Chapitre 16 : Les "faux" et les "vrais"
La pièce était faiblement éclairée, une simple lanterne vacillante projetant des ombres mouvantes sur les murs de pierre. Ce soir-là, le bar de Blueno était exceptionnellement fermé au public, ses portes verrouillées pour assurer la confidentialité de cette réunion. L'odeur du bois vieilli et des alcools forts imprégnait l'air, rappelant à chacun que cet endroit servait de couverture bien rodée à leurs véritables activités.
Blueno, impassible comme à son habitude, était adossé au comptoir, bras croisés, observant ses collègues avec une patience froide. Il était rare que le Cipher Pol 9 se réunisse de cette manière, mais la situation l'exigeait. Depuis cinq ans, ils opéraient sous couverture dans la cité de Water Seven, et il était hors de question que leur mission soit mise en péril par un « petit accident ».
Kaku, assis en bout de table, caressait distraitement la lame d'un couteau, son expression masquant mal une certaine irritation. Il brisa le silence d'une voix posée mais chargée d'un sous-entendu mordant :
— Lucci n'est plus le même depuis quelque temps... Peut-être que, même s'il ne le veut pas, il a commencé à baisser sa garde.
Son regard aiguisé se posa sur Kalifa, cherchant un accord silencieux. La jeune femme, impeccablement vêtue comme à son habitude, ajusta simplement ses lunettes du bout des doigts. Derrière son apparence soignée et son air détaché se cachait une analyste redoutable, dont la précision n'avait d'égal que son efficacité en combat. Elle laissa planer un instant de réflexion avant de répondre d'un ton mesuré :
— Un accident peut arriver, même aux plus forts. Ce n'est pas forcément une question de faiblesse.
— Un accident ? rétorqua Kaku, haussant un sourcil. On parle de Lucci, Kalifa. Il ne fait pas d'erreurs. Pas comme ça.
Le silence s'installa. Kalifa le fixa, ses yeux froids et calculateurs. Elle savait qu'il avait raison. Lucci n'était pas un homme comme les autres.
Kaku croisa les bras, ses yeux sur le sol, avant de reprendre d'un ton plus grave. "Il a été façonné pour ça. Pour tuer. Sans hésitation, sans doute." Il leva un regard glacial vers Kalifa, comme s'il pesait ses mots. "On l'a tous vu, sur l'Île de l'Enfer. Personne n'a survécu. Lui, il est sorti de là comme une ombre."
Blueno, assis en retrait, ne dit rien. Il ne disait jamais grand-chose. Il regardait, mais son silence en disait plus que des mots. Il laissait parler les autres, analysait, observait. Il n'avait pas besoin de parler pour savoir.
Kaku se tourna enfin vers lui, son ton se durcissant. "Toi aussi, tu l'as vu. C'est un monstre, Blueno. Pas une erreur, pas un faux pas. Il est… parfait dans sa brutalité."
Kalifa, toujours silencieuse, se contenta de serrer légèrement les poings. L'Île de l'Enfer. Là où tout avait commencé. Là où Lucci n'avait fait que suivre son instinct, brisé, impitoyable, effaçant toute trace d'humanité.
Kaku jeta un dernier regard à Blueno. "Il ne se trompe jamais. Et c'est ça, le problème."
Les mots restèrent suspendus dans l'air, lourds de vérité. Parce qu'au fond, Lucci n'était pas un homme. Il était une arme, une perfection de destruction. Et à chaque instant, chaque mouvement qu'il faisait, l'ombre de l'Île de l'Enfer flottait autour de lui.
Blueno se redressa légèrement, ses yeux cachés derrière ses lunettes sombres. Son calme implacable contrastait avec la tension croissante autour de la table. Finalement, il brisa le silence d'une voix neutre, presque clinique.
— Si Lucci n'a pas commis d'erreur, alors comment expliquer qu'il ait été gravement blessé ?
Le silence s'épaissit instantanément, chaque mot résonnant lourdement dans l'air. Kaku se redressa brusquement, et un frisson d'instinct parcourut l'assemblée. Si Lucci était vulnérable, si quelque chose l'avait affaibli, cela devenait un problème grave pour leur mission. Leur travail de l'ombre dépendait de l'efficacité de ce monstre qu'ils avaient créé.
Kaku finit par exhaler un long soupir, l'exaspération marquant ses traits. Il posa son couteau sur la table avec un bruit métallique sec, un geste qui trahissait sa frustration.
— Tout ça, c'est à cause de cette fille !
Blueno ne bougea pas d'un millimètre, son regard restait aussi froid et distant que d'habitude. Il répondit d'un ton glacial, sans montrer une once d'émotion.
— Arrête ça, Kaku.
Kaku l'ignora, l'énervement transperçant ses mots.
— Tu la protèges ?
Il y avait de la colère dans sa voix, mais aussi une pointe de doute. Blueno, en dehors de son rôle habituel d'observateur et d'exécuteur, semblait, pour la première fois, défendre quelque chose de plus que la mission elle-même.
Blueno le fixa d'un regard inexpressif, ses lèvres se tordant légèrement dans une esquisse de sourire impénétrable.
— Je protège mes intérêts.
Aucun autre mot. Seulement cette froideur.
Kalifa, jusque-là silencieuse, intervint enfin, l'air perplexe. Ses yeux glissèrent entre les deux hommes, analysant chaque échange avec l'air d'une personne qui venait de découvrir un secret bien gardé.
— Une fille ? intervint-elle, son ton sec et intrigué. Qui ? Depuis quand ?
Elle les regarda, l'air presque incrédule, comme si l'idée que Lucci s'intéresse à quelqu'un la dépassait. Un monstre comme lui... Cela semblait inimaginable. Pour Kalifa, Lucci était une arme, un être façonné pour détruire, non pour ressentir quoi que ce soit pour un autre être humain.
Le regard de Kaku se durcit encore davantage, l'éclat de colère toujours dans ses yeux.
— Bella Rain. Lâcha-t-il enfin, la voix marquée par la rancœur. Et apparemment, ça fait deux ans que ça dure !
Le nom résonna dans l'air comme une menace. Bella Rain. Un simple nom, mais qui venait perturber l'équilibre de tout ce qu'ils avaient construit. Lucci, celui qui ne fléchissait jamais, celui qui ne faisait aucune erreur, semblait avoir une faiblesse. Un point d'accroche. Et c'était une femme.
Kalifa fixa Kaku, puis Blueno, son esprit commençant à assembler les pièces du puzzle. Mais avant qu'elle ne puisse dire quoi que ce soit, Blueno brisa à nouveau le silence, son visage aussi impassible qu'un masque de pierre.
Kalifa haussa un sourcil, une lueur d'intérêt brillant dans ses yeux perçants.
— Bella Rain ? répéta-t-elle, son ton glacial. C'est le nom du médecin qu'Iceburg recherche. C'est elle qui aurait opéré Lucci.
Un silence. Kaku s'était figé, sa mâchoire crispée, mais il ne dit rien. Blueno, lui, ne réagit pas. Il observait simplement.
— Et apparemment, ça aurait fait jaser à l'hôpital, poursuivit Kalifa d'un ton mesuré, presque désinvolte. L'opération aurait été un trop grand succès pour un médecin dont on ignore les diplômes.
Un son sec résonna. Kaku venait de poser son couteau un peu trop fort sur la table. Son regard était devenu plus dur, plus ombrageux.
— Un succès trop grand, hein ? Sa voix était froide, mais quelque chose y transparaissait—quelque chose de plus personnel.
Kalifa, fine observatrice, ne le manqua pas. Elle posa un regard acéré sur lui. Kaku savait quelque chose.
Il inspira lentement, puis lâcha d'un ton où perçait une rancune mal dissimulée :
— C'est pas une femme ordinaire.
Kalifa croisa les bras, attendant qu'il développe. Il n'avait jamais été du genre à s'accrocher à des détails inutiles, encore moins à réagir de façon aussi tendue.
Blueno, toujours silencieux, laissa le moment s'installer. Kaku finit par redresser la tête, et son sourire fut un rictus amer.
— Tu veux savoir ce qui me dérange, Kalifa ? Il planta son regard dans le sien. C'est que je la connais. Ou plutôt, que je l'ai connue.
Un léger silence s'installa. Kalifa fronça légèrement les sourcils.
— Vraiment ?
— Ouais. Il ricana sans joie. Enfin… "connue", c'est vite dit. Disons que j'ai déjà tenté de lui parler.
Il y avait quelque chose de cinglant dans son ton, une aigreur à peine voilée. Kalifa comprit instantanément.
— Elle t'a rejeté.
Kaku ne répondit pas, mais le rouge lui monta aux joues. Pas de gêne. De colère.
Elle l'avait piqué dans son orgueil. Et elle ne se souvenait même pas de lui.
Il serra les poings, son regard se durcissant. Il se promettait de changer ça. Hors de question de laisser passer cet affront.
Un silence pesant s'installa. Blueno, toujours impassible, observa la tension sans y réagir. Puis, d'une voix calme et inébranlable, il déclara :
— Je vais aller chercher le docteur Zero.
Il marqua une pause, laissant ses mots flotter dans l'air.
— On sera vite fixés sur l'état réel de Lucci. Bien plus que ces médecins de second ordre, en tout cas.
Kaku et Kalifa acquiescèrent sans un mot. Il n'y avait rien d'autre à dire.
Puis, sans un bruit superflu, ils quittèrent les lieux, laissant Blueno seul pour fermer le bar.
...
Lise ouvrit difficilement les yeux. Son corps entier protestait alors qu'elle émergeait lentement du sommeil. Ses muscles endoloris semblaient peser le double de leur poids habituel, et son crâne bourdonnait légèrement sous l'effet du manque de repos.
Elle avait veillé presque vingt-quatre heures, l'adrénaline et la tension l'ayant maintenue éveillée bien plus longtemps que son corps ne l'aurait dû. Pourtant, en dépit de la fatigue qui la clouait au lit, un sentiment étrange l'habitait : un mélange de soulagement et d'appréhension.
Elle avait réussi. Lucci était en vie.
Mais dans quel état se trouvait-il maintenant ?
La pensée la fit se redresser brusquement, et un vertige lui vrilla les tempes. Elle porta une main à son front, reprenant son souffle. Ses propres limites lui rappelaient brutalement leur existence, mais son esprit était ailleurs.
Son regard se posa sur la fenêtre, où la pluie battait contre les carreaux avec une régularité hypnotisante. L'eau tombait à grosses gouttes, épaisse et froide, typique d'un mois de novembre. L'humidité, glaciale, s'insinuait jusque dans ses os, ravivant une vieille douleur diffuse sur son flanc gauche. Ses anciennes blessures protestaient en silence, des souvenirs gravés à même sa chair.
Mais ce n'était pas cela qui lui pesait le plus.
Elle se mordit l'intérieur de la joue, son regard glissant inconsciemment vers la porte de la chambre attenante.
Lucci.
Dans quel état était-il ? L'opération avait été un succès, mais… Elle n'avait pas pu rester pour voir comment il se réveillerait. Après autant d'heures à maintenir une précision chirurgicale, son corps avait fini par lâcher, l'obligeant à s'écrouler sur ce lit.
Son cœur se serra légèrement. Et si quelque chose s'était mal passé ? Et s'il ne se réveillait pas comme prévu ? Et si son corps rejetait le traitement ?
La médecine n'était jamais une science exacte. Elle avait beau être compétente, il existait toujours une part d'inconnu.
Elle inspira profondément, serrant légèrement le tissu de la couverture entre ses doigts. Elle devait se ressaisir. Son intuition ne l'avait jamais trahie jusque-là, et elle savait que Lucci était solide. Mais malgré tout, une étrange sensation la hantait.
Un besoin irrépressible.
Celui de le voir de ses propres yeux.
Elle avait besoin de s'assurer qu'il allait bien. De voir s'il avait repris conscience.
Elle avait besoin de lui parler.
La réalisation la frappa aussi brutalement que la pluie contre la vitre.
Elle fronça les sourcils, repoussant cette pensée dérangeante. Ce n'était pas personnel. C'était son devoir, voilà tout. Elle était médecin. Il était son patient. Rien de plus.
Alors pourquoi son cœur battait il plus fort à cette idée ?
...
Le soleil, timide à travers les nuages, baignait l'atmosphère de la ville dans une lumière grisâtre et morne. À midi, comme à son habitude, Blueno verrouilla les portes du bar. Il se déplaça avec une précision calculée, fermant chaque volet et éteignant les lampes une par une. Le silence pesant de l'endroit ne lui pesait pas. Il l'avait choisi. Les bruits de la rue s'éteignirent, engloutis par la lourdeur de la pluie battante qui frappait les fenêtres.
Blueno se tourna alors vers un coin discret du bar, là où aucune personne n'osait s'aventurer. Un petit espace sombre derrière une étagère, où une porte restait toujours cachée. Il l'ouvrit, la poignée faisant un cliquetis sourd dans la tranquillité de la pièce. Mais cette porte n'était pas celle que l'on trouvait à n'importe quel coin de rue. C'était la sienne. La porte vers le Monde des Portes.
Il n'avait pas besoin de chercher longtemps. Il la savait là, prête à l'emmener n'importe où. Son Doa Doa no Mi, le Fruit de la Porte, lui permettait de tordre et d'ouvrir l'espace à sa convenance, de traverser la réalité à volonté.
Il se tenait là, calmement, les bras croisés. Il savait ce qu'il devait faire. Son objectif n'était pas de se perdre dans la dimension parallèle. Il avait une mission à accomplir.
D'un mouvement fluide, il ouvrit la porte dans l'air, un cercle d'énergie violet pâle apparaissant dans le vide, grandissant peu à peu. Derrière la porte, il n'y avait pas la salle obscure du bar, mais le lien vers Enies Lobby. Un passage qu'il connaissait bien, comme la paume de sa main. Ce n'était pas la première fois qu'il empruntait ce chemin. Il pouvait y aller aussi facilement qu'il franchissait un seuil. Le monde derrière la porte était insondable, une dimension où il n'y avait ni chemin ni orientation. C'était une zone vide, un espace où le temps ne semblait plus s'écouler.
D'un pas assuré, Blueno s'engouffra dans la porte. La salle de bar se ferma dans son dos, et il disparut, englouti par la brèche qu'il venait d'ouvrir. Le sifflement d'une brise étouffée suivit son passage. Le silence du bar persista, comme un écho.
Quelques instants plus tard, Blueno se retrouva à Enies Lobby, la ville où le soleil ne se couchait jamais, baignant sous la lueur froide des lanternes de justice. L'île, vaste enceinte judiciaire, abritait magistrats, greffiers et agents du gouvernement. C'était aussi le lieu où les pirates étaient envoyés avant d'être jugés et transférés à Impel Down. L'air y était lourd et saturé d'humidité, aujourd'hui glacé par une brume fine qui enveloppait l'île. Les ruelles étaient désertes à cette heure, plongées dans une obscurité presque palpable. La pluie frappait le sol avec une monotonie qui rythmait les pensées de Blueno, le monde extérieur lui étant désormais distant.
Il traversa les couloirs sombres du complexe administratif, sa silhouette glissant discrètement, son pouvoir de créer des portes comme une seconde nature. Ce midi, il avait contacté le Docteur Zero, un médecin âgé et arrogant, dont les compétences étaient indiscutables mais qui n'hésitait pas à utiliser des méthodes peu scrupuleuses. Le médecin, appelé pour vérifier que Lucci avait été soigné correctement, accepta l'invitation sans hésitation. Bien que respecté pour son expertise, Zero travaillait souvent dans l'ombre pour le Cipher Pol et les commandos de la Marine, peu préoccupé par l'éthique.
Blueno entra dans le bureau, où le Docteur Zero l'attendait, absorbé dans la préparation de ses instruments. Le médecin, sans lever les yeux, continua son travail avec une concentration implacable. Son bureau était rempli de parties de corps humains immergées dans du formol, tandis que des plantes toxiques reposaient dans des fioles sur une grande table en acier. Blueno savait que le Docteur Zero aimait tester ses produits sur des êtres vivants, particulièrement dans les sombres couloirs d'Impel Down, où les pirates oubliés étaient des sujets de choix, ignorés de tous.
Un frisson parcourut l'échine de Blueno alors qu'il apercevait certaines têtes plongées dans des bocaux de formol, figées dans une terreur absolue. Il tressaillit, reconnaissant dans leurs yeux éteints la peur des derniers instants de vie, capturée pour toujours dans ces cadavres conservés. Un soupir passa sur ses lèvres, mais il ne laissa rien paraître, se forçant à garder son calme. Après tout, ces horreurs faisaient partie de l'ordinaire du gentil docteur.— Docteur Zero, le temps presse, dit Blueno, d'une voix calme mais autoritaire.
Le médecin ne répondit pas immédiatement, continuant de manipuler ses outils comme s'il n'avait pas entendu la remarque. Finalement, il tourna lentement son regard vers Blueno, ses yeux froids et scrutateurs.
Le Docteur Zero ressemblait à un grand-père affable, toujours souriant, avec un air doux et apaisant. Ses cheveux blancs, soigneusement coiffés, encadraient son visage ridé, marqué par les années. Un sourire constant, presque réconfortant, se dessinait sur ses lèvres, masquant parfaitement la véritable nature de son caractère. Il tenait une canne en acier qu'il manipulait avec une élégance surprenante pour un homme de son âge.
Il était vêtu d'un costume trois pièces noir, impeccablement taillé, qui contrastait subtilement avec son air doux et bienveillant. Une broche en forme de croix en argent brillait froidement sur sa cravate noire, comme un symbole silencieux de sa froideur clinique. Par-dessus, il portait un manteau blanc bien coupé, élégant et traditionnel, tandis qu'un stéthoscope pendait autour de son cou, ajoutant une touche médicale à son apparence soignée.
Malgré ses airs affables, le Docteur Zero dégageait une autre impression, plus sombre. Son regard perçant et impitoyable trahissait une cruauté insoupçonnée. Sous cette façade bienveillante se cachait un homme dont la sagesse se mêlait à une froideur glaciale et un dédain manifeste. Il semblait constamment voir les autres comme des instruments, de simples outils pour ses expériences et ambitions personnelles.
— Eh bien... si ce n'est pas le petit Blueno, dit le Docteur Zero d'un ton badin en se retournant vers l'intéressé. J'ai failli attendre.
Il se tourna lentement, un sourire presque débonnaire sur les lèvres. Son regard perça l'atmosphère avec cette froideur distante qui lui était propre, comme s'il n'était jamais pressé, jamais vraiment concerné par la précipitation des autres.
Son sourire ne vacilla pas, mais son regard perça l'atmosphère, aussi froid que la brume qui enveloppait l'île. Il s'approcha lentement, faisant glisser sa canne contre le sol avec une légèreté surprenante. La pièce semblait se rétrécir autour d'eux, l'air chargé d'une tension palpable.
Blueno ne réagit pas à la remarque, maintenant une posture calme et droite, même si l'ironie du médecin le dérangeait. Il avait l'habitude des manières de Zero, mais cela ne signifiait pas qu'il appréciait ce genre de jeu. La différence entre eux, c'était que Blueno savait toujours quand prendre les choses au sérieux, quand bien même l'autre se contentait de sourire.
— Le temps presse, répéta Blueno, son ton plus direct cette fois. Nous avons un travail à faire, et je n'ai pas le luxe de perdre du temps à écouter vos petites piques.
Le Docteur Zero haussait légèrement les sourcils, amusé, comme s'il trouvait ce sérieux soudain quelque peu rafraîchissant.
— Si Robb Lucci a été opéré, même par un de ces faux médecins, et qu'il a passé la nuit, c'est qu'il est hors de danger, dit le Docteur Zero d'une voix pleine de condescendance.
Il s'approcha lentement de la table où trônaient les instruments, son sourire toujours en place, mais son ton trahissant une forme d'ennui.
- Mais puisqu'il faut se presser... allons y.
Pour le Docteur Zero, ceux qui n'avaient pas expérimenté la souffrance, compris ses effets et traversé le parcours impitoyable de la haute école de Drum, ne pouvaient jamais appréhender la complexité et la profondeur de l'art médical. Seuls ceux qui avaient été façonnés par cette école, qui avaient enduré la douleur et surmonté les épreuves, comprenaient véritablement ce que signifiait être médecin.
Pour lui, toute la question se résidait dans le gouffre qui séparait le fait de soigner et celui de guérir. Soigner, c'était une tâche simple, presque banale. Mais guérir, cela demandait une maîtrise totale de la souffrance humaine, une capacité à en comprendre la nature même, à la manipuler, à la transformer. Et cela nécessitait une détermination inébranlable, une volonté d'atteindre l'essence même du corps et de l'esprit.
Seuls ceux qui avaient traversé ce gouffre de souffrance et de sacrifice pouvaient prétendre à cette forme de guérison pure. Et ceux qui en étaient incapables, comme ces "faux médecins", n'étaient que des aveugles manipulant des instruments, sans comprendre ce qu'ils faisaient.
A suivre ...
