Chapitre 8 : Un jeu dangereux

Crocodile observait la salle de jeu avec un calme souverain, son cigare incandescent projetant une lueur rougeâtre à chaque inspiration. Autour de lui, la débauche et le désespoir dansaient main dans la main. Tout ici lui appartenait, des jetons que les joueurs miseraient jusqu'à leur dernier berry, aux soupirs des courtisanes qui se pressaient contre lui dans l'espoir d'une faveur. Mais son esprit, lui, était ailleurs.

Le coup d'État suivait son cours, méthodique et implacable. Les pions se mettaient en place, chaque mouvement calculé avec la patience d'un prédateur. Alabasta était déjà à lui, même si la princesse s'accrochait encore à l'illusion du contraire. Cette pitoyable Vivi croyait pouvoir l'empêcher d'arriver à ses fins en faisant confiance à un vulgaire équipage de pirates.

Les Chapeaux de Paille...

Crocodile esquissa un sourire moqueur. Ils n'étaient rien. Un ramassis d'idiots menés par un gamin trop sûr de lui. Leur enthousiasme était presque rafraîchissant dans ce monde de trahisons et d'intérêts. Mais la naïveté n'avait jamais sauvé personne. Il les broierait comme il l'avait fait avec tous ceux qui s'étaient dressés sur son chemin.

Il s'appuya contre le dossier de son gigantesque canapé, tirant une nouvelle bouffée de son cigare, tandis qu'une femme au parfum capiteux lui versait du vin. Il allait porter le verre à ses lèvres quand il la vit.

Une apparition parmi la foule, un éclat de lumière froide au milieu des dorures et des ombres. Une femme sublime, avec des cheveux argentés et des yeux couleur or, dont le bas du visage était caché par un voile noir transparent. Son allure contrastait avec l'opulence criarde du casino : une beauté raffinée, calculée, qui savait exactement l'effet qu'elle produisait.

Crocodile la détailla de haut en bas, son sourire devenant plus lascif à mesure qu'il s'attardait sur les détails. Sa peau était incroyablement blanche pour un tel climat, lisse comme celle d'un bébé. Il savait déjà, rien qu'en la regardant, qu'elle serait douce sous ses doigts. Une femme de cette envergure n'entrait pas ici par hasard.

Leur regards s'accrochèrent une fraction de seconde, un instant suspendu dans le tumulte du casino. Suffisamment pour qu'il décide.

Sans un mot, il fit signe à l'un de ses vigiles de lui apporter la femme. Et d'un léger mouvement, une vague de sable balaya les créatures qui l'entouraient, les envoyant rouler un peu plus loin comme de simples nuisances. L'heure n'était plus aux distractions. Il voulait savoir qui elle était. Et pourquoi son instinct lui disait qu'elle n'était pas simplement une jolie femme venue tenter sa chance.

Lise sentit les regards se tourner vers elle alors que les vigiles l'encadraient de part et d'autre. L'ordre était silencieux, mais implacable. Elle était convoquée.

D'un pas mesuré, elle suivit les hommes sans montrer la moindre hésitation, son voile effleurant le sol avec une grâce étudiée. Sous les lumières tamisées du Rain Dinners, ses cheveux argentés brillaient comme de la soie sous la lune, et ses yeux dorés captaient la lueur des chandeliers, mystérieux et envoûtants. Chaque mouvement était calculé, chaque battement de cils savamment mesuré. Ce soir, elle ne viendrait pas réclamer une dette de front. Non. Elle viendrait la prendre de ses propres mains.

Crocodile l'attendait, installé sur son trône de velours pourpre, le cigare à la main, son regard fendu d'un intérêt évident. Il ignorait qui elle était, d'où elle venait, mais il n'était pas insensible à sa présence. Autour de lui, les femmes qu'il venait de chasser reprenaient contenance, feignant l'indifférence tout en jetant à Lise des regards méfiants.

Elle s'arrêta à une distance raisonnable, inclina légèrement la tête, et se laissa aller à un sourire subtil sous son voile noir transparent.

Quelque chose dans son allure, dans son calme, le défiait. Il savait immédiatement qu'elle n'était pas là par hasard.

Elle l'appelait d'une voix douce, tentante, presque irréelle.

— Sire Crocodile, souffla-t-elle.

Ce simple murmure, posé et chargé d'une promesse, le fit frémir d'une manière qu'il n'aurait jamais cru possible. Il avait capturé son regard dans la foule, comme un prédateur repère sa proie. Et maintenant, il l'avait.

D'un geste lent, il écarta ses courtisanes d'un simple mouvement de la main, les renvoyant dans l'ombre d'un regard acéré. La femme n'était plus qu'à quelques pas, marchant dans sa direction avec une grâce irrésistible, chaque mouvement calculé. Un sourire amusé se dessina sur ses lèvres.

Il la détailla sans la moindre gêne, de la courbe de ses hanches aux reflets métalliques de ses cheveux.

— Qui es-tu, beauté argentée ? Un mirage de mon casino ? Ou bien un rêve dont j'ignore encore le prix ?

Lise se contenta d'un léger rire, doux et envoûtant, avant d'avancer d'un pas fluide, laissant son voile onduler derrière elle comme une brume nocturne.

— Pourquoi faudrait-il toujours mettre un prix sur les belles choses ? murmura-t-elle, s'asseyant sur l'accoudoir du canapé sans attendre d'y être invitée.

Crocodile sourit, un sourire de prédateur. Elle jouait bien. Trop bien. Et ça l'intriguait. Il posa son cigare dans un cendrier de cristal et se pencha légèrement vers elle, ses doigts gantés effleurant le tissu délicat de son voile.

— Intéressant…

D'un geste lent, Lise ôta son voile, révélant ses lèvres pleines, rosées, et un sourire à la fois mystérieux et tentateur. Crocodile l'observa avec une satisfaction non dissimulée. Elle était sublime. Une créature tombée du ciel dans son empire de sable.

— J'aime les femmes audacieuses, souffla-t-il.

Il glissa une main sous son menton, relevant légèrement son visage pour mieux le contempler. Un fruit défendu. Et il avait toujours aimé les choses interdites.

— Suis-moi.

C'était un ordre, un caprice d'homme de pouvoir qui croyait tenir les rênes du jeu.

Lise baissa les paupières, feignant l'acceptation, et se laissa guider à travers le casino, ignorant les murmures jaloux et les regards envieux. Son cœur battait lentement, avec une précision implacable. Elle connaissait ce rôle. Elle l'avait joué mille fois.

Crocodile la conduisit à l'étage, dans une chambre privée où l'opulence se disputait à l'excès. Un lit massif, des rideaux de soie, des alcools raffinés alignés sur un meuble de marbre noir. Il referma la porte derrière eux, son sourire se faisant plus carnassier.

— Alors, beauté argentée… qu'as-tu à m'offrir ce soir ?

Lise s'avança lentement, sa démarche mesurée et calculée, chaque mouvement comme une danse envoûtante. Elle leva une main vers son col, un geste sensuel, comme si elle voulait l'attirer vers elle, comme une promesse de ce qu'il désirait. Crocodile, convaincu qu'il avait le contrôle, se pencha un peu plus, s'attendant à ce qu'elle vienne l'embrasser, à ce qu'elle s'offrirait comme toutes les autres femmes qui tombaient sous son emprise.

Mais alors, juste au moment où il se préparait à savourer ce moment de victoire, tout bascula.

D'un mouvement fulgurant, Lise écarta son voile d'un geste brusque et, avec une précision impeccable, frappa à l'arrière de la nuque de Crocodile avec un coup de haki. La force de l'impact fut dévastatrice. Le bruit de l'attaque résonna dans la pièce alors que le pouvoir de l'armement traversait la chair et les os de l'homme, paralysant ses sens.

Avant même qu'il n'ait le temps de réagir, une onde de douleur traversa sa tête, et sa vision se brouilla. Il tenta de lever la main, mais son corps refusa de répondre. Un vertige brutal le saisit, et il tomba en arrière, son esprit sombrant dans l'obscurité.

Il n'eut même pas l'opportunité de comprendre ce qui venait de se produire. Son regard perdit de sa clarté, ses pensées se dissipaient, et l'inconscience le rattrapa comme un voile épais.

Crocodile, le seigneur du vice, l'empereur du sable et de la manipulation, gisait maintenant sur le sol, sans connaissance.

Lise se tenait au-dessus de lui, son regard doré brillant d'une froide détermination. Elle avait frappé au moment parfait, sans laisser de place à la surprise ou à la moindre réaction. Tout était sous contrôle.

Le fruit défendu n'était pas pour lui.

Crocodile se réveilla dans sa chambre, aussi luxueuse que d'habitude, son esprit encore brumeux. Un mal de tête horrible le saisit, comme si des marteaux frappaient à l'intérieur de son crâne. Il grogna, tentant de se redresser, mais la réalité de sa situation le frappa plus fort que n'importe quelle douleur.

Il était attaché au lit, complètement nu, un sentiment de vulnérabilité qu'il n'avait pas connu depuis des années, et encore moins dans un lieu comme celui-ci. Ses bras étaient tendus et fixés à la tête du lit, ses jambes maintenues avec des câbles en granit marin, un métal qui annulait l'usage de ses pouvoirs et l'empêchait de se libérer.

Un frisson de frustration parcourut son corps, mais ce n'était pas ce qu'il ressentait le plus. Il tourna lentement la tête pour apercevoir la silhouette qui se tenait à l'autre bout du lit. C'était elle, cette femme mystérieuse et séduisante. Elle le regardait, les yeux pétillants d'un éclat presque cruel, un sourire léger et suffisant sur ses lèvres. Elle semblait en contrôle, une toute-puissante prédatrice prête à savourer sa victoire.

Crocodile aurait dû être furieux, mais quelque chose d'autre, de plus étrange, d'inattendu, parcourait son corps. Un désir insoupçonné, un mélange de rage et d'excitation. Cette situation, aussi humiliante soit-elle, éveillait en lui un frisson qu'il n'avait pas anticipé. C'était exactement ce genre de jeu qui, paradoxalement, le mettait en alerte. Il sentait une excitation palpable, son corps réagissant d'une manière incontrôlable.

Il tenta de bouger, de se libérer, mais il se rendit vite compte que chaque mouvement était une illusion. Le granit marin l'empêchait de recouvrer toute sa force. Il était complètement à sa merci. Cette femme, cette intruse, avait réussi à le prendre de court. Il n'avait pas vu venir la tournure des événements.

Il leva les yeux vers elle, son regard devenu plus perçant, plus sombre. Il savait qu'elle le testait. Elle voulait le briser, le dominer. Mais lui, il n'était pas le genre d'homme à se laisser faire. Pas même dans cette situation.

Il lui lança un regard chargé de défi, ses lèvres se tordant en un rictus provocateur.

— Tu crois vraiment que tu as gagné ? Sa voix, bien que faible à cause de la douleur, gardait son tranchant habituel. Tu n'as aucune idée de ce à quoi tu t'attaques, femme.

Les mots de Crocodile s'étaient perdus dans le silence lourd de la pièce, sans effet. La femme en face de lui semblait complètement indifférente à sa menace, comme si elle ne ressentait aucune crainte ni même une once de respect pour lui. Elle s'était même servie un verre de whisky, son meilleur, un liquide ambré qu'elle laissa glisser dans sa gorge avec une lenteur exaspérante, tout en maintenant son regard planté dans le sien. Chaque gorgée semblait être une victoire, une victoire silencieuse et implacable qui accentuait le malaise qui le prenait.

Il ne pouvait détacher ses yeux du verre, du liquide doré qui allait et venait dans le verre, comme une danse, une provocation. L'excitation, qui avait d'abord été une réaction confuse à sa propre vulnérabilité, revenait en force, alimentée par la froide indifférence de la femme et le calme glacial qu'elle dégageait. Le contraste entre sa position de faiblesse et l'assurance tranquille de la femme devenait presque insupportable. Il savait qu'elle n'était pas comme les autres. Elle n'était pas intimidée, et ça, c'était nouveau pour lui.

Elle posa son verre avec un calme déconcertant et le fixa enfin, un sourire subtilement amusé flottant sur ses lèvres.

— Au contraire, je suis bien informée. Sa voix douce était teintée d'un cynisme agréable. Sir Crocodile, actuel Shichibukai, dont la prime était anciennement de 81 millions de berrys, chef émérite de Baroque Works, une entreprise assez rentable de chasseurs de primes qui étend son influence dans la première moitié de Grand Line. Ai-je raison ?

Il serra les dents, sa rage montant d'un cran, mais la sensation de désir, cette étrange excitation, persistait dans les tréfonds de son esprit. La situation avait pris une tournure bien plus complexe qu'il ne l'avait imaginé. Elle ne semblait pas vouloir le tuer tout de suite. Non, elle voulait autre chose.

Crocodile se mit à ricaner, mais ce n'était qu'une façade. Derrière ce rire rauque se cachait une réflexion aiguisée, une analyse froide de la situation. Cette femme avait utilisé le Haki. Il le savait pour l'avoir déjà affronté dans le Nouveau Monde, cet enfer où seuls les véritables monstres subsistaient. C'était là-bas qu'il avait perdu une partie de lui-même, défiguré, amputé, avant de fixer ce crochet en or à la place de sa main.

Le Haki… Une force rare et redoutable. Peu nombreux étaient ceux capables de l'éveiller. Pour le Haki de l'Armement et de l'Observation, il avait appris qu'une seule personne sur cent mille possédait le talent nécessaire pour le manier. Ce pouvoir transcendait la nature même des fruits du Démon, réduisant à néant l'invincibilité des Logia comme lui. Lui, qui d'ordinaire se dématérialisait en sable pour éviter toute attaque, avait été frappé de plein fouet, projeté dans l'inconscience par une femme qui savait exactement ce qu'elle faisait.

Il serra discrètement les poings, ressentant pour la première fois depuis longtemps l'amertume de l'impuissance. Mais il était Crocodile. Il n'était pas un homme qu'on domptait facilement.

— Que veux-tu de moi ? demanda-t-il d'une voix basse et tranchante. Qu'est-ce que tu cherches ?

Il s'était préparé à tout. Une femme bafouée en quête de vengeance, une chasseuse de primes ambitieuse rêvant de sa tête, ou encore une veuve éplorée venue lui faire payer le meurtre d'un pirate dont il avait fini par oublier jusqu'au nom.

Tout, sauf ça.

— Mes trois milliards de berrys. fit-elle froidement, sans un frisson d'hésitation. Je les veux. Et tu vas me les rendre.

A suivre …