Chapitre 14 :Entre Vie et Mort
Lucci avait du mal à se concentrer sur les mots de Lise. La douleur le rendait léthargique, chaque battement de son cœur résonnait comme un tambour sourd dans ses oreilles. Elle parlait de consentement, d'opération lourde, mais tout ça semblait irréel, comme si elle était bien trop loin de lui, ou que son esprit était trop engourdi pour capter chaque détail.
Ses pensées se bousculaient, floues, comme des vagues que rien ne pouvait arrêter. Il voyait à peine ses lèvres bouger, entendait les bruits de son propre souffle erratique et lourd, et la douleur qui venait du flanc droit, là où la barre de fer était encore enfoncée, n'aidait en rien à éclaircir ses idées. La sensation de sang chaud qui s'écoulait lentement de la plaie lui brouillait l'esprit. C'était une lente dérive, un voyage qu'il ne contrôlait plus.
Lise continuait de parler, mais ses mots s'estompaient. Chaque syllabe semblait une vague lointaine qu'il n'arrivait plus à saisir. Il se forçait à se concentrer, mais c'était comme s'il se noyait dans une mer de confusion, un poids qui l'aspirait toujours plus profondément.
Il voulait lui répondre, lui dire que ça allait, mais la pensée d'articuler même un mot semblait insurmontable. Le sang continuait de couler, de plus en plus vite, et son souffle se faisait de plus en plus irrégulier. Il sentait ses yeux se fermer, comme s'il n'avait plus la force de lutter contre cette lourdeur, cette fatigue insupportable qui pesait sur lui.
"Je... je ne peux pas..." murmura-t-il dans un râle difficile, se rendant bien compte que sa voix n'était qu'un faible écho. Mais il voulait qu'elle sache. Il avait besoin de comprendre s'il allait s'en sortir, ou si ce moment serait le dernier.
Il serra les dents. Les ténèbres semblaient se refermer lentement autour de lui.
...
Lise sentit ses mains trembler légèrement, malgré tous ses efforts pour rester calme. Son esprit fonctionnait à toute vitesse, mais chaque pensée semblait lourde et décousue. Elle inspira profondément, fermant les yeux un instant pour rassembler son calme. Ce n'était pas bon. Pas du tout. Il était dans un état critique, et tout en elle criait qu'elle devait agir vite, mais de façon maîtrisée. Elle avait vu des blessures graves, mais celle-ci... celle-ci était différente.
Elle se leva rapidement et se dirigea vers la pharmacie de l'hôpital. Le bruit de ses pas résonnait dans le couloir presque désert, un écho du chaos qui régnait dans l'hôpital. Il fallait qu'elle se concentre. Tout son esprit se focalisa sur la tâche à accomplir : réagir avec précision, ne rien laisser au hasard. Elle passa en revue la liste des matériaux dont elle avait besoin, ses gestes rapides mais assurés, comme un automate qu'elle ne voulait pas qu'elle devienne. Des instruments chirurgicaux, des antiseptiques, des compresses, mais surtout, des poches de sang. Tout cela devait être prêt.
Elle revint aussi vite qu'elle le pouvait, tenant les sacs nécessaires sous ses bras, et se précipita dans la chambre. La porte se ferma brusquement derrière elle. Elle verrouilla la porte, s'assurant que personne ne viendrait la déranger. Il n'y avait pas de temps à perdre. Personne ne pouvait savoir ce qui se passait ici, personne ne devait savoir. Elle n'avait pas le droit à l'erreur.
D'un geste nerveux, elle enfila une blouse chirurgicale, et commença à préparer la table d'opération, son esprit centré sur l'essentiel. Les rideaux se fermèrent autour du lit, créant un espace clos et intime, où le silence était presque assourdissant. L'odeur familière des antiseptiques envahit la pièce, lui rappelant que chaque seconde comptait.
Lise observa Robb, allongé sur la table d'opération, son corps étendu dans un silence inquiétant. La barre de fer transperçant son flanc était un visage cruel de la réalité. Sa respiration était irrégulière, difficile. Elle savait qu'il n'était plus conscient, mais elle ne pouvait s'empêcher de lui parler, de lui faire sentir qu'elle était là. Elle devait lui donner une raison d'espérer, une raison de s'accrocher à quelque chose, même s'il ne pouvait pas l'entendre. Même si son esprit était déjà ailleurs.
"Robb," commença-t-elle, sa voix calme mais terriblement posée, comme si elle cherchait à briser l'épaisseur du silence, "Il va falloir que vous ayez confiance en moi cette fois-ci. Je ne pourrais pas vous opérer sans anesthésie cette fois-ci. Mais je vous promets une chose : en tant que médecin diplômée de la haute école de Drum, je ferai mon devoir."
Elle observa son visage, marbré de douleur même dans l'inconscience. Elle attendait la moindre réponse, mais il ne bougea pas. Ses paupières restaient fermées, son souffle faible et irrégulier. Ses lèvres pâles et sèches, sa peau blanche comme un spectre. Il était déjà à la frontière de l'indicible, entre l'ombre et la lumière. Un frisson parcourut la nuque de Lise. Elle se forçait à ne pas y penser.
Elle se pencha au-dessus de lui, fermant les yeux un instant pour rassembler ses forces. Elle était calme, calme au point que même l'air autour d'elle semblait suspendu. Rien d'autre n'existait que l'opération à venir. Rien d'autre que lui.
D'un geste précis et rapide, elle prit l'aiguille contenant le puissant anesthésiant et l'enfonça dans son bras. Lise ne lui laissa pas le temps de réagir, ne lui laissa aucune chance de souffrir davantage. La douleur était déjà trop présente, trop intense. Le liquide se diffusa lentement dans ses veines, la lueur des machines pulsant en harmonie avec le rythme de son cœur.
Ses mains tremblaient légèrement, mais elle les força à se stabiliser. Ce qu'elle faisait n'était pas une simple intervention : c'était une épreuve. Une épreuve où ses compétences, sa tranquillité d'esprit, et sa capacité à garder une distance entre elle et ce qu'elle ressentait allaient être mises à l'épreuve.
Les machines bipaient faiblement. Elle baissa les yeux sur les écrans, lisant les informations avec attention. Son cœur battait un peu plus fort. Chaque seconde qui passait faisait la différence. Elle lui injecta plus d'anesthésiant. Il devait être parfaitement endormi, ne rien ressentir. Si quelque chose tournait mal... il n'y avait personne d'autre ici pour l'aider.
Elle prit une profonde inspiration et commença l'opération. Son regard se fixa sur la barre de fer, profondément ancrée dans sa peau. Elle savait que la retirer n'était pas sans risques. Elle avait déjà réalisé des interventions complexes, mais là, c'était différent. C'était lui. C'était Robb Lucci.
Lise sentit la pression monter dans ses veines alors qu'elle se préparait à l'étape la plus critique de l'opération. Personne ne la surveillait, aucun regard extérieur, ce qui était à la fois un soulagement et une source de stress supplémentaire. Ce n'était plus seulement une question de compétence médicale. C'était sa décision, son intervention, et elle devait la mener à bien, peu importe le prix.
Avec une concentration de fer, elle enroula lentement son haki de l'armement autour de sa main, la renforçant, la rendant aussi dure que l'acier. Ses doigts se fermèrent avec détermination autour de la barre de fer. Ce métal tordu, sanglant, et profondément incrusté dans le flanc de Lucci, représentait non seulement un obstacle physique, mais aussi un défi qu'elle ne pouvait pas se permettre d'échouer.
D'un mouvement sec et fluide, elle arma sa main et trancha la barre comme si elle était du bambou. Le métal résista un instant avant de céder sous la pression. Un bruit presque sourd résonna dans la salle d'opération. Le morceau tombé de l'autre côté, désormais parfaitement détaché, laissa une ouverture béante. La partie restante était toujours profondément enfoncée dans son corps, un point d'orgue du calvaire qu'il avait dû endurer.
Lise serra les dents, sentant la sueur perler à sa tempe. L'adrénaline pulsait dans ses veines alors qu'elle posait une main ferme sur la poitrine de Lucci, vérifiant une énième fois sa respiration. Faible, mais stable.
Le morceau de métal fiché dans son flanc était profondément ancré, et chaque seconde qui passait augmentait le risque d'hémorragie fatale. Elle n'avait pas le droit à l'erreur. Pas avec lui.
Elle prit une grande inspiration, ses doigts tremblant légèrement avant qu'elle ne se force à retrouver son calme. Avec la précision d'un chirurgien et la maîtrise d'un combattant, elle tendit la main vers la barre et exerça une pression douce mais ferme. D'abord, rien ne bougea. Puis, lentement, le métal céda à sa volonté, glissant à peine d'un millimètre.
Mais aussitôt, un flot de sang plus abondant jaillit, et son cœur manqua un battement.
Merde.
Les signaux vitaux de Lucci oscillèrent sur les machines, une alarme se déclencha quelque part dans le couloir. Lise l'ignora. Personne ne devait entrer.
Elle accéléra, son fruit du démon en action, maintenant Lucci en lévitation pour limiter toute pression supplémentaire sur sa plaie. Ses mains, pourtant si habiles, se couvrirent de sang chaud alors qu'elle ajustait l'angle du métal pour limiter les dégâts internes. Chaque millimètre qu'elle gagnait ressemblait à une éternité.
Puis, enfin, après ce qui lui sembla une torture interminable, la barre céda et glissa hors de la blessure.
Un bruit métallique résonna violemment lorsqu'elle la jeta au sol. Mais elle n'eut pas le luxe de souffler. Le sang s'écoulait à un rythme alarmant, et Lucci, d'habitude si impassible, laissa échapper un gémissement rauque entre ses lèvres pâles.
— Tiens bon, murmura-t-elle presque dans un ordre.
Elle pressa immédiatement des compresses sur la plaie, ses doigts tremblant sous la pression qu'elle exerçait pour tenter d'arrêter l'hémorragie. Le temps lui échappait, la mort rodait autour d'eux, et chaque battement du cœur de Lucci pouvait être le dernier.
Les signaux vitaux de Lucci continuaient d'osciller dangereusement. L'alarme dans le couloir persistait, mais Lise ne réagit pas. C'était une nuisance, rien de plus.
Elle serra les dents, son regard froid fixé sur la plaie béante. Il saignait trop. Bien trop. Mais elle savait exactement quoi faire. Elle avait vu pire. Fait pire.
Un médecin de Drum ne panique pas. Un médecin de Drum agit.
D'un geste assuré, elle attrapa une seringue d'adrénaline et la planta dans son bras sans la moindre hésitation. Une légère convulsion parcourut son corps, mais il ne se réveilla pas. Ses constantes restaient instables. Pas idéal, mais elle pouvait travailler.
Elle saisit immédiatement une pince et entreprit de dégager les tissus endommagés autour de la blessure. Chaque mouvement était rapide, précis, chirurgical. La barre de métal avait perforé plusieurs vaisseaux mineurs, mais elle ne toucha pas d'organe vital. Il avait eu de la chance. Beaucoup de chance.
Elle appliqua une pression ferme pour contenir l'hémorragie et attrapa une aiguille. Pas de place pour l'hésitation. Elle sutura méthodiquement les tissus internes, fermant chaque plaie avec la précision d'un artisan. Un geste, un point. Un geste, un point. Le rythme était mécanique.
Quelqu'un frappa à la porte.
— Docteur Lise ! Laissez-nous entrer !
Elle ne releva pas la tête.
— Je suis en pleine opération. Personne n'entre.
Sa voix était glaciale, sans appel.
Elle poursuivit. La dernière couche de peau était ouverte comme une plaie de guerre. Elle entreprit de la refermer, veillant à ne laisser aucune tension excessive sur les tissus. Le sang s'était presque arrêté, signe que son travail était efficace.
Derrière elle, la porte s'ouvrit brusquement.
— Docteur— !
Lise attrapa un scalpel de sa main libre et le jeta avec une précision chirurgicale. La lame se ficha dans le mur, à quelques centimètres du visage de l'infirmier qui venait d'entrer. Il se figea.
— Sortez.
Sa voix était aussi tranchante que la lame qu'elle venait de lancer.
Un silence pesant s'installa. L'homme hésita, puis battit en retraite, refermant la porte derrière lui.
Lise reprit son travail sans un mot. Elle termina les derniers points de suture et s'écarta légèrement, observant Lucci. Sa respiration était faible, mais régulière. Son corps était recouvert de sueur, son teint encore livide, mais il vivait.
Elle essuya ses mains couvertes de sang sur un linge propre, puis retira sa blouse souillée. D'un regard, elle confirma que les machines affichaient des signes stables.
L'opération était un succès.
Elle ne sourcilla pas. Elle s'assit simplement sur le tabouret à côté du lit, le dos droit, les bras croisés.
Et elle attendit qu'il se réveille.
...
Le maire, monsieur Iceburg, arriva à l'hôpital dans les plus brefs délais, son manteau encore mal ajusté sur ses épaules. Il avait été averti du grave accident en plein conseil municipal et avait quitté la réunion précipitamment, le cœur battant. En traversant les couloirs aseptisés de l'hôpital, il pouvait entendre les échos d'ordres aboyés par les médecins, le bourdonnement inquiet des infirmiers s'affairant autour des patients blessés.
Lorsqu'il atteignit enfin la salle d'attente où plusieurs contremaîtres de la Galley-La Company s'étaient rassemblés, il balaya la pièce du regard, cherchant à évaluer la situation. La plupart semblaient secoués mais indemnes, à l'exception de trois d'entre eux qui avaient été transportés en urgence vers le bloc opératoire. Parmi eux, Rob Lucci, l'un de ses meilleurs charpentiers.
Iceburg sentit une vague d'inquiétude lui serrer la poitrine. Lucci n'était pas du genre à se laisser abattre facilement. S'il avait été évacué en urgence, c'était grave. Il échangea un regard avec Paulie, dont le visage était marqué d'une tension inhabituelle.
— Qu'est-ce qui s'est passé ? demanda-t-il d'une voix plus dure qu'il ne l'aurait voulu.
Paulie hésita, puis répondit d'un ton grave :
— Une poutre métallique s'est effondrée sur le chantier. Elle a transpercé l'échafaudage et blessé plusieurs hommes. Lucci... il a été touché de plein fouet.
Iceburg serra les poings, tentant de maîtriser la rage et l'inquiétude qui montaient en lui. Les accidents sur les chantiers étaient une chose, mais un effondrement de cette ampleur relevait d'une négligence inadmissible. Il devait comprendre ce qui s'était passé, mais pour l'instant, la priorité était de savoir si ses hommes allaient survivre.
Il se tourna vers l'une des infirmières qui passait près de lui :
— Où en est l'opération ?
Elle hésita un instant avant de répondre :
— On ne sait pas.
D'un coup, elle sentit les regards lourds des contremaîtres se poser sur elle, la transperçant d'une pression silencieuse. Iceburg fronça les sourcils.
— Comment ça, vous ne savez pas ? Vous ne pouvez pas aller voir ?
L'infirmière se tortilla nerveusement, baissant les yeux.
— Eh bien... c'est que le médecin qui opère votre contremaître a déjà menacé plusieurs de mes confrères qui ont tenté de pénétrer la pièce. Si on la dérange, elle a juré de mettre dehors quiconque troublerait l'opération.
Les contremaîtres échangèrent des regards surpris. Paulie grogna :
— Sérieusement ?
— Comme les alarmes de sa chambre n'ont pas retenti, je suppose qu'il est peut-être sorti d'affaire ? estima-t-elle d'une voix gênée, incapable de supporter la pression des autres.
Un silence pesant s'installa, jusqu'à ce que Kaku se lève d'un coup, frappant ses paumes contre ses cuisses.
— Je vais aller voir ! déclara-t-il d'un ton volontaire.
Tous les regards se tournèrent vers lui, certains approuvant, d'autres hésitants. Paulie haussa un sourcil.
— T'es sûr que c'est une bonne idée ?
Kaku haussa les épaules avec un sourire en coin.
— On parle de Lucci, non ? Ce serait bien le diable si cette doc réussissait à le tuer.
Sans attendre d'avis contraire, il se dirigea vers le couloir, prêt à braver la tempête derrière la porte de l'opération.
Kaku marchait d'un pas léger dans le couloir, son habituel sourire détendu plaqué sur le visage. Ceux qui le croisaient ne pouvaient deviner la tempête qui grondait en lui. Il était enjoué, comme toujours, comme on l'attendait de lui. Mais au fond, il bouillonnait.
Il arriva devant la porte et s'arrêta en constatant qu'elle était entrebâillée. Curieux. Il poussa doucement, et ses yeux balayèrent immédiatement la pièce.
Un scalpel était fiché dans le mur.
Puis son regard tomba sur la silhouette assise face au lit de Lucci.
Son sourire s'étira un peu plus, bien qu'un tressaillement involontaire lui parcourût l'échine.
Bella.
Sa Juliette.
— Eh bien, eh bien… si je m'attendais à ça.
A suivre...
