Chapitre 13 : Incident au quai 3
Le monde autour d'elle aurait pu s'effondrer, Water Seven englouti par l'Aqua Laguna, le Nouveau Monde en proie aux flammes, et Lise n'aurait rien vu ni entendu, prisonnière d'un baiser qui brisait plus de choses qu'elle n'aurait pu imaginer. Elle se sentait comme une naufragée, accrochée à un rocher, mais le rocher était lui-même en train de se dissoudre, tout comme ses certitudes. Le contact de ses lèvres à lui, si simple, semblait plus dévastateur que toutes les batailles qu'elle avait traversées.
Comment avait-il su ? Comment pouvait-il deviner que derrière cette façade de froideur et de contrôle, elle était aussi fragile, aussi perdue, face à une telle douceur ? Ses lèvres effleuraient les siennes avec une lenteur insupportable, chaque geste, chaque souffle semblait venir effacer tout ce qu'elle pensait savoir sur elle-même. Elle avait toujours cru que l'affection et l'intimité étaient des instruments, des stratégies. Mais lui, il venait de lui prouver, sans le moindre mot, que l'affection pouvait aussi être un piège… un piège dont elle ne savait pas comment sortir.
Lise se retrouva déstabilisée, presque paralysée, sans pouvoir se ressaisir. Elle était formée pour résister à des coups, pour encaisser la douleur, mais face à cet instant, elle était vulnérable. Il n'y avait pas de ruse, pas de calcul, juste cette sensation d'aliénation douce qui l'envahissait. Elle voulait reculer, se retirer, mais son corps ne répondait pas. C'était comme si les murs de son propre esprit, ceux qu'elle avait élevés pour se protéger, commençaient à s'effondrer.
Elle posa instinctivement une main sur son torse, mais non pour l'attirer, juste pour se donner l'impression qu'elle avait encore le contrôle. Elle repoussa légèrement, plus pour se prouver à elle-même qu'elle pouvait encore résister. Son regard croisa celui de Lucci. Ce regard, toujours aussi intense, mais maintenant dénué de toute raillerie. Pas de jeu. Pas de victoire. Juste une profondeur étrange, une sorte de calme qui la bouleversa plus que tout. Il ne se moquait pas. Il n'essayait pas de l'écraser. Il… était juste là.
La question échappa à ses lèvres avant même qu'elle ne puisse la retenir, la voix plus rauque qu'elle ne l'aurait voulu.
— Pourquoi ?
Lucci ne répondit pas immédiatement. Ses yeux glissèrent sur son visage, comme s'il cherchait une réponse dans ses traits. Puis, enfin, un léger sourire effleura ses lèvres. Un sourire qu'elle n'avait pas vu venir, un sourire qui ne correspondait pas à l'homme qu'elle pensait connaître.
— Parce que tu es la seule qui ne sais pas à quel point tu en avais besoin.
Et dans cet instant, Lise, pourtant si sûre d'elle en tant que médecin, en tant que combattante, se retrouva totalement perdue. Le monde, le combat, tout ce qu'elle avait maîtrisé semblait si loin, et elle, qui pensait avoir tout sous contrôle, se sentait plus vulnérable que jamais.
Lucci observa Lise, son regard presque inquisiteur, tandis qu'elle tentait de reculer, de rompre ce contact qui les avait unis d'une manière qu'elle ne voulait pas admettre. Il la voyait lutter contre ses propres émotions, se raccrocher à sa froideur, à son contrôle. Mais lui, il le savait, il avait vu ce frémissement, ce tremblement imperceptible, quand leurs lèvres s'étaient touchées. Elle n'avait pas pu le cacher, ni cette chaleur qui l'avait envahie, ni cette vulnérabilité qui effleurait son regard.
Elle s'était reculée, mais Lucci ne bougea pas, restant immobile, presque absorbé par la scène. Il sentait cette tension entre eux comme un fil tendu, prêt à se rompre à tout instant. Il savait qu'il aurait pu la garder là, dans ses bras, la faire céder à ce désir qu'il devinait. Un simple geste, un baiser plus long, et il l'aurait eue, là, sur cette table, dans cette clinique. Il l'aurait attirée contre lui, lui prouvant que tout son contrôle ne servait à rien face à la réalité de ce qu'ils ressentaient.
Mais il s'en abstint. Parce qu'il ne voulait pas d'une victoire aussi facile. Il voulait autre chose, quelque chose de plus profond, plus déroutant, plus… intime. Il voulait voir jusqu'où elle pouvait aller, comment elle allait réagir à cette tension silencieuse qui les enveloppait. Il la voyait lutter contre elle-même, contre ce besoin qu'elle ne comprenait pas, et cela l'intriguait plus que tout. C'était presque amusant de la voir si déstabilisée, elle qui pensait avoir le contrôle sur tout. Mais là, dans ce silence lourd, elle était perdue. Et il trouvait cela particulièrement mignon.
Lise tenta de se reprendre, de retrouver sa distance. Ses mains tremblaient légèrement lorsqu'elle se détourna de lui, un geste désespéré pour retrouver sa maîtrise. Elle parla d'une voix qui cherchait à être calme, mais qu'il perçut comme légèrement brisée.
— Reposez-vous, Monsieur Lucci. Votre blessure ne va pas se refermer toute seule.
Elle ne parvenait pas à masquer cette fissure dans sa voix, cette brisure qu'elle tentait de refouler, mais qui transparaissait dans ses mots. Il la regarda, un léger sourire étirant ses lèvres. Non, elle n'était pas aussi froide, aussi inaccessibile qu'elle le croyait. Elle n'était pas invulnérable. Il l'avait vue, pour la première fois, véritablement vulnérable.
Il ne répondit pas immédiatement, se contentant de la fixer. Puis, d'une voix plus grave, presque intime, il lâcha :
— Robb.
Le simple fait de dire ce prénom brisa un peu plus la distance qu'elle avait tenté de créer. Ce prénom, il le lui offrait comme un cadeau, une clé pour entrer dans un territoire qu'elle ne voulait pas explorer. Il la regardait, un regard lourd de sens, profond, presque silencieux dans son intensité. Ce n'était pas une requête, mais une invitation à voir les choses différemment, à reconnaître qu'ils étaient bien plus liés que ce qu'elle voulait admettre.
Lise, prise de court, hésita, son regard fuyant le sien, cherchant des excuses pour fuir ce moment. Mais il n'y avait pas d'échappatoire. Le silence entre eux était lourd, presque suffocant. Elle soupira, comme pour se reprendre, et souffla presque dans un murmure, plus faible que ce qu'elle aurait voulu :
— D'accord… Robb.
À cet instant, quelque chose changea entre eux. Ce n'était pas juste un simple nom. Ce n'était pas juste une forme de politesse. C'était un geste, une rupture d'une partie de ses protections, une ouverture. Il avait vu ses barrières se fissurer, il l'avait sentie trembler sous le poids de ses propres émotions, et il savait que rien ne serait plus pareil après cela.
Pour la première fois, Lucci laissa un silence s'installer, un silence lourd, imprégné de cette étrange sensation qu'ils ne pouvaient plus ignorer, qu'ils ne pouvaient plus fuir. Ils étaient là, à cet instant précis, dans un entre-deux fragile. Rien n'était encore joué, mais tout avait changé.
...
Lise restait là, tremblante, l'eau glacée lui frappant la peau avec une violence presque apaisante. Elle était habillée, recroquevillée sur le sol, mais malgré la fraîcheur qui la traversait, elle se sentait oppressée par une chaleur qu'elle n'arrivait pas à repousser. Ses pensées tournaient en boucle, s'entrechoquant dans son esprit comme des vagues incontrôlables. D'habitude, le froid était son refuge, celui qui l'aidait à se concentrer, à ne pas se perdre. Mais aujourd'hui, rien n'y faisait.
Elle se souvenait de ses mains, de sa peau, des cicatrices sur son corps… Son regard s'était ancré dans celui de Lucci, une intensité qui l'avait frappée plus durement que l'eau sur sa peau. Mais pourquoi l'avait-il embrassée ? Pourquoi cet instant suspendu entre eux, ce baiser qui l'avait laissée à bout de souffle ? Lise secoua la tête, essayant d'éloigner l'image de ses lèvres, de ce contact qui avait éveillé des sensations dont elle n'avait pas l'habitude. Elle avait toujours cru maîtriser ses émotions, mais face à lui, c'était comme si ses certitudes s'effondraient.
Elle espérait qu'il ne reviendrait jamais. Elle ne voulait plus le revoir, et pourtant une peur sourde se frayait un chemin dans son cœur. Et si, au contraire, il revenait ? Si c'était lui qui la traquait, qui s'infiltrait dans ses pensées à chaque instant, comme il l'avait fait ce jour-là ? Un frisson d'angoisse la parcourut à cette pensée. Elle ne pouvait pas se permettre de se laisser emporter. Non, elle devait s'éloigner, le plus loin possible.
Mais alors, l'idée qu'il découvre qui elle était, ce qu'elle faisait, la pétrifiait. Une pirate, une commandante de l'équipage de Carl Snow… Il ne pouvait pas savoir. Il ne devait pas savoir. Et si cela faisait tout échouer ? Si il s'éloignait, l'abandonnant à cette vérité terrible qu'elle portait avec elle ? Lise serra les dents, mais son cœur battait plus fort. Pourquoi diable cela l'affectait il autant ? Elle n'avait jamais été aussi vulnérable, et cela la terrifiait plus que tout.
...
Le matin arriva avec la même froideur que l'air de la mer. Lucci se tenait là, observant les réparations en cours, les bruits métalliques résonnant comme une mélodie ininterrompue. Chaque mouvement de son corps était mesuré, précis, comme s'il suivait un rituel bien établi. Il n'avait plus de fièvre, et pour la première fois depuis longtemps, il avait dormi profondément, d'un sommeil sans rêves, sans perturbations. Un sommeil rare, précieux, qui lui permettait de se concentrer sur ce qui importait vraiment : ce qui devait être fait.
Ce baiser… il en avait rêvé pendant des mois.
Il s'était attaché à Bella, la fleur du quartier des Songes, son médecin traitant qui, loin de se contenter de l'inquiéter, semblait véritablement se soucier de lui. Cette préoccupation, cette douceur qu'elle manifestait à son égard, n'était pas sans l'étonner. C'était un genre d'attention qu'il n'avait pas l'habitude de recevoir, un lien qu'il n'avait jamais cherché mais qu'il ne pouvait ignorer. Mais ce qui le déstabilisait encore plus, c'était qu'en un instant, il avait réussi à faire en sorte qu'elle ne pense qu'à lui. Lui, un homme dont la vie n'était faite que de mensonges et de trahisons, un monstre façonné par ses propres choix, dont les instincts le plaçaient aux antipodes de ce qu'il croyait qu'elle représentait. Il la voyait comme une âme pure, une innocente dans son monde brutal, et pourtant il ressentait un désir irrationnel de l'entraîner plus près de lui, de lui faire découvrir un autre aspect de l'existence.
Il en voulait plus. Bien plus. Il voulait voir plus de ses réactions : ces regards embarrassés, ces éclats de colère qui la rendaient encore plus belle, plus vulnérable. Et l'idée de la faire s'abandonner à lui, de la voir se perdre, l'excitait d'une manière qu'il n'avait pas anticipée. S'il pouvait, il aimerait la voir se tortiller sous lui, l'entendre gémir son nom, son corps se repliant sous la pression, les gestes imprévus de sa part qui trahiraient son hésitation. Très prochainement. Il n'y avait pas de place pour les regrets dans ses projets ; la tension qu'il ressentait à chaque interaction ne pouvait que se résoudre d'une seule manière.
Le vent soufflait fort, la chaleur humide de la journée écrasait la ville de son poids. Les bruits des outils, les cliquetis des marteaux et les conversations des charpentiers se mêlaient dans une symphonie désordonnée de labeur. Lucci était concentré, les yeux rivés sur l'édifice devant lui, en train de calculer son prochain mouvement. La construction du bâtiment s'élevait devant lui, le fer et le béton s'entrelaçant dans une danse fragile qui risquait à tout moment de se briser. Il avait l'habitude de travailler dans de telles conditions, mais l'instinct, ce silence prémonitoire, l'avertissait que quelque chose n'allait pas.
Soudain, un grincement strident se fit entendre, à peine perceptible au début, comme un mauvais présage. Puis, ce fut une explosion de bruit – une détonation d'acier, une clameur métallique qui transperça l'air. Un des échafaudages du quai mal sécurisé, céda dans un fracas dévastateur. Les barres de fer, lourdes et acérées, se détachèrent dans une chute vertigineuse, comme des flèches lancées dans un ciel sans défense. Les premiers hurlements fusèrent, déchirant l'air, mêlés à un vacarme infernal de métal contre métal, de pièces se brisant sous la pression.
"Attention !" cria Lucci au dernier moment, sa voix perçant le tumulte. Il se précipita en avant, mais trop tard, trop lentement. Il n'eut que le temps de tourner légèrement son corps, se détournant à la vitesse de l'éclair pour éviter que la barre de fer ne le perce en plein cœur.
Le choc fut brutal. La barre s'enfonça dans son flanc droit avec une violence inouïe, traversant les tissus et la peau, éclatant la chair sous l'impact. Lucci se figea un instant, le souffle coupé. La douleur était aiguë, profonde, comme si tout son côté se faisait déchirer en deux. Mais il n'eut pas le temps de s'attarder sur la douleur. Les hurlements des autres travailleurs autour de lui s'intensifièrent. Il y avait des cris de terreur, des appels à l'aide, un désordre de panique qui se propageait rapidement.
"Vite, secours ! Il y a des blessés !" hurlait l'un des charpentiers, affolé, son visage blême, la sueur perlant sur son front. Un autre, une main enserrant un bras ensanglanté, se traînait sur le sol, les yeux écarquillés de douleur.
Lucci se força à ne pas succomber à l'étourdissement qui menaçait de l'emporter. Son regard se porta sur le chaos autour de lui. Des hommes hurlaient, cherchant à se mettre à l'abri. Un autre échafaudage trembla avant de s'effondrer dans un fracas assourdissant. Des morceaux de béton et des planches volaient dans toutes les directions. L'un des travailleurs hurla de douleur, une barre de fer plantée dans sa jambe. Un autre gémissait sous le poids d'un énorme fragment de métal qui lui écrasait la poitrine.
Lucci vacilla, sentant la chaleur de son propre sang couler lentement. Il posa une main sur son flanc, tentant de stabiliser sa respiration, mais la douleur était insupportable. Il serra les dents, se retenant de crier. Ses muscles se tendirent sous l'effort, ses pensées devenant floues. Pourtant, il ne pouvait se permettre de tomber. Pas ici, pas maintenant.
...
Lise arriva rapidement à l'hôpital de Galley la compagnie, sautant d'un toit à l'autre avec une vitesse impressionnante. Son fruit du démon la rendait quasi invisible, ses mouvements étaient fluides et mesurés, effleurant l'air sans laisser de trace. Elle savait que chaque seconde comptait. Les sirènes de la ville avaient retenti i peine quelques minutes, mais l'agitation qui régnait dans les rues lui indiquait que la situation était plus grave qu'elle n'aurait pu l'imaginer.
Les nouvelles s'étaient rapidement répandues, et Lise n'avait pas hésité une seconde lorsqu'on lui avait demandé de prêter main forte. Lorsqu'elle arriva devant les portes de l'hôpital, elle fut frappée par le tumulte qui y régnait. Des cris, des bruits de pas précipités, des chariots de transport poussés en urgence – tout cela formait un enchevêtrement chaotique. L'hôpital était un champ de bataille. La lumière du jour, pâle et presque irréelle sous les nuages, se reflétait sur les visages tendus des infirmières, qui se précipitaient d'un patient à l'autre, comme si le temps s'était soudainement accéléré.
Les travailleurs étaient un à un transportés à l'intérieur, leur corps blessé et souvent en sang, tandis que les médecins et infirmiers étaient submergés par l'ampleur des blessures. Aucun d'entre eux ne semblait savoir exactement ce qui s'était passé. Les échos des explosions de métal, le cri strident des blessés qui déchiraient l'air, les bruits de chutes violentes résonnaient encore dans les esprits de ceux qui étaient témoins du carnage.
Lise se faufila à travers l'entrée, esquivant les allées bondées et se dirigea directement vers la salle des urgences, où des bras se levaient pour accueillir les blessés les plus graves. Les visages étaient effrayés, pleins de douleur. L'hôpital était en crise, mais les médecins et infirmiers tenaient bon, chacun apportant son aide là où il le pouvait. Les bandages se changeaient frénétiquement, des perfusions étaient ajustées, des ordres étaient hurlés pour préparer les prochaines vagues de blessés.
"Qu'est-ce qui s'est passé ?" Lise attrapa une infirmière qui passait en courant. Son visage était épuisé, ses mains tremblaient de fatigue.
"Un échafaudage du chantier du doc 3 a cédé," répondit l'infirmière d'une voix tremblante. "Des barres de fer sont tombées, certaines ont perforé des travailleurs, d'autres ont été projetées dans la rue. On a plusieurs blessés graves… certains n'ont même pas survécu."
Lise sentit une boule se former dans son estomac. Elle avait vu des scènes de violence, mais là, l'ampleur de la catastrophe la frappait de plein fouet. La douleur, les corps brisés, le sang qui s'épanouissait sur les murs et les sols — c'était plus que ce qu'elle avait anticipé. Elle prit une grande inspiration et se força à se concentrer sur ce qu'elle pouvait faire pour aider.
Lise sentit une boule se former dans son estomac. Le Doc 3... C'était l'endroit où travaillait Monsieur Lucci. La possibilité qu'il ait été impliqué dans l'accident était faible, mais une peur sourde s'installa en elle, grandissant à mesure qu'elle pensait à lui. Ce n'était pas possible, n'est-ce pas ? Ce n'était pas le genre de personne qui se retrouverait là, non... Mais si ?
"Et Monsieur Lucci ? Il est sain et sauf ?" demanda-t-elle, sa voix teintée d'inquiétude.
L'infirmière la regarda gravement, une ombre dans son regard. "Il a été déplacé dans le service des soins intensifs. Son état est très préoccupant. Mais..." Elle s'interrompit en voyant Lise pâlir et se préparer à partir. "Attendez !"
Mais Lise n'avait déjà plus le temps d'écouter. Elle s'élança à toute vitesse, se faufilant parmi les blessés et les médecins qui couraient dans tous les sens. Son cœur battait la chamade dans sa poitrine, chaque battement résonnant dans ses oreilles. Le service des soins intensifs était à l'autre bout de l'hôpital, et à chaque pas qu'elle faisait, elle sentait la panique la saisir un peu plus fort. Les cris, les gémissements, les bruits de brancards qui se heurtaient aux murs, tout cela l'enveloppait comme une brume étouffante.
Arrivée dans le service, elle chercha des yeux le corps qui la hantait depuis des jours. Monsieur Lucci... Où était-il ? Les patients qui s'y trouvaient étaient tous dans des états catastrophiques. Certains étaient à moitié inconscients, d'autres avaient des blessures qui paraissaient fatales. La vue de ce chaos aurait pu l'arrêter, mais pas cette fois. Elle n'était là que pour une seule personne, et son nom brûlait dans son esprit comme une obsession.
Elle s'avança, bousculant les infirmières, le regard fixé sur chaque lit. Puis, enfin, elle aperçut une silhouette allongée, à moitié recouverte de draps. Un homme, son corps tendu sous la douleur, respirant difficilement. Elle s'approcha précipitamment, son souffle court, et son regard se fixa sur lui.
Les cheveux noirs de Lucci étaient éparpillés sur l'oreiller, son visage marqué par la douleur.
Lise déglutit en voyant la barre de fer qui traversait le flanc de Lucci. Un frisson de terreur la parcourut, mais elle réussit à se calmer rapidement. Sa concentration devait être totale. Elle attrapa la fiche patient posée à côté de son lit et se força à la lire avec attention. Les mots sur le papier étaient une piqûre de réalité qu'elle n'aurait jamais voulu voir.
Nom : Robb Lucci Âge : 30 ans
Blessure principale : Traumatisme thoracique avec perforation du flanc droit, barre de fer transperçant la cavité abdominale, présence d'hémorragie interne. Symptômes : Hypotension sévère, perte de sang importante, respiration superficielle et irrégulière, fièvre modérée, pouls faible. Traitement prévu : Intervention chirurgicale immédiate, transfusion sanguine requise, risques de complications internes.
Lise se mordit la lèvre, un sentiment d'angoisse montant en elle. Le constat était sans appel : cette blessure était bien plus grave que ce qu'elle aurait pu imaginer, et il fallait agir vite.
Elle serra la fiche entre ses mains pour tenter de calmer sa nervosité. Elle devait rester calme. Plus que jamais, elle devait l'être.
Elle se pencha alors au-dessus de lui, d'un ton beaucoup plus doux. "Monsieur Lucci... Monsieur Lucci !" appela-t-elle doucement, espérant capter son attention.
Mais aucune réponse.
Elle attendit quelques secondes, le regard fixé sur lui, mais il ne réagissait pas. Frustrée, elle essaya à nouveau, un peu plus fort cette fois-ci. "Robb."
Un mouvement imperceptible. Puis, enfin, ses yeux s'ouvrirent lentement, et il la fixa, ses prunelles sombres à peine conscientes de son environnement. Son regard, bien que flou, se posa sur elle, et un sourire se dessina lentement sur ses lèvres, malgré la douleur évidente sur son visage.
Il savait. Il savait que cette fois-ci, sa blessure était gravement sérieuse. Il ressentait déjà l'inconfort des heures qui allaient suivre. Ce sourire, ce n'était pas celui d'un homme qui espérait tout résoudre. C'était celui d'un homme qui acceptait son sort, du moins en partie.
"Vous êtes venue... argh," dit-il d'une voix rauque, sa souffrance palpable dans chaque syllabe. La douleur se lisait dans ses yeux, mais il ne voulait pas se laisser abattre.
Lise prit une profonde inspiration, et ses yeux se firent plus durs, son ton plus froid, pour masquer le tourbillon d'émotions qu'elle ressentait à cet instant précis. "Ne parlez pas," lui ordonna-t-elle calmement, mais avec une certaine autorité.
Elle n'avait pas le temps pour plus de paroles. Il fallait qu'elle intervienne immédiatement, sinon l'issue serait inévitable.
A suivre ...
