Chapitre 26 : Je saurais ce que tu caches

Le matin suivant, à l'aube, les pêcheurs arrivèrent sur le port, leurs gestes mécaniques prêts à débuter une nouvelle journée. Mais à peine leurs yeux se posèrent sur le sol qu'un silence lourd s'abattit sur eux. Ce qu'ils découvrirent les paralysa dans un frisson glacé : un carnage indescriptible. Le sol était un océan de chair, d'os et de boyaux, une mer de sang encore vif, presque vivant. Les morceaux humains, éclatés en une pluie de viande broyée, étaient éparpillés dans un chaos sordide, comme si l'enfer avait vomi sa violence sur ce lieu.

Le rouge saturait tout, une couleur crue et poisseuse, imprégnant la terre et les pavés, tandis que des morceaux plus fins, semblables à de la bouillie humaine, jonchaient le sol. C'était comme si les corps avaient été écrasés dans un tourbillon de souffrance, figés dans l'agonie d'une mort qui venait à peine de les frapper. La chair, encore fraîche, dégoulinait de sang, l'odeur métallique flottant dans l'air, suffocante, dévorante.

Les commerçants de passage s'arrêtèrent, le regard figé, les mains couvrant instinctivement leur bouche. Un cri déchirant jaillit du groupe, un jeune pêcheur, les mains tremblantes, s'effondra au sol, incapable de supporter l'horreur. Les autres restaient là, figés, l'air lourd de terreur, les yeux écarquillés. Un silence épais régnait, celui de l'indicible, de l'impossible à comprendre.

Un vieux commerçant, tremblant de plus en plus, murmura dans un souffle : « Qui a bien pu faire ça ? Qui ? » Mais personne n'avait de réponse. La mer avait rejeté les restes d'hommes, les réduisant à une bouillie de chair déchiquetée. Les visages déformés par la douleur, les corps brisés semblaient crier en silence, une souffrance figée dans le temps.

Les passants s'éloignèrent à reculons, incapables de soutenir plus longtemps la vue de ce carnage. Les pêcheurs, habitués à voir la mer rendre ses créatures mortes, ne s'étaient jamais imaginé que l'humanité pourrait produire une telle scène. Le port, d'ordinaire si vivant, était devenu une zone de désolation, figée dans une horreur qu'aucun d'eux n'oublierait jamais.

...

Lise se faufila discrètement hors de la clinique, ses pas presque imperceptibles sur les pavés de la rue déserte. Son sac de voyage en bandoulière et une valise à la main, elle marchait rapidement, en quête d'une liberté temporaire, une liberté de façade. Elle avait joué sa carte avec brio : un mensonge bien tissé, une histoire de Noël en famille à Drum pour justifier son départ. Son patron, visiblement soulagé qu'elle prenne enfin du temps pour elle après le tourbillon de soucis qu'ils avaient partagés à son sujet, n'avait pas douté un instant. Les vacances étaient, après tout, la meilleure des excuses. Mais Lise savait mieux que quiconque que ces "vacances" n'étaient qu'un paravent.

Elle n'était pas en vacances, non.

Sulfur avait repéré l'opportunité rêvée à Alabasta. La chute de Crocodile, la disparition du tyran qui avait marqué cette région de son empreinte, avait créé un vide. Un vide dans lequel de nombreux pirates, opportunistes et assoiffés de pouvoir, se précipitaient. Lise savait qu'il était temps d'agir. Sulfur, toujours plus affûté, avait flairé la chance de racheter Baroque Works, l'ancienne organisation de Crocodile, et d'en faire une extension de Colorless Butterfly. C'était plus qu'une simple transaction. C'était le début du plan Krona. Un plan qui, depuis des années, mijotait dans l'esprit de Sulfur et d'elle-même, un plan pour changer la donne. Pour renverser le système. Et cette fois, Lise sentait que tout allait se jouer.

Elle passa une main sur le collier caché sous son pull, un contact furtif mais chargé de sens.

Elle ressentit un frisson en serrant le collier, comme si une promesse se tissait autour de son cou. Elle avait les trois milliards de Berrys que Crocodile avait accumulés, entre ses mains. Cette somme colossale serait l'élément clé pour convaincre. Un pouvoir, une ressource, une assurance qu'elle ne comptait pas sous-estimer.

Elle ajusta son sabre à sa taille, un geste si familier qu'il en devenait presque automatique, mais chaque mouvement, chaque détail, portait le poids de sa mission. Elle inspira profondément, consciente que ce départ, aussi discret soit-il, marquait un tournant. Car si elle revenait, ce serait une autre Lise. La mission primerait, comme toujours, mais cette fois, les enjeux étaient plus grands. Plus personnels. Et elle savait, au fond, qu'elle ne serait plus jamais la même après avoir franchi ce seuil.

...

Lucci s'était réveillé bien plus tôt que d'habitude, la fatigue encore présente dans ses muscles, mais son esprit était déjà en alerte. Il avait observé Lise quitter la clinique, son sac en bandoulière et une valise à la main. Un mensonge si évident qu'il en devenait presque risible. "Elle partait rendre visite à sa famille à Drum pour Noël" ? Lucci n'y croyait pas une seconde. Il connaissait assez bien Lise pour savoir qu'elle n'avait aucune famille. Si elle en avait eu une, jamais elle n'aurait fini sous l'influence du docteur Zéro. L'idée même qu'elle puisse avoir un foyer quelque part lui semblait absurde.

Il avait déjà décidé de la suivre. Son départ ne semblait pas naturel, et il n'aimait pas les zones d'ombre qui entouraient son comportement. Il ne comptait pas la laisser filer sans savoir où elle allait et surtout, ce qu'elle complotait. Et il savait que ce voyage qu'elle s'apprêtait à faire hors de Water Seven n'était rien d'autre qu'un stratagème pour masquer ses véritables intentions.

Aux premières lueurs de l'aube, Lucci se rendit au café, ses pas lourds et réguliers sur les pavés résonnant comme un écho dans le silence de la ville encore endormie. Le café était désert, à peine quelques rayons de lumière filtraient à travers les volets clos. Blueno était déjà là, assis, l'air sombre, comme si l'obscurité de la nuit ne l'avait pas quitté. Dès que leurs regards se croisèrent, Lucci sentit une tension sourde entre eux. Blueno, comme à son habitude, ne bougea pas tout de suite, pesant chaque mot, comme s'il savait que ce qu'il allait dire ne pourrait être pris en retour.

-"Qu'est-ce qu'il y a ?" demanda Lucci, sa voix aussi froide que la lame d'un couteau tranchant la chair.

Blueno s'approcha, baissant la voix avant de répondre.

- "Des rumeurs… Des restaurateurs qui se rendent au port tôt ont vu quelque chose… qui dépasse l'entendement." Il prit une pause, ses yeux cherchant à éviter ceux de Lucci, comme s'il avait peur d'être englouti dans ce qu'il allait révéler. "Un carnage. Des morceaux humains partout. Un massacre. Un truc que même nous, dans notre métier, on n'oserait pas faire."

Lucci resta silencieux, impassible, ses yeux fixés sur Blueno comme une bête prête à bondir. Le carnage, les morceaux humains, les traces de violence trop extrêmes pour être humaines… un frisson glacial traversa son corps, mais il ne laissa rien paraître. Il attendait. Il voulait plus. Il devait comprendre.

Blueno baissa la voix, un léger tremblement dans le ton. "Du sang partout, de la chair broyée. Ça… ça ne ressemble pas à un accident. Ça ressemble à une œuvre délibérée, calculée. Une signature. Et c'est… ça sent le travail d'un professionnel."

Le silence tomba entre eux, lourd, chargé de non-dits. Les mots de Blueno flottaient dans l'air comme une ombre, s'insinuant dans l'esprit de Lucci. Il les tournait et les retournait, analysait chaque détail. Du sang, de la chair, de la destruction…

- "Tu crois que c'est elle ?" demanda Blueno, son ton brisé, la question suspendue dans l'air comme une lourde menace.

Lucci ferma les yeux un instant. C'est impossible… Il repoussa cette pensée.

Il rouvrit les yeux, et la froideur de son regard déstabilisa Blueno. Il murmura d'une voix glaciale : "Je ne sais pas. Mais je vais en avoir le cœur net. Je vais la suivre."

Il se leva brusquement, comme un serpent qui se prépare à frapper. Il ne pouvait plus ignorer cette vérité qui bouillonnait en lui, une vérité qu'il n'aurait pu effacer même si on le lui demandait. Il la suivrait, à travers tout. Peu importe où elle irait. Peu importait la couverture qu'elle tissait autour de son voyage, ses mensonges. Il la confronterait, une fois pour toutes, au moment où il aurait toutes les cartes en main.

Blueno tenta de l'arrêter, son regard chargé de doutes. "Tu vas la traquer ? Cette fille ? Tu sais ce que ça implique…"

Lucci le fixa d'un regard de glace, une lueur dangereuse brillant dans ses yeux. "Je n'ai pas le choix."

Il se détourna de lui sans un mot de plus, la détermination inébranlable. Ce n'était pas juste une mission. Ce n'était pas simplement un travail. C'était devenu personnel. La question n'était plus si elle était coupable, mais quand il allait enfin la saisir, la confronter, la mettre face à la vérité qu'elle avait longtemps cachée.

Un frisson d'obsession naissante se glissa en lui, plus sombre et plus insidieux que tout ce qu'il avait ressenti auparavant. Il se surprit à imaginer les moments passés à ses côtés, les échanges tendus, l'attirance qui avait surgit malgré lui. Elle est aussi tordue que moi. Peut-être même plus. Et je vais la suivre jusqu'au bout, jusqu'à ce qu'elle n'ait plus de place pour mentir.

Il allait traquer Lise, non pas simplement pour découvrir la vérité, mais pour la confronter, pour percer le mystère qu'elle dissimulait derrière ses mensonges. Et lorsque la dernière pièce du puzzle serait en place, il la soumettrait à son propre jugement. Parce qu'au fond, ce n'était pas qu'une mission pour un assassin, mais l'obsession grandissante d'un cœur de pierre qui commençait à se briser, avide de plus que la vérité : la maîtrise totale de son secret.

...

Lucci activa son fruit du démon, ses sens se décuplant à mesure que sa forme hybride prenait le dessus. Ses oreilles perçurent chaque murmure, chaque mouvement, et son nez se haussait imperceptiblement, captant l'odeur légère de Lise parmi la foule grouillante sur les quais. C'était elle. Il n'y avait pas de doute. Son parfum subtil flottait, mélangé à l'air salin, mais distinctement identifiable. Elle n'était qu'une silhouette parmi d'autres, mais pour Lucci, elle était le seul objectif.

Il la suivit dans la foule, ses pas glissant presque invisibles entre les passants. Il évitait soigneusement les regards, se fondant dans l'ombre des grands mâts et des caisses entassées sur le quai. À chaque mouvement, il se rapprochait, implacable, une présence fantomatique qui savait où elle allait, sans jamais se faire repérer.

Lise s'approcha du Concordia, un navire civil qui s'apprêtait à partir. Elle se faufila parmi les passagers en attente, une simple spectatrice, ou du moins, c'est ce qu'elle voulait qu'on croie. Son visage restait impassible, mais une légère tension émanait d'elle, trahissant son calme feint. Elle sortit un billet de sa poche, l'examina un instant, puis le tendit à l'agent d'embarquement. Le geste était fluide, presque automatique, mais le regard de l'agent s'attarda un peu trop longtemps sur son visage.

- "Voyage en solitaire, mademoiselle?" demanda-t-il, mais elle n'y prêta aucune attention, glissant simplement son billet dans sa main d'un mouvement assuré.

L'agent acquiesça sans autre question et lui tendit son ticket d'embarquement. Lise s'éloigna, marchant d'un pas décidé, sans se retourner une seule fois. Elle monta les marches du navire, dissimulant son agitation derrière un masque de tranquillité. Les bruits du port, les conversations des passagers, tout cela semblait si loin, comme si chaque pas qu'elle faisait la séparait davantage de la réalité. Un silence angoissant s'installa autour d'elle, et pour un instant, elle sembla seule dans ce monde.

Mais Lucci n'était jamais loin. Utilisant sa maîtrise du Rokushiki, il s'élança en silence, ses jambes puissantes se déployant avec une précision inhumaine. Il bondit, une ombre dans la lumière de l'aube, atterrissant avec une grâce mécanique sur le pont supérieur du Concordia, sans émettre le moindre bruit. Ses yeux suivirent Lise, qui continuait son chemin sur le navire, sans se douter qu'il la surveillait.

Loin d'être une simple mission, ce moment avait pris une toute autre dimension pour Lucci. Il était là, tout près d'elle, ses instincts aiguisés par des années de traque. Ce n'était pas seulement le travail d'un assassin. C'était bien plus que ça. C'était une obsession silencieuse, un désir brûlant de comprendre chaque facette de la femme qu'il poursuivait. Il se glissa dans l'ombre, prêt à attendre, prêt à observer.

Le Concordia, imposant et majestueux, incarnait le luxe flottant qui traversait Grand Line en transportant une élite privilégiée et leur suite dévouée. Sa coque immaculée, bordée d'élégantes moulures dorées, fendait l'océan avec une grâce presque irréelle, et ses ponts en bois exotique, polis jusqu'à briller, reflétaient la lueur vacillante des lanternes qui s'allumaient à la tombée du jour. De grands escaliers en colimaçon, aux rampes finement sculptées et ornées d'arabesques dorées, reliaient les différents niveaux du navire dans un décor digne des plus fastueuses demeures.

À l'intérieur, chaque détail trahissait l'opulence. Des salons richement décorés se succédaient, où d'imposants lustres de cristal projetaient une lumière tamisée sur des fauteuils de velours aux courbes raffinées. Les murs étaient habillés de boiseries sculptées et de tableaux représentant des scènes maritimes, tandis que de larges baies vitrées offraient aux passagers une vue imprenable sur l'immensité de la mer, à l'abri du vent salé. Les longs corridors, recouverts d'épais tapis aux motifs complexes, menaient aux cabines, certaines étant de véritables suites où seuls les plus fortunés pouvaient jouir du confort d'un lit à baldaquin et d'un service personnalisé. Plus bas, dans les entrailles du paquebot, les voyageurs moins aisés se contentaient de couchettes alignées dans des dortoirs modestes, où l'air portait l'odeur du sel et du bois humide.

La diversité des passagers donnait au Concordia une atmosphère éclectique. Sur les ponts supérieurs, des aristocrates en quête d'aventure et des marchands opulents surveillaient leurs précieuses cargaisons, échangeant des conversations feutrées dans des salons feutrés, un verre d'alcool rare à la main. Les dames, drapées dans des robes somptueuses, riaient doucement derrière leurs éventails en observant le spectacle d'un monde en perpétuel mouvement. Plus bas, l'ambiance changeait du tout au tout : sur les ponts inférieurs, les marins et ouvriers, assis autour de tables bancales, lançaient des jurons en abattant leurs cartes sur le bois marqué par le temps, le rhum coulant à flots.

...

Les premiers jours, rien. Juste Lise qui se fondait dans le décor, presque invisible parmi cette opulence. Il la voyait parfois sur le pont, le regard perdu vers l'horizon, droite face au vent comme si elle cherchait à capter un message silencieux au loin. D'autres fois, il l'observait prodiguer des conseils médicaux aux passagers souffrant du mal de mer, toujours avec cette retenue presque mécanique. Rien de suspect. Rien d'inhabituel.

Trop banal.

Ce jour-là, alors que le paquebot croisait près de l'archipel des Karakuri, il l'observait encore, dissimulé sur l'un des ponts supérieurs. Il connaissait maintenant le moindre de ses gestes, ses habitudes, la façon dont elle s'immobilisait une fraction de seconde avant de tourner la tête, comme si elle sentait qu'on l'épiait. Mais cette fois, quelque chose changea.

Deux individus s'approchèrent d'elle.

Elle les vit. Se tendit imperceptiblement. Un battement d'hésitation, presque imperceptible, mais suffisant pour que tout son corps trahisse une tension qu'elle s'efforçait de masquer.

Le premier était un colosse. Grand, large, parfaitement apprêté dans un costume trois-pièces dont la coupe impeccable ne laissait place à aucun pli superflu. Ses gants blancs parlaient d'une obsession pour le contrôle, ses yeux d'un homme qui exécutait des ordres sans poser de questions. Pas un domestique. Pas un garde du corps. Quelqu'un dont le travail impliquait de faire disparaître les problèmes, de préférence sans laisser de trace.

À ses côtés, une fille qui détonnait complètement. Jogging usé, hoodie trop grand avec des oreilles de lapin ridicules, un chewing-gum qu'elle mâchait bruyamment comme si le monde entier l'ennuyait. Mais son regard, vif, incisif, scannait la foule trop rapidement, captant chaque détail en un instant. Pas une enfant. Une prédatrice.

Lise ne parla pas. Lucci vit ses doigts se crisper une seconde, son regard s'attarder sur une possible échappatoire avant qu'elle ne suive les deux inconnus hors du pont.

Trop tard.

Il aurait parié qu'elle pesait encore ses options, qu'elle évaluait la situation. Il connaissait ce calcul. Il l'avait fait mille fois lui-même. Et pourtant, elle était partie avec eux. Volontairement.

Un frisson d'excitation glissa sur sa peau.

Enfin.

L'inaction avait assez duré. L'observer de loin, l'analyser, voir son ombre se fondre dans celle des autres… c'était terminé. Maintenant, il avait une piste. Une brèche dans l'illusion.

Il ne la lâcherait pas.

Il voulait savoir. Plus que ça, il voulait la voir se révéler. Voir ce qu'elle cachait, ce qu'elle fuyait. Voir jusqu'où elle irait avant de se rendre compte qu'il était là, qu'il n'avait jamais cessé de la suivre.

Et quand il aurait toutes les cartes en main, il la confronterait.

Pas comme un assassin. Pas comme un ennemi.

Mais comme un homme qui n'avait plus l'intention de la laisser disparaître.

A suivre...