je dirais même super jalouse! intervint Candice tout sourire. Et elle s'appelle comment cette suspecte?!
- Alors là, commença Antoine faussement dubitatif, Aucune idée! Je sais juste que j'ai failli la coffrer pour outrage à agent, tentative d'intimidation et corruption de fonctionnaire.
- Oh… Rien que ça… s'amusa Candice avant d'encercler son cou de son plus beau sourire.
- Hum, acquiesça Antoine en attrapant sa taille. Merci… souffla-t-il contre ses lèvres qu'il ne tarda pas à capturer sous le regard dégoûté de Suzanne.
- Beurk… C'est dégueu quand ils font ça… lança-t-elle à son demi-frère.
- Je préfère ça que les entendre s'engueuler quand même…
La petite haussa les épaules avant de s'installer à table pour aider au tri des fiches cartonnées.
- Je t'ai dit oui, mais faudra en discuter quand même…
- Oui mais t'as dit oui…
- Oui, confirma-t-il avant de l'embrasser à nouveau.»
Soudain le portable du commissaire vibra sur le comptoir à leur gauche. Les deux tournèrent la tête et constatèrent la notification: Maman «Préparez le repas pour 13 demain soir. On fera un point sur tout ce qu'il faut préparer.»
«Treize?! s'époumonna Antoine. C'est quoi cette histoire?
- Ah oui, se rappela Candice en grimaçant. Il se pourrait bien que je sois passée voir ta mère pour m'excuser tout à l'heure… Donc j'en ai profité pour l'inviter à dîner demain soir.
- Ah oui, s'exclama Jules en récupérant son portable. Elle vient de mettre un message sur notre groupe d'organisation… Tout le monde sera là apparemment…
- Tout le monde combien?
- Bah treize, répéta Candice en comptant sur ses mains face au dépit d'Antoine. »
...
Assise dans le canapé, Candice s'était désormais attelée à la lecture des fiches menus retrouvées par Jules. Et il devait y en avoir une bonne dizaine, soupirait-elle en changeant de page. Définitivement, organiser un mariage n'était pas dans la liste de ses moments préférés. Mais là, il allait falloir prendre sur soi et se montrer bien plus investie pour ne pas blesser tout le monde, à nouveau…
«Tisane chérie?» entendit-elle résonner en cuisine. Candice accepta, laissant trôner ses 3 fiches préférées sur le dessus de la pile. La bouilloire siffla et rapidement, une tasse fumante fut déposée sur la table basse devant elle.
«Merci, sourit-elle à Antoine qui s'installait dans le canapé à son tour. J'ai sélectionné quelques fiches. J'en parlerai à Jules demain, expliqua-t-elle en se logeant dans les bras de son futur mari.
- Ok!
- Tu crois que tout sera prêt d'ici 13 jours?
- J'en sais rien… On fera au mieux et puis c'est tout…
- C'est ce que j'ai dit à ta mère mais tu la connais… elle veut le meilleur pour son fils chéri!
- Ouais…
- Puis toute façon, on a déjà le plus important: le lieu, les tenues…
- Les tenues ? la coupa-t-il avec surprise. T'as trouvé une robe?!
- Oui, confirma-t-elle tout sourire.
- Mais elle est où?
- Chez ma mère. Y avait besoin de quelques ajustements et comme elle connaissait très bien la couturière… ça n'a pas été difficile de la convaincre de s'en charger.
- Ah oui... un changement radical, dis donc…
- Hum… Elle a fini par admettre que c'était elle qui me rendait toxique avec moi-même. Tu sais, quand papa est mort, Laurent ça a été m'a bouée de sauvetage au moment où je voyais ma vie se briser en mille morceaux. Ça a toujours été celui qui m'a fait reprendre confiance en moi, qui m'a porté, en étouffant cette culpabilité que j'avais. Je suis tombée amoureuse de lui parce que c'était à la fois mon moyen de survie et une garantie de stabilité. C'était le seul qui m'aimait quand j'avais l'impression d'être détestée de tous pour ce que j'avais fait. Alors, quand il m'a trompé, tout ce que je croyais s'est détruit à nouveau. J'ai retrouvé mes doutes, mes angoisses, ma culpabilité… Je me suis même convaincue qu'il m'avait trompé par ma faute, parce que j'étais pas quelqu'un de bien, je…, confessa-t-elle difficilement alors qu'il l'enserrait tendrement. En fait j'avais perdu tous mes repères. Et ce week-end j'ai compris que j'aurais dû confronter mes parents beaucoup plus tôt pour retrouver cette stabilité que j'avais plus. Ça m'aurait sûrement permis de faire le deuil de cette histoire, de mieux comprendre la douleur de ma mère et de renouer avec des personnes que j'ai tellement aimées.
- Mais moi… Je t'apportais pas cette sécurité?
- Si… Bien sûr mais… avec David, avec Max c'était léger. Je m'étais attachée à eux, mais avec de la retenue. Comme ça, je me disais que si l'un d'eux venait à me quitter, ce serait moins douloureux. Mais toi c'est pas pareil. Je pouvais pas prendre le risque de te perdre parce que… je savais que j'y survivrais pas. Alors le mieux, quand on veut pas perdre quelqu'un, c'est de s'en détacher. Au début, t'as bien vu que ça avait marché… Je faisais comme si tu m'intéressais pas. Comme si ailleurs c'était mieux, mais après… après j'ai compris que je pouvais pas t'éviter éternellement. Ça a été long et difficile mais on a réussi tous les deux. Sauf que tu peux pas savoir comme depuis le jour où je t'ai dit oui j'ai peur. Peur que ça recommence. Peur de tout gâcher. Que ça se termine je... Je l'aurais pas supporté, tu comprends?
- Oui, se contenta-t-il d'acquiescer envahi par l'émotion.
- Retrouver mon oncle, comprendre que j'étais pas le problème et entendre les excuses de ma mère, ça m'a tellement rassurée. J'ai eu l'impression qu'un poids de 50 kilos s'envolait de mon corps. Bon pourtant, j'ai pas perdu un gramme sur la balance, s'amusa-t-elle en ravalant ses larmes sous le rire d'Antoine. Mais bon… trente ans plus tard, je suis prête à recommencer une nouvelle vie, avec toi et sans cette culpabilité qui me poursuivait.
- Ça m'empêchera pas de paniquer jusqu'au moment où j'entendrai le «oui» sortir de ta bouche devant monsieur le maire, hein!
- T'as encore 13 jours d'angoisse devant toi alors, sourit-elle en fixant la fumée qui émanait de sa tasse brûlante.
- Au pire je pourrais te séquestrer, proposa-t-il d'un ton faussement sérieux.
- Séquestration c'est quoi, 20 ans de réclusion criminelle, non…? Ce serait pas un peu cher payé quand même?
- Oh! Mais je vois que tu connais toujours aussi bien ton code pénal malgré tes nouvelles activités, ironisa-t-il alors qu'elle le frappait gentiment sur le torse.
- Je suis à bonne école en tant que future femme de flic, non?
- Hum, c'est vrai…
- Tu veux toujours m'épouser alors? osa-t-elle demander d'une voix enfantine.
- Bah, tiqua-t-il en grimaçant. Entre 20 ans de prison et le reste de mes jours à tes côtés, j'avoue que la question se pose en fait…
- T'es odieux, rigola-t-elle.
- Réaliste…
- Alors?
- Oui! se contenta-t-il de répondre avant de l'embrasser.
- Très bien alors maintenant que tu ne peux plus te rétracter, je voulais juste te prévenir que ma mère a insisté pour qu'on organise un dîner avec la tienne lorsqu'elle arrivera.
- Bon, c'est le moment de préparer les papiers du divorce alors…
- Mais elle a promis de se tenir sage. Et elle a fait une liste entière de questions à te poser…
- Mon dieu, qu'elle angoisse…! Pour quelqu'un qui déteste les flics, elle aurait peut être eu une brillante carrière...
- Ça va aller... Puis elle arrive pas avant la semaine prochaine toute façon.
- Bon bah tout va bien alors, mentit-il de son plus faux sourire.»
Bon, en réalité c'était plutôt un demi-mensonge. Parce que oui, finalement il pouvait le dire, tout allait bien. Il avait sa future femme dans les bras, une famille prête à se démener pour que d'ici 13 jours tout soit prêt et une angoisse qui venait de disparaître. Au profit d'une autre, certes. Mais au moins, la dernière était stimulante et entendait bien les porter jusqu'à l'autel, pour le meilleur et pour le pire…
