Chapitre 19 : Révélations fracassantes

Lucci observa Blueno d'un œil glacial, son regard d'acier fixé sur son coéquipier alors qu'ils étaient désormais seuls dans la chambre d'hôpital. L'absence de Bella vidait la pièce de son seul élément tempérant. Sans elle, l'atmosphère redevenait ce qu'elle était toujours censée être entre deux assassins du gouvernement mondial : froide, clinique, dénuée du moindre semblant d'humanité.

Les infirmières l'avaient emmenée à l'aile psychiatrique pour un suivi et une prescription de médicaments. Une mesure de routine, censée garantir qu'elle ne représentait aucun danger – ni pour elle-même, ni pour les autres. Lucci n'en était pas convaincu. Il connaissait Bella, savait qu'elle cachait bien plus qu'elle ne laissait paraître. Mais ce qui le dérangeait le plus, c'était un autre nom. Un nom qu'elle avait prononcé.

Le docteur Zéro.

Lucci connaissait très bien cet homme et sa réputation au sein du Cipher Pol. Ce n'était pas un médecin ordinaire, ni même un simple pion du gouvernement. Son nom circulait entre les couloirs du pouvoir comme une ombre insaisissable, son influence s'étendant bien au-delà de son rôle officiel.

Qu'il ait été l'ancien professeur de Bella… Qu'il l'ait potentiellement torturée et laissé une trace indélébile en elle…

C'était inacceptable.

Un frisson imperceptible parcourut Lucci. L'homme derrière ce nom n'était pas un simple praticien, encore moins un mentor bienveillant. Si Bella l'avait eu comme professeur, alors elle avait connu un enfer dont elle n'était peut-être jamais vraiment sortie.

Blueno, quant à lui, feuilletait le dossier médical avec une concentration silencieuse. Son regard parcourait les pages avec méthode, cherchant la moindre anomalie, la plus infime preuve. Et il tomba dessus.

Une simple annotation, tracée d'une main ferme.

"Venant de vous, peut mieux faire."

Ses sourcils se froncèrent imperceptiblement.

"Venant de vous ?"

Son cerveau s'emballa, analysant, calculant. Il avait été naïf de croire que le docteur Zéro répondrait à sa question simplement parce qu'il la lui avait posée. Cet homme n'était pas de ceux qui livraient des réponses, mais de ceux qui les ensevelissaient sous des couches d'ambiguïté.

Mais cette phrase…

Il n'aurait pas écrit ces mots s'il ne savait pas exactement à qui il s'adressait.

Un détail subtil, presque invisible pour un œil non averti. Mais pour quelqu'un qui avait enseigné, qui avait vu des centaines d'élèves griffonner notes et rapports… c'était une signature indélébile.

Le docteur Zéro avait eu l'usurpatrice en tant qu'élève.

Non. Pas une simple élève. Il avait dit qu'elle était une "vraie", c'est-à-dire une élève diplômée de la haute école de Drum, un institut qui ne délivrait son diplôme qu'à moins de dix personnes par an. Pour ces rares élus, des milliers d'autres étaient sacrifiés sur l'autel du savoir et de la violence. Un endroit impitoyable, où le docteur Zéro avait régné en gardien du seuil.

Alors pourquoi n'avait-il rien dit ?

Soit il attendait le bon moment pour frapper, soit il jouait un jeu plus retors. Et cela ne lui plaisait pas.

Un bruit sec brisa sa réflexion.

— Tu m'écoutes ?

La voix de Lucci claqua dans l'air comme un coup de fouet. Blueno releva la tête, croisant le regard perçant de son coéquipier.

— Pourquoi le docteur est-il venu ? poursuivit Lucci d'un ton tranchant. Je croyais que la mission nécessitait de faire profil bas.

Son regard scrutait Blueno comme s'il pesait chaque seconde de son silence.

Blueno referma le dossier dans un claquement sec, ses yeux sombres s'accrochant à ceux de Lucci. L'air était chargé d'une tension sourde, menaçante.

— On s'est réunis au bar et on a parlé de ton état, lâcha-t-il enfin d'un ton mesuré.

Lucci ne répondit pas immédiatement. Il se contenta de fixer Blueno, impassible, son regard aiguisé trahissant néanmoins une pointe d'impatience.

Blueno poursuivit, la voix plus grave.

— Il se trouve que depuis un certain temps, Kaku avait des doutes sur Bella.

Lucci plissa les yeux.

— Des doutes ?

— Oui. Quelque chose ne collait pas.

Blueno croisa les bras, jaugeant la réaction de son coéquipier avant de reprendre.

— Cela risque de ne pas te plaire, mais ils ont fait des recherches sur Isabella Rain.

Un silence s'étira entre eux, tendu comme une corde prête à rompre. Lucci ne broncha pas.

— Et ?

Blueno inspira lentement, pesant chaque mot avant de lâcher la bombe.

— Nulle part, il n'est inscrit qu'elle a été diplômée en médecine.

L'espace d'un instant, une ombre fugace traversa le regard de Lucci. Une fraction de seconde. Presque rien. Mais pour quelqu'un comme Blueno, c'était suffisant.

— Et malgré tout, enchaîna-t-il, elle est parvenue à te sauver la vie. Seule. En réalisant une opération chirurgicale complexe.

Lucci resta silencieux.

— Alors, forcément, nous avions des doutes.

L'homme-chat redressa légèrement la tête, son regard devenant plus perçant.

— Nous ?

Blueno ne se démonta pas.

— Kaku. Jabra. Moi. Les autres.

Il marqua une pause, puis lâcha d'un ton neutre :

— J'ai fait venir le docteur Zéro pour t'examiner.

Un froid encore plus intense s'abattit sur la pièce.

Lucci ne cilla pas. Mais son aura changea imperceptiblement.

— Et ?

Blueno serra les dents, puis déclara d'une voix plus basse, presque grave :

— C'est là qu'il a révélé que celle qui t'avait opéré… ne pouvait être qu'un de ses anciens élèves diplômés.

Lucci ne bougea pas d'un millimètre, mais son regard se fit plus dur, plus tranchant.

— Continue.

Blueno glissa lentement ses doigts sur le dossier, pesant le poids des mots qu'il s'apprêtait à prononcer. Puis il fixa Lucci droit dans les yeux.

— Quand je lui ai donné le nom d'Isabella Rain…

Il marqua un silence.

— Il m'a dit que c'était impossible.

Le silence qui suivit était assourdissant.

Lucci ne bougea toujours pas. Pourtant, une tension indéfinissable crispait la ligne de sa mâchoire.

Puis, enfin, il parla.

— Pourquoi ? demanda-t-il d'un ton bas, tranchant comme une lame.

Blueno hésita une fraction de seconde, puis lâcha la dernière pièce du puzzle.

— Parce qu'elle est morte.

Il inspira, puis ajouta d'une voix qui résonna comme une sentence.

— Isabella Rain est morte depuis des années.

Le silence qui suivit était implacable.

Et dans le regard de Lucci, une lueur dangereuse venait de naître.

...

Morte.

Le mot résonna dans son esprit avec une froideur chirurgicale.

Il analysa l'information comme il l'aurait fait sur le terrain, détaché, méthodique. Chaque élément s'imbriquait dans un schéma logique, un puzzle dont il n'avait pas encore vu l'image complète. Mais quelque chose en lui… vacillait. Un frisson imperceptible lui parcourut l'échine, et ce n'était pas la peur.

C'était la colère.

Pas une colère explosive. Pas une rage aveugle comme celle qu'il voyait parfois chez Jabra. Non. C'était une colère froide. Une onde glacée qui se répandait lentement dans ses veines, s'infiltrant dans chaque recoin de son esprit. Une colère silencieuse.

On lui avait menti.

Elle lui avait menti.

Non… Elle était un mensonge.

Depuis combien de temps jouait-elle ce rôle ? Depuis combien de temps trompait-elle tout le monde avec cette fausse identité ? Et surtout… pourquoi ?

Il passa en revue tout ce qu'il savait d'elle. Son comportement. Son calme inébranlable. Ses moments de panique bien trop rares pour être naturels. Sa façon de masquer ses réactions sous une façade trop lisse, trop maîtrisée.

L'idée qu'elle puisse être liée au docteur Zéro le répugnait. Cet homme… Il le connaissait de réputation. Un tortionnaire brillant. Un génie froid et méthodique. Un homme qui n'enseignait pas la médecine… mais la douleur.

Elle a été son élève…

Un goût amer lui vint en bouche.

Ça veut dire qu'il l'a façonnée. Il l'a brisée. Il l'a reconstruite à son image.

Une part de lui voulait rejeter cette idée. Bella n'avait rien d'un monstre. Il l'avait vue hésiter. Il l'avait vue douter. Il l'avait vue… ressentir. Elle n'était pas comme lui.

Et pourtant…

Elle lui avait menti sur tout.

Un mensonge si parfait que même lui s'y était laissé prendre. Lui.

Blueno attendait sa réaction. Il l'observait, prêt à encaisser une explosion de rage ou un accès de violence. Mais Lucci n'était pas un homme qui se laissait aller à ce genre de faiblesse.

Il leva lentement les yeux vers lui.

Son regard n'exprimait rien.

Je vois.

Sa voix était aussi tranchante qu'une lame affûtée. Aussi froide que la lame d'un scalpel.

Mais à l'intérieur…

À l'intérieur, quelque chose venait de se fissurer.

- Ce n'était qu'une supposition, déclara Blueno d'un ton neutre, mais chargé de sous-entendus. Mais je pense que le docteur Zéro connaît son identité.

À ces mots, l'expression de Lucci fut immédiate. Son regard s'assombrit, une ombre fugace traversa ses traits, mais il n'esquissa aucun mouvement. Une fraction de seconde plus tard, il redevint impassible, comme si rien ne l'atteignait.

Blueno l'observa brièvement avant de poursuivre :

Mais le connaissant, il gardera ce secret pour lui.

Le silence qui suivit fut lourd, presque oppressant. Seul le bruit du dossier médical que Blueno tenait encore résonnait légèrement dans la pièce. L'air était glacé, chargé d'une tension sourde qui ne demandait qu'à exploser.

Lucci paraissait figé, d'un calme terrible. Mais sous cette apparente maîtrise, son esprit tournait à une vitesse folle.

Qui était Bella ?

Une médecin généraliste dans une clinique de quartier, une femme aux compétences qui défiaient la logique. Mais ce qui l'agaçait le plus, c'était cette image qui ne cessait de se reformer dans son esprit : une femme douce, compatissante, mais aussi capable d'une froideur déconcertante lorsqu'il le fallait. Parfois forte, parfois d'une vulnérabilité presque inquiétante.

Et plus il y pensait, plus un détail crucial revenait sans cesse : il avait été inconscient lorsqu'elle l'avait opéré.

Il ne savait même pas comment elle avait agi, comment elle avait pris en charge sa vie à ce moment-là. Mais ce qu'il savait, c'était qu'elle l'avait sauvé. Tout cela, sans jamais lui dire un mot.

Le doute, l'incertitude, dévoraient son esprit comme un poison. Mais, au fond de lui, une certitude persistait. Il se rappelait la manière dont ses mains s'étaient posées sur lui, la concentration de son regard lorsqu'elle l'avait opéré. L'air de quelqu'un qui ne se permettait aucune erreur. Ce n'était pas l'acte d'une imposture.

Il serra les poings, son corps tendu sous les draps, puis répondit d'une voix calme mais tranchante, comme si chaque mot était un coup de poignard :

Elle ment peut-être sur son nom… mais pas sur ses compétences. Ni sur son engagement.

Lucci fixa Blueno d'un regard impénétrable, ses yeux froids et perçants comme une lame. L'atmosphère dans la pièce était devenue plus tendue, plus lourde. Le silence pesant entre eux était l'écho de l'incertitude qui se jouait dans les esprits des deux hommes. La question de la dangerosité de Bella n'avait jamais été aussi pressante.

Que fait-on ? demanda Blueno d'une voix glaciale. Il n'y avait aucune émotion visible sur son visage, seulement la dureté de celui qui savait que la situation nécessitait des réponses immédiates et sans détour. Il marqua une pause, l'ombre d'une menace pesant dans l'air. Pour moi, cette femme est trop dangereuse pour qu'on la laisse en vie. Si jamais notre mission échoue à cause d'elle... Le reste de la phrase resta suspendu dans l'air, lourd de menace implicite.

Blueno tourna lentement la tête, réfléchissant à cette possibilité. Elle est trop risquée pour notre mission. Trop de mystère, trop de zones d'ombre. Il se demanda si elle ne devrait pas être éliminée pour garantir la sécurité de l'opération, une pensée qui faisait son chemin dans son esprit, à mesure que son regard se durcissait.

Le regard glacial de Lucci s'intensifia, comme s'il avait senti cette pensée fugace de Blueno, mais son calme demeurait impressionnant. Il n'avait pas encore fait part de son propre jugement sur la situation. Il n'en avait pas besoin. Le silence entre eux était lourd de non-dits. Puis, après quelques secondes, Lucci parla, rompant le silence de manière tranchante, mais sans émotion.

Combien de temps dois-je passer à l'hôpital ? demanda-t-il, sa voix parfaitement contrôlée, comme si rien n'avait changé.

Environ deux à trois semaines, selon le docteur Zéro, répondit Blueno, reprenant peu à peu son calme, mais son esprit restait tourmenté par cette idée qui refusait de disparaître. Et toi, que fais-tu de cette Bella ?

Lucci sembla prendre une profonde inspiration, réfléchissant un instant avant de donner ses ordres, avec la froideur et la précision habituelles.

Durant ce laps de temps, je veux que vous retourniez ciel et terre, et que vous me trouviez tout ce qui concerne Isabella Rain. De sa vie passée, à ses passe-temps, ses amis, ses études... tout ce qui la concernait avant son décès. Il laissa un silence de plus en plus lourd s'installer avant de reprendre : Dans le flux de toutes ces personnes se cache forcément celle qui s'est fait passer pour elle.

Il marqua une nouvelle pause, et cette fois, un éclair d'incertitude passa dans ses yeux. Sa voix se fit plus douce, mais son regard perça Blueno comme un couteau.

Quant à notre Bella... dit-il, presque murmurant, l'ombre d'une vulnérabilité furtive se cachant derrière ses mots, avant de reprendre d'un ton plus ferme : On continue la surveillance.

Blueno ne répondit pas tout de suite. Il avait compris que cette mission ne serait pas aussi simple que prévu. Mais l'idée de se débarrasser de Bella, d'une manière ou d'une autre, continuait de le hanter. Lucci était plus préoccupé par le secret qui se cachait derrière son identité, mais Blueno savait que parfois, il fallait se débarrasser du problème avant qu'il ne devienne trop complexe à gérer.

Il faut savoir couper les mauvaises herbes avant qu'elles ne prennent trop de racines, pensa-t-il. Mais il n'était pas sûr que Lucci verrait les choses de la même manière.

...

Les jours qui suivirent furent une épreuve pour Lise. Chaque matin, elle se réveillait avec la sensation d'avoir été brisée pendant la nuit, son esprit toujours alourdi par la pression du secret qu'elle portait. L'hôpital, avec ses murs froids et son parfum désinfectant, lui semblait désormais un lieu de prison, un lieu où ses pensées étaient trop bruyantes pour être ignorées. Elle avait fini par quitter l'hôpital après quatre jours d'internement et d'observations, se sentant à la fois épuisée et soulagée de pouvoir respirer à nouveau dans l'air extérieur.

Les médecins lui avaient conseillé de consulter un psychiatre, comme si les mots d'un inconnu pouvaient réparer ce qui se passait dans sa tête. Mais Lise savait mieux que personne qu'aucune analyse ni aucun conseil ne ferait disparaître la lourdeur de son fardeau. La dernière chose qu'elle voulait, c'était confier son histoire à un étranger, même s'il portait la blouse blanche de la compréhension. Comment pourrais je leur dire ce qui m'arrive ? pensa-t-elle. Comment leur expliquer ce que je cache, cette partie de moi-même que je suis prête à sacrifier pour rester en vie ?

Elle se leva lentement de son lit d'hôpital, regardant ses mains trembler. Cette fragilité, cette faiblesse… Elle n'avait pas le droit de l'afficher. Pas après tout ce qu'elle avait traversé. Pas après ce qu'elle avait dû faire pour survivre. Non, elle ne pouvait pas se permettre de montrer qu'elle était en train de craquer, que l'identité qu'elle portait si précieusement depuis toutes ces années risquait de se fissurer. Lise ne savait pas combien de temps elle pourrait encore jouer cette comédie, mais elle savait qu'elle ne pouvait pas se permettre d'échouer.

Dès qu'elle eut quitté l'hôpital, elle se dirigea vers son appartement avec une détermination glaciale. Les murs de son petit logement semblaient la protéger, l'envelopper dans une semi-obscurité qui lui permettait de respirer, de penser. Mais le poids de son passé l'écrasait toujours. Les souvenirs, les rires d'une autre vie, d'une autre Lise, étaient des fantômes qui revenaient la hanter dans les moments de silence.

Elle se laissa tomber sur le canapé, regardant les papiers éparpillés sur la table basse, les documents qui avaient été envoyés à l'hôpital, les ordonnances et les tests médicaux. Tout ce qu'elle avait caché. Tout ce qu'elle ne voulait pas qu'on découvre. Et pourtant, tout semblait la rattraper. Si quelqu'un découvre ce qui s'est réellement passé, si le docteur Zéro parle... La pensée d'être démasquée lui serra la gorge. Son secret serait alors exposé, sa couverture brisée, et plus rien ne pourrait jamais revenir en arrière.

Lise ferma les yeux un instant, serrant les poings. Je dois être plus forte que ça. Je ne peux pas me laisser abattre. Mais la douleur de devoir porter cette double identité, de devoir être à la fois une médecin et une pirate que tout le monde recherche, lui semblait de plus en plus insupportable.

Elle devait avancer. Mais où aller ? Que faire, maintenant que le moindre faux pas pouvait tout faire basculer ? Se confier ? Jamais. Il n'y avait que des mensonges et des faux-semblants, et Lise avait appris à vivre avec. Mais cette fois, peut-être était-elle allée trop loin.

A suivre...