Chapitre 36 : Les larmes de Dieu
Un silence tendu s'installa entre eux. Puis, Cobra esquissa un sourire fatigué.
— « Vous êtes plus redoutable que vous n'en avez l'air, commandante. »
— « Je suis pragmatique, » corrigea-t-elle simplement. « Et je ne prends aucun pari sans m'assurer d'en maîtriser tous les enjeux. »
Cobra observait la femme devant lui avec une attention accrue. Il n'était pas homme à se laisser impressionner facilement, mais il devait admettre que cette Lise, avec son ton implacable et son regard perçant, savait manier les mots et les opportunités avec une froideur calculée. Elle ne se contentait pas de proposer une solution – elle imposait un marché, un jeu où chaque carte semblait déjà tournée en sa faveur.
Végapunk.
Le simple nom portait un poids immense. S'il y avait bien un esprit capable de révolutionner le monde, c'était lui. Et maintenant, Lise lui annonçait, l'air presque désinvolte, qu'elle détenait une de ses créations ? Une technologie qui rendrait Alabasta indépendant des caprices du climat ?
L'idée était vertigineuse.
S'il disait oui, son peuple ne souffrirait plus jamais de la sécheresse. Plus de villages abandonnés à cause des puits asséchés, plus de cultures détruites par le manque d'eau. Plus jamais la peur d'un nouvel homme comme Crocodile, exploitant la faiblesse du royaume pour le plier à sa volonté.
Mais à quel prix ?
Cobra n'était pas naïf. Lise n'était pas une bienfaitrice, elle l'avait dit elle-même. Elle voulait un quart des bénéfices, et ce n'était sans doute qu'une partie de ce qu'elle espérait obtenir. Il y avait toujours une finalité. Une raison cachée sous ces promesses d'innovations et d'abondance.
Il la fixa un instant, mesurant chaque mot qu'il s'apprêtait à prononcer.
— Vous me parlez de pourcentage, de technologie et d'investissement. Mais il y a une chose que vous ne m'avez pas encore dite.
Il croisa lentement les mains derrière son dos avant de se retourner vers elle.
— Quel est votre vrai prix ?
Un silence s'installa, lourd de sous-entendus. Il ne la quittait pas des yeux.
— Je vous connais, Dame Lise. Ce genre de projet ne se lance pas sur un simple caprice commercial. Vous avez une finalité, quelque chose de bien plus grand que ce que vous me laissez entrevoir. Alors dites-moi… quelle est votre véritable ambition ?
Soudainement, il vit le regard de cette femme changer. Une lueur indéchiffrable s'alluma dans ses prunelles, mélange troublant de ténèbres et d'éclats acérés. Un regard qui ne promettait rien de bon.
D'un geste mesuré, presque cérémoniel, elle glissa la main dans la poche de son tailleur et en tira un petit étui de velours noir. Son mouvement était lent, délibéré, comme si elle mesurait chaque seconde, savourant l'instant où elle allait frapper un grand coup.
Elle l'ouvrit sans un mot.
Dans la pénombre tamisée des arbres, une lueur irisée vint danser sur les murs alors qu'elle en sortait un collier.
Cobra sentit son cœur rater un battement. Impossible.
Il écarquilla les yeux, foudroyé par la stupeur. Ce collier… Ce collier !
Il l'aurait reconnu entre mille.
Le joyau le plus précieux du trésor royal. Celui qui symbolisait la grandeur et la fierté d'Alabasta depuis des siècles. Fait de perles noires irisées dont chaque perles valait le prix d'un navire. Une relique d'une valeur inestimable, dont le prix dépassait trois milliards de berrys—l'équivalent de trois années entières du PIB du royaume.
Et pourtant, il l'avait cru perdu à jamais.
Volé par Crocodile. Dérobé dans l'ombre, emporté par l'infamie, dissous dans les méandres de la criminalité. Personne ne savait ce qu'il était devenu après la chute de Baroque Works. Tous supposaient qu'il s'était envolé sur le marché noir, vendu au plus offrant, hors de portée du peuple d'Alabasta.
Alors comment diable se trouvait-il entre les mains de cette femme ?
Un frisson glacé lui remonta l'échine.
— Mais où… et comment… ?!
Le choc lui coupa presque le souffle, sa voix vacillant sous l'effet de la surprise. Son regard bondit de l'écrin du collier à Lise, cherchant désespérément une explication, une faille dans l'impossible.
Mais il n'eut pas le temps de formuler la moindre question.
— Seriez-vous prêt à jurer sur ce collier de ne pas ébruiter sous tous les toits ce que je vais vous dire ?
Aucune arrogance, aucun sarcasme… Juste une froide assurance.
Caché derrière une colonne de calcaire, Robb Lucci écoutait tout avec une attention froide et implacable. Mais ce qui retenait particulièrement son regard n'était pas les mots échangés entre Cobra et Lise. C'était ce collier.
Ou plutôt, ce qu'il contenait : des perles irisées noires.
Ces perles n'étaient pas simplement rares ou précieuses. Elles étaient légendaires. On les surnommait les Larmes de Dieu, et ce nom seul suffisait à leur conférer une aura presque mystique. Leur éclat était unique : une brillance profonde, presque liquide, qui captait la lumière comme si elles contenaient en leur cœur le reflet d'un univers lointain.
Ces perles étaient les plus chères du monde. Même un roi ne pouvait se les offrir. Elles n'étaient pas qu'un symbole de richesse, mais un marqueur absolu de statut, réservé aux dragons célestes. Seules ces créatures divinisées par le gouvernement mondial avaient le privilège d'en porter. Et encore, la plupart des Tenryubito n'en possédaient que quelques-unes. Deux, trois tout au plus, montées sur des colliers d'or fin.
Mais celui que Lise venait de sortir sous les yeux de Cobra était tout autre. Trente perles.
Lucci ne pouvait détacher son regard de cet objet. Que faisait-elle avec une telle chose dans les mains ?
Il se souvenait, lors d'une mission d'escorte, de ce jour où il avait vu ces mêmes perles autour du cou d'un dragon céleste, un homme obèse drapé dans sa cruauté et son arrogance. Le collier était massif, impressionnant, et pourtant, comparé à celui-ci, il semblait misérable. Les familles les plus influentes de Mariejoa ne possédaient pas autant de ces perles. Même parmi les plus grands, un collier comme celui-là aurait été exceptionnel.
L'esprit de Lucci s'emballa. D'où venait-il ? Comment Lise avait-elle mis la main dessus ?
Caché derrière la colonne de calcaire, Lucci ne perdait pas une miette de la conversation. Son ouïe affinée captait chaque nuance, chaque intonation. Cobra, encore sous le choc, brisa le silence d'une voix tendue :
— Comment avez-vous mis la main sur ce collier ? Je le croyais disparu depuis des années !
Lucci ne voyait pas le visage de Lise, mais il pouvait l'imaginer. Froid, calculateur. Elle ne laissait jamais rien paraître gratuitement. Sa réponse fut livrée sur un ton tranchant, presque désinvolte :
— Il s'agit d'un remboursement de dette.
Un battement de silence.
— Car Crocodile…
Lucci sentit son regard s'assombrir davantage.
— Ce dernier devait à Colorless Butterfly plus de trois milliards de berrys, et j'ai été envoyée pour recouvrer cette somme.
Le choc de Cobra était presque palpable. Il était acculé entre l'incompréhension et la frustration. Son souffle s'alourdit légèrement avant qu'il ne réplique, incrédule :
— Insensé !
Lucci perçut un bruit, peut-être un poing crispé sur l'accoudoir du trône.
— Personne ne pourra vous acheter ces perles à leur vrai prix ! Une seule vaut plus cher qu'un lingot d'or ! Même les courtiers hésitent à prêter de l'argent en mettant en gage ces joyaux.
Lucci sentit un frisson le parcourir. Trois milliards de berrys, une dette contractée envers Colorless Butterfly…
Le puzzle se formait lentement dans son esprit.
Crocodile, cet homme qui avait failli faire tomber Alabasta, s'était donc endetté auprès de l'organisation de Lise ? Quelle était la nature exacte de cette dette ? Pour emprunter une telle somme, il fallait une raison bien plus profonde que de simples ambitions de conquête.
Mais surtout, si Lise avait mis la main sur ce collier et venait de le présenter ainsi, c'était pour une raison. Lucci ne croyait pas aux coups du hasard.
Elle avait une finalité.
Et Cobra aussi allait finir par le comprendre.
Le roi poussa un long soupir, comme s'il venait de céder à un combat intérieur.
— Très bien, finit-il par dire, sa voix empreinte d'un mélange de résignation et de calcul. Je suppose que ce collier est une raison suffisante pour garantir la valeur de cet échange.
Lucci devina que le roi devait observer l'éclat des perles, jaugeant la portée de leur présence dans cette pièce. Un tel trésor entre les mains de Lise… Cela rendait la situation encore plus intrigante.
— Alors, quel est votre véritable but avec l'implantation de Colorless Butterfly ici-bas ? reprit Cobra, l'œil suspicieux. Rendre Grand Line plus sûr ? Instaurer un lien commercial d'importance avec Alabasta à travers l'implantation d'usines de désalinisation ?
Lucci sentit le sourire dans la voix du souverain avant même qu'il n'ajoute, avec une touche de malice :
— On pourrait presque croire que vous nous courtisez.
Les muscles de Lucci se tendirent, mais il força son corps à rester immobile, ancré dans l'ombre de la colonne de calcaire qui le dissimulait. Il ne pouvait pas se permettre d'être repéré. Pas maintenant.
Pourtant, une brûlure insidieuse s'insinua dans sa poitrine lorsqu'il entendit ce rire. Léger, charmeur, presque irrévérencieux. Ce n'était pas un son qu'il lui connaissait. Lise n'avait jamais ri comme ça en sa présence.
Il raffermit sa prise sur la pierre rugueuse, ses doigts se crispant à mesure que sa mâchoire se serrait. Il savait ce que c'était. Il savait qu'il n'aurait pas dû ressentir quoi que ce soit, que ce n'était qu'un jeu. Mais cela ne changeait rien.
Son regard acéré s'attarda sur elle à travers l'interstice entre les ombres. Elle s'était approchée de son interlocuteur, et son ton s'était fait plus doux, plus intime.
— Mais c'est le cas, susurra-t-elle.
Un souffle lent et mesuré s'échappa de ses lèvres. Lucci refoula l'agacement qui menaçait de trahir sa présence. Il n'y avait rien de personnel là-dedans. Rien qui méritait une réaction. Pourtant, ses ongles s'enfoncèrent un peu plus contre la pierre, et son regard, à l'abri des regards indiscrets, se durcit d'une lueur impénétrable.
— Ne joue pas à ça, Lise, finit-il par murmurer, sa voix plus rauque qu'il ne l'aurait voulu.
Un silence tendu s'étira dans le jardin. Même les oiseaux avaient peur de piailler. On n'entendit que le bruit du vent et encore...
Lucci vit, du coin de l'œil, le corps du roi se raidir brusquement, son souffle se couper. Cobra s'était reculé d'un coup, choqué.
— Quoi ?! s'écria-t-il.
Mais Lise rit à nouveau, cette fois avec une sincère amusement.
— Pas de cette manière-là… Ha ha ha, corrigea-t-elle, sa voix toujours empreinte de cette ironie mordante. Mais oui, nous voulons nous entendre avec Alabasta.
Lucci perçut alors un changement subtil dans son ton, une gravité nouvelle qui s'infiltrait derrière l'amusement.
— Nous souhaitons que Drum et Alabasta partagent le même destin.
Il sentit quelque chose se serrer dans sa poitrine.
Ces mots n'étaient pas dits à la légère.
Lise se rassit sur le banc, impassible, comme si rien ne s'était passé alors que Cobra était encore gêné, une légère rougeur sur le visage, comme s'il venait de se faire piéger dans un jeu qui dépassait sa compré lui conseilla de s'asseoir d'un geste élégant, presque nonchalant, en toute décontraction. Le roi, les pensées tourbillonnant, se réinstalla dans son fauteuil, sans vraiment savoir si cela était une bonne idée.
— Je suppose que vous connaissez l'histoire terrible de Drum et ce qu'elle dut sacrifier pour avoir les plus grands médecins du monde, dit Lise d'une voix calme et posée. Notre pays aurait pu rester très riche sans médecins, si le fieffé Warpol n'avait pas été si stupide. Heureusement, ma mère, le professeur Kureha, avait mis les plans de Végapunk et autres brevets à l'abri dès le décès du roi précédent, ce qui permit d'éviter une catastrophe encore plus terrible pour le pays.
Elle marqua une pause, laissant l'écho de ses paroles s'inscrire dans l'esprit du roi, avant de continuer, son regard glissant vers la fenêtre.
— Grâce au Chapeau de Paille, Warpol est parti, et espérons le, ne reviendra plus jamais pour réclamer ses terres. Mais voyez-vous, s'il subsiste une possibilité que ça arrive, c'est un risque que je ne souhaite pas tenter. Moi, comme tous les autres.
Elle tourna lentement la tête vers Cobra, son expression aussi froide que l'acier, mais avec une pointe d'intensité.
— Si je pouvais vous offrir ce collier afin que vous puissiez m'aider, je le ferai sans hésiter. Surtout en connaissant sa valeur.
Cobra fronça les sourcils, son esprit en alerte. Que voulait-elle réellement en échange du collier ? Ces perles… Les Larmes de Dieu… Un prix au-delà de tout ce qu'Alabasta avait jamais payé. Il déglutit.
- Expliquez-vous… En quoi Alabasta peut vous être utile ?
Il attendait sa réponse, mais Lise prit une grande inspiration avant de commencer à exposer son plan, son regard se fixant sur lui d'un air résolu.
— Le projet Krona, commença-t-elle sans détour. Nous en avons eu l'idée lorsque le Shishibukai Donquichote Doflamingo s'est emparé de Dressrosa. À la différence que nous souhaitons destituer un véritable tyran, pas un roi innocent et manipulé. Maintenant que Warpol a fui de sa propre initiative, et que le peuple a élu la famille Kureha en tant que nouvelle famille royale, nous souhaitons l'officialiser auprès du gouvernement mondial.
Cobra s'assit droit, écoutant attentivement. Ses sourcils se froncèrent davantage. Lise continua, sans même un soupçon de doute dans sa voix.
— Et nous avons besoin du poids politique d'Alabasta, en tant qu'une des vingt familles fondatrices du gouvernement mondial.
Le nom du projet Krona résonnait dans l'esprit de Cobra, lourd de promesses et de conséquences. Ce n'était pas simplement un coup d'État, mais un bouleversement radical. Lise ne parlait pas seulement de renverser un tyran, mais d'obtenir du gouvernement mondial, la promesse de définitivement rayer warpol de la succession de Drum de d'installer la dynastie Kureha à la place. Un changement fracassant.
Cobra savait que son pays, Drum, était membre du gouvernement mondial, mais cela ne signifiait pas grand-chose. Warpol, son tyran, avait échappé à toute sanction grâce à la loi internationale, même si ses actions avaient coûté la vie à des centaines de milliers de personnes. Il n'avait jamais attaqué un autre pays, mais il était un despote dans son propre royaume. Et pourtant, personne ne l'avait réellement puni. Pourquoi ? Parce qu'il avait su manipuler les puissants. Grâce aux médecins de Drum, ces génies qui offraient des vies prolongées, il avait su s'attirer la faveur des hauts responsables du gouvernement mondial. Ces derniers, bien conscients de ses atrocités, avaient fermé les yeux, préférant maintenir un statu quo.
Cobra en avait toujours souffert, mais il comprenait la logique qui sous-tendait les décisions du gouvernement mondial. Ils avaient sacrifié la justice au nom de la stabilité. Mais à quel prix ? Les habitants de Drum, eux, avaient payé ce prix de leur vie, vivant dans la misère, ignorés et laissés pour compte. Les puissants s'étaient concentrés sur la préservation de leur position et non sur les souffrances du peuple.
Et maintenant, Lise, une pirate avec une prime de deux cent millions de berrys, venait lui parler de sauver Drum, de renverser ce régime tyrannique, mais aussi d'aider Alabasta en échange de soutien. Cobra l'observa attentivement. Elle n'était pas simplement une menace, mais un atout pour le gouvernement mondial. Pourquoi l'aidait-elle ? Et à quel prix ? Cobra se demandait aussi comment Lise avait pu obtenir les brevets pour l'eau miraculeuse de Végapunk, et surtout, ce que cela lui avait coûté. Si le gouvernement mondial venait à découvrir ce projet, cela risquait de provoquer une crise.
Les questions se bousculaient dans son esprit. Cobra ne pouvait ignorer la situation, même si Lise incarnait tout ce que le gouvernement mondial méprisait. Elle venait lui offrir une chance. Une chance qu'il ne pouvait pas négliger, mais dont les implications étaient bien plus complexes qu'il ne l'aurait souhaité.
Il prit un moment pour réfléchir avant de se tourner vers elle, le regard plus grave.
- « Si c'est ce que vous souhaitez, je vous conseille de garder ce collier. Il pourrait bien vous sauver la vie. »
A suivre...
