Chapitre 40 : Ma chère maman
Lucci ne réagit pas immédiatement, laissant les mots flotter dans l'air glacé. Pourtant, à l'intérieur, une ombre d'incompréhension et de frustration se mêla à son esprit. Mademoiselle ? Ce n'était pas un simple titre de politesse. Il y avait un respect fébrile, presque religieux, dans la façon dont le forgeron l'avait prononcé. Lise Kureha n'était pas une simple pirate aux yeux de ces gens, elle était une figure d'autorité, une protectrice... ou peut-être même une menace, une légende dont on évitait prudemment de prononcer le nom.
Ce brusque changement d'attitude l'intriguait. Quelques instants plus tôt, ils le regardaient avec curiosité, comme un étranger mal préparé à leur monde. À présent, c'était une hostilité glaciale qui émanait d'eux. Ils ne défendaient pas une île, ni même une personne, mais quelque chose de plus profond : une loyauté viscérale, tissée dans le givre et la rudesse de leur existence.
Il détailla les visages autour de lui. Des traits taillés par le froid et la survie, des yeux perçants qui n'exprimaient ni crainte ni hésitation. Ces gens n'étaient pas du genre à se courber devant un pirate ordinaire. Lise avait dû marquer Drum d'une empreinte indélébile, d'une manière qu'il ne pouvait pas encore saisir.
Une légère irritation monta en lui. Il n'aimait pas ne pas comprendre, encore moins être écarté comme une nuisance. Pourtant, il savait quand insister mènerait à une impasse. Le forgeron lui offrait un choix clair : accepter son "cadeau" et quitter l'île sans poser plus de questions, ou insister et voir si la menace était réelle.
Lucci n'était pas du genre à reculer. Mais il était là pour elle. Pas pour provoquer une guerre.
Dans un mouvement mesuré, il saisit le manteau qu'on lui tendait et le passa sur ses épaules. La chaleur de la fourrure mordit agréablement sa peau glacée, mais il n'y prêta pas attention. Son regard doré se fixa sur le forgeron.
— "Je prends l'offre," dit-il finalement d'un ton neutre. "Mais je ne suis pas ici pour lui chercher des noises. Seulement pour la trouver."
Il n'y eut pas de réponse immédiate. Juste le silence pesant d'hommes et de femmes qui savaient bien plus qu'ils ne voulaient dire. Mais Lucci n'était pas dupe. Lise était ici, quelque part. Et qu'importe leur fidélité inébranlable... Il la retrouverait.
Le silence s'épaissit encore, aussi pesant que le ciel chargé de neige au-dessus d'eux. Personne ne répondit à sa déclaration. Les villageois se contentaient de le fixer, leurs expressions impassibles, leurs yeux plissés par la méfiance. Même le forgeron, qui avait pourtant été le plus loquace, ne prit pas la peine de réagir immédiatement.
Lucci n'aimait pas ça. Il avait l'habitude des silences, de ceux qui précèdent une mise à mort ou un verdict implacable. Il savait reconnaître la tension d'une meute prête à bondir. Et c'était exactement ce qu'il ressentait ici.
Un léger ricanement fendit alors l'air glacial. Une vieille femme, emmitouflée dans un lourd manteau de peau de renne, le regardait en coin tout en ajustant une lanière de cuir sur ses mitaines.
— "La trouver, hein ?" Sa voix était rauque, abîmée par l'âge et les hivers trop longs."Tu crois que t'es le premier à débarquer ici en disant ça ?"
Elle cracha dans la neige à ses pieds, un petit geste méprisant.
— "Y'en a eu d'autres avant toi. Des hommes bien bâtis, des soldats, des chasseurs de primes. Des hommes sûrs d'eux, avec ce même regard de fauve." Elle le toisa, un sourire édenté aux lèvres. "Mais pas un seul d'entre eux n'a reparu après être allé la chercher."
Lucci resta impassible, mais il comprit que ces mots n'étaient pas une simple mise en garde. Il n'avait jamais douté de la dangerosité de Lise, mais il n'aurait jamais cru que les habitants de Drum puissent la protéger avec un tel acharnement. Elle n'était pas seulement une présence ici… Elle était une force. Une tempête qui avait laissé une empreinte trop profonde pour qu'on l'ignore.
Le forgeron croisa les bras, son regard dur comme la glace.
Le forgeron croisa les bras, son regard dur comme la glace.
— "Écoute bien, étranger. T'as eu de la chance d'arriver ici avec cette bête sur le dos, alors on t'a pas laissé crever de froid. Mais ça s'arrête là."
Il fit un pas vers lui, sa silhouette massive bloquant une partie du vent.
— " Mademoiselle ne vient pas souvent ici. Six mois qu'on ne l'avait pas vue. Mais à chaque fois qu'elle revient, elle soigne tout le monde. Les fiévreux, les éclopés, même ceux qu'on croyait condamnés."
Il marqua une pause, comme pour jauger sa réaction, puis continua d'un ton plus sombre :
— "Alors tu comprends pourquoi on n'a pas envie qu'un type comme toi débarque en posant des questions sur elle. Si tu lui veux du mal, tu ne quitteras jamais cette île vivant."
Lucci comprit immédiatement la gravité de ces paroles. Lise n'était pas qu'une ombre du passé pour ces gens. Elle était un miracle dans leur enfer glacé. Un ange aux mains tachées de sang, peut-être, mais un ange quand même.
Il laissa un sourire sans joie effleurer ses lèvres.
Il laissa un sourire sans joie effleurer ses lèvres, une ombre fugace passant dans son regard. L'atmosphère restait tendue, les villageois suspendus à ses paroles, prêts à réagir au moindre faux pas. D'un geste lent et maîtrisé, il ouvrit son long manteau sombre, laissant le froid mordant s'engouffrer contre son torse. Puis, sans quitter le forgeron des yeux, il remonta son pull épais, dévoilant une cicatrice longue et profonde sur son flanc gauche.
— "Je suis un de ses patients," déclara-t-il d'une voix posée mais ferme. "Je viens de Water Seven exprès pour la voir."
Certains plissèrent les yeux, d'autres échangèrent des regards sceptiques. Mais c'est le forgeron qui s'approcha en premier, sa silhouette massive se détachant contre la blancheur du paysage. Son regard se posa sur la marque, et d'un geste aussi brusque que précis, il effleura la cicatrice du bout des doigts.
— "Qu'est-ce qui t'a fait ça ?" demanda-t-il, l'expression dure.
Lucci baissa les yeux vers la blessure, une ombre fugace traversant son regard.
— "Un chantier à Water Seven," répondit-il, sa voix toujours aussi froide. "Une barre de métal, tombée d'un échafaudage. Empalement direct, entre les côtes."
Un frisson parcourut certains villageois à l'idée d'une telle blessure. Mais le forgeron ne broncha pas, son attention toujours rivée sur la cicatrice. Il la détailla longuement, cherchant la moindre imperfection, le moindre signe d'une intervention bâclée.
— "C'est propre," marmonna-t-il enfin. "Pas de déchirures inutiles, pas d'infection…
Il releva lentement la tête, jaugeant Lucci d'un regard perçant.
— "C'est bien son travail," admit-il d'un ton grave.
Un murmure parcourut la foule. Cet étranger, qui semblait jusqu'alors n'être qu'un inconnu dangereux, portait sur lui la preuve qu'il avait traversé les mains de Lise. Une preuve indiscutable.
Lucci abaissa son pull et referma son manteau, imperméable au froid qui s'insinuait sous ses vêtements. Il sentit le tissu se refermer sur son corps comme une seconde peau, aussi sombre et hermétique que lui-même. Pourtant, sous la surface, quelque chose bouillonnait.
— "Je lui dois quelque chose," ajouta-t-il, sa voix rauque trahissant une émotion qu'il refusa de nommer.
Il aurait dû la laisser partir. Il aurait dû la classer comme un danger et se contenter de la surveiller, comme il l'avait fait tant d'autres fois pour d'autres cibles. Mais Lise n'était pas comme les autres.
Il voulait la voir de ses propres yeux. La confronter. Entendre de sa propre bouche si elle était réellement devenue ce que ses actes laissaient présager.
À ces mots, une vieille femme s'avança, son visage à moitié dissimulé sous une capuche de fourrure épaisse. Son regard perçant sembla le disséquer, jaugeant la véracité de ses paroles comme si elle pouvait lire en lui, au-delà de ses mots, au-delà du masque.
Elle tapota le sol gelé de son bâton sculpté avant de déclarer d'une voix rauque, son index osseux tendu vers l'un des cinq pics de Drum. Des montagnes démesurées, dressées comme des piliers de glace et de roche, si hautes qu'elles semblaient vouloir griffer le ciel. Elles étaient capables, par moments, d'éclipser la lumière du soleil, plongeant le royaume dans une obscurité hivernale bien avant que la nuit ne tombe. L'air y était si glacial que même le souffle des vivants y paraissait figé, suspendu dans un silence funèbre.
— "Si tu cherches la doctoresse, elle est au sommet."
Un silence pesant s'installa aussitôt. Autour de Lucci, les villageois échangèrent des regards furtifs, certains baissant la tête comme pour éviter d'être pris à témoin. D'autres resserrèrent leur manteau sur leurs épaules, un frisson parcourant l'assemblée.
— "Là où le vent ne pardonne pas," ajouta-t-elle, ses mots résonnant comme une mise en garde ancestrale.
Lucci ne répondit pas immédiatement. Son regard se perdit un instant vers les hauteurs de Drum, où la neige tourbillonnait en spirales imprévisibles, traçant dans le ciel des arabesques invisibles, violentes et insaisissables. Là-haut, les cimes disparaissaient sous une mer de brume et de blizzards hurlants, un royaume hostile où seul le plus fort pouvait survivre.
Le vent de Drum n'était pas un simple courant d'air hivernal. C'était un mur invisible, une force qui arrachait la peau, mordait la chair et réduisait les faibles au silence éternel. Il sculptait la montagne, lissait la roche, soufflait dans les crevasses comme le râle d'un géant endormi.
Il n'avait aucun doute que Lise avait choisi cet endroit pour une raison. Elle n'était pas du genre à fuir, encore moins à se cacher. Elle s'installait là où les autres ne pouvaient pas l'atteindre, là où seuls ceux prêts à affronter le froid et l'altitude pouvaient espérer la voir.
Un sourire fin, presque imperceptible, effleura ses lèvres.
Si elle croyait que ce vent pouvait l'éloigner de lui, elle se trompait.
Avec ou sans pitié, il la retrouverait.
...
Lise venait tout juste de s'élever dans les airs, glissant avec une facilité presque surnaturelle au-dessus des paysages dévastés de Drum. Le vent mordant de la montagne balayait la neige, formant des tourbillons qui semblaient dévorer l'horizon. Là, au sommet de la plus grande montagne de l'île, se dressait le Château de Drum, un imposant monument blanc qui semblait figé dans le temps.
Le château, tout de marbre et de pierres, s'élevait majestueusement au-dessus des montagnes des Drum Rockies, ses tours pointues se découpant nettement contre le ciel glacé, où les nuages étaient si bas qu'ils semblaient se frotter aux cimes des montagnes. Il dominait la vallée, semblant presque flotter sur la crête de la montagne comme une apparition fantomatique. Chaque pierre, chaque arc, chaque fenêtre semblait fait d'une blancheur éclatante, comme si le château était sculpté dans la neige éternelle qui l'entourait.
Il y avait quelque chose d'envoûtant dans la structure, comme une fusion entre la nature indomptée et l'architecture humaine. Ses murs, couverts de neige et de givre, brillaient d'une lumière étrange sous les rayons pâles du soleil, donnant au château un air féerique, mais aussi un peu sinistre. Les grands arcs des fenêtres, les murs massifs, et les tours en spirale étaient tous imprégnés d'une beauté glaciale, figée dans l'éternité.
Autrefois, ce château avait été le foyer de la famille royale.
Ses salles étaient remplies de luxe et de pouvoir, et ses murs résonnaient des bruits de festins et de rires. Mais aujourd'hui, ce n'était plus qu'un vestige de la grandeur passée. Les fenêtres jadis décorées de rideaux somptueux étaient désormais ouvertes à l'air glacial, et les corridors autrefois animés étaient maintenant silencieux, plongés dans l'ombre. La cour intérieure, autrefois réservée aux domestiques et aux nobles, était aujourd'hui occupée par des équipements médicaux et des herbes médicinales.
Lise, avec son regard perçant, se posa doucement sur le sommet de la montagne, juste devant l'imposante porte du château. Ce château, autrefois résidence de la famille royale de Drum, avait été pris d'assaut par sa mère adoptive, la doctoresse Kureha, une femme dont la froideur n'avait d'égale que sa volonté de fer. La doctoresse avait transformé ce lieu autrefois sacré en un hôpital de fortune, un sanctuaire où elle soignait les malades et les blessés dans une rigueur glaciale, mais Lise savait que ce n'était pas pour elle que ce château existait désormais. Ce lieu avait été envahi par la dureté de sa mère, une femme qui n'avait jamais pardonné les choix de sa fille.
En franchissant la porte, Lise sentit immédiatement l'ombre de son passé envahir l'air. L'odeur du désinfectant, du sang séché et de l'alcool rance stagnait dans l'atmosphère du château-hôpital, et une sensation familière, aussi glaciale que les vents de Drum, lui saisit la gorge. Elle n'avait pas posé un pied dans cet endroit depuis des années. Depuis qu'elle avait été chassée.
À peine eut-elle traversé l'entrée qu'une lame fendit l'air en direction de son visage. Un scalpel, lancé avec une précision chirurgicale, sifflant tel un verdict. Sans sourciller, Lise inclina légèrement la tête, laissant l'acier passer à quelques millimètres de sa joue avant qu'il ne vienne se ficher dans le mur derrière elle avec un bruit sec.
Elle n'eut même pas le temps de respirer que le son du verre brisé lui vrilla les tympans. Une bouteille d'alcool venait d'exploser contre le sol juste à côté d'elle, projetant une pluie d'éclats qui lacérèrent le bas de son manteau. L'odeur âcre de l'alcool se mêlait maintenant aux souffles lourds des patients derrière les murs de l'hôpital, à l'écho des douleurs humaines que ce lieu enfermait.
— "Dégage."
La voix était rauque, implacable, froide comme la mort elle-même. Un ordre, sec et tranchant, dépourvu d'émotion, comme si l'idée même de sa présence était une insulte.
Lise tourna lentement la tête, son regard glissant sur l'ombre qui se tenait à quelques mètres d'elle. Là, drapée dans une austérité familière, Doctorine se tenait droite malgré le poids des ans. Son corps noueux, marqué par une vie entière consacrée à la médecine et à une discipline sans faille, semblait défier le temps lui-même. Ses yeux, acérés comme des lames de bistouri, fixaient Lise avec une sévérité assassine, transperçant la pénombre de leur éclat glacial.
Ce regard… Ce regard qu'elle connaissait par cœur. Celui qu'elle avait subi toute son enfance. Celui d'une femme qui ne voyait en elle qu'un gâchis, un désastre ambulant, une erreur de la nature.
Lise s'attendait à cette hostilité. Après tout, elle était partie sans un mot. Elle avait abandonné Drum, tourné le dos à la médecine, renié tout ce que Doctorine lui avait inculqué pour plonger dans un monde de chaos et de sang. Elle savait que revenir ici, c'était affronter une tempête de colère et de mépris.
Mais cela n'avait plus d'importance.
Elle soutint le regard de la vieille femme sans faiblir, et un sourire glacial étira ses lèvres.
— "Comment vous portez-vous, mère ?"
Un murmure, presque moqueur, comme si la scène qu'elle venait de provoquer n'était qu'un spectacle insignifiant. Elle baissa brièvement les yeux vers la bouteille brisée à ses pieds, le liquide ambré se répandant en rigoles sur le sol poussiéreux, puis avança de trois pas, son sourire toujours figé sur ses lèvres.
Lise n'éprouvait rien pour cette femme. Pas d'amour, pas de haine, juste un vide, une indifférence froide et abyssale. Et pourtant, en d'autres circonstances, cette absence d'émotion aurait pu être confondue avec une forme de respect, voire d'affection.
Non, Doctorine ne l'avait jamais aimée. Et c'était réciproque.
Mais malgré tout, elle lui était reconnaissante. Cette vieille carne avait été la seule à lui donner quelque chose d'inestimable. Un nom.
Le premier pas vers la liberté.
Rien n'avait plus de valeur que cela.
— "Je n'ai rien à te dire !" cracha la vieille femme en attrapant une autre bouteille. "Disparais !"
Mais Lise ne bougea pas. Pire encore, elle avança encore, insensible à la tension qui s'accumulait dans l'air. Derrière elle, elle percevait les regards des patients, certains hésitants, d'autres terrifiés. Elle remarqua aussi leurs bandages, leurs atèles mal ajustées.
Elle s'arrêta un instant, les observa avec détachement, puis tourna la tête vers la Doctorine.
— "Peut-être puis-je aider ?"
Sa voix était douce, presque mielleuse, un contraste cruel avec l'atmosphère pesante de la pièce. Elle balaya la salle du regard, évaluant les blessures, avant d'ajouter :
— "Je suis médecin."
Un silence de plomb s'abattit sur la pièce.
Puis, dans un rugissement de rage, Doctorine écrasa sa bouteille sur la tête de Lise.
Le choc fut brutal. Le verre explosa contre son crâne, projetant des éclats tranchants en tous sens. Un filet de sang chaud coula immédiatement sur son front, serpentant jusqu'à ses joues avant de teinter ses vêtements d'un rouge sombre. Des halètements choqués s'élevèrent parmi les patients.
Mais Lise ne vacilla pas.
Elle resta droite, imperturbable, figée dans sa posture comme si rien ne s'était passé. La douleur pulsait contre sa tempe, une brûlure cuisante, mais elle n'y prêta aucune attention. Faire preuve de faiblesse ici, à Drum ? Impossible.
Doctorine, de son côté, tremblait de rage.
— "Toi ? Un médecin ?!" hurla-t-elle, sa voix déchirant l'air comme un coup de fouet. "Tu n'es qu'une meurtrière !"
Lise cligna des yeux, laissant le sang s'accumuler sur ses cils sans broncher.
— "À cause de toi, des centaines de médecins sont morts ! Notre institution fut anéantie ! Et en plus…"
Ses mains se crispèrent, ses ongles raclant la table derrière elle comme si elle cherchait une autre bouteille à jeter.
— "En plus !" Elle inspira profondément, son souffle haché par une fureur contenue. "Il a fallu que tu deviennes membre de l'équipage de Carl !"
Le nom siffla comme un coup de poignard.
— "Cet enfoiré ! Ce monstre ! Tu as ruiné mes espoirs à moi ! Ta propre mère ! Alors que Drum avait besoin de toi, que j'avais besoin de…"
— "Toi et moi savons que tu n'as jamais eu besoin de moi."
La voix de Lise trancha le silence comme une lame froide.
Doctorine se figea, les yeux écarquillés sous l'impact de ces mots.
Lise s'avança lentement, le sang continuant de couler en traînées sombres le long de son cou, et son regard se fit plus perçant, plus implacable.
— "Tu voulais un disciple. Un pantin. Un chien fidèle."
Elle marqua une pause, scrutant la réaction de la vieille femme.
Puis un sourire cruel effleura ses lèvres.
— "Ou mieux encore, un animal de compagnie."
Doctorine serra les poings, sa respiration saccadée.
— "Comme ce renne au nez bleu."
Elle vit le visage de la vieille femme se tordre. Un spasme, une brève faille dans son masque de marbre.
Lise inclina la tête, la provoquant du regard.
— "Ce Chopper."
Le nom résonna dans l'espace, lourd d'un poids ancien.
Un silence s'installa, oppressant.
— "Mais même lui vous a abandonné."
Les yeux de Doctorine se plissèrent, mais elle ne prononça pas un mot.
Lise haussa légèrement les épaules, comme si elle énonçait une vérité inévitable.
— "Même lui vous a laissé derrière pour devenir pirate."
Doctorine ne dit rien.
Son visage, tordu par un mélange d'émotions qu'elle ne voulait pas nommer, se ferma brutalement.
Alors Lise fit un pas en arrière.
Elle ne cherchait pas à remporter cette bataille.
Elle tourna les talons et s'éloigna sans un mot, sa silhouette glissant à travers les ombres du cabinet, laissant derrière elle des traces de sang écarlates sur le sol de pierre.
Sur le trajet du retour, la neige commença à tomber, s'accrochant à ses cheveux en mèches collées par le sang séché.
Elle croisa Dalton.
Il s'arrêta net en l'apercevant, son regard s'assombrissant en voyant la plaie sur son front, la rougeur vive qui teintait sa peau.
— "Lise…"
Son ton était grave, peiné.
Mais elle répondit par un simple sourire. Un sourire trop doux, trop calme, trop faux.
Sans un mot de plus, elle reprit son chemin.
Elle devait se rendre sur le pic voisin.
Pour désinfecter sa blessure.
Pour être seule.
Elle refusait de pleurer ici.
Surtout, elle refusait que quiconque l'entende.
A suivre ...
