Chapitre onze
Dix ans plus tôt:
«Et là, ça fait combien?»
Orianna se concentra sur son exercice de calcul avec sérieux. Une petite veine ressortait sur son front, comme elle le faisait habituellement quand elle réfléchissait. Elle n'eut pourtant pas tant de mal à trouver la réponse, et annonça au bout de quelques secondes:
«Douze!»
Corin afficha un grand sourire, toujours plus impressionné par les facultés exceptionnelles de sa fille adorée. Il ne tarda pas à lui proposer un autre calcul, qu'Orianna résolut là aussi en quelques secondes. Quand elle en eut assez, son père ne la força pas à continuer plus longtemps et la laissa retourner jouer.
La vie était dure dans les bas-fonds. Malheureusement, son enfant n'avait qu'un accès limité à la lumière du jour et le Zaunite était forcé de lui donner cours à la maison. Emily et lui vivaient cachés depuis plusieurs années à présent, et permettre à leur fille d'aller à l'école pourrait les mettre en danger. Ils s'étaient donc résolus à la laisser vivre à la maison. A cause de cela, Orianna ne s'était jamais fait le moindre ami. Elle avait bien une poupée qu'elle appelait Cerise, mais cela ne lui apportait pas la compagnie d'enfants de son âge. Corin avait pris l'initiative de lui offrir un corbeau, un jour, mais l'animal était tombé malade et était mort quelques mois plus tard. Sa fille l'avait énormément pleuré, alors ses parents s'étaient promis de ne plus jamais lui faire subir une peine semblable.
Alors que Corin se plongeait dans sa lecture, quelqu'un toqua à la porte.
«Myriel!», s'exclama Orianna avec ravissement.
Elle courut vers le palier et ouvrit avec joie. Une femme dans la soixantaine se tenait là, un gâteau en mains qu'elle confia à la petite.
«C'est pour le dessert, fais bien attention à ne pas le faire tomber.», recommanda-t-elle.
Orianna hocha la tête et partit poser la pâtisserie sur la table. Depuis le jour de l'accouchement d'Emily, Myriel, la sage-femme, ne les avait plus quittés. Elle leur rendait régulièrement visite, attachée à cette enfant qu'elle avait aidée à naître.
Ce jour-là, pourtant, son visage adoptait les traits de l'inquiétude. Elle se dirigea vers Corin et le prit à part.
«Que se passe-t-il?»
«J'ai entendu dire qu'un conduit avait fuité dans le quartier. Il ne faut pas que vous restiez là. Quittez la maison ce soir et venez vivre chez moi le temps que la situation s'améliore.»
«Tu es sûre?»
«Certaine, oui. Fais très attention avec Orianna.»
«Emily rentre dans une heure, nous en parlerons à ce moment-là. Mais je ne veux pas abuser de ton hospitalité.»
«Tu ne le fais pas!», s'indigna Myriel. «Pense à ta famille.»
Une heure plus tard, Emily rentra du travail, épuisée. Elle voulut se reposer autour d'un café mais n'en eut pas le temps. Corin lui expliqua rapidement la situation et très vite, ils décidèrent qu'il valait mieux partir. Le couple rassembla des affaires à la hâte dans l'optique de fuir. Orianna, qui ne comprenait pas ce qui était en train de se passer, pleura à chaudes larmes. Elle ne voulait pas quitter sa maison... Ses parents la rassurèrent en lui promettant que ce ne serait que temporaire et qu'ils rentreraient vite. Finalement, après plusieurs minutes, la petite finit par céder.
Chacun son sac sur le dos, ils quittèrent leur foyer en compagnie de Myriel qui leur indiqua un chemin tout tracé à travers le quartier. Ils traversèrent les rues sombres, un tissu couvrant leur bouche. Ils n'avaient malheureusement nullement les moyens de s'acheter des masques à gaz, ce qui leur aurait été bien utile à cet instant. Alors qu'ils s'apprêtaient à sortir de la zone à risque, ils entendirent un grincement sinistre. Tendus, ils se tournèrent vers l'un des tuyaux longeant un mur. L'espace d'un instant, il ne se passa absolument rien. Le silence total régnait en maître dans la rue. Quand soudain, le tuyau céda pour une raison inexplicable. Ils furent alors frappés par les gaz de plein fouet. Paniqué, Corin prit Orianna contre lui et la força à courir. Emily et Myriel suivaient derrière lui, filant à vive allure.
Quelques minutes plus tard, quand ils furent certains de s'être suffisamment éloignés, le scientifique jeta un œil autour de lui pour s'assurer que tout le monde allait bien. Les deux femmes, bien que légèrement paniquées, ne paraissaient pas réellement affectées. Mais, lorsqu'il vit Orianna, la panique gagna instantanément l'esprit de Corin. Le tissu recouvrant la bouche de sa fille découvrait presque entièrement son nez. Elle avait, par ailleurs, les yeux rougis et se mit à tousser.
«Pourquoi ton masque ne recouvre-t-il pas entièrement ton visage?»
L'enfant, piteuse, regarda ses pieds et frotta vaguement le chemin de terre.
«Il m'empêchait de respirer alors je l'ai un peu enlevé.», avoua-t-elle finalement.
«Comment?», s'exclama Emily, en s'agenouillant immédiatement devant elle.
Orianna leur adressa un regard inquiet.
«J'ai fait une bêtise…?»
Corin et Emily échangèrent un regard paniqué. Visiblement, ils avaient tous deux pensé à la même chose. Simplement, ils ignoraient si cette angoisse trouvait sa source dans l'indéfectible instinct parental, ou si elle avait une réelle raison d'être. Ils prièrent uniquement de ne pas avoir sombré dans ce cauchemar…
OoOoO
Au manoir d'Heimerdinger, Viktor aidait Prune et le cuisinier à préparer le repas. Il coupa habilement une tomate en quartiers et déposa les morceaux dans un saladier. Alors qu'il s'apprêtait à faire de même avec un concombre, le professeur entra dans les cuisines.
«Hum, ça sent drôlement bon ce soir. Que préparez-vous?», chantonna-t-il.
«Une salade et un poulet rôti.», répondit automatiquement le garçon.
«Voilà qui semble fameux.», complimenta Heimerdinger.
«Vous voulez vous joindre à nous, monsieur?», proposa Prune.
Le Yordle, qui n'avait pas l'habitude de cuisiner, hésita un instant.
«Eh bien, pourquoi pas.»
Il se saisit d'un couteau et se positionna à côté de Viktor. Ce dernier lui adressa un léger sourire avant de lui donner son concombre.
«Vous savez éplucher?»
«J'imagine que ça ne doit pas être sorcier.»
Mais Heimerdinger tenait si mal son outil qu'il gâcha presque la moitié du légume tant ses épluchures étaient profondes et grossières. Viktor soupira, et voyant que son mentor ne s'en sortirait pas, lui prit le concombre des mains. Il le coupa en deux pour le rendre plus maniable avant de montrer le geste à adopter. Il parvint à sauver le légume tant bien que mal avant d'en faire des rondelles.
«Tu es très doué.», le félicita Heimerdinger.
«J'ai l'habitude de faire la cuisine, le geste vient avec l'expérience.»
«Autrefois, monsieur aurait fui dès l'évocation du mot «cuisine». Il n'y a pas à dire, vous faites des miracles, petit maître.», rit Prune.
«Ce qu'elle est en train de dire est parfaitement faux.», nia systématiquement le Yordle. «J'ai toujours aidé aux cuisines.»
«D'où votre capacité à réduire vos légumes en charpie.», conclut Viktor.
«Exactement! Qu'il est intelligent, ce garçon.»
L'enfant pouffa, trouvant sa réponse absurde.
«Au fait, à ce propos, Viktor.»
«Oui?»
«Tu ne m'avais pas dit que la professeure Asteria t'avait proposé de participer à la Fête du Progrès.»
Viktor se tendit automatiquement.
«Je ne compte pas participer.», dit-il simplement.
«Tu en es certain? Ce serait une occasion en or, pourtant…»
«Peut-être, mais je n'en ai pas envie. Il y aura trop de monde et je ne veux pas qu'on m'observe comme une bête de foire.»
«Mais…»
«Roh, n'insistez pas!», s'exclama sèchement le garçon.
Heimerdinger sursauta face à l'éclat de voix du plus jeune et retourna plutôt à la découpe de ses légumes, misérable.
OoOoO
Silco, assis sur le sol de sa cellule, les jambes ramenées contre lui, entendit des bruits de pas venir du couloir. Deux Pacifieurs apparurent et déverrouillèrent la porte dans un cliquetis insupportable aux oreilles du Zaunite, pour qui le moindre bruit semblait être un coup sur la tempe. Ils le saisirent par le coude et le menottèrent.
«J'ai faim.», grogna le Zaunite, qui ne s'était rien mis sous la dent depuis la veille au matin.
«Tu mangeras quand t'auras avoué.», répondit l'un des policiers, de marbre.
«Je mourrai dans cette cellule, alors.»
«C'est pas notre problème. Avance.»
De son fusil, le soldat appuya sur le dos de Silco pour le forcer à les suivre. Le prisonnier, la tête haute, sortit de sa cellule pour son interrogatoire quotidien. Les Pacifieurs se plaisaient à user d'intimidations pour le faire parler, mais l'homme s'était résolu à ne rien avouer. Il sortirait d'ici et serait innocenté. Après quoi, il se promettait d'offrir à Piltover la meilleure des vengeances. Ou peut-être la pire, cela dépendait du point de vue…
Il entra dans la salle exiguë, dans laquelle se trouvait la sheriff Grayson, en train de manger son petit-déjeuner. Silco fut assis et menotté à la chaise. Il ne pouvait plus bouger du tout.
«Bien dormi?», demanda la cheffe des Pacifieurs.
Le Zaunite lui jeta un regard de mort.
«Dans votre intérêt, je vous conseillerais d'être légèrement plus… coopératif.»
«Comment va Vander?»
C'était bien la dixième fois qu'il posait cette question. Et bien entendu, personne ne voulait se donner la peine de lui dire quoi que ce soit.
«Vous n'aurez pas de nouvelles de votre ami tant que vous n'aurez rien avoué.»
«Je risque d'attendre longtemps, alors, puisque je n'ai rien à cacher.»
Grayson trancha du pain et le beurra avant de le mettre en bouche. Il sentait horriblement bon. Au vu de l'odeur, il sortait à peine du four. Silco la soupçonnait d'utiliser la faim comme technique pour le faire parler. Mais elle ne saurait rien, c'était peine perdue.
«Vous en voulez?», eut-elle l'audace de demander.
Le Zaunite serra les poings et lui adressa un regard menaçant.
«Vous n'êtes pas très coopératif, dommage pour vous.»
«Je n'ai rien à me reprocher. Relâchez-moi.»
«Ce n'est pas ce qui dit votre passé, Silco. Je me suis renseignée à votre sujet, et vos précédents actes amènent à penser que vous ne soyez pas aussi blanc que vous essayez de nous faire croire. Il semblerait que vous ayez fait partie d'un groupuscule d'indépendantistes il y a plusieurs années. Les Souris Vertes, c'est bien cela? Ils seraient responsables de plusieurs meurtres de Pacifieurs et de trafic de drogue. Vous et votre ami Vander sembliez très attachés à ce groupe.»
«C'était il y a très longtemps. J'étais qu'un marmot qui y comprenait rien. En plus, si vous regardiez attentivement mon dossier, vous vous rendriez vite compte que j'ai déjà purgé ma peine. Ca fait quinze ans que je suis libre.»
«Effectivement, vous avez fait trois ans de prison pour association à une bande bien qu'à l'époque, vous n'ayez jamais attenté à la vie de qui que ce soit, avouez que cette information ne joue pas en votre faveur. Qu'est-ce qui pourrait me faire croire que vous avez changé?Surtout en vous intéressant de près à une Conseillère. »
«On n'a jamais voulu faire de mal à votre Conseillère, je vous l'ai déjà dit. Après mon retour de prison, Vander et moi avons voulu changer. On a merdé, on le sait. C'est pour ça qu'on a créé ce bar. On voulait construire un endroit où les gens pourraient se réfugier et oublier leurs soucis. Certes, on aimerait rendre à Zaun son indépendance, mais on ne veut plus causer de problè il me semble qu'on a encore le droit de vivre, même en tant que Zaunites. Votre Conseillère souhaitait créer une alliance et on a voulu voir ce que ça pourrait donner. C'est tout.»
«En l'envoyant dans l'endroit le plus dangereux de Zaun? Sans la prévenir à l'avance?»
Offusqué, Silco tira sur ses menottes.
« Combien de fois il va falloir que je vous le répète? On vous a fait venir justement pour ne pas la mettre inutilement en danger! Regardez où ça nous a mené, même en lui disant de venir accompagnée d'une troupe de Pacifieurs. Vous nous croyez vraiment stupides au point de tenter de la faire tuer? Qu'est-ce que ça nous aurait apporté, hein? Ca n'aurait jamais réglé les problèmes à Zaun, et on aurait fini en prison pour le restant de nos preuve! »
La sheriff adressa un regard aux deux Pacifieurs présents dans la pièce. Comprenant l'ordre silencieux, ils se dirigèrent vers le Zaunite et l'un d'eux leva sa matraque. Là, il lui asséna un violent coup sur la tempe. Silco perdit l'équilibre et tomba avec sa chaise dans un bruit sourd. L'autre Pacifieur lui donna alors un puissant coup de pied dans le ventre. Le prisonnier eut le souffle coupé et se mit à tousser. Grayson se leva avant de venir s'accroupir devant lui. Là, elle le prit par le col avant de le redresser en position assise. La chaise émit un horrible grincement alors qu'elle le soulevait du sol.
«Ne joue pas au plus malin avec moi, Zaunite. Je sais que Marcus et toi avaient parlé. Et je trouve ça très louche que l'enfant se soit mystérieusement endormi sans qu'il en ait le souvenir.»
«Vous lui avez fait faire des tests pour un potentiel Alzheimer?», répondit Silco dans un sourire.
Elle lui asséna un violent coup dans le nez, qui se mit à saigner avec abondance.
«Gracieux.», grogna le Zaunite.
«De quoi avez-vous parlé, avec Marcus?Décris-moi votre conversation en détails, et dis-moi comment Jayce s'est endormi.»
«Marcus vous l'a pas dit?»
«Je veux entendre ta version.»
«Jayce était fatigué après notre visite du bar. Il est simplement parti se coucher. Il n'avait pas l'air très bien ce jour-là, alors il m'a demandé s'il pouvait utiliser les canapés du salon. C'est tout. Quant à Marcus, on s'est posés tous les deux devant le bar et on a parlé des conditions des Zaunites. On s'est disputés sur la fin, mais c'est tout.»
La sheriff le lâcha avec rage et grogna. Silco, de son côté, jubilait. Au cas où la police venait à soupçonner la discussion entre les deux hommes, il avait donné à Marcus des indications précises sur les réponses à donner. Il avait ainsi inventé une version commune à tous deux, qui leur évitait de se contredire et d'inventer des mensonges sur le tas. Actuellement, Grayson n'avait strictement rien qui pouvait la retenir de le libérer. Pourtant, elle restait la plus haute autorité des forces policières des deux cités. Si elle voulait garder Silco en garde à vue, alors elle le laisserait croupir aussi longtemps que nécessaire jusqu'à ce qu'elle ait une preuve le culpabilisant. C'est pourquoi, le Zaunite avait absolument besoin de Marcus s'il voulait sortir d'ici.
«Renvoyez-le dans sa cellule, j'en ai assez vu pour aujourd'hui.»
Les soldats se saisirent de l'homme sans grâce et le firent sortir de la pièce. Silco avait la tête qui tournait terriblement. Il avait été complètement sonné par les coups donnés à la tête. Il marcha jusqu'à sa geôle en titubant, et une fois arrivé, les Pacifieurs l'y poussèrent sans ménagement. Le Zaunite s'effondra sur le sol tandis que les deux hommes s'apprêtaient à repartir.
«Vous ne m'avez pas détaché les mains.»
L'un d'entre eux émit un rire gras et ils s'en allèrent.
«Fils de chiens…», marmonna Silco avant de perdre connaissance.
OoOoO
Assise dans la salle de repos, Grayson ruminait. Depuis qu'ils étaient revenus de la basse-ville et que Silco avait été arrêté, elle avait l'impression de tourner en rond. Elle voyait très clair dans le jeu du Zaunite, et se rendait bien compte qu'il se moquait d'elle. Il lui cachait quelque chose, elle le voyait dans son regard. Il avait beau joué les innocents, elle avait pris l'habitude de communiquer avec les gens de son espèce. Dans «espèce», elle ne pensait pas aux Zaunites, mais aux personnes manipulatrices, qui préparaient dix coups à l'avance pour se dédouaner de tout acte. Ce que Silco ignorait, c'est que son instinct ne la trompait jamais. Quand quelqu'un se jouait d'elle, elle s'en rendait compte immédiatement. Seulement, bien qu'elle ait un rang haut placé dans les services de la cité, elle ne possédait pas la décision finale de garder Silco en garde à vue. Si ses supérieurs trouvaient qu'elle passait trop de temps sur cette affaire, ils finiraient par faire pression pour que l'homme soit relâché. Pour beaucoup, il y avait plus urgent à traiter que l'histoire d'un caïd qui s'était frotté à plus gros que lui. L'inspection du bar n'avait rien donné. Les analyses sanguines de Jayce n'avaient rien donné. Interroger Silco n'avait rien donné. Interroger Marcus n'avait rien donné non plus. C'était comme si le Zaunite était entièrement blanc, sans qu'il n'ait jamais rien eu à se reprocher. Et ce constat la mettait hors d'elle. Une question ne cessait de tourner en boucle dans sa tête: pourquoi des indépendantistes certifiés chercheraient-ils à s'allier à Cassandra Kiramman?
OoOoO
Viktor et Emalya patientaient tranquillement avant l'arrivée de la professeure Asteria. La fillette dessinait un autoportrait. Ou alors, c'était le portrait de sa sœur, Viktor n'était pas sûr. Quoi qu'il en soit, il trouvait ses dessins toujours aussi beaux.
«Alors, t'as parlé avec Jayce, hier?», interrogea-t-elle soudain, les yeux rivés sur sa feuille.
Le garçon grommela.
«Pourquoi il fallait que tu me poses cette question?»
Elle haussa les épaules.
«Juste comme ça.»
Viktor soupira.
«Oui, on a parlé.»
Cette fois-ci, Emalya se tourna vers lui, curieuse.
«Alors?»
«J'en sais rien.»
«Tu sais pas quoi?»
«On a parlé de pas mal de choses. Il est gentil. Mais… je sais pas, il y a quelque chose de bizarre avec lui.»
«Bizarre comment?»
«Je sais pas.»
«Donc, si je comprends bien, tu ne sais rien.»
«Euh… oui, c'est ça.»
La fillette cala son dos sur sa chaise avant de regarder le plafond.
«Hum… Mais est-ce que tu sais que tu ne sais pas?
«Comment ça?»
«Bah, si tu sais que sans le savoir, tu sais, ben ça peut vachement t'aider avec Jayce. Par contre, si tu ne sais pas que tu sais, et qu'en même temps tu sais donc tu devrais savoir, alors là bon courage.»
«J'ai rien compris.»
Emalya faisait mine de réfléchir. Soudain, elle fit tourner son pinceau plein d'encre autour du visage de son ami. Un peu trop près de son visage, à vrai dire. Viktor recula légèrement.
«Conclusion: vous êtes tous les deux bizarres.»
«Hein?»
La fille ne répondit rien et reprit son œuvre, paraissant fière de son raisonnement. Quelques instants plus tard, la professeure Asteria entra dans la salle de classe, un dossier en mains. Elle le posa sur le bureau avant de se diriger vers Viktor, qui avait la tête tournée vers la fenêtre.
«Bonjour.», fit-elle dans un sourire.
Le Zaunite sursauta, ne s'attendant pas à être abordé. Il rougit.
«Tu as repensé à ma proposition?»
«Euh… Pas honnêtement,je ne pense pas que j'accepterai…»
«Ah bon? Pourquoi donc?»
«Je ne suis pas sûr d'en être capable…»
«Nous en reparlerons plus tard, mais je crois que tu ne dois pas sous-estimer tes capacités. Je ne t'aurais pas proposé de réaliser ce projet si j'avais douté un tant soit peu de ton talent, Viktor. Et puis, ça pourrait te donner des opportunités pour l'avenir. En plus, tu n'aurais même pas à parler devant qui que ce soit, c'est moi qui m'en chargerai.»
Viktor s'enfonça légèrement sur sa chaise, mal à l'aise. Remarquant sa réticence, Asteria n'insista pas davantage.
«Je te laisse tranquille.», fit-elle en lui pressant la main. «Allez, concentrez-vous sur le cours, hein.»
Elle repartit sans un mot de plus. Emalya, qui avait remarqué le soudain mal-être de son ami, lui frotta gentiment le dos. Ce geste ne lui fit ni chaud ni froid.
A la table d'à côté, Clarisse, la Vastaya, avait suivi l'échange avec attention. Furieuse de comprendre ce dont il était question, elle se tourna vers Eliass et lui chuchota à l'oreille.
OoOoO
Cassandra Kiramman à pas prudents dans les rues de la basse-ville. La veille au soir, elle était allée rendre visite à Jayce afin de lui demander le nom de la précieuse amie de Vander. Souhaitant désespérément s'unir avec Zaun, elle pensait que venir par elle-même, sans être accompagnée, serait le meilleur moyen de prouver sa bonne foi. Si Vander avait été honnête, cependant. A vrai dire, il avait été si complexe de démêler le vrai du faux qu'elle ne savait plus qui croire. La plupart des gens évitaient les personnes soupçonnées d'une tentative de meurtre. D'autant plus quand la potentielle victime se trouvait être soi-même. Mais dans le cas de Cassandra, la situation était différente. Il n'était pas uniquement question de sa propre vie. Il en valait du destin de la ville. La matriarche ne pouvait se passer d'alliés Zaunites. Il lui fallait à tout prix trouver une solution pour gagner leur confiance.
Aujourd'hui encore, la femme avait délaissé ses riches vêtements pour quelques guenilles. Elle s'était également munie d'un révolver, au cas où. Bien qu'elle n'ait pas l'aisance de son mari au tir, elle savait se débrouiller. Elle ne souhaitait pas se faire remarquer, une capuche bien rabattue sur sa tête. Au loin, Cassandra aperçut la devanture de La Dernière Goutte. Elle avait écrit un message au préalable, expliquant la situation à la prénommée Felicia, en espérant que la femme le trouverait. La matriarche ne pensait pas tomber sur elle, à moins qu'elle ait énormément de chance.
Alors qu'elle atteignait l'enseigne, Cassandra se figea, sous le choc. La porte avait été défoncée. Elle entra d'un pas prudent, un regard analytique glissant sur la pièce principale. Elle savait que la sheriff Grayson était venue pour trouver une éventuelle drogue ayant mis Jayce à mal. Et il fallait dire que son équipe s'était adonnée au plaisir de tout détruire. Partout, du verre brisé tapissait le sol poussiéreux. Les tables et les chaises avaient été retournées, jetées dans tous les sens. La matriarche marcha vers le bar. Un message marqué du sceau des Pacifieurs y avait été déposé.
Zaunites,
Jouer avec le feu n'aidera pas votre ville à se développer. Notre gouvernement s'évertue à vous protéger, et si vous tentez de porter atteinte à notre nation, vous en subirez les conséquences.
Sachez que toute forme de trahison est passible d'une peine de prison.
Vous êtes prévenus
Cassandra fronça les sourcils. Elle connaissait les messages laissés à ceux qui tentaient de s'en prendre aux forces gouvernementales, cependant, elle craignait que ce genre de méthodes ne soit contreproductif. Commencer par bannir ces actes seraient sûrement un bon début. Elle devait à tout prix gagner la confiance des Zaunites.
Alors qu'elle s'apprêtait à repartir, déposant là le message à l'encontre de Felicia, Cassandra entendit des bruits venant du sous-sol. Il y avait quelqu'un. Prudente, elle sortit son arme et marcha vers la sortie à reculons le plus discrètement possible. Des pas résonnèrent dans l'escalier. Le cœur de la matriarche fit un bond dans sa poitrine. Alors qu'elle s'était presque échappée, elle entendit le cliquetis d'une arme qu'on chargeait. Une goutte de sueur s'écoula le long de sa joue et elle pointa vivement son révolver vers l'escalier. Une femme d'à peu près son âge, une longue natte mauve descendant sur son épaule, la tenait en joue.
«Qui êtes-vous?», demanda l'inconnue d'un air mauvais.
La matriarche déglutit. Il s'agissait sûrement de la personne qu'elle recherchait. Pourtant, aucune d'entre elles ne baissa son arme.
«Vous êtes Felicia?»
«Si c'est le cas, qu'allez-vous faire?»
«J'ai un message de Vander. Il vous est adressé.J'aimerais vous parler.»
Le doute traversa le regard de la Zaunite.
«Vous êtes une Pacifieur.», accusa-t-elle.
«Non. Non, je ne le suis pas. Mais je sais ce qui est arrivé à Vander, et je suis venue vers vous sur sa demande.»
«Je sais déjà ce qui lui est arrivé. Silco et lui ont été arrêtés et sont sous le joug de vos petits amis. Vous ne m'apprenez rien.»
«Pourquoi vous évertuez-vous à penser que je suis Piltovienne?»
«Ca se voit à votre visage, pardi.»
Cassandra s'apprêtait à répliquer quand, de nouveau, elle entendit quelqu'un monter. Bientôt, un homme à la carrure imposante et à la barbe finement taillée fit son apparition. Automatiquement, il posa sa main sur le bras de Felicia, lui faisant signe de baisser son arme.
«Calme-toi, Feli. Inutile de déclencher un nouveau bain de sang. Peut-être devrait-on écouter ce qu'elle a à nous dire?»
«Rien ne dit qu'on puisse lui faire confiance. Si elle veut se faire écouter, qu'elle commence par abaisser la sienne.»
Ne souhaitant pas empirer la situation, Cassandra se pencha lentement vers le sol et déposa son révolver. Puis, elle leva les bras en signe de paix. A son tour, Felicia fit de même. Elle lui adressa un regard rempli de hargne:
«Alors, qu'est-ce que vous avez à me dire?»
La matriarche soupira. Elle s'assit sur l'une des chaises hautes et croisa ses doigts. Il était compliqué d'aborder ce genre de sujet, surtout avec une inconnue…
«Silco est en garde à vue depuis trois jours, il est vrai. En ce qui concerne Vander…»
Elle se pinça les lèvres, ne sachant pas réellement comment aborder le sujet.
«Quoi? Qu'est-ce qu'il a?», paniqua Felicia.
«Il a été gravement blessé lors de la mission qui lui a valu son arrestation. Son crâne a été en partie fissuré et il a perdu certaines capacités. Bien qu'il soit hors de danger grâce à nos médecins, il restera en partie paralysé pour le reste de sa vie. Je suis désolée.»
La Zaunite manqua de flancher. Son ami, dont Cassandra ne connaissait pas le nom, l'aida à s'installer sur l'un des tabourets devant le bar. Felicia plongea la tête dans ses mains.
«Vous êtes certaine de ce que vous avancez?», interrogea l'homme.
«Absolument, oui. Je l'ai vu pas plus tard qu'hier. Actuellement, il est conscient, mais il ne peut pas parler.»
«Comment connaissez-vous mon nom, alors?»
«Grâce à Jayce. Il va le voir régulièrement.»
«L'enfant?», demanda Felicia avec une pointe de mépris.
«Celui-là même. Vous pose-t-il problème?»
«Il faut dire que beaucoup de choses ont changé depuis qu'il est apparu. Mes amis ont changé, et nos vies aussi. Je n'ai rien contre lui en soit. Par contre, je n'apprécie pas les personnes à qui il est affilié.»
«Feli.», fit l'homme à côté d'elle, qui posa une main sur son épaule pour la prévenir de ne pas parler davantage.
«Non, Benzo, il faut que j'en parle. La vérité, c'est que mes deux meilleurs amis se sont mis en tête de se rapprocher de la Conseillère Kiramman et que ça a mal tourné pour eux. Et ça, vous le savez très bien. Les Pacifieurs n'auraient jamais accepté que des Zaunites tentent de faire ami-ami avec leur gouverneure adorée. Et elle, c'est exactement pareil. Elle espérait simplement établir sa base ici, et maintenant que Vander et Silco ont été arrêtés, ce n'est plus qu'une question de temps avant que des Pacifieurs s'y installent. On parie combien qu'ils vont devoir payer de leur bar le prix de leur libération?»
«Ce n'est pas ce qui s'est passé.», démentit immédiatement Cassandra.
«Alors quoi?»
«Nous avions effectivement l'intention de créer une alliance avec Vander. C'est lui qui a fait parvenir une lettre pour nous montrer ce qu'il se passait réellement dans la basse-ville. Il nous a emmené au Puisard pour cela. Mais nous avons été attaqués par… quelque chose dont on ignore encore la nature véritable. La sheriff Grayson a cru que Vander et Silco avaient tenté de nous piéger, d'où leur arrestation. Mais ce n'est pas tout. Les Pacifieurs soupçonnent que lors de l'opération, Silco ait drogué Jayce, qui se trouvait avec lui dans le bar, pour une raison qu'il nous reste à clarifier. Votre ami avait-il l'habitude de consommer ou de revendre de la drogue?»
Felicia lui adressa un regard méprisant:
«Non. Ici, c'est politique zéro. Et ce depuis plusieurs années.»
«Vous ne le pensez pas capable d'en arriver à droguer un enfant?»
«Et pour quoi faire, hein? Ca lui apporterait quoi, à Silco, de s'en prendre à Jayce? Grayson essaie juste de le faire inculper pour avoir son quota de criminels derrière les barreaux et faire peur aux Zaunites. Mais moi, y a autre chose qui me taraude depuis un moment. Comment ça se fait qu'une nana sortie de nulle part, qui n'est absolument pas Pacifieur, s'y connaisse si bien et soit descendue avec eux dans les bas-fonds?»
«Je…»
Cassandra baissa la tête, ne sachant que lui dire. Si elle donnait son identité, elle était persuadée de se faire abattre dans l'instant.
«C'est vous, pas vrai?», dit Felicia d'une voix blanche. «Je sais pas trop à quoi vous jouez, mais je vois pas d'autre explication. Vous êtes la Conseillère.»
La matriarche déglutit. Elle fut prise d'un petit rire nerveux. Elle se rendit alors compte à quel point son manque de discrétion l'avait trahie. C'en était ridicule. Finalement, comprenant que de toute manière, Felicia ne lâcherait pas l'affaire, elle avoua:
«Oui, en effet, c'est bien moi.»
Le visage de la Zaunite se déforma sous les traits de la haine. Méconnaissable, elle saisit Cassandra par le col et la plaqua violemment contre le bar. La matriarche était presque à moitié couchée sur le comptoir, dont le bois lui sciait le dos. Elle poussa un gémissement de douleur. Bientôt, une arme fut pointée sur sa tempe. Benzo, sidéré, n'avait pas eu le temps de retenir son amie.
«Tout ça, c'est de ta faute, connasse…», fit Felicia, les dents serrées. «A toi et tes petits copains du Conseil. Les gens qui crèvent dans les mines, ceux qui ont faim, et maintenant, tu me prends mes deux meilleurs amis aussi… T'en as pas assez de semer partout la terreur et la désolation? Non, il fallait aussi que tu t'en prennes à deux pauvres gars qui avaient rien demandé!»
«Si vous me laissiez vous expliquer…»
«Y a rien à expliquer! Le message est très clair: «essayez de vous rapprocher de nos gouverneurs et vous ferez un allez simple en taule». Et si le seul moyen de retrouver mes amis est de te trouer la cervelle, alors j'hésiterai pas une seule seconde.»
«Ca ne vous avancerait à rien, vous vous feriez abattre dans l'heure.»
Mais Felicia n'écoutait pas. Elle n'écoutait plus. Les mains tremblantes, le regard perdu, elle dit simplement:
« Rends-les-moi. Rends-moi mes frères…»
De nouveau, Benzo posa une main sur son épaule.
«Arrête ça. Ca t'avancera à rien de la tuer. Tu risques juste ta peau, et de mettre Vander et Silco encore plus en difficulté. Et tu as une fille. Pense à Violet.»
Finalement, la Zaunite laissa son bras retomber mollement et lâcha son arme. Elle ferma les yeux, alors qu'une larme silencieuse s'écoulait le long de sa joue. Benzo l'éloigna un peu et la prit contre lui. Elle éclata en sanglots.
«Je suis désolée…», pleura-t-elle. «Je suis désolée… Mais je suis tellement inquiète. Et s'ils ne rentraient jamais?»
Cassandra se redressa et posa une main contre sa poitrine, le cœur battant la chamade. Elle réalisait qu'elle venait, de nouveau, de frôler la mort de très peu. Deux fois en moins d'une semaine, c'était plus qu'en une vie entière.
«Tout dépendra de ce que trouveront les Pacifieurs. Pour ma part, je ne pense pas qu'ils aient voulu attenter à ma vie. Je ne souhaite pas leur incarcération et j'espère pouvoir régler cette situation.»
«Pourquoi?»
«Hormis améliorer vos conditions de vie, rétablir les liens entre Piltover et Zaun est une nécessité pour la pérennité de nos deux villes.»
«Vous ne comprenez pas. Même si vous parveniez à venir en aide aux gens d'ici, la situation resterait la même. Vous ne voyez pas qu'on recherche la liberté? Que c'est également ce que souhaitent Vander et Silco? Ici, on veut tous l'indépendance de notre cité. Piltover n'a fait que nous exploiter pendant des décennies. C'est à cause d'elle que nous sommes dans ces conditions aujourd'hui. Alors, vos jolis discours sur la paix et la prospérité, on s'en contrefiche.»
«Vous ne pourrez pas obtenir l'indépendance. Même si j'arguais en votre faveur, le Conseil ne l'accorderait jamais. Il va falloir trouver une autre solution.»
«Dans ce cas, vous êtes seule dans votre délire utopique.»
Cassandra voulut répliquer, mais Felicia la coupa immédiatement:
«Maintenant, dégagez d' ne revenez pas.»
«Vous ne voulez pas de nouvelles de votre ami?»
«Je suis une grande fille, j'irai le voir moi-même.»
La matriarche fronça les sourcils.
«Il est en garde à vue, malgré son hospitalisation. Il n'a pas le droit de recevoir la visite de proches.»
«Je vous demande pardon?»
«C'est la loi qui l'exige. Imaginez s'il avait réellement cherché à commettre un crime et qu'il vous relayait l'informationpour le faire à sa place? On ne peut pas se permettre de prendre ce genre de je vous déconseille d'essayer de le contacter malgré tout. Vous pourriez vous mettre inutilement en danger.»
«C'est un cauchemar…»
«Attendez que la situation s'améliore. Je vous tiendrai au courant de la suite.»
«Je ne peux pas vous faire confiance.»
«Est-ce que vous avez le choix? Ou préférez-vous rester dans l'ignorance pendant peut-être plusieurs semaines?»
Felicia ferma les yeux, paraissant désespérée. Benzo, pour sa part, prit un morceau de papier et y nota quelque chose. Ensuite, il le tendit à la Conseillère.
«C'est l'adresse de ma boutique. Vous pourrez venir m'y rendre visite pour me transmettre les informations.»
«Bien.»
Cassandra rabattit sa capuche sur la tête et partit sans un mot de plus, le cœur battant toujours aussi vite. Elle se fit la promesse de prendre un bain relaxant une fois rentrée.
OoOoO
Une fois que la silhouette de la Conseillère disparut, Felicia se précipita derrière le bar. Partout étaient éparpillés des morceaux de verre, du papier ou des boîtes en tous genres. Mais surtout, les Pacifieurs avaient déversé par terre une collection complète de thé en vrac. La femme se mit à fouiller frénétiquement dans les feuilles moulues.
«Qu'est-ce que…?», fit Benzo.
«Tu connais l'armorite?», lui demanda Felicia.
«La mauvaise herbe?»
«Une fois qu'on la broie, qu'on la mélange à des feuilles d'osthalie et qu'on la fait infuser, ça crée un somnifère.»
«Comment tu sais ça, toi?»
«C'est moi qui l'aie découvert. Avec Vander et Silco, on l'utilisait pas mal quand on faisait partie des Souris Vertes. C'est un procédé extrêmement simple, mais personne ne le connaît à part nous trois. Et le moyen qu'on a utilisé pour le cacher des Pacifieurs, c'est de le mélanger dans les boîtes à thé. Quand Silco est rentré de prison, il y a quinze ans, on s'est fait la promesse de plus jamais en recréer. Vander a vraiment adopté une politique anti-drogue, mais peut-être que Silco ne l'a pas respectée…»
«Tu le penses capable de droguer un enfant?C'est pourtant ton meilleur ami, Feli.»
«Je sais bien. Mais honnêtement, malgré tout le temps qu'on a passé ensemble, je n'ai jamais réussi à savoir ce qu'il avait en tête… Alors, une bévue de plus ou de moins, ça ne m'étonnerait pas forcé -moi une loupe, ou quelque chose qui me permettra de voir précisément.»
Benzo s'exécuta, espérant trouver dans le bazar créé par les Pacifieurs une loupe en bon état. Après plusieurs longues minutes de recherche, il trouva finalement un morceau de verre qui grossissait les objets. Il aurait préféré trouver autre chose, mais c'était mieux que rien. Entre temps, Felicia avait ramassé le thé à l'aide d'une pelle et d'une balayette et avait étalé le tout sur le bar. Son ami lui tendit l'objet et elle se mit à observer le tout avec minutie. Elle fit jouer les brins de thé entre ses doigts, les étudiant presque à l'unité.
«Alors, tu trouves quelque chose?», demanda Benzo au bout d'un moment.
«Non, rien du tout. J'ai dû me tromper…»
Mais alors qu'elle s'apprêtait à reposer le morceau de verre, elle s'arrêta net.
«Attends.»
Felicia prit entre ses doigts fins un brin. Il était minuscule, ne devant pas mesuré plus de trois millimètres. La femme pâlit.
«C'est de l'armorite.»
«Tu crois?»
«Regarde.»
Elle tendit son doigt en direction du vendeur, qui a son tour, étudia l'objet.
«Tu vois cet aspect un peu crépu?»
«Oui, je le vois, en effet.»
«C'est la forme qu'elle prend quand on l'é devrait y en avoir d'autre.»
De nouveau, Felicia se concentra sur les feuilles de thé broyées. Elle se rendit alors compte qu'il en était infesté.
«Putain.», pesta-t-elle. «A quoi il joue, bordel? Je vais le tuer.»
La femme s'installa sur une chaise haute et se frotta le visage, épuisée.
«Qu'est-ce qu'on fait?»
«On le couvre. Il faut tout brûler. Tout. Et on vérifie la réserve. Ca va nous prendre plusieurs jours. A tous les coups, il en a caché partout. Faudra passer faire un tour chez lui, aussi. Si les Pacifieurs viennent à savoir, alors il est foutu.»
OoOoO
Le cours de physique terminé, Viktor poussa un long bâillement. Il se frotta légèrement les yeux. Il était épuisé de ne plus réussir à s'endormir la nuit. Emalya, à côté de lui, s'étira longuement. Elle aussi paraissait fatiguée.
«Il faut que j'aille à la bibliothèque.», annonça-t-elle soudain. « Il y a un livre que je dois emprunter.»
«Toi? Lire?»
Elle lui tira la langue.
«Tu iras me garder une place à la cantine, en attendant? Je meurs de faim et j'ai pas envie de faire la queue.»
«D'accord.»
«Merci, Super-Viktor.»
«C'est ça, c'est ça. Allez, va chercher ton bouquin.», fit le garçon d'un geste ennuyé de la main.
«A tout à l'heure!»
Emalya partit d'un pas joyeux, et Viktor esquissa un léger sourire. Il rangea tranquillement ses affaires, s'appuya sur sa canne, et se leva. Son amie avait raison: il ne devait pas trop traîner s'il voulait trouver de la place. Il sortit de la classe de son pas claudiquant, son sac en bandoulière bien ancré sur son épaule. Avant de partir manger, il fit un détour par les toilettes. Il s'y lava abondamment les mains et passa un coup d'eau sur son visage. Là, il observa son reflet avec exaspération. Ses traits, tirés par la fatigue, témoignaient d'une lassitude qui ne voulait pas partir. Entre son humeur fluctuante et ses crises d'angoisse chez Heimerdinger, il ne parvenait plus vraiment à tenir le coup. Il essayait vainement d'aller mieux, passant du temps avec Emalya, avec son mentor, avec Althea et travaillant beaucoup pour se sortir de la tête ses pensées moroses, mais son état psychologique ne faisait qu'empirer. Il n'en parlait jamais, cachant ses idées sombres au fond de lui, ne souhaitant plus qu'elles affectent Heimerdinger, qui lui donnait déjà énormément de son énergie et de son temps. Pourtant, la vérité était là: il ne dormait pas la nuit, s'alimentait à peine, enchaînait les crises de panique et de colère, et les projets qu'il avait débutés à Zaun n'avançait pas. Sa boîte à musique, dont il ne restait qu'à restaurer et ajouter le clavier, prenait la poussière au fond de son tiroir. Elle n'avait pas bougé depuis sa rencontre désastreuse avec Jayce, et Viktor était devenu incapable de ne serait-ce qu'y poser le regard.
Le garçon inspira profondément, essayant, comme toujours, de ne pas laisser les larmes prendre le dessus. Il se donna du courage avant de se rendre vers le réfectoire. Mais alors qu'il passait le pas de la porte, il sentit quelqu'un lui faire un croche-patte et il tomba en avant. Viktor s'étala durement sur le sol. Il voulut prendre sa canne pour se relever, mais elle lui fut confisquée. Eliass Ferros le surplombait avec une fausse prestance, un sourire narquois sur les lèvres et s'appuyant nonchalamment sur la béquille. Clarisse et Magnus l'accompagnaient, ricanant.
«Salut, le Zaunite.»
OoOoO
Emalya marchait entre les allées de la bibliothèque, à la recherche d'un livre sur le dessin. Elle était friande d'apprendre de nouvelles techniques, et actuellement, avait commencé à travailler sur les perspectives. Bien qu'elle dessine des personnages la plupart du temps, elle se plaisait également à peindre des paysages. Il existait même chez elle une pièce qu'elle avait entièrement peinte. Elle la trouvait un peu triste, autrefois, alors elle avait voulu lui ajouter de la couleur.
La fille observait les différents manuels disposés sur les étagères quand elle sentit une présence à côté d'elle. Etonnée, elle tourna la tête. Jayce se tenait là, un manuel en mains.
«Oh! Salut, Jayce!», s'exclama-t-elle.
Son éclat de voix provoqua des grognements agacés d'étudiants essayant de se concentrer sur leurs devoirs. Jayce ouvrit des yeux ronds et mit un doigt devant sa bouche, lui intimant de se taire.
«Qu'est-ce que tu fais là?», chuchota Emalya.
«Je cherchais un livre de médecine.», répondit-il.
«Tu voudrais devenir médecin?»
«Euh… Sûrement, oui.», inventa le garçon. «Tu recherches quelque chose de spécifique? Je peux t'aider, si tu veux.»
«Tu sais où je peux trouver un livre de dessin?»
«Certainement pas ici, t'es au mauvais é .»
Il la guida à travers le bâtiment jusqu'à l'étage consacré aux arts. Là, il lui montra ce qui était susceptible de l'intéresser. Emalya examina les reliures avec intérêt, à la recherche d'un livre traitant des perspectives. Soudain, elle en aperçut un tout en haut de l'étagère. Elle ne pouvait pas l'atteindre.
«Attends.», fit Jayce.
Il fit glisser une échelle coulissante et grimpa chercher l'objet désiré. Une fois redescendu, il le tendit à Emalya. Cette dernière le prit contre elle, légèrement étonnée.
«Merci beaucoup. Tu es vraiment gentil.»
«Y a pas de quoi.»
«Tu veux venir manger avec nous?»
«Non merci. C'est gentil, mais j'ai du autre fois, peut-être.»
«On fait au moins le trajet ensemble?»
Jayce eut un petit rire amusé.
«Si tu veux, oui.»
«Trop chouette!»
Et pour la seconde fois, Emalya provoqua le courroux des universitaires.
OoOoO
«Rends-moi ma canne.», ordonna Viktor d'une voix sombre.
Eliass fit semblant d'hésiter.
«Non.», dit-il finalement. «J'aime te voir à terre, là où est ta place.»
«Effectivement, tu es brillant.», ironisa le Zaunite.
Sachant qu'il ne pourrait obtenir sa canne par la force, Viktor se redressa et cala son dos contre le mur. Il refusait de s'agiter telle une chenille, offrant ainsi à ses harceleurs le spectacle pitoyable de sa faiblesse la plus honteuse. Il préférait pouvoir les regarder dans les yeux, et leur montrer, par la même occasion, qu'il n'avait pas peur d'eux. Cela n'empêcha pas Eliass de s'accroupir face à lui et de le plaquer au mur par le col.
«Je commence à te trouver un peu trop sûr de toi, Zaunite. Alors, que tu suives nos cours passe encore tant que tu te fais pas remarquer. Par contre, commencer à faire les yeux doux à Asteria pour qu'elle te choisisse pour la Fête du Progrès à la place de quelqu'un qui le mériterait vraiment, ça me fait gentiment vriller. Donc si tu veux pas avoir de problème, tu vas retirer tout de suite ta candidature.»
«T'es jaloux?»
Clarisse éclata de rire.
«Jaloux de qui, au juste? C'est pas comme si elle t'avait choisi parce que t'avais du talent.»
«Et si c'était le cas?»
«Te berce pas trop d'illusions, Vik.», fit Eliass. «Parce que le jour où la réalité te rattrapera, tu risques de pleurer. »
«Je suis sincèrement touché par ton inquiétude, Echiasse. Mais ne t'en fais pas, la réalité j'ai appris à vivre avec.»
«Ah oui, comme le fait que ta mère t'ait abandonné, par exemple.»
Le visage de Viktor se décomposa. Il ressentit tout d'un coup un grand froid et sa tête se mit à bourdonner. Comment cet imbécile pouvait-il être au courant? Clarisse et Magnus, qui pensaient certainement qu'il disait cela uniquement pour le tourmenter, éclatèrent d'un rire gras. Le visage du Piltovien se tordit dans un sourire:
«Tu te demandes sûrement comment je sais ça, hein?»
Mais Viktor n'eut pas le temps de répondre. Une silhouette déboula comme une furie et prit Eliass par le col avant de le plaquer contre le mur d'en face. Là, le Zaunite vit son harceleur se prendre un énorme coup de poing dans le nez. Du sang se déversa à flots sur le carrelage. Eliass gémit et glissa pitoyablement jusqu'au sol, sonné. La silhouette se retourna. Jayce, le regard fou, menaçait à présent Clarisse et Magnus. Effrayés, les deux enfants s'enfuirent en courant, laissant là Eliass à moitié conscient. Jayce se tourna ensuite vers Viktor. Automatiquement, son regard s'adoucit. Il se précipita vers lui et le prit dans ses bras. Le Zaunite, la tête dans la brume, ne s'en rendit pas réellement compte. Il ressentit, tout comme la veille, cette vague de sentiments inconnus le prendre aux tripes.
«C'est fini.», fit Jayce. «Tu n'as plus rien à craindre. Je ne les laisserai plus te faire de mal.»
Viktor aperçut Emalya, qui avait observé toute la scène, paralysée. Il se rendit alors compte qu'elle avait tout entendu. Et que par conséquent, elle savait. Et qu'à présent, elle savait qu'il lui avait menti également. Il se débattit faiblement, tentant de se dégager de l'étreinte de Jayce. Ce dernier, remarquant son envie de partir, s'éloigna légèrement. Viktor, l'esprit embrumé, prit sa canne restée au sol et se releva. Là, il partit aussi loin que purent le porter ses jambes. Aucun des deux Piltoviens n'essaya de le retenir.
OoOoO
Viktor s'était réfugié derrière l'un des buissons du parc. Les jambes trop douloureuses, il n'avait pu se rendre plus loin. Recroquevillé, il dessinait des cercles sur la terre à l'aide de ses doigts. Il ne voulait plus bouger. Ne plus voir personne. Que plus personne ne le voit. Il souhaitait disparaître, tout simplement. Il imaginait déjà sa vie future: les regards indiscrets et moqueurs de ses camarades, celui déçu d'Emalya, qui ne voudrait certainement plus jamais lui adresser la parole. A raison. Viktor, qui avait mis toutes ses forces ces dernières semaines pour s'habituer à sa nouvelle vie, se sentait à présent incapable d'affronter cette réalité. Il valait mieux qu'il retourne à Zaun, et qu'il se fasse oublier du monde. Mais pour le moment, ses jambes ne pouvaient pas le porter plus loin que ce buisson touffu.
«C'est là que tu te cachais?», fit soudain une voix.
Viktor ne redressa pas la tête. Au contraire, il se renferma un peu plus sur lui-même. Il sentit une présence s'asseoir à côté de lui, et bientôt, une tête aux cheveux frisés se cala sur son épaule.
«Va-t'en, Ema.»
«Humm… Nan.»
«Pourquoi tu restes avec moi?»
«Parce que tu vas mal, et j'aime pas ça.»
«Non mais, pourquoi tu restes avec moi tout court?»
Emalya redressa la tête. Viktor sentait qu'elle l'observait avec intensité.
«Tu es mon ami. Et les amis, ça se serre les coudes. Dans les bons moments comme dans les mauvais.»
«Mais je t'ai menti… Tu dois me détester à présent.»
«Pourquoi je te détesterais?»
«Ben…»
«Je te l'ai déjà dit, Viktor. Tu as peut-être une mauvaise estime de toi-même, mais en vérité, tu as quelque chose de formidable. Et de ne peux pas attendre des autres qu'ils te rejettent parce que tu ne t'aimes pas. »
«Même en t'ayant menti…?»
Emalya poussa un long soupir. Visiblement, elle paraissait chercher ses mots.
«La vérité, c'est que moi aussi, je t'ai menti… En quelques sortes.»
«Comment ça?»
«Tu te souviens quand j'ai jeté de l'eau sur Ferros, l'autre jour?»
Viktor hocha la tête. Il s'en souvenait très bien, en effet.
«Ben… ça avait rien à voir avec mes taches de rousseur, en fait. Je l'ai fait parce qu'il me l'a dit… pour tes parents. Je savais déjà ce qu'il s'était passé avec ta mère, et pourquoi tu vivais chez Heimerdinger. Mais je sais pas du tout comment il l'a appris. Il a refusé de le dire à la directrice. Mais voilà, cette dernière nous avait fait promettre de pas le répéter. Ferros est complètement stupide. Il risque gros, à présent. Heimerdinger est furieux, et Jayce aussi. Quand t'es parti, j'ai dû le retenir parce qu'il était prêt à passer Ferros à tabac. Ils risquent de se faire renvoyer tous les deux.»
«Quoi? Renvoyer? Même Jayce?»
«Ben… Il lui a détruit le nez quand même…»
Viktor passa une main dans ses cheveux. Il n'avait jamais voulu que cette histoire aille aussi loin. Il ne comprenait pas vraiment le geste de Jayce, mais il ne lui souhaitait nullement le renvoi. Il décida que ce sujet devrait être abordé plus tard et se reeconcentra sur le sujet de la conversation:
«Alors… t'étais déjà au courant? Pour mes parents…»
«Oui. Je suis désolée. J'osais pas te le dire parce que je préférais que tu me l'annonces toi-même, quand tu serais prêt. Mais ma vision de toi n'a pas changé, Viktor.»
«Eh ben elle devrait.»
Le garçon raffermit sa prise sur ses jambes sur lesquelles il appuya légèrement la tête.
«J'aurais jamais dû venir au monde… Je suis une erreur.»
«Je ne le pense pas. Mais si c'est ce que tu penses de toi, alors on n'a qu'à être des erreurs ensemble.»
«Qu'est-ce que tu racontes?»
Emalya fit un petit sourire et baissa la tête. L'espace d'un instant, un silence s'installa entre eux.
«J'ai tué ma mère.», avoua-t-elle finalement.
Cette fois-ci, Viktor tourna légèrement la tête. Il vit son amie prendre une brindille et se mettre à la casser en plusieurs morceaux.
«Le jour de notre naissance, à Lazali et moi, maman a perdu énormément de sang. Nos parents ne s'attendaient pas à avoir des jumelles. J'étais le bébé de trop. Celui qui n'était pas prévu. Pour ma sœur, tout s'est bien passé. Puis je suis arrivée et j'ai tout bouleversé. Ca a été fulgurant. Ma mère n'a même pas eu le temps de me prendre dans ses bras. Quand je suis sortie de son ventre, c'était déjà trop tard… Et tout ça… mon père m'en tient pour responsable. A ses yeux, je suis celle qui a détruit sa me déteste pour cette raison. Grandir en sachant ça, c'est pas super facile. Mais quand tu rajoutes quelques couleurs à ton quotidien, ça devient supportable. Alors moi, je préfère qu'on rajoute tous les deux des couleurs à nos vies, ensemble, plutôt que de nous effondrer. T'en penses quoi?»
Viktor ne répondit rien. Il fut soudain secoué de sanglots. Emalya entoura ses bras autour de lui et le ramena contre elle. Ils restèrent ainsi un long moment.
OoOoO
Dans le bureau de la directrice, le professeur Heimerdinger faisait les cent pas. Il fulminait comme jamais. Jayce et Eliass, la mine renfrognée, étaient accompagnés de leurs parents. Ferros avait d'ailleurs un énorme pansement sur le nez, qui avait doublé de volume. La directrice de l'établissement tapotait légèrement du doigt sur la table, nerveuse.
«Si je vous suis bien, professeur Heimerdinger, mon fils ici présent méritait de se faire casser le nez?», s'outra la mère d'Eliass.
«Ce n'est pas ce que j'ai dit.», répliqua sèchement le Yordle. «Mais que votre enfant s'amuse à brimer et à attaquer un autre élève sur sa vie personnelle me pose problème, oui. C'est un comportement que je ne peux tolérer ici.»
«Il s'est tout de même retrouvé avec le nez en sang.», s'offusqua le père du garçon. «Doit-on en conclure que s'attaquer à vos amis mérite une punition plus grosse que s'en prendre à l'un de vos élèves?»
«Ce que vous devez en conclure, monsieur, c'est qu'un mauvais comportement en apporte fatalement un autre. Viktor a été choisi parmi ce programme au même titre que ses camarades et je refuse catégoriquement qu'il se fasse humilier de la sorte. Ce qui relève de sa vie personnelle ne concerne que lui, et il est absolument hors de question qu'il soit attaqué sur ce point. Mais si vos inquiétudes se portent sur la sanction que recevra Jayce, sachez qu'elle sera d'égale conséquence à celle de votre fils.»
«Mais enfin! Mon fils n'a pas frappé ce garçon!»
«Il a humilié l'un de ses camarades de manière parfaitement gratuite et délibérée!», s'écria Heimerdinger. «Il s'agit d'un profond manque de respect envers cet enfant, qui ne demande qu'à se faire une place dans cette école! La situation est déjà suffisamment compliquée pour lui. Que va-t-il se passer, à présent, si tous ses camarades sont au courant? Est-il tolérable, selon vous, que votre enfant soit l'instigateur d'un mouvement consistant à s'en prendre à un autre?»
«Et selon vous, monsieur, est-il tolérable que l'un de vos élèves soit gratifié de tant de favoritisme parce qu'il a la chance de vivre sous votre toit, au point d'en oublier où est la véritable victime? Vous avez amené ce jeune Zaunite au sein de cet établissement, ce qui nous a déjà fait grincer des dents. Mais en plus, vous vous permettez de le poser en victime quand mon garçon s'est retrouvé défiguré?»
Jayce émit un léger rire. Ximena, qui se trouvait avec lui, lui intima immédiatement de se taire.
«Avez-vous un problème, jeune homme?», fit le chef des Ferros.
«C'est mon procès ou celui de Viktor que vous êtes en train de faire, là?»
«Je vous demande pardon?»
«Jayce!», s'écria sa mère.
«C'est moi qui ai frappé votre fils, non? Alors pourquoi vous en prendre à Viktor, qui n'est même pas là pour se défendre en plus?»
«Petit impertinent!», s'exclama Ferros en serrant les dents.
«L'insulte est l'arme de celui qui ne sait plus raisonner.»
Dans la salle, tout le monde ouvrit des yeux ronds, choqué. Heimerdinger se pinça l'arête du nez: Jayce ne semblait vraiment pas tenir à son masque d'enfant. Pourtant, l'homme finit par esquisser un petit sourire narquois.
«Et la violence de celui qui n'a jamais appris à réfléchir.»
«Parfois, l'acte prévaut le dialogue, en particulier quand on se confronte à un individu dénué d'esprit logique.»
Jayce et Ferros se fixèrent en chien de faïence, paraissant tous deux prêts à se sauter à la gorge. Le Yordle se dépêcha de ramener l'attention sur lui, avant que la situation n'empire plus encore:
«Dans tous les cas, la sanction pour vous deux est établie. Vous êtes interdits de pénétrer dans l'établissement pour le restant de la semaine. Que cela vous serve de leçon et vous amène à réfléchir sur vos comportements respectifs.»
«Professeur…!», voulut protester Jayce.
Heimerdinger lui fit comprendre d'un regard qu'il était inutile d'essayer de négocier, alors le garçon baissa les yeux. Ils parleraient plus tard. La famille Ferros, furieuse, sortit sans dire au revoir. Le Yordle poussa un profond soupir.
«Ximena, il va falloir que je m'entretienne avec votre fils un instant, si vous le voulez bien.»
«Bien sûr, professeur.»
«Venez avec moi, mon garçon.»
Les deux universitaires se rendirent dans la pièce d'à côté, un petit salon à l'aspect chaleureux. Jayce prit place sur l'un des fauteuils à côté de la fenêtre et croisa les mains.
«Je suis désolé…»
«Ne le soyez pas. Au contraire, je pense qu'il était nécessaire pour ce garçon de recevoir une leçon.»
«Alors pourquoi…?»
«Je ne peux me permettre de vous favoriser. Aux yeux de l'institution, vous êtes un élève comme un autre, ne l'oubliez pas. Aussi, vous ne pourrez pas vous rendre en cours pour le restant de la semaine. En revanche…»
Heimerdinger lui fit un petit sourire.
«Il vous sera tout à fait possible d'utiliser mon laboratoire pour vos recherches sur le n'ai pas envie que vous preniez du retard. Au contraire, vous pourrez profiter de ces jours de vacances pour vous avancer.»
«Merci, professeur!»
«Cependant, Jayce, je tiens à vous mettre en garde. Vous êtes à mes yeux bien trop indiscret dans vos raisonnements. N'oubliez pas que vous devez garder votre véritable identité secrète et ne pouvez vous permettre d'agir en adulte comme vous l'avez fait tout à l'heure. Surtout en présence de votre mère…»
«Je sais… Mais cet homme et son mépris m'ont mis hors de moi. Concernant ma mère… je…»
Jayce passa une main dans ses cheveux.
«Je crois qu'elle s'en doute, quelque part au fond d'elle. Je ne dirais pas qu'elle sait, mais elle a compris que je n'étais plus le même. Elle s'est sûrement enfermée dans une forme de déni pour se protéger.»
«Pensez-vous le lui avouer, dans ce cas?»
«Honnêtement, je n'en sais rien. Peut-être, oui. Mais ça la détruirait de savoir tout ça. Je ne veux pas qu'elle ait ce poids à elle venait à me poser des questions, alors je lui avouerais tout.»
«Vous êtes un fils honorable. Et un excellent ami, si je puis me permettre.»
Jayce eut un petit rire.
«Je ne l'ai pas toujours été, à vrai dire. J'ai fait beaucoup d'erreurs vis-à-vis de Viktor, autrefois. Il était mourant et… j'ai préféré nier la réalité en me tournant vers une femme et la politique. Au final, je l'ai laissé seul longtemps et ai délaissé notre rêve. Quand je l'ai réalisé, Viktor était à moitié mort dans mes bras et je l'ai ressuscité à l'aide de l'Hexcore qu'il m'avait fait jurer de détruire. Je ne pense pas qu'on puisse dire que j'ai été un bon ami pour lui… mais j'essaie de me rattraper.»
Heimerdinger lui tapota la main et lui adressa un sourire doux.
«Nous ferions bien d'y aller, à présent. Je pense qu'à l'heure qu'il est, Emalya a dû retrouver serait venue nous retrouver, si ça n'était pas le cas. »
«De toute manière, il n'a pas dû aller loin avec ses jambes.»
Ils se levèrent tous deux et sortirent du salon. Ximena se joignit à eux, paraissant furieuse contre son fils. Mais ne cherchant pas à faire d'esclandre, elle resta mutique le long du trajet. Quelques minutes plus tard, ils arrivèrent devant l'université. Viktor et Emalya s'y trouvaient, assis sur les marches d'escalier. Heimerdinger se précipita vers son protégé. Il avait l'air déconfit, mais ne paraissait pas fermé à la discussion comme le Yordle l'aurait imaginé au départ. Son amie avait sûrement dû beaucoup jouer là-dedans. Comme le garçon était assis, Heimerdinger se trouva à la hauteur de son visage. Il en profita pour lui caresser la joue.
«Tout va bien?»
Le Zaunite ne répondit rien, mais ne le rejeta pas non plus.
«On te fera une soupe de poisson ce soir, tu adores ça. Tu es d'accord?»
«Hum…»
«Allez, on va rentrer, maintenant. Merci beaucoup, Emalya.»
«Y a pas de quoi!»
La fille se leva et frotta son pantalon. Elle embrassa Viktor sur la joue avant de partir en faisant un petit signe de la main.
«A demain, sans faute, hein!», s'écria-t-elle.
Ils la regardèrent s'élancer joyeusement, légèrement amusés.
«Cette petite déborde d'énergie.», constata Heimerdinger. «Allez Viktor, relève-toi aussi. Hop, hop! On rentre!»
Le garçon se hissa difficilement sur ses jambes, l'esprit encore embrumé. Là, il se tourna vers Jayce, qui était resté derrière. Ce dernier lui fit un sourire timide. Gêné, Viktor détourna immédiatement les yeux.
«Tu devrais aller le remercier, tu sais. Il a pris ta défense, tout à l'heure.»
Le Zaunite fit une moue boudeuse. Pourtant, il s'avança vers le Piltovien avant de river instantanément ses yeux sur le sol.
«Merci.», murmura-t-il.
Jayce haussa les épaules.
«Tu me dois deux semaines de devoirs.», fit-il d'un air blasé. «Et trente-six pompes.»
«Hein?»
«Et une tarte aux figues.»
«Tu veux que je te cire tes chaussures, pendant que t'y es?»
«Non. Par contre, je veux bien de la chantilly sur mes figues.»
«T'es vraiment insupportable.»
«Et si tu pouvais y rajouter des éclats de cacahuètes…»
«En plus t'as des goûts bizarres.»
«Avec quelques feuilles de menthe…»
«Tu annonces juste des ingrédients au hasard.»
«En attendant, t'en as une liste.»
Jayce lui fit un sourire et commença à partir. Soudain, il s'arrêta.
«Au fait, je ne serai plus là avant la semaine prochaine. Comme je suis indispensable, je tenais à le pré , Viktor!», annonça-t-il en lui faisant un signe de la main.
OoOoO
Le soir venu, Viktor se rendit dans sa chambre. Prune s'affairait en cuisine, et Heimerdinger avait une urgence à régler avec Cassandra Kiramman. Il se retrouvait donc seul. Apathique, il entra dans son petit bureau et s'assit sur le fauteuil. Il ouvrit le tiroir dans lequel se trouvait sa boîte à musique d'un geste vif avant de la faire tourner entre ses doigts. Soudain pris d'une rage non contenue, le garçon la projeta contre le mur. La danseuse en cuivre se tordit tandis que les éléments la constituant se déversaient sur le sol. Les yeux de la demoiselle le fixèrent avec intensité, signe de son reproche silencieux.
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Dans un laboratoire situé aux fins fonds de Zaun, un homme enlevait les perfusions d'un monstre. Ce dernier restait sagement assis, attendant que son maître ait terminé son travail. Quand ce fut fait, le scientifique sourit:
«Tu es prêt.», se félicita-t-il. «Va, à présent, et venge-toi de ceux qui t'ont fait du mal.»
La créature poussa un hurlement, prête à massacrer les coupables de son malheur.
