Chapitre 3 : Colorless Butterfly
Le dimanche, c'était jour de "bénévolence". Le matin, elle se rendait à l'église, comme tout le monde. Pas que cela ait un réel sens pour elle sur le plan spirituel, mais c'était nécessaire pour maintenir une certaine image. Ce jour-là, elle rangeait ses blouses austères au fond de l'armoire et optait pour une robe pastel à fleurs, avec des ballerines blanches. Ce choix n'était pas innocent, car elle savait que, dans ce quartier, les apparences étaient primordiales.
À chaque entrée à l'église, elle ressentait les regards qui se tournaient vers elle. Elle priait en silence, espérant que ces moments de paix se prolongent. Mais au fond, ses pensées étaient ailleurs. Elle n'était pas certaine d'être sincèrement appréciée, et chaque regard qu'elle recevait, souvent empli d'admiration et de respect, semblait aussi teinté de quelque chose de plus… pesant.
Après la fin de l'office, Bella se dirigeait vers la place Begotti, un endroit animé où se trouvait Luggi, le marchand qui faisait les meilleures bruschetta du quartier. Là, elle s'installait à sa table, un peu à l'écart des autres clients, savourant chaque bouchée de pain croustillant et garni de tomates fraîches, d'ail et d'huile d'olive, se laissant emporter par le mélange de simplicité et de saveurs qu'il savait si bien maîtriser. C'était son petit rituel après la messe, un .moment pour elle, loin des regards envahissants et des attentes du quartier.
Après un déjeuner léger mais réconfortant, elle se dirigea vers la ville basse, là où les rues étaient plus étroites, plus bruyantes et surtout plus chaotiques. Elle se rendait à l'orphelinat, un lieu modeste où elle passait l'après-midi à enseigner. Les enfants, malgré leur jeunesse et leurs nombreux défis, étaient curieux et avides d'apprendre. Elle leur enseignait les bases des mathématiques et de l'écriture, toujours avec patience et bienveillance. Les crayons glissaient sur les pages, les chiffres et les lettres s'alignaient sous ses mains, comme un flux constant qu'elle alimentait.
Elle aimait cet instant, l'idée de pouvoir offrir aux enfants un peu de stabilité et de savoir dans un monde souvent chaotique. Cependant, au fond d'elle, il y avait toujours cette petite tension : celui qui enseigne, qui donne, doit aussi savoir quand s'arrêter. Elle avait conscience que, tout comme dans le reste de sa vie, elle ne pouvait pas toujours être celle qu'on attendait. Mais au moins ici, avec ces enfants, il y avait une forme de sincérité, un échange pur, même si elle savait que tout ça n'était qu'un instant suspendu, un moment en dehors de la réalité plus dure du monde.
De là où Bella se trouvait, concentrée sur ses élèves et sur les livres qu'elle leur faisait tourner entre leurs petites mains, elle ignorait qu'au sommet d'un toit, une silhouette se dissimulait dans l'ombre, observant chacun de ses mouvements. Robb Lucci, toujours aussi silencieux et impénétrable, scrutait chaque geste qu'elle faisait, du moindre mouvement de ses doigts en train de corriger une erreur sur un cahier, jusqu'à la manière dont elle s'exprimait avec les enfants. Chaque détail semblait l'intéresser, chaque sourire esquissé par un élève, chaque soupir qu'elle poussait entre deux corrections.
Posté là, sur ce toit d'une maison légèrement incliné, Lucci demeurait immobile, parfaitement camouflé par l'ombre de l'édifice. Il n'avait pas besoin de plus que son regard acéré pour comprendre beaucoup de choses sur la jeune femme, mais au fond de lui, une question persistait. Pourquoi diable suivait-il cette femme ? Que cherchait-il à savoir en l'observant ainsi, dans la plus grande discrétion ? Ses pensées étaient aussi chaotiques que sa présence était silencieuse.
Lorsque la cloche annonçait la fin des cours, Bella reprenait son souffle, prête à repartir dans la danse quotidienne de sa vie à Water Seven, entre les attentes, les devoirs, et les petites joies secrètes qu'elle s'offrait.
…
Une fois sa journée terminée, Bella monta les marches des escaliers qui menaient à son appartement au dernier étage, un petit havre de paix où elle aimait se réfugier après une longue journée de travail. Elle se laissa tomber sur son lit, soulagée d'avoir un moment de tranquillité. Elle était prête à plonger dans un de ses romans favoris, un ouvrage classique qu'elle avait relu plusieurs fois, qui lui permettait de s'évader dans un autre monde. Mais à ce moment précis, alors qu'elle se préparait à ouvrir son livre, son escargotphone se mit à sonner… ou plutôt à beugler.
Elle fronça les sourcils et plissa les yeux, agacée par l'interruption. Le téléphone semblait hurler de manière presque insupportable dans la pièce silencieuse, brisant la quiétude du moment. Elle reposa son livre sur son petit bureau, où des papiers étaient éparpillés en désordre, un reflet de son esprit toujours en mouvement. Puis, avec un soupir exaspéré, elle tendit la main vers l'escargotphone, un modèle noir qu'elle ne sortait que lorsque c'était vraiment nécessaire. Elle possédait deux escargotphones : un bleu standard qu'elle utilisait pour les courses quotidiennes, et ce noir qu'elle cachait soigneusement, car sa possession était relativement interdite. Il avait l'avantage de brouiller les fréquences et d'empêcher toute localisation, un bien précieux, certes, mais il coûtait une petite fortune sur le marché noir.
Elle appuya sur le bouton pour répondre, son visage affichant déjà une expression d'agacement.
- "Qu'est-ce que tu veux ?" dit-elle d'une voix lasse, tentant de masquer son énervement.
La voix au bout du fil se mit d'abord à pouffer, avant de devenir plus sérieuse, une voix familière, qu'elle aurait reconnu entre mille.
- "Je te rappelle qu'on est associés, n'est-ce pas ? Tu as un problème, je t'aide, j'ai un problème, tu m'aides…" commença Sulfur, le ton plus insistant.
- "Oui, oui…" répondit-elle avec un soupir agacé. "Et donc ? Je ne peux pas t'aider actuellement, je suis occupée."
Elle l'entendit encore pouffer. Ce qu'il était énervant… Sulfur Trevnof, le chef de l'organisation Colorless Butterfly, une agence de mercenaires très réputée dans le Nouveau Monde. Il était aussi à la tête d'un réseau aux contours bien plus flous, impliqué dans des affaires mafieuses, et prêtait de l'argent à des taux honteux. Elle l'avait rencontré lors de ses années à Drum, pendant la famine, lorsqu'elle avait enterré tous les membres de sa famille. Ce moment tragique avait été un tournant, et elle l'avait vu hurler, pleurer toutes les larmes de son corps. Mais c'était à ce moment-là qu'elle l'avait vu changer. L'homme gentil et intègre, qui travaillait autrefois à la milice de Drum, s'était métamorphosé en une version plus sombre de lui-même : cruel, calculateur et retors. Ensemble, ils avaient quitté l'île pour chercher du travail, tout type de travail.
Sulfur avait un talent particulier : il savait où trouver l'or. Il n'avait pas seulement des compétences de mercenaire, il comprenait les affaires. Il savait manipuler les gens, les cajoler, les fidéliser. Il avançait froidement sur le chemin qu'il s'était fixé, peu importe ce que cela lui coûtait. Et au fil des ans, il était devenu un patron respecté et craint, à la tête d'un empire.
- "Comme si j'allais te croire…" dit-il, en roulant des yeux, malgré le silence imposant de sa chambre. "Donc, tu soutiens que tu n'es pas à Water Seven à te tourner les pouces ?"
Un long silence s'installa de l'autre côté de la ligne.
Graduellement, le sourire parfait et enjoué de Bella disparut, comme si l'air autour d'elle s'était soudainement figé. Ses yeux, d'ordinaire chaleureux et accueillants, devinrent glacés, aussi froids que l'air mordant de Drum en plein hiver, plus gelés et morts que toute vie ne pourrait jamais l'être. Ce n'était plus Bella, l'adorable médecin de la clinique Stern qui répondait à l'appel, mais Lise, une pirate dont la réputation était bien établie. Ses paroles étaient désormais acérées comme des lames.
- "Tu m'espionnes ?" fit-elle d'une voix assassine, chaque mot porteur d'une menace évidente. "Dis-moi... Sulfy... tu es au courant que même dans le Nouveau Monde, j'ai des moyens pour te tuer ?"
Le silence entre eux s'intensifia, une tension palpable traversant la ligne comme un câble sous haute tension prêt à céder. Lise n'était pas du genre à plaisanter, et Sulfur le savait parfaitement. Ils avaient traversé bien trop de batailles et d'obstacles pour que ce genre de menace puisse être pris à la légère. Elle poursuivit sans attendre sa réponse, avec une lueur presque cruelle dans la voix.
- "Tu parles de ton super bras droit ? Ah oui... celui qui a une prime de plus d'un milliard et qui fait tout ton travail ? À se demander comment ça se fait qu'il n'ait pas déjà lancé une mutinerie, celui-là..."
Le ton de Lise ne laissait aucun doute sur le fait qu'elle était parfaitement consciente de la situation.
- "Je gère mes affaires comme je l'entends." répliqua Lise, la froideur de sa voix tranchant l'air comme un couteau. Il n'y avait aucune hésitation dans ses mots, aucune place pour la discussion. "Et toi, tu restes un composé de cet équipage que tu te plais à critiquer à longueur de temps. Je reste ton capitaine, n'est-ce pas !"
Son ton ne laissait aucune place à l'ambiguïté, l'autorité qu'elle exerçait sur son équipage et sur les situations pesant lourdement. C'était un constat, pas une question. Elle savait ce qu'elle représentait, et surtout, elle savait qu'elle n'avait pas besoin de l'approbation de Sulfur pour mener sa barque.
Sulfur, de l'autre côté de l'escargotphone, se laissa un instant emporter par un rire léger, presque moqueur.
- "Oui, oui..." répondit-il, l'amusement presque palpable dans sa voix. "Tu restes surtout la jolie mascotte de l'équipage, la si mignonne Lise, capitaine des Colorless Butterfly et une des douze commandantes de l'équipage de Carl Snow... Lise, la ballerine des cieux," chanta-t-il presque, étirant chaque syllabe de son surnom comme un défi chantant, provocant.
Elle grinça des dents en repensant à ces moments. Les autres commandants, une fois le surnom révélé, s'étaient empressés de se moquer. Pendant des jours, ils l'avaient raillée, répétant que ça lui allait parfaitement, qu'il n'y avait rien de plus adapté à sa personnalité. "Ballerine des cieux," ils disaient en riant, comme si cela résumait toute sa personne.
Ces imbéciles... Elle aurait voulu leur faire fermer leurs bouches d'un simple geste, mais elle savait qu'elle ne pouvait pas ignorer certaines choses. Ce surnom, bien qu'il l'écœurât, restait un de ces nombreux jeux cruels auxquels elle était soumise. Elle comprenait que cela allait la suivre, qu'il allait devenir une étiquette indélébile, un fardeau qu'elle ne pourrait plus se débarrasser.
Mais ce n'était pas cela qui la préoccupait le plus. La réunion approchait. Un autre rendez-vous crucial avec les autres commandants, tous réunis autour de Carl Snow, l'Empereur des médecins, le cinquième des Yonko. Le moins impitoyable des cinq, certes, mais tout de même redoutable. Carl Snow, le roi des médecins, un homme dont le savoir et le pouvoir n'étaient plus à démontrer. Même si ce n'était pas le pire, il n'en restait pas moins dangereux.
- "Bon... que puis-je faire pour mon officier préféré ?" ironisa-t-elle froidement, ses yeux glacés fixant l'écran.
- "Ah !" fit Sulfur, comme s'il venait de marquer un point. "J'attendais que tu me poses la question."
Il prit une grande inspiration, visiblement satisfait de lui-même avant de reprendre d'un ton théâtral :
- "Il se trouve que j'ai prêté de l'argent à un pirate... et qu'il rechigne à me le rendre."Un silence lourd s'installa dans la pièce, Lise plissant les yeux, attendant la suite "Le souci, très chère capitaine," continua Sulfur, "c'est qu'il est un grand corsaire. Plutôt enquiquinant de surcroît... Crocodile."
Cette simple révélation fit l'effet d'une bombe. Lise, d'ordinaire implacable, laissa échapper un
- "Non ?" choqué. "Le chef de Baroque Works ?"Elle se leva brusquement, son esprit tournant à toute vitesse pour digérer l'information. "Tu m'expliques pourquoi on prête de l'argent à ce type ?" Sa voix se fit plus tranchante, la colère montant en elle. Le nom de Crocodile résonnait dans sa tête comme un avertissement. Le chef de Baroque Works, l'un des pirates les plus dangereux du monde, l'un des sept Grands Corsaires, un homme dont la réputation n'était plus à faire.
- "C'est... c'est un petit détail, ça, non ?" fit-il avec un sarcasme visible, presque moqueur.
- Sous le coup de la colère elle sentit le bureau craquer sous ses doigts, mais elle savait que Sulfur, dans son arrogance, n'aurait jamais agi sans raison
- . "Et tu comptes vraiment me demander de récupérer cette dette ?" demanda-t-elle, son ton plus froid que jamais.
Sulfur, le visage amusé, haussait les épaules.
- "C'est ça … Tu crois vraiment que je ferai les choses simplement ? C'est un peu plus compliqué que ça. Mais je suis sûr que tu sais comment t'y prendre."
- "Combien a-t-il emprunté, ce bâtard ? Et comment tu comptais te refaire sur sa peau ?" demanda Lise, la voix glaciale, les poings serrés. Elle n'avait pas la patience de jouer à ces jeux. Sulfur, implacable comme toujours, se gratta pensivement le menton, un sourire en coin.
- "Un peu plus de trois milliards, au bas mot..." répondit-il, avec une légèreté qui agaçait Lise. "De ce que je sais, il comptait sur nos capitaux pour lancer une opération de grande ampleur, un coup d'État sur Alabasta. Mais actuellement, j'ai envoyé des hommes sur ta partie de Grand Line... Mais qui sait ce qu'il en est?"
Lise ferma les yeux, un souffle lent lui échappant. Elle savait que Sulfur n'aurait jamais engagé une telle somme sans planifier des conséquences majeures. Le tout devenait plus complexe.
- "Je sais que les marines sont sur le coup pour le faire tomber... D'ailleurs, si tu pouvais t'arranger pour récupérer le titre de Grand Corsaire, ça arrangerait nos affaires, tu sais ?"
- "Et dire adieu à ma liberté ?" répliqua-t-elle froidement, son regard devenu tranchant, presque mortel. Le silence s'étira quelques secondes, pesant et tendu.
Sulfur sembla hésiter, puis lâcha avec un léger ricanement :
- "Bof, pour le peu que t'en fais…" Puis, se ravisant, il ajouta d'un ton plus prudent : "Je ne vais pas juger ! Mais je sais que Crocodile a un magot caché dans son QG à Alabasta, à Rainbase. Il aurait tout converti en perles noires irisées... Une vraie fortune. C'est pas compliqué à trouver, n'est-ce pas ?" Il laissa sa phrase pendre dans l'air, comme une invitation déguisée.
Un sourire en coin se dessina sur les lèvres de Lise, mais il n'atteignait pas ses yeux.
- "Nous croyons tous en toi, capitaine !" se moqua-t-il, avant de couper la communication sans attendre sa réponse.
Lise resta là, dans un silence lourd, les paroles de Sulfur résonnant dans son esprit. Trois milliards, un coup d'État à Alabasta, un magot caché… Et cet étrange "soutien" pour qu'elle prenne le titre de Grand Corsaire. Elle savait exactement ce qu'il attendait d'elle. Mais accepter ce marché, même en apparence avantageux, signifiait quelque chose de bien plus lourd qu'une simple mission. Elle n'était pas prête à sacrifier sa liberté pour un morceau de pouvoir, même si celui-ci avait une odeur de sang.
Elle se laissa tomber dans son fauteuil, les bras croisés, réfléchissant à la prochaine étape. Une chose était certaine : Crocodile, ou non, les affaires se compliquaient, et elle ne comptait pas laisser qui que ce soit jouer avec ses plans.
A suivre …
