Chapitre 33 :Entre Désir et Frustration

Les premières notes du oud s'élevèrent lentement, portées par l'encens lourd qui flottait dans l'air, créant une atmosphère envoûtante, presque irréelle. La danse des femmes se déployait sous les lueurs tamisées du Al-Ma'arif, chaque mouvement parfaitement exécuté, chaque geste mesuré avec une sensualité magnétique. Mais pour Lucci, tout semblait se dissoudre autour de lui à mesure que la danseuse centrale, Layali Al-Jawhar, se mouvait.

Elle avançait, chaque ondulation de son corps était comme une caresse invisible qui effleurait l'air, et Lucci, bien que maître de son contrôle, sentit sa respiration se bloquer. Il ne pouvait détacher ses yeux d'elle. Ses bras se levaient dans l'espace, portés par une grâce fluide, chaque courbe de son corps captant l'attention de tous ceux qui étaient présents. Ses voiles diaphanes semblaient danser autour d'elle, flirtant avec l'air, laissant parfois entrevoir la peau dorée de ses bras et de ses jambes, éclatante sous la lumière.

Mais ce n'était pas seulement la beauté de la danse qui le troublait. C'était cette sensation étrange qu'elle semblait danser pour lui.

Les mouvements se rapprochaient progressivement de sa position, chaque pirouette, chaque geste, une invitation silencieuse, un défi à ses sens. La musique s'intensifia, tout comme l'effet qu'elle avait sur lui. Lucci se retrouva pris dans une sorte de vertige. Chaque geste de Layali lui paraissait plus intime, plus provocateur, comme si elle savait exactement où poser son regard et comment capter son attention. Le monde autour d'eux se dissipait, n'existant plus que pour cette danse, pour ce lien invisible qui semblait se tisser entre elle et lui.

Dans son esprit, un tourbillon se forma, une confusion palpable. Les deux femmes se superposèrent : Layali, se rapprochant toujours plus de lui, chaque mouvement chargé de promesses silencieuses, et l'autre, l'image persistante de Lise, dansant dans l'ombre de ses pensées. Il la revit, Lise, sa silhouette ondulant avec une sensualité presque identique, mais cette fois, c'était elle qui, dans son imaginaire, se glissait près de lui, son souffle chaud effleurant sa peau, ses lèvres effleurant le creux de son oreille, ses mains caressant lentement son cou. La fusion de ces deux visions le frappait brutalement.

La musique s'intensifia, son cœur battait plus fort, et dans son esprit, les deux femmes se mêlaient, l'une dansant toujours plus près de lui, l'autre, plus intime, se faisant plus audacieuse, lui murmurant des mots doux, presque insensés, contre sa peau, et mordillant son cou avec une lenteur exquise. Il sentit un frisson long, incontrôlable, parcourir son dos. Lise, cette image d'elle qu'il avait à peine effleurée, semblait revenir, encore plus provocante, dans cette fusion avec Layali. Leurs présences se fondaient et l'embrassaient dans une vague de désir et de frustration.

Sa main se crispa sur le verre, son regard devenant de plus en plus sombre. Il se força à détourner les yeux, mais la sensation d'être observé, cette danse autour de lui, cette séduction palpable, ne le quittait pas. Il se sentait pris au piège. Il n'était plus sûr de ce qui était réel et ce qui n'était qu'une illusion, mais il savait une chose : il ne pouvait pas fuir cette sensation.

Le chef des mercenaires le bouscula de nouveau, trop insouciant pour voir la lutte interne qui se jouait en Lucci.

— "Alors ? Impressionné, hein ? T'as jamais vu une femme comme elle, pas vrai ?" lança-t-il, tout sourire.

Lucci se força à respirer, sa voix coupant l'air d'une froideur glaciale.

— "Ce n'est qu'une danseuse." Il mentait, et il savait qu'il mentait. Mais c'était tout ce qu'il pouvait dire.

Et dans le fond de ses pensées, les deux femmes dansaient encore, se fondant l'une dans l'autre, le dévorant dans cette guerre de séduction silencieuse.

Lucci marcha à travers les rues sombres, ses pas résonnant sur le pavé comme des tambours martelant l'air lourd de la nuit. Le vent souleva des nuages de poussière, mais cela ne parvint pas à apaiser la tempête qui dévastait son esprit. Les échos de la danse, les souvenirs de cette femme, et surtout l'image de Lise, s'enroulaient autour de lui, s'infiltrant dans ses pensées comme une morsure qui refusait de cicatriser.

Il serra les dents si fort qu'il sentit presque ses mâchoires se briser sous la pression. Le nom de Bella—non, Lise—résonnait dans sa tête, se mêlant à chaque pas, à chaque respiration. Il n'arrivait pas à s'en débarrasser. La pensée d'elle, de sa proximité, de la façon dont elle l'avait approché sans qu'il puisse l'empêcher, le dévorait de l'intérieur. Cette femme, cette créature—il la haïssait pour ce qu'elle représentait. Elle le déséquilibrait, le mettait à nu, et cela, il ne pouvait pas le tolérer.

L'image de Layali Al-Jawhar dansant dans sa tête se fondait avec celle de Lise. Chaque mouvement de la danseuse se superposait à une caresse qu'il n'avait pas demandée, mais qui s'infiltrait dans ses veines comme un poison. Et même maintenant, il sentait encore la chaleur de son souffle imaginaire sur sa peau. Les gestes de Layali se mêlaient à l'image de Lise, chaque mouvement une invitation, une promesse d'approfondir un désir qu'il n'acceptait pas.

Il se sentait piégé, enfermé dans une cage qu'il s'était lui-même forgée, et pourtant, cette rage qu'il ressentait, cette frénésie d'évasion, était un rappel cruel qu'il n'était pas aussi indestructible qu'il le croyait.

Lise. L'image de ses yeux glacés, son défi silencieux, et le parfum de sa peau sous sa touche délicate. C'était tout cela qui le détruisait. Elle était là, dans ses pensées, sans qu'il ne puisse l'échapper. Cette impression qu'elle le scrutait toujours, qu'elle voyait à travers lui, que sa simple présence le perturbait… C'était insupportable.

Un cri se forma dans sa gorge, mais il se força à le retenir. Il devait garder le contrôle. Ce qu'il ressentait n'était qu'un désir irrationnel. Il n'était pas faible, il ne se laisserait pas submerger par cela. Elle n'avait pas de pouvoir sur lui.

Pourtant, au fond de lui, au plus profond de ses entrailles, une vérité douloureuse se formait. Il avait déjà perdu. La bataille était finie avant même qu'il ne la comprenne. Lise n'était pas simplement un visage dans sa tête, elle était devenue une partie de lui. Et il ne pourrait jamais s'en défaire.

...

Lucci se retrouva seul dans l'ombre de sa chambre, sa peau marbrée de sueur.. Le désir brûlant qui l'envahissait, sauvage et inassouvi, était une douleur qu'il ne parvenait pas à apprivoiser. L'image de Lise restait imprimé dans son esprit, sa grâce distante, sa froideur implacable, chaque mouvement d'elle agissant comme un poison s'infiltrant délicieusement dans ses veines. Ses pensées, chaotiques et désordonnées, se heurtaient les unes aux autres, mais il n'avait ni l'envie, ni la force de les chasser. Pas maintenant. Pas tout de suite. Pas ce soir.

Prisonnier de cette envie qu'il ne voulait pas reconnaître, Lucci s'efforça de repousser cette sensation. Mais c'était inutile. Son corps, cet instrument de puissance qu'il contrôlait si souvent avec une précision effrayante, se rebellait. La brutalité de son désir se faisait plus forte de seconde en seconde, chaque pulsation de son corps guidé par une frustration qu'il ne pouvait décemment ignorer. Ses mains se refermèrent sur lui-même, la douleur et le plaisir se confondant alors qu'il cherchait une forme d'extase.

Il se mordit violemment la lèvre inférieure, ressentant le goût métallique du sang, une douleur qui venait s'ajouter à une autre, plus profonde, celle de sa lutte intérieure. Le souvenir de la scène le hantait encore, un feu inextinguible qui brûlait en lui. Ce goût métallique, réveillait ses sens comme un aphrodisiaque, enflammait son esprit avec une violence qu'il n'était pas prêt à affronter. Le regard qu'il avait porté sur la scène, fasciné et presque fiévreux, le dévorait encore. La brutalité de cette exécution, d'une perfection clinique, avait réveillé en lui un besoin insatiable.

L'image des corps, réduits en charpie, une mer de sang et de lambeaux, lui revenait en mémoire tel un kaléidoscope de ses désirs les plus sombres. Il se souvenait de l'effroi teinté de la fascination morbide et malsaine qu'il avait ressenti face à la violence, au lâché prise du carnage, de l'absence totale de pitié. Le vent qui balayait le sol, l'emportant avec lui, le long de cette danse mortelle, lui paraissant d'une sensualité volée, à la fois effrayante et si excitant à la fois.

Au milieu de tout ce sang, une main, la main fragile d'une incroyable blancheur, émergeait. Cette main. Sa main à elle.

Il l'imaginait du cuir le plus doux, se souvenant encore de sa fraicheur lorsqu'elle l'avait soigné suite à une fièvre. Mais c'était une fièvre d'un autre type qui le prenait. A la faveur de la nuit, les yeux mi-clos, gorgé de désir et la main sur sa virilité qui ne cesserait de clamer son impatience, il multipliait les vas et viens. Ses mains, si blanches, qu'il s'imagina lécher, gobant chacun de ces doigts dans une lente frénésie… Ces doigts qu'il imagina frôler ses lèvres avides d'amour et de mort. Il les voulait désespérément sur lui, en lui, le frôlant, le cajolant, le brulant de cette aura glacée, le mettant à nu. Il voulait éprouver cette passion, cette fièvre qui le rendait fou. Il voulait ses doigts, synonyme de vie et de mort sur le nerf de ses désirs, sur cet objet incontrôlable qui le rendait impuissant sous l'intensité du regard qu'il s'imaginait qu'elle lui portait, distante, impassible, mais d'un regard néanmoins brulant. Il continua ses va et viens frénétiques alors qu' il l'imaginait le toucher. Ce fut trop pour lui qui se libéra en une vague de plaisir amer qu'il regretta ensuite. Un terrible instant de faiblesse, mais un instant d'honnêteté avec lui-même.

Collant et poisseux, il respirait à bout de souffle sur son lit n'osant prononcer le nom de celle qui l'avait plongé dans cet état.

- Un jour… je la tuerai. Murmura t'il nageant encore dans les vagues de plaisir qui le submergeait. Ou alors, c'est moi qui devra mourir, si jamais elle me repousse.

...

Lise pénétra dans le somptueux palais de Lulu al-Abyad avec une tranquillité imposante, suivie de près par Mycèna et leur escorte, Bora et Rabbit. Chaque membre de l'équipe portait les vêtements exigés par l'étiquette royale, mais aucun n'éclipsait la présence de Lise. Sa tenue, à la fois sobre et raffinée, était une parfaite illustration de sa maîtrise des codes de la noblesse sans tomber dans l'excès. Un costard blanc impeccablement taillé, assorti d'un sous-pull en soie noire qui épousait ses courbes avec une subtilité maîtrisée. Elle n'avait d'autres accessoires qu'un collier discret, une touche de sophistication sans ostentation. Les escarpins noirs résonnaient sur le marbre du sol, mais leurs bruits étaient presque étouffés par la solennité de son entrée.

Il y avait une légèreté dans sa démarche, une grâce naturelle qui semblait défier le poids du regard des autres. Pourtant, cette même légèreté n'était pas sans provoquer une certaine méfiance. Les regards des courtisans et des serviteurs qui assistaient à son entrée se faisaient plus furtifs qu'admiratifs. Oui, ils étaient subjugués par sa grâce, par l'élégance indiscutable qui émanait d'elle, mais l'inquiétude n'était jamais bien loin. Un souffle collectif parcourut la salle, une légère tension palpable qui envahit les recoins de la pièce. Chaque personne présente savait pertinemment qui étaient ces nouveaux venus : les membres de Colorless Butterfly, un groupe de pirates qui, récemment, avait pris une place de plus en plus importante dans la région. Des pirates qui se bâtissaient une réputation sur les décombres fumants de Baroke Works et de Crocodile, une figure détestée et haïe par tous.

Les murmures allaient bon train sur l'ambition de Lise et de ses compagnons, et si le respect pour leur présence se lisait sur certains visages, il n'était pas exempt d'une défiance palpable. Ces pirates, ces Colorless Butterfly, n'étaient pas là pour l'honneur. Leur nom était associé à la violence, au renversement de pouvoir. Et les rumeurs étaient claires : Lise et ses alliés voulaient s'imposer dans cette région en profitant de l'effondrement de leurs ennemis. Un cadavre encore chaud, un combat déjà perdu dans le sang et les cendres. Tout cela pesait sur leurs têtes, rendant chaque échange furtif encore plus chargé de sens.

Les ministres et courtisans se tenaient en retrait, leurs yeux fixés sur les visiteurs avec une vigilance accrue. Si la grâce de Lise imposait une forme de respect tacite, aucun d'eux ne laissait de place à l'illusion. Ces pirates n'étaient pas là pour simplement discuter, mais pour tordre le destin à leur avantage. Lise n'était pas une simple étrangère, et personne ne pouvait oublier ce qu'elle représentait. La haine pour Crocodile était encore vive, et bien qu'il fût tombé, les ombres de sa présence planeraient longtemps sur cette région, ternissant chaque nouvel arrivant de son passé.

Lorsqu'ils franchirent les portes de la salle du trône, l'atmosphère devint encore plus lourde. Le Roi Cobra, d'un air impassible, scrutait la jeune femme avec une prudence calculée. Ses yeux ne la quittaient pas, cherchant à déceler dans ses gestes la moindre faille, la moindre intention cachée. La princesse Nefertari Vivi, belle et digne dans sa posture, semblait elle aussi marquée par une tension intérieure. Sa mâchoire se serra à peine, ses yeux s'étrécissant légèrement, témoignant de l'anxiété contenue derrière son regard calme. Les ministres échangèrent des regards furtifs, murmurant presque imperceptiblement entre eux. La méfiance était palpable malgré l'apparente tranquillité de l'assemblée.

Lise, dans toute sa splendeur, n'était pas là pour être accueillie en héroïne. Mais son aura imposait une présence telle que, même au milieu de cette méfiance, personne ne pouvait détourner les yeux d'elle. Il y avait quelque chose d'implacable dans son allure, un mélange de douceur et de force tranquille qui semblait rendre l'air lui-même plus lourd. Les silences de la salle se faisaient plus lourds, les conversations coupées dès son entrée. Chaque courtoisie prononcée devenait un jeu de nuances, et l'espace entre chaque mouvement prenait une signification bien plus grande que la simple formalité.

Sans un mot de plus, Lise s'inclina avec grâce et modestie, un mouvement élégant et mesuré qui n'effaçait en rien la force tranquille qu'elle dégageait. Elle demeura droite, mais un léger sourire se dessina sur ses lèvres, celui de quelqu'un qui savait exactement ce qu'elle apportait, sans en faire étalage. C'était dans la maîtrise de ses gestes, dans le contrôle absolu de ses émotions, que résidait sa véritable puissance.

Les regards croisés entre les ministres, plus attentifs que jamais, captaient chaque nuance de l'expression de la pirate. Mais là où d'autres auraient vu une menace directe, eux percevaient quelque chose de plus insidieux. Lise n'était pas une simple force brutale : elle était la lente marée qui modifie les rivages, un souffle presque invisible qui prépare le terrain à quelque chose de plus grand.

La salle était emplie de tension. D'un côté, une grande et belle souveraine, digne mais nerveuse. De l'autre, une pirate en quête de domination, son calme une arme redoutable. L'atmosphère était lourde, mais aussi pleine de promesses d'intrigues à venir, tenait tout le monde en alerte.

Lise fit, son visage toujours aussi impassible, et, d'une voix calme mais pleine de puissance :

— "Moi, Lise Kureha, salue vos altesses royales."

Les mots tombèrent dans un silence glacial. Aucune fausse note, aucune hésitation. Et dans l'écho qui suivit, il était clair qu'une nouvelle ère, silencieuse et insidieuse, venait de commencer.

A suivre...