Chapitre 27 : Sous le soleil brulant

Mycèna, surnommée la Dame aux Champignons, était une figure de proue des Rainbow Butterfly, un groupe d'élite composé de neuf combattants d'exception, chacun ayant une expertise unique dans l'art de la guerre et de la stratégie. Ensemble, ils orchestreient la danse complexe de l'organisation. Dans cette hiérarchie colorée, Lise portait le nom du Papillon Blanc, Sulfur celui du Papillon Jaune, et Lucius, le mystérieux et impitoyable, celui du Papillon Noir. Mais Mycèna, elle, était le Papillon Vert, une position à la fois unique et cruciale dans cette symphonie de compétences.

Elle n'était pas la plus redoutée sur le terrain, mais sans doute la plus influente. À quarante ans, Mycèna possédait une sagesse rare et un charisme tranquille, une douceur naturelle qui contrastait profondément avec la brutalité du monde qui les entourait. Son sourire constant, sa voix apaisante, et l'aura de bienveillance qu'elle dégageait en faisaient une présence réconfortante, même dans les situations les plus tendues. C'était elle que l'on envoyait lorsqu'il fallait négocier des alliances fragiles ou désamorcer des conflits, là où la subtilité, la patience et l'empathie étaient de mise, là où la force brute de Lise, plus directe et tranchante, risquait de tout faire échouer.

Dans cet univers brutal, Mycèna incarnait la force tranquille, celle qui inspire la confiance sans jamais l'imposer. Elle était la plus appréciée des officiers des Rainbow Butterfly, non par la peur ou l'autorité, mais par un altruisme sincère qui s'exprimait dans chaque geste. C'était une femme capable de tisser des liens solides, une bâtisseuse de ponts dans un monde trop souvent fracturé. Là où les autres imposaient des solutions, Mycèna les offrait, en tendant la main sans jamais forcer l'adhésion. Son nom, murmuré dans les recoins des rues comme dans les cercles secrets des puissants, résonnait comme une promesse de justice et d'équilibre, un idéal rare et précieux dans cet univers sans pitié.

Les lanternes vacillèrent doucement sous la brise nocturne, une brise qui s'infiltrait à travers les tissus brodés de la calèche alabastienne. Les tentures d'un rouge profond se balançaient légèrement, projetant des ombres mouvantes sur les coussins richement ornés qui tapissaient l'intérieur du véhicule. Lise, installée contre un accoudoir recouvert de velours, gardait les bras croisés, le regard perdu dans le vide.

Rabbit, perchée au sommet de la calèche, surveillait silencieusement les dunes qui s'étendaient à perte de vue, tandis que Bora, fidèle à son poste, était assis aux côtés du cocher, scrutant l'horizon avec une vigilance qui ne faiblissait jamais.

Mycèna, assise en face de Lise, l'observait sans un mot. Le silence entre elles était pesant, non par inconfort, mais par la gravité des enjeux qu'elles portaient sur leurs épaules. Finalement, Lise expira lentement, ses doigts jouant distraitement avec le tissu de son écharpe.

— "La situation… C'est exactement ce que je redoute." Sa voix était basse, presque hésitante, un ton qu'elle n'adoptait pas souvent. "Alabasta, la famille royale... Je ne sais pas si les choses peuvent vraiment s'arranger ici."

Mycèna, imperturbable, resta silencieuse quelques instants avant de poser une main légère sur l'épaule de Lise. Son toucher était aussi doux que réconfortant, porteur d'une force discrète mais indiscutable.

— "Tu sais que tu n'es pas seule. C'est pour ça que je suis ici. La mission est cruciale. Nous devons convaincre la famille royale d'Alabasta que notre arrivée n'est pas une menace, mais une chance de reconstruire ce pays. De l'intérieur, et sans violence."

La calèche poursuivait son avancée, les sabots des chevaux frappant le sable dans un rythme cadencé, accompagnant la respiration lente et mesurée de Mycèna. Elle était comme une colonne de marbre au milieu de la tempête, une force tranquille qui inspirait le respect, non par la peur, mais par une assurance inébranlable.

Lise détourna les yeux, fixant l'horizon. La lumière de la lune effleurait les dunes, transformant la terre aride en un océan d'argent. Pourtant, son regard restait méfiant.

— "La famille royale..." Son intonation trahissait son doute. "Ils sont à peine sortis de la crise avec Crocodile et les révoltes. Et maintenant, on leur demande de faire confiance à des étrangers, même si cela vient de notre part."

Mycèna ne cilla pas. Son sourire, à la fois paisible et convaincu, était celui d'une femme qui comprenait les rouages du pouvoir mieux que quiconque.

— "C'est pour ça que tu es ici, Lise." Elle laissa ses mots s'installer avant de reprendre, son ton doux mais porteur d'une résolution sans faille. "Tu es celle qui saura les convaincre, qui saura les guider. Mais pas en imposant ta volonté, pas cette fois. Cette mission, elle réclame de la diplomatie, de la patience, et une écoute attentive."

Le balancement de la calèche accentuait l'intensité du silence qui suivit. Lise croisa les bras, songeuse. Mycèna avait raison. C'était un échiquier fragile, où chaque pion était prêt à tomber à la moindre erreur.

— "Alors, faisons en sorte que ça marche," finit-elle par souffler, rassemblant ses forces, sa détermination revenant peu à peu.

Mycèna posa une main sur son bras, une promesse silencieuse.

— "Nous le ferons."

...

Rob Lucci avançait dans l'ombre, chaque pas calculé, chaque souffle mesuré. Depuis le port, il suivait Lise sans relâche, un prédateur silencieux dont la proie ignorait encore l'existence. Il ne traquait pas seulement ses mouvements, il lisait la tension dans ses épaules, la prudence dans sa démarche, et surtout, la vigilance des deux gardes qui l'encadraient. Ils la protégeaient comme un atout précieux. Ou comme un danger.

Lorsqu'ils la firent entrer dans un entrepôt délabré, il se glissa sur les toits d'un seul Soru, son corps fendant l'air sans un bruit. Accroupi à l'abri d'une corniche effritée, il scruta la scène à travers une fente du bois vermoulu. Les minutes passèrent, lourdes d'incertitude. Puis l'agitation débuta. Une caravane se mit en branle, escortée par une vingtaine d'hommes armés. Des mercenaires.

Ses yeux fauves balayèrent leurs montures : des bêtes nerveuses aux membres effilés, rapides et endurantes, idéales pour traverser le désert sans laisser de traces. Tout, dans leur organisation, respirait la discrétion et l'efficacité.

Pourquoi autant de précautions ? Où l'emmenaient-ils ?

D'un pas fluide, il quitta son poste et se mêla à la foule de voyageurs et marchands qui longeaient la route sablonneuse. Il ne suivait pas le convoi ; il le devançait par moments, disparaissant dans les reliefs du désert pour réapparaître plus loin, glissant d'une ombre à l'autre avec une aisance inhumaine.

Lorsque la caravane atteignit le caravansérail de Lobara, il s'immobilisa sur une corniche. En contrebas, les hommes descendaient de leurs montures, échangeaient rations et informations à voix basse. Lise n'était pas visible. Gardée à l'intérieur, probablement.

Il observa sans bouger. Il n'avait pas besoin de précipitation, seulement d'une opportunité. Elle se présenta sous la forme d'un homme assis en retrait, légèrement à l'écart des autres. Une carrure proche de la sienne, un visage partiellement dissimulé par un foulard sombre.

Un mouvement. Un Soru. Une main plaquée sur la bouche. Le poignard pénétra la chair sans résistance. Un dernier spasme, puis plus rien.

Il posa le corps sans bruit et commença à échanger leurs vêtements avec méthode. Enroula le foulard, ajusta la cape, s'empara de la gourde encore tiède du mort. En une minute, il n'était plus un spectre traquant sa proie, mais un mercenaire parmi d'autres.

D'un pas tranquille, il retourna vers le convoi et but une gorgée d'eau, regard indifférent.

Désormais, il était à l'intérieur. Tout près de Lise.

Et il allait découvrir ce qu'elle faisait là.

...

Lise n'aimait pas la chaleur. Elle avait grandi à Drum, où les températures oscillaient entre moins quinze et moins quarante degrés. La froideur de ces étendues glacées était ce qu'elle connaissait le mieux. Son corps, habitué aux climats rigoureux, peinait à supporter la chaleur étouffante d'Alabasta. Le désert l'enveloppait dans une moiteur insupportable, et la sensation du sable brûlant collant à sa peau l'irritait au plus haut point. Elle n'avait jamais été faite pour les endroits chauds, le QG des colorless butterfly du nouveau monde se trouvant sur un archipel gelé très difficile d'accès.

La chaleur semblait s'infiltrer dans chaque fibre de son être, un poison lent mais implacable. Ses cheveux collaient à sa nuque, son visage était couvert d'une pellicule de sueur, et le simple fait de respirer semblait une torture. Elle serra les dents, tentant de maîtriser l'irritation qui montait en elle. Elle avait l'habitude de supporter des conditions extrêmes, mais ce genre de chaleur… c'était insupportable. Ses tempes bourdonnaient de migraine, et ses pensées se brouillaient sous l'effet de la moiteur qui envahissait l'air.

Elle aurait donné n'importe quoi pour sentir la brise glacée d'une tempête de neige. Mais ici, dans ce désert sans fin, il n'y avait que de l'air lourd et étouffant. Elle se redressa, ajustant son chapeau pour que l'ombre couvre au mieux son visage. Le sable qui passait sous les roues de la calèche continuait de la rendre nerveuse, chaque secousse, chaque roulement, ne faisait qu'ajouter à son agacement. Tout semblait plus lourd, plus pesant.

- "Combien de temps encore avant la prochaine oasis ?" demanda-t-elle, sa voix sèche, trahissant son malaise.

Le conducteur haussait les épaules, manifestement indifférent à la souffrance de la passagère.

- "Quelques heures, peut-être plus, si le vent lève du sable."

Lise ferma les yeux un instant, se concentrant sur sa respiration, essayant de se calmer. Ce voyage n'en finissait plus. Elle n'avait jamais eu de patience pour les trajets interminables, et la chaleur n'arrangeait rien. Elle tourna la tête vers Mycèna, prête à se lancer dans un échange de plus sur l'absurdité de leur situation.

- "Je pourrais tous nous faire voler et arriver en quelques heures à Alubarna. Pourquoi devrais-je perdre un temps aussi précieux ?"

Elle s'attendait presque à ce que Mycèna réagisse comme d'habitude, en essayant de la raisonner. Mais, au lieu de cela, elle la fixa calmement, sa posture détendue malgré la chaleur écrasante. Rien ne semblait perturber son amie, qui avait cette capacité rare à ne jamais se laisser submerger par les circonstances.

- "Tu sais bien qu'on ne peut pas passer pour des étrangers indifférents." répondit Mycèna sans se départir de son calme. "Nous avons encore trois oasis à passer avant d'arriver à Alubarna : Selima, Merim et Trisham."

Lise roula des yeux, exaspérée par l'argumentation toujours la même.

- "Et alors ?"

Le regard de Mycèna se fit plus sérieux.

- "Le peuple d'Alabasta est très fier de ses coutumes et de ses terres. Leur famille royale est l'une des plus anciennes du monde. Nous ne pouvons pas simplement imposer nos règles et nos points de vue si nous souhaitons obtenir ce que nous voulons."

Lise émit un bruit de frustration, une moue dédaigneuse se dessinant sur son visage.

- "Tu es en train de me dire que je dois continuer à cuire ici comme une viande séchée juste pour flatter l'ego des nobles locaux ?"

Mycèna esquissa un léger sourire, une lueur d'amusement dans son regard.

- "C'est une façon de voir les choses. Mais si nous voulons être prises au sérieux, nous devons respecter leurs traditions. Traverser le désert ainsi est une manière de montrer que nous comprenons leur mode de vie et que nous sommes prêtes à respecter leur territoire."

Lise s'affaissa dans ses coussins, un soupir sonore s'échappant de ses lèvres. Elle haïssait la politique et l'inertie qu'elle imposait.

- "Je déteste la politique…"

Mais Mycèna ne répondit pas, se contentant de sourire doucement. La calèche continuait sa progression, le sable rugueux crissant sous les roues, et Lise se perdit dans l'horizon brûlant, le corps lourd, chaque minute s'étirant comme une éternité dans cette chaleur accablante.

...

Lucci s'était fondu parmi les mercenaires avec une aisance remarquable. Il avait l'habitude de ces environnements, où il devait rester discret tout en captant chaque détail. Ce qu'il recherchait, c'était simple : des informations. Et tout ce qui l'entourait, les visages fatigués, les murmures d'hommes las, les chevaux qui peinaient sous la chaleur, tout cela contribuait à sa compréhension du tableau.

Le caravanier principal, un homme imposant, hurlait des ordres, et Lucci se contenta de l'observer brièvement. Rien d'intéressant pour l'instant. Ses yeux se tournèrent vers la caravane principale. Lise. Elle devait se trouver là.

Lors d'une halte sous l'ombre d'un gros rocher, Lucci resta parfaitement immobile, ses yeux perçant l'horizon chaud et poussiéreux. La caravane s'était arrêtée pour permettre aux animaux de se reposer et aux hommes de récupérer un peu. Les mercenaires s'agitaient dans une chaleur étouffante, épuisés par le voyage. C'est alors qu'il la vit.

Lucci resta en retrait, son regard acéré suivant chaque mouvement de Lise. Lors de la pause sous l'ombre du gros rocher, il la vit sortir de la caravane, une expression marquée par la frustration sur son visage. Elle était vêtue d'une tenue de voyage élégante, adaptée au climat, une robe longue aux bords argentés, qui soulignait sa silhouette tout en lui offrant une certaine protection contre la chaleur accablante du désert. Le contraste entre ses traits à moitié dissimulés sous ses cheveux courts et son allure assurée ne faisait que renforcer son charisme naturel.

Mais ce qui énerva le plus Lucci, ce furent les regards furtifs des mercenaires, fixés sur Lise, puis détournés aussitôt qu'elle se rendait compte qu'ils l'observaient. Ils étaient trop évidents, trop détaillants. Ces gestes discrets, ces yeux qui suivaient chaque déplacement de Lise, la reluquant sans vergogne. Un sentiment d'irritation s'éveilla en lui. Cette admiration cachée des hommes, ce regard insistant, le rendait fou. Ne pouvaient ils pas juste faire leurs travail ?

Chaque mouvement, chaque geste de Lise semblait les hypnotiser davantage. Lucci serra les poings, un frisson de jalousie dégringolant dans son esprit.

— "Mashallah, elle est vraiment belle, n'est-ce pas ?", murmura l'un des mercenaires, sa voix emplie d'une admiration à peine voilée.
— "Imaginez si elle avait des cheveux plus longs… elle serait parfaite."

Les mots résonnèrent dans la tête de Lucci comme un coup de poing. Il n'avait pas besoin de ces hommes pour lui rappeler l'incroyable beauté de Lise, une beauté froide, distante, presque inhumaine dans sa perfection. Lucci en était parfaitement conscient et luttait parfois pour ne pas en être trop affecté.

Lise, elle, ne semblait même pas remarquer l'effet qu'elle provoquait. Elle continuait d'aller de mercenaire en mercenaire, non seulement s'assurant que tout allait bien, mais aussi offrant ses services de médecin. Chaque fois qu'elle s'approchait d'un homme fatigué ou blessé, son regard devenait plus concentré, et sa voix, calme et autoritaire, guidait les hommes avec une aisance naturelle. En tant que médecin, elle savait exactement comment les rassurer, comment traiter les blessures avec une précision clinique, et sa présence apportait une étrange forme de sérénité à ceux qui l'entouraient.

Et pourtant, en dehors de cette attention professionnelle, chaque mouvement de sa silhouette semblait envouter les regards des hommes. Qu'elle s'intéresse à eux ou non, ils étaient captivés par sa simple présence. Lise agissait toujours avec une froideur et une détermination implacables, ignorant superbement les regards admiratifs et parfois bien trop insistants. Elle n'avait même pas besoin de sourire ni de prononcer un mot – sa simple présence suffisait à subjuguer les mercenaires.

Lucci détourna les yeux, se forçant à ignorer la scène. Il n'avait pas de temps à perdre avec cette jalousie inutile. Elle était belle, mais ce n'était pas cela qui comptait.

Pourtant, la frustration bouillonnait en lui, alimentée par l'admiration dévorante des mercenaires. Ces hommes la regardaient comme s'ils ne la voyaient que comme un objet de désir, sans comprendre la profondeur qui se cachait sous cette apparence.

Il s'éloigna de quelques pas, cherchant à se replier sur lui-même, à se recentrer sur la mission. Mais plus il y pensait, plus l'envie de remettre ces hommes à leur place s'intensifiait. La jalousie était une émotion qu'il avait appris à contrôler, mais devant l'attitude de ces mercenaires, il lui était difficile de la réprimer complètement.

Puis soudain, ce fut à son tour. Elle était venue le voir, et Lucci évita de justesse un frisson. Il espérait qu'elle ne l'avait pas reconnu, qu'elle ne savait pas qui il était. Il resta silencieux, répondant à ses questions par de simples hochements de tête ou par des murmures discrets, masquant autant qu'il le pouvait ses pensées. Tout son être semblait tendu, comme un fil prêt à rompre.

Puis, de manière inopinée mais bienvenue, le chef des mercenaires fit entendre sa voix rauque :

- « Eh Mohammed ! » lança-t-il en le hélant. « T'as avalé ta langue ?! Haha, ne faites pas attention à ce petit frère, il est pas encore marié et encore puceau ! »

À ces mots, le reste du groupe éclata de rire, un éclat de rires gras et bruyants qui fit vibrer l'air chaud du désert.

Lucci, pris au piège de cette situation imprévue, se fit violence pour garder le silence, ne laissant rien transparaître de son irritation intérieure. Au moins, cela lui donnait une raison de se taire, une sorte de bouclier derrière lequel il pouvait se cacher.

Lise, quant à elle, sembla à peine réagir aux railleries. Sans relever la tête, elle fit un simple mouvement de la main, comme si elle n'avait pas été perturbée par les rires qui s'étaient emparés du groupe.

- « Je vois », dit-elle simplement. Puis, se tournant vers Mycèna, elle ajouta d'un ton calme et autoritaire : « Nous devrions repartir. »

Et sans plus de mots, elle tourna les talons, s'éloignant déjà, ses pas mesurés et décidés, comme si l'incident n'avait jamais eu lieu. Lucci resta là, une tension sourde dans le ventre, observant la scène avec des pensées embrouillées.

A suivre...