Chapitre 25 : le projet Krona

Alors que Rob Lucci voyait le docteur Zéro rentrer à l'intérieur et se diriger d'un air goguenard vers Blueno afin que ce dernier le ramène à Enies Lobby, son regard restait fixé sur cette femme dont il connaissait enfin le nom : Lise.

Elle était encore sur l'un des balcons du manoir d'Iceburg, figée dans la nuit, tandis qu'à l'intérieur, la fête battait son plein. Des éclats de voix, des rires et le tintement des verres résonnaient derrière elle, mais elle n'y prêtait aucune attention. Le vent froid s'engouffrait dans ses cheveux, soulevant quelques mèches rebelles, mais elle ne bougeait pas.

Il l'avait vue échanger quelques mots avec Zéro. À peine quelques syllabes, mais assez. Il n'avait pas besoin de plus. Il savait lire entre les lignes, décoder ce que les autres ne voyaient pas. Elle le connaissait. Et elle cachait quelque chose.

Lucci était un assassin méthodique. Il fonctionnait par logique, par élimination. Et maintenant, il disposait d'une pièce essentielle : un nom.

Un simple mot, mais qui ouvrait des portes. Un nom signifiait une histoire, des antécédents, des liens. Il pouvait fouiller, exhumer ce qu'elle avait voulu enterrer. Un nom, pour lui, était une arme plus tranchante qu'un Shigan bien placé.

Et pourtant… il ne bougeait pas.

Il aurait dû. Il aurait dû s'engouffrer immédiatement dans cette brèche, la pousser jusqu'à ce qu'elle cède. Mais il restait là, à l'observer, à se demander qu'est-ce qui, en elle, le retenait ?

Lise n'était plus juste une énigme à résoudre, une cible à maîtriser. Elle comptait. Plus qu'il ne l'aurait voulu.

Que devait-il faire de toutes ces informations ? Rendre compte au Gouvernement ? L'éliminer avant qu'elle ne devienne une menace ?

Il en avait vu des hommes et des femmes brisés, des existences effacées d'un simple ordre. Il l'avait fait lui-même, sans hésitation. Mais l'idée de voir Lise disparaître lui laissait un goût amer.

Lucci, d'ordinaire maître de ses émotions, sentit un léger tressaillement l'envahir lorsqu'il la vit bouger. Lise respirait profondément, comme si elle tentait de reprendre pied. Puis, soudain, elle se mit à rire. Un rire brisé, dénué de joie, chargé d'une lassitude qui n'avait rien de feint.

Il l'observa se serrer elle-même dans ses bras, comme pour se retenir de tomber en morceaux. Son regard se vida. Ce vide, il le connaissait. Il l'avait vu chez des hommes qui avaient tout perdu, des âmes brisées prêtes à tout abandonner.

Il fronça imperceptiblement les sourcils.

Elle n'allait tout de même pas—

Il fit un pas en avant, prêt à intervenir si elle tentait quelque chose d'irréversible. Ce n'était pas dans ses habitudes d'interférer, mais quelque chose chez elle l'inquiétait. Cette femme n'était pas ordinaire, il l'avait compris depuis longtemps. Mais ce soir, il réalisait surtout à quel point elle était seule.

Puis, soudain, un son perça le silence :

Brrr brrr… Brrr brrr…

Le bruit d'un escargophone.

Elle sursauta légèrement avant de pester, agacée. Son expression se tordit d'une exaspération mêlée de fatigue, et elle décrocha d'un geste sec :

— Quoi ?!

Lucci ne fut pas surpris de la voir perdre son sang-froid. Il l'avait déjà vue exploser, trop habituée à refouler ses émotions jusqu'à ce qu'elles éclatent.

Ce qui, en revanche, le surprit, ce fut l'escargophone noir qu'elle tenait entre ses doigts.

Son regard s'assombrit immédiatement.

Ce n'était pas un appareil ordinaire.

Il connaissait ce modèle. Non traçable, impossible à enregistrer ou à intercepter. Seuls certains agents et personnalités de haut niveau en possédaient. Des criminels très bien informés. Des hommes et des femmes que le Gouvernement surveillait de très près… ou qui en faisaient partie.

Lise, qui étais-tu vraiment ?

Et surtout…

À qui étais-tu en train de répondre ?

...

— T'as pas lu les journaux ?! s'écria une voix aigue, pleine d'excitation, brisant le silence de la nuit.

Lucci resta figé, observant la scène, alors que Lise haussait un sourcil, visiblement agacée par la perturbation.

— Non. J'étais occupée par un connard. Pourquoi ? répondit-elle d'un ton sec, comme si la question n'avait aucune importance.

— Un connard ? Non, laisse tomber, j'ai mieux ! Le Croco a fini en mocassin ! Il a perdu son titre de Grand Corsaire et est en route pour Impel Down ! C'est dément !

Le changement dans l'expression de Lise ne se fit pas attendre. Son regard, d'abord indifférent, se durcit en un instant. Elle se figea, un instant presque imperceptible, mais assez pour que Lucci sente que l'information avait eu un effet sur elle. Ses yeux cherchaient quelque chose dans l'air, dans l'obscurité.

Elle tourna la tête à droite, puis à gauche, comme si elle s'assurait qu'elle n'était pas épiée.

— Je te rappelle, dit-elle d'un ton froid, avant de couper brutalement l'escargophone.

Lucci haussait un sourcil. Pourquoi cette réaction ? Pourquoi ce besoin de vérifier ? Elle savait qu'elle était observée. Ou peut-être qu'elle l'avait ressenti

Lise se dirigea lentement vers la balustrade, son corps tendu, comme une tigresse prête à bondir. Lucci sentit un frisson d'anticipation monter en lui. Il savait ce qui allait suivre.

Il la regarda enjambée la balustrade avec une fluidité qui n'appartenait qu'à elle, comme une danse. Elle sauta dans le vide. Le vent soufflait sur la ville, l'obscurité enveloppait tout.

Il réagit immédiatement. Il sortit de sa cachette et s'élança à sa suite, prêt à observer de plus près ce qu'elle allait faire. Mais là où il s'attendait à la voir s'écraser dans le vide, il la vit atterrir avec une agilité féline, sur le toit d'un immeuble qui se trouvait en contrebas. Elle roula presque sur le toit, se redressant instantanément, prête à repartir.

Elle se déplaça à une vitesse impressionnante, presque irréelle, sautant d'un toit à l'autre, ses mouvements parfaitement maîtrisés. Elle n'avait même pas besoin de regarder où elle mettait les pieds. Elle savait exactement où elle allait.

Et avant qu'il ne puisse faire un pas de plus, elle disparut dans l'obscurité de la nuit.

Lucci se retrouva seul, sur le bord du balcon, les yeux toujours fixés là où elle avait disparu, une étrange sensation dans le ventre. Il avait entendu la conversation entre elle et le docteur Zéro, et il ne pouvait nier qu'elle était une chirurgienne hors pair. Son expertise était indéniable. Mais ce qu'il venait de voir… Ce qu'il venait d'être témoin… C'était autre chose.

Cette agilité, cette vitesse… Aucun médecin n'aurait dû posséder une telle maîtrise du corps. Elle n'était pas seulement un soignant, elle était plus que ça. Il l'avait observée sauter d'un toit à l'autre avec une fluidité inhumaine, comme un prédateur chassant dans l'obscurité.

Que fallait-il en conclure ? Elle était-elle une combattante, une espionne ? Si oui, dans quel but se cachait-elle derrière le masque d'une simple médecin ? Il n'avait toujours que des questions, mais aucune réponse claire. Ce qu'il savait avec certitude, c'était que Lise n'était pas ce qu'elle laissait paraître.

Lucci sentit une tension grandir en lui. Suivre ses traces, ou simplement attendre ?

...

Lise s'élança d'un toit à l'autre avec une urgence fébrile, ses pieds frappant la pierre dans un ballet rapide et presque frénétique. Chaque saut semblait plus pressé que le précédent, comme si la ville elle-même, avec ses lumières tremblotantes, devenait un piège qu'il lui fallait fuir à toute vitesse. La conversation avec le professeur Zéro tournait en boucle dans sa tête, chaque mot, chaque regard de cet homme lui lançait des éclats de dégoût et de colère. Elle devait courir, se vider l'esprit, effacer l'écho de cette rencontre. Mais plus elle fuyait, plus cette sensation de malaise grandissait. Elle avait besoin de se libérer, de fuir son passé, de fuir ce qui venait de ressurgir.

Elle traversa les toits en bondissant, une telle rapidité qu'elle en devenait floue, mais l'angoisse l'étreignait. Une fois aux murailles de la ville, elle n'hésita pas, se jetant dans le vide sans un regard en arrière. Un salto, un mouvement presque désespéré, son fruit du démon déployant ses pouvoirs pour la projeter en avant. Le vent fouettait son visage alors qu'elle se préparait à l'atterrissage. Ses pieds touchèrent le sol avec une légère souplesse, mais l'adrénaline pulsait encore dans ses veines, ses mains tremblaient malgré la maîtrise qu'elle tentait de garder.

Elle s'effondra sur un gros caillou, les yeux fixant le vide au loin, tentant de calmer la tempête dans sa poitrine. Respire, Lise. Respire. Mais le stress était trop fort, trop oppressant. Chaque battement de son cœur semblait résonner contre ses tympans, et la nausée persistait, un goût acide dans sa gorge, un mélange de frustration et de peur. Elle attrapa son escargotphone d'une main tremblante, se forçant à appuyer sur les touches.

Sulfur décrocha rapidement. Sa voix résonna dans le calme oppressant du port, mais elle n'apaisait rien. Au contraire, chaque seconde qui passait ajoutait une pression supplémentaire sur ses épaules.

— Alors ? Sa voix, tendue, trahissait son stress. Crocodile est tombé… Qui l'a eu ? Smoker ou le chapeau de paille ?

Les mots sortaient presque comme un cri, hachés, à peine contrôlés. Elle s'efforçait de garder son calme, mais la colère bouillonnait sous la surface, prête à éclater. Le simple fait de penser à Crocodile, à ce qu'il représentait pour elle, accentuait cette pression qui pesait sur son esprit. Elle attendait une réponse, mais à chaque instant qui passait, l'incertitude devenait un fardeau plus lourd à supporter.

À l'autre bout du fil, Sulfur sentit un frisson parcourir son dos. Lise stressée, c'était quelque chose de rare, presque irréel. Elle n'était pas du genre à perdre son calme, mais cette fois, il pouvait entendre dans sa voix cette tension, cette rage sourde qu'elle tentait de dissimuler. Il fronça les sourcils, la situation semblait plus sérieuse qu'il ne l'avait imaginé.

— Euh... c'était qui ce connard qui t'a fait chier ? demanda-t-il, son ton un peu plus détendu, essayant de briser la tension.

Mais un silence lourd s'installa. Une seconde. Puis deux. Sulfur attendit, tendu, ressentant cette impatience palpable de l'autre côté de la ligne.

Puis, la réponse de Lise arriva, comme un coup de poignard dans la nuit.

— Ce salaud de Zéro !

À ces mots, le sang de Sulfur ne fit qu'un tour. Il se redressa, écarquillant les yeux, son ton glacial teinté de colère.

— Quoi ?! Il laissa échapper un cri de fureur, presque incontrôlable. Et tu l'as laissé vivant après tout ce qu'il nous a fait subir, ce fils de pute ?!

Lise pouvait presque entendre la rage bouillir à l'autre bout du fil. Sulfur Trevnof, membre de Frostheim, l'irréductible ignard comme on l'appelait là-bas, avait toujours été celui qui ne se laissait pas faire. Il n'avait jamais reculé face à la violence, et sa réputation n'était pas exagérée. Il avait été envoyé à Frostheim par sa propre famille, qui n'arrivait plus à gérer son tempérament explosif. Ils pensaient qu'en le plongeant dans un environnement de douleur et de souffrance, il finirait par s'assagir. Mais Sulfur ne se laissait jamais abattre. Au contraire, il répondait toujours aux coups par des coups, jusqu'à ce que ce monde le force à devenir encore plus dur, plus impitoyable.

Un jour, alors qu'il mourait littéralement de faim, il avait volé un fruit. Un fruit apparemment quelconque, mais il ne savait pas que c'était un échantillon expérimental du docteur Zéro, un fruit que ce dernier avait mis des mois à récupérer du laboratoire de Végapunk.

Sulfur, dans son désespoir, avait croqué dedans sans se douter du pouvoir qu'il renfermait. À l'instant même où il mordit dans ce fruit, une douleur insupportable s'empara de lui. Il hurla, le sang jaillissant de ses lèvres. C'était comme si son propre corps se dévorait de l'intérieur. Il avait cru que la fin était venue, qu'il mourrait là, dans une souffrance infinie. Ce fruit… cet abominable fruit... transformait son corps en une masse d'acide pure, dissout ses organes, brûlait sa chair. Mais la douleur, l'agonie, n'étaient que le début.

Et alors que Sulfur se roulait sur le sol, hurlant de douleur, Zéro n'avait eu aucune pitié. Non seulement le scientifique l'avait laissé souffrir sans intervenir, mais il s'était moqué de lui, l'avait frappé, donné des coups de pieds et de poings sans vergogne. Le docteur Zéro, dans sa froideur clinique, avait transformé cette souffrance en une simple leçon de plus. Il voulait tester, observer, pousser son "expérience" encore plus loin.

Lise, à l'autre bout du fil, sentait la colère de Sulfur, cette rage qui bouillonnait à l'intérieur, mais elle n'avait pas la force de lui répondre tout de suite. Elle savait ce que ça signifiait. Elle savait ce que ce passé sanglant avait laissé chez lui, cette haine envers Zéro, cette soif de vengeance qui ne s'éteignait jamais.

— Il m'a fait crever de faim, murmura-t-il dans un souffle, la voix brisée par l'émotion. Et après ça, il m'a... torturé. Comme si ma vie ne valait rien.

Une fois qu'il développa son pouvoir, celui d'un homme acide, Sulfur devint l'objet de toutes les expériences de Zéro. Le professeur l'utilisait comme cobaye favori, testant ses limites, cherchant à le pousser encore plus loin dans l'abîme de la souffrance. Chaque douleur, chaque torture, ne semblait que nourrir la soif du docteur de créer des poisons toujours plus puissants, des substances capables de corrompre et de détruire, tout comme il avait fait avec le corps de Sulfur.

Le pire, c'était qu'il y avait une part de vérité dans cette torture : Zéro n'avait jamais voulu le tuer. Non, il voulait simplement l'utiliser encore, et encore, comme un outil pour ses recherches. Ce n'était pas la vie de Sulfur qui comptait, mais sa capacité à survivre à l'impensable, à devenir une arme vivante. À travers les années, il avait appris à détester cet homme, mais aussi à comprendre qu'aucun d'eux ne serait jamais vraiment libre tant que Zéro vivrait.

— Si quelqu'un voulait vraiment ma peau et serait prêt à payer pour ça, grogna Sulfur, sa voix serrée par la haine, c'est bien lui.

Lise, de son côté, entendait la rage, l'amertume et la douleur dans chaque mot. Mais elle n'avait pas le luxe de laisser la colère et la vengeance guider ses actions. Elle savait, mieux que quiconque, ce que cela signifiait. Il était trop dangereux, trop puissant, et si on se mettait à dos Zéro, le gouvernement mondial le protégerait.

— Tu sais bien qu'on ne peut pas, répondit-elle d'une voix vide, presque dénuée d'émotion. Il n'y avait plus de place pour la passion, la colère ou même la pitié dans sa voix. Ce monde-là, avec ses règles et ses pièges, était impitoyable. Si c'était possible, je l'aurais fait. Qu'importe ce qu'il m'en aurait coûté.

Elle se tut un instant, cherchant ses mots. Cela n'avait rien à voir avec la vengeance, pas seulement. Elle savait que si elle se lançait dans cette voie, elle risquait de tout perdre, y compris ses chances d'atteindre ce qu'elle avait toujours voulu : le pouvoir. Si elle s'en prenait à Zéro, le gouvernement mondial interviendrait, et tout serait fini.

— Si on veut atteindre notre objectif, reprit-elle enfin d'une voix plus basse, il ne faut pas trop se mettre à dos le gouvernement mondial.

La pensée d'un conflit ouvert avec eux faisait trembler le sol sous ses pieds. Les conséquences seraient irréversibles. Elle savait où elle devait aller, ce qu'elle devait faire, mais cela nécessitait des sacrifices qu'elle n'était pas prête à faire si elle pouvait l'éviter.

— En parlant du plan... commença Sulfur, comme pour changer de sujet. Je t'ai parlé de Crocodile, ce gros bâtard qui a cru qu'il pouvait nous voler notre fric... Eh bien, c'est le Chapeau de Paille qui l'a fait tomber, puis Smoker lui est passé dessus ! Et puis j'ai appris que la princesse Nefertari Vivi, que tout le monde croyait morte, avait fait son grand retour après avoir disparu tout ce temps. Elle s'était infiltrée dans Baroque Works pour faire tomber le Croco de l'intérieur !

Lise haussait un sourcil, un brin d'irritation marquant ses traits. Elle n'avait jamais eu de sympathie pour les royautés. Vivi, la princesse d'Alabasta, n'avait jamais fait partie de ses préoccupations. Pour elle, les jeux politiques et les intrigues de famille n'étaient qu'un fardeau dont elle se moquait éperdument.

— Et donc ? rétorqua-t-elle, les bras croisés, d'un ton indifférent.

— Eh ben... Ça a créé un vide énorme dans la région, pardi ! Sulfur ne semblait pas douter de sa stratégie. Les pirates du coin vont commencer à se foutre sur la gueule et à mettre le bordel si on ne place pas nos pions dès maintenant !

Lise leva les yeux au ciel, un soupir lourd échappant de ses lèvres, essayant de se concentrer malgré la douleur qui persistait dans sa tête.

— C'est un problème pour eux, pas pour nous, répondit-elle, clairement peu impressionnée.

Sulfur sembla se redresser, comme si le manque d'enthousiasme de Lise l'irritait profondément.

— Tu te fous de moi ? Il y eut un ton de défi dans sa voix. T'as pas vu la situation là-bas ! Je te le dis, c'est du pain béni. Les pirates du coin sont prêts à tout pour prendre le contrôle du territoire maintenant que Crocodile est hors-jeu. C'est l'occasion rêvée pour lancer le plan dont on parlait depuis des années : le projet Krona. Il marqua une pause, l'enthousiasme dans la voix. Et j'ai vu le coup venir ! J'ai rapatrié un premier groupe de nos hommes. Ils viennent d'arriver à Shaobondy, et ce sont des chasseurs de primes et des miliciens de haut niveau.

Lise se leva brusquement de son caillou, commençant à faire les cents pas sur la jetée. Son esprit repassait les plans, les idées, tout ce qu'ils avaient échafaudé depuis leur départ de Drum. Le projet Krona… Cela faisait des années qu'ils en parlaient. C'était la chance qu'ils attendaient pour reprendre ce qu'ils avaient perdu. Elle n'avait pas oublié. Elle ne l'avait jamais fait. Sulfur, avec son caractère de feu, voulait montrer aux gens de Drum, aux médecins arrogants, que c'était la force qui primait, que c'était eux qui avaient raison. Mais pour Lise, c'était bien plus que ça. Elle avait un autre objectif : reconstruire le royaume de Drum, le transformer en un royaume humain, un endroit où Isabella Rain aurait pu être heureuse. C'était un rêve, mais un rêve qui avait du poids.

— Ok, et donc ? dit-elle, son ton moins détaché mais toujours déterminé. Je suppose que tu as besoin de moi là-bas. Ça tombe bien, j'avais besoin de prendre des vacances.

— Je veux qu'on rachète Baroque Works, lança Sulfur sans attendre. Et j'ai une idée : en faire une succursale de Colorless Butterfly. Il marquait chaque mot, comme un gamin enthousiaste à l'idée d'un plan qu'il pensait infaillible. T'en dis quoi ? On s'empare du marché pirate et on installe nos pions avant que tout le monde n'ait eu le temps de bouger ! L'objectif est double : on gagne du fric et de l'influence, et surtout, on se rapproche du royaume d'Alabasta pour la suite du projet. Ces types peuvent pas refuser notre proposition. Ils sont faibles, ils crèvent de soif et nous, on a tout ce qu'ils ont besoin.

Lise ferma les yeux un instant, laissant ses pensées filer à toute vitesse. Risques, bénéfices, calculs. Tout défilait dans son esprit à une vitesse vertigineuse. Le vent du soir soufflait, apportant un air frais qui faisait contraste avec la chaleur montante de ses réflexions. Elle s'éloigna de la balustrade, son regard porté sur l'horizon.

— Ça pourrait marcher… Mais ce n'est pas sans risques. Elle se redressa, ses yeux se fixant intensément dans le vide. C'est le moment qu'on attendait pour se lancer. Six ans, n'est-ce pas ?

Sulfur éclata de rire de l'autre côté de la ligne, visiblement satisfait.

— Six ans ! Je savais que tu me suivrais ! Prépare-toi, Lise, ça va secouer !

Alors qu'elle éteignait l'appel, Lise se rendit compte que le bruit avait attiré des nuisibles. Des pirates des bas-fonds, des ivrognes et autres laissés-pour-compte, qui la fixaient maintenant, les yeux emplis de convoitise. Une femme seule, en tenue légère et escarpins, dans un endroit isolé. Un cadeau parfait.

L'un d'eux s'avança, un sourire pervers aux lèvres.

— "Regardez, les gars... une jolie demoiselle perdue. On peut l'aider, non ?"

Les autres pirates éclatèrent de rire. Lise ne bougea pas, ses yeux glacés fixés sur eux.

— "Vous ne voulez pas de ça." Sa voix était calme, menaçante. "Je ne suis pas ce genre de proie."

Le pirate qui s'était avancé éclata de rire.

— "Vraiment ? T'es toute seule ici, personne va t'entendre..."

Lise laissa échapper un sourire sombre.

— "Testez-moi donc, si vous osez...

Les hommes s'approchèrent, leurs regards lourds de désir, carnivores. Ils se délectaient déjà de l'idée de ce qu'ils allaient lui faire, sourires pervers aux lèvres. Ils la déshabillaient du regard, glissant des mots salaces, des promesses de violence qui n'avaient pas besoin de mots pour être comprises. Ils se croyaient maîtres de la situation, persuadés qu'ils pouvaient la détruire sans effort. Ils avaient tort.

Lise les regarda un instant, sa posture droite, détachée. Un frisson traversa l'air autour d'elle. Ils pensaient qu'elle était vulnérable. Ils pensaient qu'elle avait peur. Mais elle savait, au fond, qu'ils étaient déjà condamnés.

Le premier tenta d'approcher, son regard collé à ses jambes, une main tendue vers elle. Il n'eut pas le temps de faire un pas de plus.

Elle claqua des doigts.

Le vent se leva avec une force dévastatrice, un tourbillon qui balaya tout autour d'elle, comme une bête déchaînée. Les rires pervertis se figèrent dans l'air, se transformant en hurlements de terreur alors que les corps se tordaient sous la violence de la bourrasque. Un cercle parfait se forma autour de la femme, un vide malsain, tandis que les morceaux des hommes se dispersaient dans une explosion de sang et de chair broyée. La tempête ne fit pas de distinction. Elle n'avait pas d'humanité.

Les corps gisaient en une bouillie informe, les os fracassés, les visages déformés par la douleur et l'effroi, mais Lise n'avait pas bougé. Le vent avait fait son œuvre, une danse macabre de destruction.

Elle marcha lentement, presque gracieuse, parmi les débris sanguinolents, sans un regard en arrière. Chaque pas sur la terre de carnage était comme un écho à leur fin. Un dernier souffle de vent fit voler quelques morceaux de chair, et le silence s'installa, lourd et glacé.

Elle disparut dans l'obscurité, laissant derrière elle un champ de ruines, un silence lourd de la mort qui venait d'être semée.

A suivre...