Chapitre 40
Le matin était frais, et une légère brume flottait encore au-dessus du parc lorsqu'elle s'y aventura. Brittany marchait sans but précis, les bras croisés contre sa poitrine, le regard perdu au loin. Le vent soulevait légèrement sa cape, balayant les dernières feuilles mortes de l'automne qui cédaient doucement leur place à l'hiver.
L'angoisse pesait sur ses épaules.
La fête approchait, et avec elle, son lot d'incertitudes. Elle redoutait ce rassemblement plus que le précédent. Voldemort était tendu, elle l'avait entendu dire. Il n'avait plus le contrôle total de la situation, et c'était sans doute la pire configuration possible : un tyran acculé était un tyran dangereux.
Et puis, il y avait Drago.
Sans qu'elle ne sache comment, ce gamin — car oui, il était encore un gamin, malgré ses airs supérieurs — avait trouvé une place dans son cœur. Elle s'inquiétait pour lui, pour ce qu'il devait endurer au quotidien. Pour ce qu'il deviendrait si personne ne l'aidait à garder la tête hors de l'eau.
Enfin, il y avait Severus. Elle s'inquiétait pour lui, plus qu'elle ne voulait l'admettre. Elle avait peur que Voldemort s'en prenne à lui, qu'il lui impose une mission horrible ou qu'il décide de tester sa loyauté de manière plus… radicale. Severus ne laissait rien paraître, mais elle le connaissait assez maintenant pour savoir qu'il portait un fardeau immense. Elle aurait voulu alléger sa charge, le soulager de ce poids écrasant, mais elle savait que c'était impossible. Il était seul face à cette responsabilité, et cela la terrifiait. Elle pressentait la tempête à venir, et elle craignait qu'il ne soit celui qui en paierait le prix.
Et c'est là qu'elle s'arrêta brusquement.
Parce qu'au milieu de toutes ces pensées, elle venait de réaliser une chose.
Elle n'angoissait plus à l'idée d'être mariée.
Le poids qu'elle portait depuis le début de cette union forcée s'était lentement délité au fil des semaines, jusqu'à disparaître presque totalement. Elle n'attendait plus le divorce comme une libération. Elle n'imaginait plus ce jour avec soulagement.
Les choses avaient changé.
Beaucoup trop vite.
Un mouvement attira son attention au loin. Quelqu'un était assis contre un arbre, les épaules voûtées, les mains jointes devant lui. Même à cette distance, elle reconnut la silhouette.
Drago.
Elle ne l'avait pas vu depuis plusieurs jours, même s'il continuait de voir son parrain qui l'entrainait à l'occlumencie. Elle aussi, avait poursuivi ses entrainements à fermer son esprit, et elle avait eu l'occasion d'apprendre quelques sorts supplémentaires.
Elle s'approcha lentement, marchant sur l'herbe humide pour ne pas trop alerter le garçon. Il releva à peine la tête en l'entendant venir. Ses traits étaient tirés, ses cernes plus marquées que d'habitude.
— Drago ? Que fais-tu là ?
Il haussa vaguement les épaules, sans répondre immédiatement.
— Rien. Je réfléchis.
Sa voix était creuse. Brittany s'agenouilla à côté de lui, cherchant son regard.
— À quoi ?
Il soupira, l'air las.
— À la fête. À… tout.
Il passa une main sur son visage, visiblement épuisé.
— Je ne veux pas y aller, souffla-t-il.
Brittany sentit son cœur se serrer.
— Moi non plus, admit-elle.
Elle prit une inspiration, puis poursuivit:
— Écoute, si ça peut te rassurer, tu ne prendras pas la Marque cette fois-ci. Tu ne devrais pas être au centre de l'attention. Pas comme la dernière fois.
Drago esquissa un rictus amer.
— Oh, super. Je vais juste être spectateur d'une nouvelle horreur, alors ?
Brittany le fixa un instant avant de secouer lentement la tête.
— Drago, tu dois te ressaisir. Ce n'est pas une position facile, je le sais. Mais tu ne peux pas montrer ta tristesse, ta peur. Si un Mangemort, ou Tu-Sais-Qui, se rend compte que tu doutes quant à tes convictions, qui sait ce qu'il pourrait t'arriver? Tu dois jouer ton rôle.
— C'est drôle. Severus m'a dit exactement la même chose quand il m'a emmené avec lui.
— Je n'en doute pas, répondit-elle avec un léger sourire.
Drago la scruta un instant avant de pencher légèrement la tête.
— Comment vous vous êtes rencontrés, tous les deux ?
Brittany cligna des yeux, surprise par la question.
— Eh bien…
Elle hésita, cherchant la meilleure façon d'expliquer l'indicible.
—Tu-Sais-Qui a demandé à ton parrain de se marier, et mon père voulait me marier, alors … c'est arrivé.
Drago plissa les yeux, comme s'il essayait d'analyser ce que cela impliquait réellement.
— Donc… c'est un faux mariage ? J'ai bien compris que le ronflement n'était pas une vraie excuse mais…
Brittany laissa échapper un petit rire. Elle inspira profondément avant de répondre avec honnêteté :
— Oui, c'était un faux mariage. Au départ.
Drago la regarda avec attention, et il n'eut pas besoin de poser la question suivante. Brittany détourna légèrement les yeux, avant d'ajouter, plus bas :
— Mais ça ne l'est plus tout à fait. Pour moi, en tous cas. Garde ça pour toi, tu veux bien?
Un silence s'installa entre eux. Drago hocha simplement la tête.
— Viens.
Il la fixa, hésitant.
— Où ?
— Fais-moi confiance.
Il soupira encore, mais se leva pour la suivre. Ils marchèrent en direction de la lisière de la forêt interdite. Drago fronça les sourcils, visiblement perplexe.
— Brittany… On va où, exactement ?
Elle ne répondit pas immédiatement. Elle s'arrêta devant une petite clairière où une silhouette sombre se découpait à travers la brume matinale. Un sombral.
L'animal était immense, à la fois gracieux et inquiétant, avec son corps maigre et ses ailes de chauve-souris repliées contre ses flancs. Son regard blanc et laiteux fixait un point invisible devant lui, indifférent à leur présence.
Drago s'immobilisa, crispant légèrement la mâchoire.
— Qu'est-ce que… ?
Elle s'approcha lentement, tendit la main, et caressa doucement l'encolure de la créature, qui tourna légèrement la tête vers elle en renâclant doucement.
Drago l'observa avec méfiance. L'animal était grand, imposant, son corps maigre tendu sous une peau sombre et luisante. Ses ailes repliées lui donnaient une allure presque fantomatique. Pourtant, malgré son apparence inquiétante, il n'y avait rien d'hostile en lui.
— Pourquoi m'emmener ici ? demanda-t-il d'une voix hésitante.
— Parce que ça me fait du bien de venir les voir, répondit-elle simplement. Ils sont… apaisants.
Il haussa un sourcil, visiblement sceptique. Brittany esquissa un léger sourire.
— Je sais qu'ils n'ont pas l'air très rassurants, admit-elle. Mais ils sont bien plus doux qu'ils n'en ont l'air. Et puis… Ce sont des guides. Ils tirent les carrosses de Poudlard, ils savent toujours où aller, même dans l'obscurité.
Drago fronça légèrement les sourcils.
— Des guides ?
— Oui. Quand tout semble flou, incertain, ils rappellent qu'il y a toujours un chemin. Qu'il suffit parfois d'accepter de le voir.
Elle laissa passer un silence, puis ajouta d'une voix plus douce :
— Mais surtout… ils ne se montrent qu'à ceux qui ont vu la mort.
Il se figea.
— Pardon ?
— Ce sont des créatures invisibles pour la plupart des gens. Seuls ceux qui ont réellement vu la mort peuvent les voir.
Drago détourna les yeux vers l'animal. Il ne parla pas tout de suite, digérant l'information. Un silence s'installa. Brittany ne le brusqua pas. Elle savait ce qu'il devait ressentir. Cette étrange révélation, ce poids qui venait se poser sur les épaules. Mais elle n'avait pas fini.
— Tu sais, la première fois que je les ai vus, je me suis dit que c'était injuste. Comme si la mort laissait une marque indélébile sur ceux qui l'avaient croisée. Mais finalement…
Elle caressa à nouveau le sombral, son regard perdu sur les reflets sombres de son encolure.
— Finalement, je crois que c'est aussi une forme de cadeau. Nous, nous avons la chance de voir quelque chose d'incroyable. Quelque chose que la plupart des gens ne verront jamais.
Elle reporta son attention sur Drago, qui fixait toujours l'animal avec une intensité troublante.
— Tout n'est jamais négatif, Drago, murmura-t-elle. Même dans ce qu'il y a de pire, il y a souvent une lueur inattendue.
Drago baissa les yeux, réfléchissant à ses paroles. Puis, après une longue hésitation, il fit un pas en avant. Le sombral souffla bruyamment et recula légèrement, méfiant.
Brittany lui adressa un regard encourageant.
— Doucement.
Il inspira profondément et tendit lentement la main. Cette fois, le sombral ne bougea pas. Drago posa prudemment ses doigts sur le col de l'animal. La peau sous ses doigts était chaude, tendue, parcourue de muscles fins et puissants. Il resta ainsi quelques secondes, fixant la créature comme si elle pouvait comprendre ce qui se passait en lui.
Brittany ne dit rien. Finalement, Drago baissa la main.
— On rentre ? murmura-t-il.
