Chapitre 19:
Severus Rogue traversait les couloirs de Poudlard d'un pas rapide et silencieux, sa cape noire tourbillonnant derrière lui. La réunion avec Dumbledore venait de se terminer, et, comme il s'y attendait, elle n'avait rien résolu. Bellatrix Lestrange était un problème trop imprévisible, même pour Dumbledore, et chaque solution semblait plus périlleuse que la précédente. Rogue savait qu'il ne pouvait compter que sur lui-même, mais la lassitude pesait sur lui comme un manteau trop lourd. Les jeux de pouvoir, les mensonges, les compromis : tout cela le dégoûtait de plus en plus. Tout cela pour quoi? Pour une guerre dont il ne sortirait pas vivant.
En approchant de ses appartements, il se surprit à espérer un instant de calme. Juste quelques minutes pour souffler, pour ne pas réfléchir, pour ne pas feindre, avant d'attaquer sa journée de cours. Une illusion, il le savait. Mais l'idée, même fugace, avait quelque chose de tentant.
Quand il poussa la porte de ses appartements, cette illusion vola en éclats. Une odeur de thé flottait dans l'air, et le son d'une voix familière résonna dans la pièce. Il s'arrêta net, ses yeux noirs se posant sur une scène qui le fit instantanément bouillir de colère.
Brittany, assise dans son fauteuil préféré près de la cheminée, tenait une tasse de thé dans ses mains fines. Son expression trahissait un mélange de malaise et de politesse forcée. Face à elle, installé avec une désinvolture insupportable, se trouvait Carrick. L'homme, sourire éclatant et tasse en main, donnait l'impression d'être parfaitement chez lui.
La fatigue de Rogue laissa place à une vague de colère sourde. Il en avait assez des intrusions, assez des surprises, assez des problèmes qui semblaient s'accumuler sans fin. Et voir Carrick ici, dans son espace personnel, avec sa femme, était la goutte d'eau qui faisait déborder le vase.
— Ah, monsieur Rogue ! s'exclama Carrick en levant légèrement sa tasse comme pour trinquer.
Rogue, qui avait déjà du mal à contenir sa colère, sentit une vague de jalousie et de frustration monter en lui. Brittany baissa les yeux, fixant sa tasse comme si elle espérait disparaître.
— Que faites-vous ici? demanda-t-il d'une voix glaciale, ses yeux perçant Carrick.
Carrick haussa les épaules avec une nonchalance exaspérante.
— Vous n'êtes pas venu hier soir à notre rendez-vous, alors je me suis dit : Pourquoi ne pas venir directement? Et, quelle chance! J'ai trouvé une compagnie charmante. Brittany a eu la gentillesse de m'offrir un thé. Excellent, d'ailleurs. Vous devriez prendre des leçons sur l'hospitalité.
Rogue serra les poings, s'efforçant de ne pas perdre son calme devant la jeune femme.
— Brittany, laissez-nous, ordonna-t-il sèchement, son ton ne laissant aucune place à la discussion.
Elle hésita, jetant un coup d'œil incertain à Carrick, qui lui adressa un sourire faussement innocent.
— Ne vous inquiétez pas, Miss. Il aboie fort, mais ne mord pas. Enfin… il ne me mordra pas, moi. Vous, en revanche, ajouta-t-il en baissant légèrement la voix, un éclat malicieux dans le regard, avant de prendre une gorgée de thé avec une exagération théâtrale.
Brittany rougit légèrement, visiblement mal à l'aise devant une telle insinuation, et posa sa tasse avec une précaution un peu trop étudiée. Rogue attendit que la porte se referme avant de pivoter vers Carrick, son regard noir et menaçant.
— Vous êtes incroyablement audacieux, Carrick, grogna-t-il. Entrer ici comme si vous étiez chez vous…
Carrick éclata de rire, un rire sincère et déconcertant.
— Voyons, voyons. Pas besoin de jouer les dragons gardiens. Si j'étais à votre place, je serais de bien meilleure humeur. Vous avez visiblement passé une nuit… bien remplie, non ?
Rogue plissa les yeux, sa mâchoire se contractant sous la colère. Il pouvait presque sentir la jubilation de Carrick, ravi à l'idée que Brittany se soit laissée convaincre aussi rapidement.
— Qu'insinuez-vous? cracha-t-il d'un ton glacial, bien qu'une pointe de malaise transperçât sa voix.
Carrick haussa les sourcils, feignant une innocence qui ne trompait personne.
— Vous savez, une femme qui se sent… satisfaite… a tendance à rayonner. Elle était tellement charmante ce matin. Vous êtes plus doué que je ne le pensais, Monsieur Rogue. Je dois dire que je suis agréablement surpris.
Un éclat de fureur traversa Rogue. Il se souvenait de ce que ce prétentieux avait dit au sujet de « Ally » — ou était-ce « Ellie »? Il ne savait même plus —, de la façon dont il avait conclu, satisfait de lui-même : « Ce soir, elle sera dans mon lit. » L'idée que Brittany puisse être vue de cette manière le mettait hors de lui. Il tenta de chasser ce sentiment d'un revers de pensée. Pourquoi cela m'importe-t-il? Il se fichait de Carrick, il se fichait de ce qu'il pensait, il se fichait de la réputation de Brittany…
Et pourtant. Elle mérite mieux que les insinuations lubriques de ce crétin.
Il prit une inspiration lente pour contrôler sa voix.
— Vous êtes un imbécile, Carrick, lâcha-t-il froidement.
Carrick ricana, visiblement peu affecté.
— Si vous le dites. Mais en tout cas, félicitations. On dirait que vous progressez.
— Vous vous méprenez complètement, finit-il par lâcher, sa voix glaciale. Je l'ai invité à prendre le thé, j'ai dû m'absenter cinq minutes, et à mon retour, je la retrouve en mauvaise compagnie.
Rogue sentit une nouvelle vague d'agacement monter en lui. Pourquoi se donnait-il la peine de répondre à cet idiot ? Il n'avait rien à prouver à Carrick. Il aurait simplement dû lui dire que sa précieuse mission était terminée, que ses services n'étaient plus nécessaires, et le congédier à jamais.
Mais non, évidemment que non, Severus Rogue trouve toujours le moyen de compliquer les choses, se morigéna-t-il intérieurement. Il se sentit idiot, à la fois pour sa maladresse à mettre fin à cette absurdité et pour l'étrange besoin qu'il semblait éprouver à défendre Brittany.
— Ah, Severus. Toujours aussi dramatique. Si vous n'avez pas encore conclu, permettez-moi de vous prodiguer un autre conseil, et ce soir …
Rogue leva les yeux au ciel.
— Oui j'ai compris l'idée, ce soir elle sera dans mon lit.
Carrick lui adressa un large sourire.
— Les gestes, mon cher, reprit Carrick en se levant. Les femmes sont bien plus réceptives au langage corporel qu'aux mots. Une main qui effleure subtilement la leur, un regard prolongé au bon moment, ou même une proximité maîtrisée. Cela montre de l'intérêt sans être envahissant.
Il fit un pas vers Rogue, un sourire suffisant sur les lèvres.
— Vous devriez essayer. Je suis sûr que Brittany apprécierait.
Rogue, dont le visage était devenu impassible, prit une inspiration contrôlée.
— Merci pour votre avis éclairé, Carrick. Mais je vous conseillerais de ne plus jamais vous présenter ici sans invitation si vous ne voulez pas que ma main effleure subtilement votre joue.
Carrick éclata d'un rire bref, puis posa sa tasse avec une lenteur calculée, ses yeux pétillants d'une lueur malicieuse.
— Vous savez, je vous provoque peut-être, mais ce n'est pas sans raison.
Rogue croisa les bras, sa patience déjà mise à rude épreuve.
— Éclairez-moi donc. Je meurs d'envie d'entendre vos justifications lumineuses.
Carrick se pencha légèrement en avant, son ton devenant presque conspirateur.
— Voyez cela comme un jeu d'échecs. Je provoque pour forcer des réactions. Observez vos propres réactions et celles de Brittany. C'est là que vous trouverez vos réponses. Je me retire. Mais souvenez-vous, Severus : les gestes.
Il se dirigea vers la porte avec une lenteur calculée, comme s'il savourait chaque seconde de sa victoire imaginaire. Mais juste avant de sortir, il s'arrêta et se tourna à nouveau.
— Et transmettez mes compliments à Brittany pour son thé. Elle est charmante. Peut-être un peu trop… délicate pour un homme de votre trempe, mais bon, les goûts et les couleurs… On se recontacte ! lança-t-il en lui faisant un clin d'œil.
La porte se referma, et Rogue se retrouva seul dans le silence. Une colère sourde bouillonnait en lui, mêlée à une jalousie qu'il s'obstinait à nier. Il se laissa tomber dans un fauteuil, passant une main sur son visage.
— Albus devra entendre parler de ça, grogna-t-il entre ses dents.
Il fixa les flammes vacillantes dans l'âtre, son esprit encore en ébullition. Puis il se redressa brusquement, comme mû par une résolution soudaine.
— Brittany? On reprend les entraînements, lança-t-il à haute voix, sa voix froide résonnant dans la pièce vide.
