Chapitre 35 : La Couronne et le Papillon

Lise se leva soudainement, le regard dur, presque glacial. Elle lança un dernier regard furieux à la salle d'audience avant de quitter la pièce, d'un pas lourd et décidé. Ses talons claquaient violemment sur le marbre blanc, résonnant comme des coups de marteau dans le silence lourd qui régnait derrière elle. Elle sentait la rage bouillonner en elle. La chaleur du désert, qu'elle avait supportée plus longtemps qu'elle ne l'aurait dû, la faisait suffoquer. L'idée de prendre son fruit du démon et de voler directement à Alubarna pour éviter cette chaleur étouffante lui était passée par l'esprit, mais elle avait choisi de respecter les coutumes du désert, par respect pour Alabasta et pour Mycena. Sauf qu'à cet instant précis, ces efforts semblaient complètement vains.

Elle avait traversé le désert, bravant la chaleur insupportable, les attaques incessantes de pillards et les secousses du terrain, sans jamais fléchir. Lise avait agi comme elle le pouvait, résistant à l'épuisement, suivant les règles par pure politesse et respect des traditions. Et pourtant, en retour, ce qu'elle obtenait, c'était cette gaminerie insupportable de la part de la princesse Vivi. À chaque mot qu'elle prononçait, à chaque accusation qu'elle lançait, Lise avait l'impression de perdre un peu plus de patience.

Elle savait que tout ça n'avait été qu'une perte de temps. Elle avait fait tout ce trajet, déniant ses propres besoins et son confort, prête à injecter une somme colossale pour racheter Baroque Works et ainsi faire d'Alabasta un allié. Et pourtant, on lui jetait des accusations comme si elle était une autre version de Crocodile, comme si elle voulait faire une conquête de ce pays en plein désarroi.

Cela l'irritait d'autant plus que tout ce qu'elle demandait, c'était une chance de prouver sa bonne foi. Elle et ses gens, Colorless Butterfly, étaient prêts à tout prendre en charge. Mais non, cette petite princesse, avec son tempérament de feu, préférait jouer à l'enfant gâtée plutôt que de faire avancer la situation. La frustration l'envahit.

Ses pas la conduisirent hors de la salle, vers les jardins luxuriants du Lulu al-Abyad. Un souffle d'air chaud s'échappa de sa bouche, mais elle s'efforça de rester calme, de respirer profondément. La chaleur du désert ne faisait qu'accentuer son agacement.

Lise s'éloigna du pavillon, ses pas lents mais assurés la guidant vers l'ombre des arbres qui peuplaient les jardins du Lulu al-Abyad. Le sol de sable fin semblait se fondre sous ses pieds, tandis que les pavés d'argile blanche serpentaient à travers les allées comme des cicatrices sur la peau du désert.

Les jardins étaient un véritable havre de paix. Des fontaines de marbre faisaient jaillir une eau cristalline, son ruissellement apportant une fraîcheur bienvenue dans la chaleur accablante. Autour de chaque fontaine, des fleurs éclatantes – iris bleus, hibiscus rouges et roses du désert aux pétales argentés – se dressaient fièrement, vivantes au milieu du paysage aride.

Les oiseaux locaux, aux plumes éclatantes, volaient d'un arbre à l'autre, leurs chants mélodieux s'élevant dans l'air, adoucissant le bruit des fontaines. Le vent soufflait doucement à travers les palmes, apportant avec lui une douceur rare, presque réparatrice.

Malgré sa frustration, Lise s'approcha d'un banc en bois sculpté, à l'ombre d'un grand arbre aux racines épaisses. Elle s'assit, les mains posées sur ses genoux, le dos droit, et ferma les yeux un instant. Elle prit une profonde inspiration. L'eau, les oiseaux et la brise légère semblaient l'emporter ailleurs, loin des tensions des négociations et des jeux de pouvoir d'Alabasta. Ce moment de calme l'aidait à apaiser son esprit, à se recentrer.

Elle laissa son regard errer autour d'elle. Le jardin était un sanctuaire, un contraste frappant avec la cacophonie de la salle d'audience. Bien que la rage bouillonnante au fond d'elle ne se fût pas complètement dissipée, elle se sentait plus légère, plus sereine.

Mais soudain, une présence perturba ses pensées. Lise sentit le poids de l'air changer, une nouvelle tension flottant dans l'atmosphère. Le bruit des pas sur le sable fin la fit rouvrir les yeux.

Le roi Cobra approchait, sa silhouette drapée d'étoffes royales ondulant sous la lumière filtrée par les feuillages. Son pas était lent, mesuré, comme s'il réfléchissait encore aux mots qu'il allait prononcer. Lise ne bougea pas lorsqu'il s'arrêta à une distance respectable. Il fit un signe discret à un serviteur, qui disparut rapidement pour revenir avec une chaise de bois sculpté. Cobra s'y installa avec une dignité sereine, ses mains posées sur les accoudoirs, son regard perdu vers l'horizon.

— J'espère ne pas vous déranger, murmura-t-il enfin, sa voix profonde tranchant avec la quiétude du jardin.

Lise détourna légèrement la tête vers lui, le jaugeant du regard. Cobra était un homme mesuré, un diplomate aguerri. Contrairement à sa fille, il savait quand parler et quand écouter.

— Non, répondit-elle simplement, sa voix toujours aussi froide, mais dénuée d'hostilité.

Elle laissa un silence s'installer, profitant encore un instant de cette accalmie. Puis elle ajouta, plus doucement :

— J'avais simplement besoin de quelques instants de tranquillité… avant que tout cela ne recommence.

Cobra eut un sourire discret, empreint d'une compréhension presque paternelle. Il fixa un instant le sol, semblant peser ses mots, avant de reprendre d'un ton plus léger :

— Ma fille a tendance à bouleverser l'ordre des choses, admit-il avec une pointe d'amusement amer. Son tempérament de feu lui attire autant d'alliés que d'ennemis.

Lise arqua un sourcil, légèrement surprise par la franchise du roi. Elle s'attendait à une posture plus rigide, plus formelle. Mais cet aveu… cette sincérité inhabituelle, piqua sa curiosité.

— Elle a du caractère, c'est certain, souffla-t-elle. Mais elle est jeune. La diplomatie n'est pas qu'une question de passion, c'est aussi une question de patience.

Cobra acquiesça lentement, son regard s'assombrissant d'une lueur presque mélancolique.

— Elle est destinée à porter le fardeau de ce royaume, mais il lui reste encore tant à apprendre… Parfois, je me demande si elle saura en assumer le poids.

Lise l'observa en silence. Elle n'avait aucune affection particulière pour Alabasta, mais elle reconnaissait ce regard. Celui d'un roi qui s'inquiète pour son héritière. Elle savait ce que signifiait porter une charge écrasante sur ses épaules.

Puis, comme s'il se ressaisissait, Cobra reposa son regard sur elle, plus affûté, plus concentré.

— Mais nous ne sommes pas ici pour parler uniquement de ma fille, n'est-ce pas ? dit-il d'un ton plus direct. Parlons affaires.

Lise inspira profondément. L'instant de répit était terminé.

— Vous avez raison, répondit-elle en se redressant légèrement. Le rachat de Baroque Works n'est qu'une partie de l'équation.

Elle croisa les doigts sous son menton, son regard s'ancrant dans celui du roi.

— Nous avons des projets plus vastes, et ils concernent bien plus que cette organisation.

Cobra ne répondit pas immédiatement, mais elle vit la lueur d'intérêt s'allumer dans ses yeux. Lise savait que cet entretien marquerait un tournant. La partie venait à peine de commencer.

Cobra se pencha légèrement en avant, son regard plus perçant. Il connaissait la réputation de Colorless Butterfly et n'avait aucun doute sur ses ambitions, mais il attendait une explication claire.

— « Et vous, vous avez une vision plus large de ce rachat, n'est-ce pas ? », dit-il d'une voix grave.

Lise acquiesça lentement, consciente de la gravité de la situation.

— « Effectivement. » Elle prit un moment pour organiser ses idées.

— « Notre entreprise traverse une période difficile dans le Nouveau Monde. Là-bas, la situation est complexe. Les Empereurs maintiennent un équilibre fragile mais efficace, où les conflits ouverts sont rares. Les pirates finissent par se soumettre à l'un des cinq Empereurs, non par loyauté, mais par nécessité. Leur force écrase celle des indépendants. Ceux qui tentent de résister alimentent nos profits. »

Elle laissa un instant de silence s'étirer, sondant Cobra du regard avant de poursuivre avec une froide détermination.

— « Les pirates, dans cette partie du monde, ne sont que des pièces sur un échiquier géopolitique. Cependant, éliminer tous ceux avec de fortes primes provoquerait un chaos inutile. Un tel déséquilibre finirait par détruire l'ordre que nous cherchons à maintenir. Nos actions doivent être stratégiques, à l'image des grandes puissances politiques. »

Elle s'accorda une pause, laissant ses paroles s'imprimer dans l'esprit du roi avant de reprendre, implacable.

— « Mais ici, sur Grand Line, la situation diffère. Les pirates y sont indépendants, sans allégeance aux Empereurs. C'est une opportunité unique. La concurrence est moins réglementée, offrant une plus grande marge de manœuvre. » Son regard glissa brièvement vers les cartes étalées sur la table. « Cela nous permettrait aussi d'assurer des débouchés économiques pour les nations voisines. »

Cobra la considéra en silence, pesant le poids de ses mots. Il se leva, s'approchant du cours d'eau qui serpentait non loin, observant les reflets miroitants du soleil à la surface. Le clapotis de l'eau semblait l'aider à structurer ses pensées avant qu'il ne rompe le silence.

— « Que cherchez-vous vraiment ? » demanda-t-il d'une voix calme, mais lourde de sens.

Il tourna la tête vers Lise, l'observant avec acuité.

— « Si vous êtes la commandante de Carl Snow, récupérer les infrastructures de Baroque Works n'est qu'un atout. Vous pourriez rebâtir votre réseau ailleurs, sans complications. Alors, pourquoi insister ? »

Son regard retourna vers l'eau, comme s'il cherchait une réponse plus profonde que celle qu'il formulait.

— « De plus, mes ministres m'ont parlé d'un projet de désalinisation d'eau qui pourrait garantir à Alabasta un accès illimité à l'eau douce. Un projet colossal, chiffré en milliards. Bien au-delà de ce que vous demandez. »

Il marqua une pause, laissant flotter ses paroles. Colorless Butterfly avait les moyens de s'établir ailleurs. Pourquoi cet acharnement sur Alabasta ?

Lise, toujours assise, le regarda avec un calme glacial, ses doigts effleurant distraitement la surface de la table en pierre. Un vent léger souleva quelques grains de sable. Puis elle posa son regard sur Cobra, un sourire fin et énigmatique effleurant ses lèvres.

— « Vous avez raison. En vérité, je n'ai pas besoin de Rainbase, sauf si je souhaite commercer avec les autres nations de cette île. »

Elle croisa les mains sur la table, son regard s'assombrissant.

— « Drum ne compte que cinquante mille habitants, tandis qu'Alabasta en abrite trente-cinq millions. En incluant l'île Sunny, on atteint cent millions d'âmes. Vous êtes un continent à vous seul. »

Elle jaugea Cobra un instant avant de poursuivre d'une voix mesurée.

— « Pourtant, à son apogée, Drum, avec seulement un million d'habitants, générait plus de berries par an et par habitant qu'Alabasta. »

Elle se pencha légèrement en avant, appuyant ses mots d'une froide précision.

— « Pourquoi, selon vous ? »

Son ton n'était ni moqueur ni accusateur, mais une invitation à réfléchir. Cobra comprenait qu'elle le poussait à voir les choses différemment. Il observa l'eau qui s'écoulait paisiblement, contraste frappant avec la tension invisible entre eux.

— « Drum était un royaume scientifique, » admit-il enfin. « Son savoir était sa richesse. Mais Alabasta repose sur son histoire, son influence géopolitique. »

Lise hocha la tête, son regard acéré.

— « Exact. Drum prospérait grâce à ses avancées médicales, à ses chercheurs et à leur monopole sur la médecine. Alabasta a été bâti sur le commerce et son influence, mais vous souffrez d'un problème fondamental : l'eau. »

Cobra serra les poings, conscient que la sécheresse et les conflits avaient affaibli son pays plus qu'il ne l'aurait jamais admis à une étrangère.

— « Et c'est là que vous intervenez, » murmura-t-il.

Lise esquissa un sourire fugace.

— « Disons que je suis une opportuniste pragmatique. Rainbase et l'ancien réseau de Baroque Works ne sont que des outils. Vous avez un pays en reconstruction, des infrastructures affaiblies, une population incertaine… Ce projet de désalinisation pourrait être un tournant. Une assurance contre la famine et la dépendance climatique. »

Cobra inspira lentement, son regard scrutant celui de Lise.

— « Mais vous attendez quelque chose en retour. »

Lise laissa échapper un rire léger.

« Évidemment. La philanthropie pure n'existe pas, surtout dans mon monde, et encore moins à une telle échelle. Nous ne sommes pas des bienfaiteurs désintéressés, et nous n'avons pas l'intention d'investir des sommes colossales sans contrepartie. L'eau qui sera produite ne coulera pas gratuitement dans les citernes d'Alabasta ; elle sera un bien marchand, accessible certes, mais tarifé. Drum, en tant que garant du projet et fournisseur de la technologie, touchera un pourcentage des bénéfices jusqu'au remboursement total de l'investissement initial. Une fois cette dette soldée, il continuera d'en tirer profit sur le long terme. »

Lise marqua une courte pause, laissant ses mots s'imprimer dans l'esprit du roi, avant de poursuivre d'un ton assuré :

« Quant aux infrastructures, elles ne seront pas confiées à des mains étrangères. Ce sont mes hommes qui bâtiront ces stations de désalinisation, qui les entretiendront, qui veilleront à leur bon fonctionnement. Le contrôle technique et la gestion de cette ressource vitale resteront sous la supervision de mon organisation. Nous apportons les fonds, la technologie, la logistique et la garantie que cette entreprise ne tombera pas en ruine après quelques années de mauvaise gestion. »

Cobra, qui jusque-là écoutait avec une neutralité mesurée, se retourna brusquement, les sourcils légèrement froncés par la surprise.

« Vous souhaitez un quart des bénéfices ? Vingt-cinq pour cent, c'est énorme ! » Son regard se fit plus scrutateur. « Et qu'est-ce qui me prouve que votre plan fonctionne ? Ce projet est ambitieux, certes, mais rien ne me garantit qu'il ne s'effondrera pas sous le poids de ses propres promesses. »

Lise ne cilla pas. Son regard resta froid et imperturbable alors qu'elle soutenait celui du roi, y plantant une détermination inébranlable. Du bout des doigts, elle effleura la surface de la table, comme pour ancrer son calme avant d'annoncer d'un ton presque désinvolte :

« Vous avez dit que Drum était un royaume scientifique, n'est-ce pas ? Un sanctuaire de savoir et d'innovation ? Ce n'est pas un titre usurpé. Pendant plusieurs années, le professeur Végapunk lui-même a vécu sur notre île. Il y a mené ses recherches, perfectionné certaines de ses théories, et... a laissé derrière lui quelques trésors de connaissances. »

Cobra plissa légèrement les yeux, attentif.

« Parmi ces trésors figure un plan de désalinisation d'une efficacité incomparable. Un projet qu'il nous a offert, en guise de gratitude. »

Lise s'adossa légèrement, croisant les bras.

« Après tout, nous lui avons sauvé la vie lors d'une opération des poumons. Il tenait à nous remercier. »

Un silence s'installa, suspendu entre eux, tandis que les implications de ces paroles s'enracinaient dans l'esprit du roi.

Cobra haussa un sourcil, l'information le prenant de court. Il croisa les bras, réfléchissant à ce que cela impliquait.

« Végapunk... » répéta-t-il lentement. « Si ce que vous dites est vrai, alors ce projet repose sur une technologie bien au-delà de ce que nous aurions pu espérer. »

Lise se contenta de hocher la tête, son regard toujours aussi perçant.

« C'est exact. Le professeur Végapunk a conçu un système capable d'exploiter l'eau de mer avec un rendement inégalé. Il ne s'agit pas de simples pompes et filtres rudimentaires, mais d'un procédé qui pourrait révolutionner l'accès à l'eau douce. »

Cobra soupira, passant une main sur son front.

« Si ce projet fonctionne… Alabasta n'aurait plus jamais à craindre la sécheresse. Nous ne serions plus tributaires des caprices du climat, ni même d'ennemis qui voudraient nous priver de cette ressource vitale. »

Lise sourit légèrement.

« Exactement. Mais comme vous l'avez dit, 25 %, c'est énorme. Vous pouvez refuser… et continuer à dépendre des précipitations irrégulières. Ou accepter un investissement sûr, avec des résultats concrets. »

Cobra garda le silence un moment, pesant le pour et le contre. Puis, lentement, il déclara :

« Et qu'est-ce qui me garantit que vous respecterez votre engagement et ne chercherez pas à exploiter cette dépendance à votre avantage ? »

Lise pencha légèrement la tête, comme amusée par la question.

« Je pourrais vous retourner la question. Qui me garantit qu'Alabasta ne tentera pas un jour de nous éjecter une fois la technologie en place ? »

A suivre ...