Chapitre 41 : Face à Lise

Le vent hurlait.

Un grondement sourd, continu, semblable à un cri venu des entrailles de la montagne, fouettait les parois escarpées et s'engouffrait dans chaque fissure, chaque crevasse, hurlant comme un millier d'âmes en peine.

Lucci avançait avec une détermination implacable, ses pieds s'enfonçant dans la neige épaisse, ses doigts gourds s'agrippant à la roche verglacée. Chaque pas était une lutte. Le manteau en peau d'ours qu'il portait offrait à peine une résistance face au froid mordant, ce froid qui s'infiltrait sous sa peau, rongeant ses muscles et tétanisant ses os. Même avec le Geppo, chaque impulsion lui coûtait une quantité d'énergie monstrueuse. L'air était plus rare à cette altitude, et chaque inspiration était une brûlure, un poignard glacé planté dans ses poumons.

Autour de lui, le monde semblait figé dans une éternité de glace.

Les falaises abruptes, noires sous la gangue de givre, se dressaient comme des titans endormis. Des stalactites monstrueuses pendaient des corniches, menaçant de s'effondrer au moindre souffle. La neige s'accrochait aux parois comme un linceul, recouvrant les anciennes traces de vie sous un manteau de mort blanche.

Il progressait lentement, chaque mouvement calculé, chaque prise testée avant d'être exploitée. Le Tekkai l'aidait à encaisser les rafales soudaines qui tentaient de le précipiter dans le vide. Il n'y avait pas d'erreur possible ici. Une seule glissade et la montagne l'avalerait, le rejetant des centaines de mètres plus bas, dans un gouffre sans fond.

Après une ultime impulsion, il atterrit sur un plateau enneigé.

Et ce qu'il découvrit était un vestige d'un autre temps.

Face à lui, un château immense et délabré dominait l'horizon, vestige oublié d'une époque révolue. Contrairement au château actuel de Drum, éclatant de blancheur et taillé dans le marbre, celui-ci était une relique plus ancienne, marquée par les siècles et la rudesse du climat. Ses tours autrefois majestueuses s'élevaient toujours au-dessus des montagnes, mais leurs silhouettes étaient brisées, effritées par les tempêtes et le froid impitoyable.

Construit de pierres lisses et polies, autrefois d'un blanc éclatant, le château était aujourd'hui terni par le temps, ses façades marbrées striées de fissures, rongées par la glace qui s'insinuait dans chaque interstice. Ses hautes fenêtres gothiques, aux arcs élancés, étaient brisées ou obstruées par le givre, leurs contours sculptés à moitié effacés. Pourtant, même dans son état de décrépitude avancée, il conservait une beauté tragique, une splendeur figée dans la glace et l'oubli.

Mais ce qui frappait encore plus Lucci, c'était le hameau qui l'entourait.

Un village entier, construit dans le même style que le château, se déployait à ses pieds comme un écho fantomatique de la grandeur passée. Ses maisons, faites du même marbre pâle et de la même pierre immaculée, semblaient avoir été sculptées dans la montagne elle-même. Certaines étaient en ruine, leurs toits effondrés sous le poids des siècles, mais d'autres tenaient encore debout, résistant à l'assaut du temps.

Et certaines avaient encore des fenêtres intactes.

De grandes baies vitrées, aux encadrements sculptés avec une finesse aujourd'hui presque effacée par le gel. Derrière certaines d'entre elles, des rideaux de tissus, figés dans le froid, pendaient comme les vestiges d'une vie passée. Certaines fenêtres étaient ternies par la poussière et la glace, mais d'autres semblaient presque propres, comme si une main invisible les avait nettoyées récemment.

Mais quelque chose clochait.

Les lieux n'étaient pas totalement abandonnés.

Lucci le voyait bien, derrière la couche de givre et le silence pesant. Les chemins entre les maisons étaient déblayés, la neige repoussée sur les côtés. Les portes, bien que marquées par l'âge, tenaient encore solidement sur leurs gonds, certaines même renforcées par des planches récentes. Et malgré la décrépitude apparente du château, il distinguait des signes d'entretien subtils : des marches dégagées menant aux grandes portes, des torches éteintes mais disposées méthodiquement sur les murs, comme si elles avaient été allumées récemment.

Ce n'était pas un tombeau désert.

Quelqu'un vivait ici.

Soudain, un frisson parcourut son échine.

Une présence.

Instinctivement, il se recroquevilla davantage dans l'ombre des ruines, son corps se fondant contre la pierre froide. Ses yeux scrutaient chaque mouvement, chaque souffle du vent qui traversait les décombres. Le vent soufflait fort, mais c'était le silence des lieux qui le rendait nerveux. Il attendait, chaque muscle tendu, le regard fixé sur la silhouette qui approchait.

Puis, au-dessus des montagnes, il la vit. Une forme se découpant dans la lumière du jour, glissant dans l'air comme une ombre portée. Lise. Elle se laissait porter par les courants de vent, aussi légère qu'un oiseau, tombant sans effort apparent sur le sol glacé du plateau. Un moment suspendu, une scène presque irréelle.

Lucci la suivait des yeux, ses pensées en désordre. Elle semblait si implacable, si indomptée par l'environnement hostile. Mais ce qu'il remarqua à peine avant, maintenant, frappa son esprit : le sang.

Elle était couverte de rouge.

Des éclaboussures sombres sur son manteau, des traînées qui se formaient autour d'elle à chaque pas, sa peau teintée là où les blessures l'avaient frappée. Une plaie profonde traversait son front, sa tempe ensanglantée, et du sang s'écoulait lentement, roulant sur ses joues, teignant ses cheveux d'un rouge presque noir.

Mais ce qui le frappa, ce n'était pas le sang, ni même l'apparence de force qu'elle dégageait. Non, ce fut ce moment, ce qu'il aperçut à cet instant précis.

Elle s'arrêta.

Lise resta là, figée dans l'immensité glacée, les yeux fermés, le souffle coupé par l'effort. Un instant, son corps vacilla, puis, d'un geste presque imperceptible, elle se laissa glisser contre un rocher, s'assoyant sur la neige.

Le vent se faisait plus fort, sifflant autour d'elle, emportant des flocons gelés, mais elle ne bougea pas. Le silence régnait, à peine troublé par le hurlement lointain du vent.

Et puis, sans crier gare, Lucci vit sa faiblesse.

Lise, la guerrière implacable, celle qui semblait n'avoir jamais cédé, se laissait enfin aller. Ses épaules se secouaient doucement, et un bruit sourd, étouffé par le vent, parvint jusqu'à ses oreilles. Des sanglots.

Elle pleurait.

Elle pleurait, seule, dans cette immensité glacée, les larmes se mêlant au sang sur son visage. Il y avait quelque chose de dévastateur dans cette vision. Pas la douleur visible de ses blessures, non. Mais la faiblesse brute et inévitable qui l'assaillait alors que, pour une fois, elle n'avait plus la force de cacher son humanité.

Lucci resta là, pétrifié. Il ressentit un pincement au cœur, une émotion qu'il ne parvenait pas à identifier. Une sorte de malaise troublant, comme si cette scène venait déchirer un voile qu'il n'avait jamais envisagé de soulever.

Puis soudain, il entendit :

- Montres toi. Je sais que tu es là !

Lucci se figea. Un frisson, inexplicable mais persistant, parcourut sa nuque. Il n'avait pas bougé, n'avait même pas fait un bruit, mais elle… Elle avait su.

La voix de Lise, pourtant tremblante d'émotion, perça la brume du vent comme une lame de glace. Chaque syllabe, marquée par une force tranquille, vibrait dans l'air glacial.

Lucci, presque inconsciemment, recula un peu dans l'ombre des ruines. Son cœur battait plus fort. Il sentit une tension s'installer, une anticipation, comme si une corde invisible entre lui et elle venait d'être tendue. Le vent hurlait autour d'eux, emportant la neige en tourbillons furieux, mais il n'était plus sûr de pouvoir rester caché.

Il n'était pourtant pas du genre à être pris au piège ainsi, à être mis sur la défensive. Il était l'homme des ombres, celui que personne ne voyait. Il ne se laissait jamais déstabiliser. Mais là, avec Lise, tout était différent. La scène qui se déroulait devant lui déstabilisait plus que son esprit froid et calculateur.

- « Je sais que tu me suis depuis Water Seven, » dit-elle alors d'une voix distraite, comme si elle énumérait des faits banals, une conversation de café. Ses mots se glissèrent dans l'air froid, légers et implacables, comme une brume menaçante qui envahissait peu à peu l'espace autour d'eux. Lise tourna lentement la tête, ses yeux perdus dans l'horizon brumeux, mais sa voix resta ferme. « Je sais aussi que tu nous as suivis à Alabasta et que tu étais dans le palais à écouter aux portes. » Un petit rire sec, presque imperceptible, échappa de ses lèvres. Elle marqua une pause, comme si elle était en train de réfléchir à tout cela, avec un calme déconcertant. « Mais tu as fait une erreur, » ajouta-t-elle enfin, son regard se tournant lentement vers Lucci. « Tu n'aurais pas dû venir ici. »

Lise porta une main à son visage, essuyant doucement les larmes mêlées de sang qui perlaient à ses yeux. Un geste presque mécanique, comme si elle cherchait à effacer la douleur sans vraiment la chasser. Ses doigts glissèrent lentement sur sa peau, laissant derrière eux une trace écarlate sur ses joues pâles. Elle parut hésiter un instant, mais sa voix, elle, resta inébranlable. Lise baissa la tête un instant, puis se redressa, toujours aussi impassible, mais quelque chose dans l'air semblait changer.

Les mots qu'elle prononça ensuite étaient d'un calme surprenant, mais portaient une vérité qui frappait avec force.

- « Monsieur Lucci, » dit-elle, chaque syllabe articulée avec une précision froide.

Lise resta immobile, son regard porté vers l'horizon, mais ses yeux ne cherchaient pas Lucci dans l'immensité blanche qui s'étendait devant elle. Elle ne le voyait pas, pourtant elle savait exactement où il se trouvait. Son haki de la perception lui offrait une clarté inouïe, une vision subtile qui allait au-delà des limites de la simple vue. Chaque mouvement de Lucci, chaque respiration, chaque battement de cœur, elle les sentait comme une présence palpitable dans l'air glacial qui les entourait.

Elle ferma les yeux un instant, puis leva lentement la tête, ses lèvres frémissant d'un sourire presque imperceptible.

- « Je ne comprends pas… » Sa voix, amplifiée par son pouvoir, résonna dans l'immensité de la montagne, portée par le vent. « Je t'ai soigné, j'ai pris soin de toi, et pourtant, te voilà ici, dans cet endroit… Alors que tu devrais être à l'hôpital, à te reposer, loin de ce froid. »

Le vent se leva alors autour d'elle, mais elle n'avait pas bougé d'un pouce. Ses paroles, cependant, portaient toute la force de son pouvoir. Le vent obéissait à sa volonté, comme une extension de sa propre voix, se faufilant entre les bâtiments et soulevant des pans de neige. Il s'engouffrait dans les ruelles désertes du hameau, formant des tourbillons de glace autour de Lucci, comme pour l'empêcher de se déplacer ou de fuir.

Elle savait précisément où il était, sentant sa présence se déplacer lentement, toujours en retrait, comme s'il tentait de l'éviter.

- « Et je ne sais même pas quoi faire de toi… » dit-elle d'une voix douce mais ferme, comme si elle conversait avec un vieil ami. Le vent souffla plus fort, soulevant des flocons glacés. « Ça fait longtemps que je sais que tu es un assassin. Dès la première fois où je t'ai rencontré, dans cette ruelle de l'impasse des Coquelicots. Et cette certitude ne m'a jamais quittée, encore moins lorsque j'ai vu tes manigances, toi et tes amis… Kaku, Kalifa… et sans doute monsieur Blueno aussi… » Elle marqua une pause, ses mots s'infiltrant dans l'air froid, alors qu'elle savait exactement où il se trouvait, comme un secret bien gardé.

- « Je suppose que tu as tout entendu… C'est fâcheux. » Le vent souffla à nouveau, frappant plus fort contre les murs du hameau, comme pour accentuer la menace de ses paroles. « Et j'ai pour habitude d'éviter de tuer mes patients. Je me suis donnée trop de mal pour te sauver la vie. » Son ton se fit plus glacé, chaque syllabe glissant comme de la glace. « Mais voilà… Que fait une équipe d'assassins si près de ma clinique Stern ? Pourquoi m'avoir suivi, toi et tes compagnons, jour après jour ? Pourquoi surveiller mes moindres faits et gestes, pour me capturer ? »

Elle avança d'un pas imperceptible, mais l'air autour de lui changea instantanément. Les flocons de neige tourbillonnèrent plus violemment, se concentrant autour de Lucci, formant des barrières invisibles, l'empêchant de reculer davantage. Ses pas étaient mesurés, et pourtant, la force du vent et de la neige autour de lui semblait créer une pression oppressante.

- « Pour quel empereur sadique tu travailles ?» sa voix s'éleva encore, sans bruit, mais si puissante qu'elle semblait capable de briser le silence de la montagne. « Si c'est pour cette cinglée de Big Mom… Je te tue sur le champ. »

Lucci se permit une légère bouffée d'air en attendant que le vent se calme enfin. Le moment était propice. Il n'avait pas la possibilité de lui révéler la vérité entière, de tout dévoiler. Cela aurait été trop risqué, et il savait qu'il ne pouvait se permettre de le faire. Le Cipher Pol, sa mission… tout cela restait secret. Mais ce qu'il venait de lire dans la voix de Lise, dans ses tremblements, sa conviction que tout cela faisait partie d'une mission sous les ordres d'un empereur, lui arracha presque un soupir de soulagement. Elle s'était trompée sur toute la ligne, et cela le rassurait, d'une manière étrange.

Profitant de l'accalmie du vent, il s'avança lentement hors de sa cachette, sans un bruit, chaque mouvement calculé. Après deux semaines à la traquer, après presque deux ans d'obsession silencieuse, il se retrouvait enfin face à elle. Lise. Celle qui l'avait soigné autrefois, qui avait posé ses mains sur lui avec une douceur qu'il ne méritait pas. Mais ce n'était plus la Bella du Quartier des Songes, cette fille aux gestes précis, à la voix mesurée.

Cette Lise-là était une autre créature.

Le sang qui traçait une ligne rouge le long de sa joue, coulant jusqu'à la courbe de son cou, attira son regard comme un aimant. Il suivit du regard la perle écarlate qui glissa sur sa peau, l'imagina éclater sous ses lèvres. Une pulsion sauvage, un désir inavouable. Il se vit poser la main sur sa nuque, incliner son visage vers lui et refermer ses crocs sur cette chair offerte. Pas pour tuer. Pas cette fois. Juste pour voir jusqu'où elle le laisserait aller avant de le repousser. Avant de riposter.

Ses yeux.

D'un bleu si froid, couleur de glace fondue, rien à voir avec ceux qu'il avait vus à Water Seven. Elle devait porter des lentilles à l'époque, c'était la seule explication. Mais il y avait plus. Une dureté nouvelle. Un éclat qui ne lui appartenait pas avant. C'était comme regarder un fantôme, une version d'elle arrachée à un passé qui n'existait plus.

"Je l'avoue, je suis bien un assassin", dit-il, la voix posée, presque détachée.

Il n'y avait ni fierté ni regret dans sa déclaration. Juste un fait brut. Il n'avait jamais cherché à se justifier, et ce n'était pas aujourd'hui que ça commencerait.

"Et c'est aussi le cas pour les autres."

Le dire à voix haute ne changeait rien. Kaku, Kalifa, Blueno… Tous jouaient leur rôle. Mais ce n'était pas ce qu'elle voulait entendre. Lise le fixa, les bras croisés, l'air presque ennuyé. Il aurait pu en rire si ce n'était pas elle. Elle attendait plus. Elle attendait qu'il crache quelque chose d'essentiel, quelque chose qu'il refusait de donner.

"Mais… tu te trompes sur un point."

Il laissa la phrase flotter un instant avant de reprendre, la voix plus ferme. Chaque mot était un coup porté à ses certitudes.

"Nous sommes arrivés à Water Seven bien avant toi."

Un pas. Juste un. Assez pour qu'elle sente la pression, qu'elle perçoive l'ombre qu'il projetait.

"Et tu n'es pas notre cible. Je peux te l'affirmer."

Il vit la tension dans sa posture, l'infime hésitation dans son regard. Le croyait-elle ? Peut-être pas. Mais elle l'écoutait. Et c'était suffisant.

Lise fit alors une chose que Lucci crut impossible dans une telle situation. Elle haussa simplement les épaules, et parla avec un calme désarmant, comme si toute cette tension pouvait soudain s'évaporer sous le poids d'une simple réflexion.

Je vois, dit-elle, sans émotion apparente. Il est vrai que tu aurais eu de nombreuses occasions d'agir, si tu avais été envoyé pour moi. Et je doute que Kaido veuille ma peau… pas pour l'instant, en tout cas. Ce n'est pas vraiment son style de jouer à cache-cache.

Elle leva lentement les yeux vers lui, mais ce regard n'était plus aussi perçant qu'avant. Plutôt analytique, comme si elle le scannait de l'intérieur, encore une fois.

Et ce n'est pas non plus le genre de Shanks, ni de Barbe Blanche… Ils m'auraient envoyé un de leurs commandants. Quelqu'un de plus théâtral. Plus direct.

Un sourire en coin effleura ses lèvres, presque moqueur.

Et avec Ace qui traîne dans cette partie de Grand Line, s'ils avaient vraiment voulu me tuer… ce serait déjà fait, non ?

Lucci resta impassible, ou du moins, il s'efforça de le paraître. Mais en lui, quelque chose remua. Un frisson silencieux qui n'avait rien à voir avec le froid de la montagne. Elle en savait beaucoup. Trop. Ses déductions étaient rapides, tranchantes. Elle n'était plus cette fille perdue qu'il avait connue dans les couloirs de Water Seven — elle était devenue une joueuse. Et une joueuse dangereuse.

— Quant à toi… murmura-t-elle, presque dans un souffle, tu n'es pas un marine, n'est-ce pas ?

Ses mots lui claquèrent au creux du ventre, plus violemment qu'un coup de lame. Il sentit ses mâchoires se contracter, presque malgré lui. Il ne bougea pas. Ne cligna même pas des yeux. Mais son poing droit se referma lentement, imperceptiblement, dans l'ombre de son manteau. Il savait ce que cela signifiait. Il savait ce que cela impliquait.

Elle fit quelques pas, le frôlant presque, son ombre glissant contre la sienne. Il sentit son souffle passer non loin de sa nuque, et malgré lui, une onde électrique parcourut son échine. Ce n'était pas la menace d'une ennemie, ni l'instinct d'un prédateur face à un autre. Non. C'était plus intime. Plus dérangeant. Il ne savait pas ce qui l'excitait le plus : l'intelligence dangereuse qu'elle déployait face à lui ou cette proximité qui jouait avec ses nerfs.

Elle s'arrêta juste à sa hauteur, de profil, sa hanche frôlant presque son flanc. Il sentit la chaleur de son corps, à travers les couches de vêtements, comme une présence qui cherchait à s'imposer. Comme une main invisible qui le touchait sans le toucher. Son odeur — un mélange de sang, de sable et d'une fragrance plus subtile, indéfinissable — se mêla à son souffle court.

— Ce n'est pas si important, après tout.

Sa voix, douce et détachée, lui donna l'impression d'une caresse perfide. Un piège, un test… ou peut-être autre chose.

Lucci resta de marbre, mais sous son masque, il luttait. Son regard glissa un instant sur la courbe pâle de son cou, sur cette traînée écarlate que le sang avait laissée derrière lui. Il détourna légèrement le regard, juste assez pour reprendre le contrôle de ses pensées, chasser ce frisson impur qui menaçait de le trahir.

Pas un marine, non. Pas vraiment. Mais pas tout à fait autre chose non plus.

Le vent siffla, perçant le silence du hameau déserté. Lise ne ralentit pas, ne lui laissa pas le temps de répondre. Elle avança d'un pas tranquille à travers la neige durcie, sa silhouette se détachant dans la lumière déclinante.

Lucci la suivit du regard, toujours figé là, comme ancré au sol par une force invisible. Son souffle formait des nuages blancs devant son visage, et malgré le cuir de son manteau, il sentait le froid s'infiltrer dans chaque fibre de son corps.

Elle posa la main sur la porte d'une des bâtisses et l'ouvrit sans la moindre hésitation. La lumière tremblotante d'une lampe à huile glissa sur son visage avant qu'elle ne disparaisse à l'intérieur.

Puis sa voix s'éleva, sans se retourner.

— Soit tu me suis et tu te mets au chaud, soit dans quelques heures tu seras aux portes de la mort.

Lucci ne répondit pas. Il n'avait jamais eu peur du froid. Il avait survécu à des conditions pires. Pourtant, une part de lui savait qu'elle ne parlait pas seulement de la température.

— Le jour va bientôt tomber, reprit-elle d'un ton égal, et il fera très vite moins quarante degrés.

Sa main s'était refermée sur le chambranle de la porte, et à cet instant, il sut qu'elle était prête à le laisser dehors sans une once d'hésitation.

— Et à ce moment-là, conclut-elle, les informations que tu détiens seront le cadet de tes soucis.

Puis elle entra, et la porte resta entrouverte dans un silence pesant.

Le vent hurla à ses oreilles, soulevant des volutes de poudreuse.

Lucci jeta un dernier regard aux ombres qui s'étiraient autour de lui. Ce paysage de désolation, figé sous la morsure du froid, n'avait rien de vivant. Tout ici était fait pour tuer.

Lui compris.

Il avança.

La porte grinça doucement lorsqu'il la poussa du bout des doigts. L'obscurité de la pièce l'engloutit aussitôt, l'odeur du bois brûlé et de la cire chaude contrastant brutalement avec la morsure glaciale de l'extérieur.

Lise ne l'attendait pas. Elle était déjà installée près du feu, retirant calmement ses gants, comme si sa présence ici n'avait jamais fait de doute.

Il referma la porte derrière lui.

Un bruit sec.

Une coupure nette entre l'hiver impitoyable et la chaleur incertaine de cette nuit à venir.

A suivre...

Ps : Je suis trop contente ! J'ai enfin réussi à rattraper les 41 chapitres de la réécriture. Même si l'histoire n'a plus grand chose à voir avec l'intrigue de celle d'il y a dix ans, je suis très heureuse d'avoir donné vie à ce personnage et à lui avoir donné une profondeur. Et je ne m'attendais pas à tenir 40 chapitres là où la scène initiale n'en faisait que trois haha ! Je me calme. Pour moi, ce temps à waterseven qui va se poursuivre, est vraiment important dans l'histoire, du moins jusqu'à ce que luffy vienne à nouveau foutre le bordel...