Chapitre 18 : L'écriture de la peur

En entrouvrant la porte de son bar, Blueno aperçut la lumière tamisée de la clinique, qui semblait défier la nuit sombre et la pluie battante. Un frisson d'agitation traversa son corps. Il fallait qu'il la voie. Il n'avait plus le temps de tergiverser. Ses doigts tremblaient légèrement à cause de l'urgence de la situation, un mélange de frustration et de besoin incontrôlable de réponses. Il voulait qu'elle lui révèle ses intentions, qu'elle montre son vrai visage. Il se doutait bien que quelque chose n'allait pas, mais ne pouvait l'accepter sans confirmation. En tant qu'assassin méthodique, chaque détail, chaque mouvement comptait, et laisser un tel risque en vie était impensable. Rien dans sa logique ne justifiait cette incertitude, pas même son diabète.

Il traversa la rue d'un pas décidé, son cœur battant plus fort qu'il ne le voulait. En entrant dans la clinique, il balaya rapidement la pièce. Quelques patients, de simples maux mineurs, rien de pertinent. Mais elle, elle n'était pas là. Son regard s'intensifia à mesure qu'il scrutait les lieux.

Mais au lieu de la trouver, il tomba sur Albedo Stern, le propriétaire de la clinique, occupé à ausculter un patient souffrant d'une otite.

Albedo le salua chaleureusement, comme toujours, mais Blueno ne perdit pas de temps avec les politesses. Il était trop pressé, trop tendu pour jouer à ce jeu.

"Tu n'aurais pas vu Bella ?" demanda-t-il brusquement, la voix trahissant une certaine impatience. "C'est pour un renouvellement d'ordonnance, je n'ai plus d'insuline."

Albedo haussait les sourcils, surpris. "Déjà ? Hum… c'est dommage, tu viens juste de la rater. Elle m'a dit qu'elle devait se rendre au chevet d'un patient. Celui qu'elle a opéré hier, comment s'appelle-t-il déjà… ?"

Blueno n'eut même pas la patience d'écouter la fin de la phrase. Il avait déjà tourné les talons, se précipitant hors de la clinique sans un regard en arrière.

L'insuline, c'était une excuse. Il savait parfaitement comment s'en procurer ailleurs si besoin. Il avait juste besoin d'une raison pour la trouver, de quelque chose qui justifie sa présence, un moyen de se donner un peu de temps pour l'affronter. L'angoisse de l'ignorance l'étouffait.

Il savait exactement où elle était. Ni une ni deux, il fit apparaître une porte avec son fruit du démon et se retrouva instantanément à l'hôpital. Chaque pas qu'il faisait dans les couloirs semblait plus lourd que le précédent. La pression montait en lui à chaque seconde qui passait sans qu'il ne l'ait vue.

Il n'allait pas s'arrêter tant qu'il n'aurait pas les réponses qu'il cherchait.

...

Bella venait tout juste d'entrer dans la chambre de Robb Lucci. Ce dernier se réveilla lorsqu'elle pénétra dans la pièce, ses yeux se levant lentement vers elle. Au départ, elle sembla s'intéresser à sa fiche de patient, scrutant les détails pour vérifier ce que les médecins avaient fait durant la nuit. C'était une procédure standard, une étape qu'elle accomplissait toujours avec sérieux avant d'intervenir. Mais en tournant les pages, un détail fit soudainement monter une exaspération sourde en elle.

Le treize sur vingt. Ce malheureux treize sur vingt inscrit sur son rapport d'opération la fit tiquer instantanément. Elle sourit alors qu'en elle la colère montait en flèche. Qui osait encore la noter ainsi, alors qu'elle avait été diplômée de Drum, l'une des écoles les plus prestigieuses du monde médical ? Elle avait cru à une blague, à une erreur, mais son agacement se mua en incompréhension. Treize sur vingt, sérieusement ? Elle n'était pas une débutante. Et cette opération avait été un succès, la preuve sous ses yeux.

Elle s'apprêtait à tourner la page, mais quelque chose l'arrêta. Ce n'était pas seulement la note qui la dérangeait, mais bien l'annotation qui suivait, écrite en noir et soigneusement soulignée : "Venant de vous, peut mieux faire." Ce commentaire semblait dérisoire pour certains, mais pour Bella, c'était une insulte. Elle connaissait sa valeur, son expertise. Mais ce qui la fit vraiment se figer, ce qui lui hérissa la peau, était le style d'écriture.

Les "t" étaient remplacés par des petites croix, le "i" avait perdu son point, remplacé par une petite marque qui ressemblait plus à une signature qu'à un simple détail. Chaque lettre semblait soigneusement placée, mais ce n'était pas la calligraphie ordinaire. Ce style d'écriture, impossible de se tromper. Elle n'avait jamais oublié cette écriture, même après tout ce temps. Zero Hartmann. ZH. Ce nom, cette signature… c'était lui, aucun doute.

Elle sentit son estomac se nouer. Mais qu'est-ce que le Docteur Frankenstein faisait ici ?

Lucci, allongé dans son lit, observait Bella en silence, sa respiration calme mais vigilante. Il la vit feuilleter rapidement son dossier médical, les yeux concentrés sur les pages, mais il détecta une nervosité inhabituelle dans ses gestes. Puis, tout à coup, elle se figea. Ses mains tremblèrent légèrement, ses yeux s'écarquillèrent, et il sentit une pression sourde dans la pièce. Comme si quelque chose venait de basculer. Il n'eut pas besoin de regarder plus longtemps pour savoir que quelque chose n'allait pas.

Les jambes de Bella se mirent à trembler, ses yeux à se révulser, et l'expression de son visage changea. Elle semblait lutter contre une terreur invisible, une panique incontrôlable. Il la vit se rouler en boule, ses cris déchirants brisant le silence de la pièce. La tension monta d'un cran, et une vague d'angoisse traversa Lucci. Il n'avait jamais vu Bella dans cet état. C'était elle, mais ce n'était plus elle. Il était impuissant, cloué à son lit, une douleur fulgurante l'empêchant de bouger. Chaque fibre de son corps hurlait de douleur, mais il ne se préoccupait que de Bella.

Bella ! Est-ce que vous allez bien ?!

Sa voix, d'habitude si calme et assurée, trembla sous la pression. Aucune réponse. Ses yeux fixèrent la scène avec angoisse, une douleur mordante dans son ventre. Il tenta de se lever, mais la douleur l'arrêta net. Il appuya sur le bouton d'urgence, son cœur battant la chamade. L'adrénaline affluait, le rendant fébrile. Il avait peur, et cela, c'était quelque chose qu'il n'avait pas l'habitude de ressentir. Pas face à Bella. Pas devant cette souffrance qu'il ne comprenait pas.

Les infirmières arrivèrent en hâte, mais leurs gestes semblaient trop lents, trop maladroits. Elles tentaient de la calmer, de lui administrer des calmants, mais Bella semblait étranglée par une terreur viscérale, comme si un monstre invisible la dévorait de l'intérieur. Les infirmières étaient dépassées, et les secondes se transformaient en minutes. Lucci, toujours immobilisé, grimaçait de douleur, mais son regard ne quittait pas Bella.

Lucci la regarda se calmer lentement, ses tremblements cessant peu à peu sous l'effet des calmants administrés par les infirmières. Son souffle, auparavant saccadé et désespéré, retrouva une certaine régularité. Pourtant, une lourde pression restait dans l'air. Même si elle semblait reprendre ses esprits, quelque chose en lui ne cessait de s'agiter, une sensation de malaise qui ne le quittait pas.

Il sentit son regard se durcir en croisant celui de Blueno. L'homme se tenait dans l'embrasure de la porte, silencieux comme une statue, mais sa présence emplissait la pièce de menaces non dites. Les yeux de Blueno étaient d'un froid glacé, comme une lame prête à frapper. Il ne bougeait pas, ne disait rien, mais son regard portait une intensité qui fit naître en Lucci une vive inquiétude.

Que faisait-il là ? Ce n'était pas un hasard. Blueno ne se trouvait jamais dans un lieu sans raison, surtout pas dans une situation aussi tendue. Chaque muscle de Lucci se tendit sous cette observation glaciale. Il y avait quelque chose de calculé dans la manière dont Blueno observait Bella, comme s'il cherchait une faille, comme s'il attendait quelque chose de précis.

Les infirmières, complètement absorbées par leur tâche de stabiliser Bella, ne semblaient pas remarquer la présence de Blueno. Mais Lucci, lui, ne pouvait détourner les yeux. Il était comme un prédateur guettant un mouvement, cherchant un signe. Une onde de danger, légère mais indéniable, se propageait depuis l'ombre où Blueno se tenait.

Ce dernier ne lâchait pas Bella du regard, et Lucci ressentit une poussée de colère. Pourquoi ce silence ? Pourquoi cette attente pesante ? Quel était son objectif ici ?

Bella était assise sur la chaise, son corps affaissé sous le poids de l'épuisement. Les injections, le magnésium, tout cela l'avait laissée vidée de ses forces. La couleur avait quitté son visage, et ses mains tremblaient encore légèrement, non pas à cause de la douleur physique, mais d'un traumatisme plus profond, plus insidieux. Un choc psychologique qu'elle n'avait pas anticipé, un état d'urgence qu'elle n'avait pas su maîtriser. Elle fixait le sol, ses yeux vides, comme perdus dans un abîme de confusion.

Dans la pièce, l'atmosphère était lourde, silencieuse, presque figée. Les infirmières étaient parties, leurs pas se faisant lointains alors que la tension montait d'un cran. Bella, encore sous l'effet des calmants, n'avait pas conscience que Blueno venait d'entrer discrètement dans la pièce. Il s'était glissé comme une ombre, ne laissant derrière lui que le bruit léger de ses pas. Aucun mot, aucun geste superflu. Juste une présence, froide et intimidante.

Puis, un son, une voix cassée mais autoritaire, brisa le silence. Lucci, enfin capable de reprendre la parole, fixa Bella avec intensité. Il n'avait pas besoin de mots superflus. Ce qui se passait dans cette pièce, il le savait, il le sentait. Mais il devait comprendre, il devait savoir ce qu'il venait de se passer.

Que s'est-il passé ?

La question, posée avec une calme détermination, résonna comme un coup de tonnerre dans l'air lourd. Il la regardait, ses yeux remplis d'inquiétude et de méfiance, mais aussi de frustration. Il avait vu Bella perdre le contrôle, il avait vu cette terreur imprégnée dans chaque fibre de son être. Il fallait qu'elle parle. Il fallait qu'elle lui dise ce qui s'était passé, ce qui l'avait poussée dans cet état.

Bella parla d'une voix tremblante, mais il y avait une détermination cachée derrière ses mots, une force qu'elle ne laissait pas souvent transparaître. Ses souvenirs de Drum, de cette époque terrifiante à l'école de médecine, semblaient déferler en elle comme une vague qu'elle ne pouvait plus retenir.

Je ne sais pas si je te l'ai dit, mais j'ai grandi à Drum. Elle marqua une pause, comme si elle pesait chacune de ses paroles, avant de continuer, la gorge serrée. Et j'ai étudié dans la haute école de médecine de Drum, la plus grande école de médecine du monde.

Elle ferma les yeux un instant, comme si les images du passé revenaient avec une telle force qu'elles la submergeaient. La pluie dehors martelait la fenêtre, mais dans la chambre d'hôpital, l'atmosphère était oppressante. Les voix de Blueno et Lucci se taisaient, écoutant attentivement.

Là-bas, les cours étaient très durs, et il n'était pas rare de voir des aspirants étudiants retrouvés morts sur leur bureau, écrivant une thèse. Ça arrivait. Des professeurs durs, il y en avait, ceux qui surchargeaient leurs élèves de devoirs, c'était fréquent. Mais il y en avait un qui était encore pire... le professeur Zéro.

Le nom tomba dans l'air comme une bombe. Lucci se redressa, une lueur d'attention dans ses yeux, et Blueno, silencieux dans l'ombre, changea imperceptiblement de posture. Ce nom… Zero Hartmann. Un homme de l'ombre, un monstre, un génie médical avec des méthodes bien au-delà des limites éthiques. Ils le connaissaient tous deux, mais à cet instant, l'un comme l'autre étaient captivés par les mots de Bella, ne quittant pas sa figure décomposée par la douleur du souvenir.

Le professeur Zéro était le chef du département de chirurgie, continua Bella, la voix presque froide en se remémorant cette figure terrifiante. Sa spécialité était l'étude des cellules souches et la transplantation d'organes. Dans un cas classique, il y avait des probabilités que l'hôte rejette l'organe du donneur. Mais lui… il avait trouvé un moyen pour que ses transplantations réussissent toujours. Il était le numéro un mondial dans ce domaine.

Elle s'arrêta un moment, les yeux dans le vague, cherchant ses mots avec peine, comme si chaque phrase qu'elle prononçait la faisait replonger dans les ténèbres.

Cependant... c'était un monstre. Un vrai sadique. De toute sa carrière, la plus haute note qu'il ait jamais donnée, c'était quinze. Et si vous aviez en dessous de onze, vous aviez droit à une retenue. Elle se mordit la lèvre, visiblement dégoûtée par ses propres souvenirs. Lors de ces retenues, il lui arrivait de… torturer les gens.

Le regard de Lucci se fit plus sombre, une tension palpable s'installa dans la pièce. Il comprenait maintenant. Chaque mot, chaque détail raconté par Bella, tissait la toile d'un passé bien plus horrible qu'il n'avait imaginé. Et Blueno, toujours immobile dans l'embrasure de la porte, semblait écouter chaque mot avec une attention déconcertante.

Il disait qu'un vrai médecin ne pouvait pleinement comprendre ses patients qu'au travers de la douleur, poursuivit Bella, les yeux écarquillés, comme si elle revivait cette horreur. Que ce n'était qu'à ce prix-là qu'il pourrait s'élever… et transcender sa condition de faux médecin en vrai. Pour nous effrayer, il nous enfermait parfois dans sa galerie, remplie de têtes et de morceaux d'êtres humains plongés dans du formol. C'était un spectacle… horrifiant.

Elle fit une pause, ses mains tremblant à peine. La mémoire semblait la ronger de l'intérieur, mais elle n'en disait pas plus. Elle regarda Lucci, cherchant à comprendre s'il la jugeait, s'il comprenait la profondeur de ce qu'elle venait de partager.

Certains ont quitté Drum, ont quitté le monde médical à cause de lui. D'autres… d'autres sont morts. Elle baissa les yeux, un léger frisson parcourant sa colonne vertébrale. Moi… moi j'ai survécu. J'ai eu de la chance.

Le silence dans la chambre se fit lourd, presque insoutenable. Lucci observa Bella, sentant l'intensité de ses paroles pénétrer jusque dans ses entrailles. Il avait vu des horreurs, il avait été confronté à la violence, mais il comprenait maintenant que ce qu'elle avait vécu allait bien au-delà de ce qu'il aurait pu imaginer.

La panique se lisait clairement sur le visage de Bella, malgré les cachets qu'elle venait de recevoir. Ses yeux s'écarquillèrent, et ses mains tremblaient plus intensément alors que ses paroles se faisaient de plus en plus incohérentes.

Il était là... murmura-t-elle, horrifiée, comme si elle venait tout juste de réaliser l'ampleur de la situation. Elle se leva brusquement, son corps vacillant sous l'effet des calmants, mais la terreur qui bouillonnait en elle semblait lui donner une force qu'elle ne contrôlait plus. Je ne sais pas pourquoi... Mais il était là ! Il a relu mon compte rendu médical, a vérifié mon travail et l'a annoté ! Il m'a mis une note et s'est moqué de moi !

Elle se mit à crier, l'esprit devenu un tourbillon de confusion et d'angoisse. Son rire était presque hystérique, une rire sans joie, sans contrôle.

Il a dit que venant de moi, je pouvais mieux faire ! Mieux faire ! s'écria-t-elle, sa voix se brisant sous la pression. Ses doigts se crispaient sur les accoudoirs de la chaise, ses ongles s'enfonçant dans le bois. Mais qu'est-ce qu'il est venu faire ici ?! Pourquoi ce fou de docteur Frankenstein est-il venu à Water Seven ?!

Ses yeux s'agrandirent, une peur viscérale s'emparant d'elle alors qu'elle se rendait compte de l'absurdité de la situation.

Non... il est quand même pas venu pour me retrouver ?! La panique envahit son visage, et elle se leva d'un bond, titubant avant de se rasseoir rapidement, les jambes tremblantes. Ce serait à cause du mémoire foireux que j'ai rendu il y a six ans ? Il a pas oublié ?

Elle se coucha presque dans le fauteuil, ses mains plaquées contre ses tempes, luttant pour calmer les pensées qui tourbillonnaient dans sa tête. Ses respirations étaient saccadées, désespérées.

Que vais-je faire ? Je ne veux pas revivre ça... murmura-t-elle d'une voix brisée. Ses yeux se remplirent de larmes, et elle se cacha le visage dans ses mains, un tremblement incontrôlable secouant tout son corps.

Lucci, bien que cloué à son lit par ses blessures, ne pouvait détourner le regard. Il observait Bella, captivé par la fragilité qui se déployait devant lui. Ce n'était pas la femme forte et déterminée qu'il connaissait, celle qui l'avait soigné avec une précision implacable, ni même celle qui affrontait la douleur avec un calme presque inhumain. Non, cette Bella-là, effondrée et brisée, était totalement différente.

Elle se tordait de panique dans le fauteuil, ses mains tremblantes, sa respiration saccadée, la terreur brisant sa voix. Lucci, l'assassin froid et implacable, se retrouvait démuni face à cette vision. Il la voyait non plus comme une simple médecin ou alliée, mais comme une femme véritablement vulnérable, une femme qu'il n'avait jamais vue sous cet angle. Et c'était cette vulnérabilité qui le frappait, un sentiment qu'il ne savait comment qualifier.

Il était habitué à son calme et à sa détermination, à son implacabilité face à la violence. Mais la voir brisée, complètement perdue, c'était... perturbant. Elle s'était battue pour lui, l'avait sauvé, sans jamais flancher. Pourtant, là, elle se noyait dans la peur, et il ne pouvait rien faire pour l'aider.

Une frustration intense l'envahit. Il voulait bouger, intervenir, mais ses blessures le clouaient à son lit. Il ressentait ce besoin viscéral de la protéger, de la prendre dans ses bras pour la rassurer, mais c'était impossible dans son état. Ses yeux ne la quittaient pas, observant la femme qui, aujourd'hui, semblait la plus vulnérable des deux. Cela l'énervait, le perturbait profondément.

A suivre...